Marilù, rencontre avec une femme remarquable, un documentaire de Sandrine Dumas

Marilù, rencontre avec une femme remarquable, documentaire de Sandrine Dumas

Qui a eu la chance de la rencontrer sur scène donc chez elle, ne l’oublie pas… La Dame assise de Copi, elle était la seule capable de jouer aussi bien qu’un dessin qui se serait animé tout seul. Mais alors, animé ! Même sur sa chaise pathétique, Marilù Marini est en caoutchouc, peut tout faire avec son corps de danseuse et sa voix qui n’a plus forcément envie de chanter, mais qui se travaille : on la voit dans le film, perfectionner sa diction, au-delà du simple exercice, avec déjà un engagement total dans le jeu, en un français teinté de ses origines argentines, c’est à dire mondiales.

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Complice active d’Alfredo Arias (directeur du Théâtre de la Commune-Centre Dramatique National d’Aubervilliers de 85 à 91) et du groupe TSE qu’il avait fondé ), elle partage avec lui, avec eux, un théâtre qui ne craint aucune transgression et qui tient le pari de la perfection formelle. Un exemple, qu’on voit furtivement dans le film: parfois à la fin du spectacle, le groupe se paye et offre au public, le luxe de saluer en jouant une suite de courts tableaux vivants si précis, si forts et si drôles qu’on aurait pu rester des heures encore à les applaudir. Mais ils avaient le sens de la juste durée.

Saluts, entrées en scène avec toutes les superstitions possibles, assumées ou tournées en dérision -enfin, ça peut servir, on ne sait jamais-, comme le fameux : «merde» à prononcer avant le lever du rideau*… Marilù nous emmène dans l’envers du théâtre et, en une seconde, à son endroit exact, vers l’actrice. Le film est un exercice d’admiration d’une réalisatrice et comédienne à une autre, avec qui elle a travaillé, jouant le rôle de sa fille. Cela ne s’oublie pas.
Sandrine Dumas ne nous raconte pas l’histoire du théâtre : ceux qui ont eu la chance de voir Marilù Marini sur scène ou au cinéma, se referont leur propre histoire. Mais aux autres, le film ouvre des portes un instant, sur une période éblouissante, celle du théâtre des Argentins  comme Alfredo Arias, Jorge Lavelli, Victor Garcia, Copi…  qui avaient  fui en France, la dictature de leur pays.

Ni regrets ni nostalgie mais des piqûres de rappel : cette audace et cette vivacité d’écriture ont existé. Ce travail très précis, cet humour froid,et ces remarquables costumes (hommage à Françoise Tournafond (1940-2011), la grande costumière entre autres au Théâtre du Soleil et au Théâtre du Campagnol) : toutes ces miettes de souvenirs sont autant d’incitations à l’exigence et à la liberté. Au centre, dans le désordre, la vraie Marilù, en personne. Clown et tragédienne, faisant volte-face en une seconde, vraie boule à facettes, choisie par Alfredo Arias pour jouer Caliban,et par Peter Brook pour Ariel, dans dans La Tempête de Shakespeare A la l’esclave souillé de terre et de haine, et le favori ailé, aérien, tout aussi esclave.
Sandrine Dumas a emmené Marilù Marini sur le théâtre -c’est le cas de la dire- de quelques-uns de ses exploits, aujourd’hui, joyeuse, lanceuse de défis et jambe en l’air. Elles s’accordent toutes les deux, elle et la cinéaste, le droit de la montrer fatiguée, inquiète et hop! de nouveau à vif. Un film sur le théâtre, sans doute et surtout sur cette femme remarquable, saisie, accompagnée dans son mouvement, le passé s’invitant dans le présent, et réciproquement, toujours changeante, pétillante. « Tu peux me filmer jusqu’à ma mort », « d’accord ». Pacte conclu entre elles. Et cela fait la qualité de ce film, dans le désordre de la vie…

Christine Friedel

*allusion à la présence autrefois de crottin de cheval en masse devant un théâtre, donc, signe de succès.

Documentaire de Sandrine Dumas, actuellement en salles.


Archive pour avril, 2024

Näss/Les Gens,chorégraphie de Fouad Boussouf

Näss/ Les Gens,chorégraphie de Fouad Boussouf

Nous étions entrés de plain pied dans  Fêu, la plus récente création du chorégraphe (voir Le Théâtre du Blog), une danse incandescente au féminin. Näss créé en 2018, semble en être le pendant masculin, empruntant de la même manière au hip-hop, à la danse contemporaine, au crump ou à l’acrobatie. De ce vocabulaire hybride, naît une force collective enivrante, à la fois tendre et virile.

© Charlotte Audureau

© Charlotte Audureau

La pièce commence dans le noir et en silence, puis les silhouettes des sept interprètes se découpent sur le mur au fond sous une lumière montante. A peine se retournent-ils, qu’ils entrent en mouvement et ils ne s’arrêteront jamais une heure durant. Ils avancent d’abord en rang serré puis en cercle, tapant du pied au rythme de sourdes pulsations sonores. Etrange rituel tribal où chacun joue avec sa personnalité et sa corporalité. Solos, duos et trios alternent dans tous les styles, avant que le groupe se reforme. T-shirts et chemises deviennent des matières extensibles, prolongent les corps toujours en mouvement, et les enveloppent ou les dévoilent……
La danse, pour Fouad Boussouf, est «élan et mouvement » qu’il impulse à ses interprètes. Näss est né de la nostalgie de ses premières années vécues dans un village isolé près de la ville de Moulay Idriss Zerhoun au Maroc. Puis son adolescence en France sera bercée par le groupe Nass el Ghiwane et les cassettes vidéo de hip-hop de Prince ou Michael Jackson sur lesquelles il s’essayait à la danse.
«Les textes et le langage de ce groupe des années soixante-dix, m’ont rappelé, dit-il, l’étrange lien qui pouvait exister avec le courant contestataire du rap et la culture hip-hop de cette même époque aux États-Unis.J’ai composé Näss comme un souffle, à la fois physique et mystique : cela me rappelle la nécessité d’être solidement ancré à sa terre pour mieux sentir ses vibrations.»
Vibrations que Sami Blond, Mathieu Bord, Elie Tremblay, Yanice Djae, Loïc Elice, Justin Gouin, Maëlo Hernandez nous transmettent, éclairés par les lumières de Fabrice Sarcy et sur les arrangements sonores du chorégraphe, de Roman Bestion et Marion Castor. Le public, transporté, a applaudi avec enthousiasme. Après plus de deux cents représentations triomphales, Näss continue en tournée. Un rendez-vous incontournable pour ceux qui ne l’auraient pas encore vu.

Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 23 avril à La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème) T. : 01 40 43 44 30.

 

Illusions d’ Ivan Viripaiev, mise en scène de Galin Stoev

Illusions d’ Ivan Viripaev, mise en scène de Galin Stoev

Cet auteur russe de quarante-neuf ans, devenu récemment polonais, acteur, réalisateur, scénariste et metteur en scène russe, est maintenant bien connu en Europe. Figure majeure du mouvement de la nouvelle dramaturgie en Russie, il a été intransigeant et a refusé toute collaboration après l’invasion de l’Ukraine qu’il a dénoncée avec force… ll avait en 2021 mis en scène au Nowy Teatr de Varsovie,  1.8 M16 une pièce de théâtre documentaire en soutien aux prisonniers politiques opposants aux régimes totalitaires en Biélorussie et ailleurs. Fondée sur des lettres et témoignages de détenus biélorusses, rassemblés par un groupe de dramaturges.
L’année suivante, Ivan Viripaev a annoncé vouloir reverser l’intégralité de ses droits d’auteurs perçus en Russie à une fondation humanitaire polonaise qui aide les réfugiés ukrainiens, ce qui a entraîné dans son pays natal une interdiction totale de ses pièces et une procédure pénale contre lui. Il a renoncé à sa citoyenneté russe mais a été condamné par contumace à huit ans de prison ferme… Depuis, il a  reçu la nationalité polonaise.

Son ami le metteur en scène bulgare Galin Stoev, dirige le Théâtre de la Cité à Toulouse et a monté cinq de ses pièces dont Illusions à Paris il y a huit ans, déjà avec de jeunes acteurs de la promotion sortante de l’E.S.A.D. ( voir Le Théâtre du Blog). « Ici, dit-il, avec  l’inCubateur  créatif (sic) au Théâtrededelacité (sic), on a la chance de traverser des expérience un peu inédites. Ici, en particulier le travail sur ce spectacle s’est étalé sur plusieurs mois et ce projet en soi porte aussi l’idée de transmission. J’espère aussi  qu’ils vont apprendre cette chose que moi, j’ai mis des années à comprendre comment cette écriture fonctionne et comment, dans sa genèse, elle est quelque part inachevée, comme n’importe quel texte dramatique d’ailleurs.  »

Marine Déchelette, Mathieu Fernandez, Élise Friha, Marine Guez, Alice Jalleau, Thomas Ribière, Julien Salignon sont réunis pour douze représentations. Ils vont raconter en une heure et demi, les beautés mais aussi les paradoxes et les malentendus de la vie sentimentale de deux vieux couples mariés : Sandra et Dennis, Margaret et Albert …. qui ont vécu ensemble quarante-deux ans, et à la fin de leur vie. Une histoire à la fois simple et compliquée avec parfois une teinte de comique ou de fondamentalement triste chez ces personnages aux sentiments souvent contradictoires.
Ces quatre-là se connaissent depuis qu’ils sont jeunes et
 sont toujours restés proches. Bien entendu, il y a sans doute eu des sorties de route secrètes et des croisements. Mais bon, ils ont toujours réussi à garder un amour réciproque et leur amitié. Fiction, mensonges, illusions affabulations:  la pièce d’Ivan Viripaev fait  penser à Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman ou à Qui a peur de Virginia Woolf d’Edward Albee. Les histoires de couples n’ont pas de frontières

©Marie Liebig

©Marie Liebig

Les jeunes acteurs jouent à la fois les personnages mais les racontent aussi tour à tour à deux, à quatre, voire en chœur. Mais bien entendu sans jamais simuler ces couples âgés, même si les situations et les états émotifs auxquels ils sont confrontés sont bien réels. Au début, une réplique confirme tout le climat de la pièce. « Je suis reconnaissant pour la vie que j’ai vécue. Grâce à toi, j’ai vécu une vie magnifique, étonnante, bien remplie. Et tout çà uniquement grâce à toi. »(…) Rien n’est capable de nous tirer du trou de notre propre égoïsme sauf l’amour. L’amour m’a poussé à relever la tête et à me regarder de l’extérieur, l’amour m’a poussé à vaincre ma propre paresse, ma propre lâcheté, ma propre peur. Tout ce que j’ai réussi dans cette vie, tout ça, je l’ai fait grâce à toi. »

Ivan Viripaev sait renouveler et tricoter assez habilement, avec un langage fondé sur la répétition et en partie sur le récit à partir d’une situation bien connue au théâtre, une histoire de quatre amours croisés. Mais nous ne saurons jamais qui a vraiment aimé l’autre ou a eu un moment de passion pour l’amie ou l’ami de toujours avec qui il ou elle, n’était pas marié.. Albert  a une très mauvais vue et n’est pas peiné d’apprendre que sa femme l’a en fait «trompé toute sa vie ». Vrai ou faux? Ou les deux… Viripaev sait nous balader, mais à un moment, finis la comédie et le badinage… Margaret s’est pendue dans sa chambre en laissant un mot. Sandra mourra aussi et Albert, vivra encore dix ans, jusqu’à quatre-vingt douze ans.

©Marie Liebig

©Marie Liebig

Mise en scène épurée et au cordeau: plateau noir, murs noirs et costumes noir et blanc, que ce soit pour les quatre  filles ou les trois garçons. Seuls éléments scénographiques: des lampadaires alignés sur le côté avec un socle en bois où ceux qui ne jouent pas, regardent sagement assis ceux qui jouent: vieux procédé brechtien plus qu’usé-et une sorte de cadre parallélépipédique. Et aussi un  effet miroir en fond de scène.
La direction d’acteurs extrêmement stricte: on voit qu’il y a eu en amont, tout un investissement chez ces jeunes interprètes qui font ici un travail remarquable et ils ont tous une belle présence mais il y a parfois une effet de réverbération sonore pas très agréable, dû à ce plateau nu. Dommage. Ils réussissent à tirer le meilleur parti de ce texte difficile, souvent assez sec et démonstratif qui, passées soixante minutes, a tendance à faire du surplace. Loin de toute émotion…
Mention spéciale à
 Marine Déchelette, Élise Friha, Marine Guez et Alice Jalleau qui sont plus solides que les garçons, comme souvent à la sortie des écoles de théâtre. C’était seulement la deuxième de cette série de représentations et le spectacle devrait se bonifier. En tout cas, c’est une bonne leçon de travail pour ces jeunes acteurs et Galin Stoev a eu raison de les lancer dans cette aventure.

 Philippe du Vignal

Spectacle vu le 24 avril, jusqu’au 7 mai au Théâtre de la Cité, 1 rue Pierre Baudis, Toulouse (Haute-Garonne).  T. : 05 34 45 05 05.

Le théâtre d’Ivan Viripaev est édité en France aux Solitaires intempestifs.

corde.raide, texte de debbie tucker green, traduction d’Emmanuel Gaillot, Sandrine Pelissier, Kelly Rivière, mise en scène de Cédric Gourmelon

corde.raide, texte de debbie tucker green, traduction d’Emmanuel Gaillot, Sandrine Pelissier, Kelly Rivière, mise en scène de Cédric Gourmelon

 Avertissement: l’autrice elle-même exige que son nom et les titres de ses pièces soient écrits sans majuscules. Elle n’en demande pas autant aux différents créateurs du spectacle. Dont acte. On s’en rendra compte, en voyant  ce spectacle: il n’a rien d’un caprice d’autrice très jouée et avec grand succès en Grande-Bretagne mais il fait partie d’une politique du théâtre, plus encore que d’un théâtre politique  On a déjà pu l’observer dans mauvaise, mise en scène de Sébastien Derrey (voir Le Théâtre du Blog), même si le spectacle n’a pas eu la carrière qu’il méritait vu l’épidémie de covid et du confinement. Sans majuscules, sans préambule, sans indulgence, debbie tucker green entre dans le vif -on a envie de dire « dans le lard»-de la société.

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Un parallélépipède parfaitement lisse, blanc, froid, éclairé de tubes fluo fonctionnels alignés, avec une table, un tableau aussi blanc qui ne sera pas utilisé, un jeu de chaises empilables et une fontaine à eau chaude ou froide (scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy). N’importe quelle salle d’interrogatoire, consultations, réunions d’équipe, ou rendez-vous individuels dans n’importe quelle administration. On verra se décliner toutes les précautions oratoires de Une et Deux, les employés ou fonctionnaires, ou agents, qui reçoivent Trois dans ce bureau anonyme. Ici, nous nous autorisons les majuscules pour désigner ces personnages, ou fonctions.

D’un côté, Une et Deux redoublent de formules « politiquement correctes » pour mettre à l’aise  Trois, et pouvoir dérouler le protocole dont ils ont la charge et qui les porte. Fonctionnement absurde, évidemment voué à l’échec. Trois résiste, Trois est en colère, une colère qu’elle ne lâchera pas de toute la pièce. Une et Deux tentent de se cramponner au dit protocole. Évidemment encore, arrive le moment où ils craquent, y compris à coups de gaffes ou lapsus. De quoi est-il question ? On nous le dira à la fin, donc nous ne vous en dirons rien ; pas question de « spoiler », ou « divulgâcher ». La pièce, construite et jouée comme une rigoureuse partition musicale fonctionne si bien… qu’elle n’a presque pas besoin de fin. Les répliques parfois s’interrompent, se chevauchent avec une habileté diabolique et on reconnaît la nécessité du dialogue multiple, dialectique et peut-être « agonique » entre les trois traducteurs.
Et ce n’est pas pour rien : cette machine bureaucratique, ces services, prétendus efficaces que l’autrice voit dans un avenir dystopique proche, nous les connaissons déjà. Rigides, en principe bien huilés, ils coincent et butent pourtant. La musique de la pièce le fait entendre et la scène le montre.
Ce qui cloche, qui ne va pas, c’est l’humain. La colère puissante de Trois contre cette chose (qu’on ne nous dit pas) qui a détruit, sa famille, son couple ; la « décision » qu’elle doit signer en quatre exemplaires à la fin, mais qu’elle avait prise dès avant son entrée dans le bureau : cette colère-là lui donne une telle force de résistance qu’elle fait craquer les protocoles. Une et Deux ont beau chercher à revenir à la charge, le réel-parce que ce « non », c’est le réel-, les fait échouer, comme leur propre fragilité sous l’armure.

Certains passages font penser à Elle est là de Nathalie Sarraute, dans la quête sinueuse et obstinée du bon argument. Et soudain la comédie pure et simple fait irruption. L’échec, le désordre de ces pauvres technocrates si fiers de leur ordre, si soucieux de ne jamais perdre le Nord et soudain déboussolés, cela fait rire : c’est inévitable. Et pas seulement comme à Guignol : c’est plus qu’une revanche contre le bâton du gendarme, face au drame de Trois toujours présent. C’est un rire à la Bergson, devant le dérèglement de la puissante machine soudain en perdition. Tout simplement le rire qui reconnaît le vrai, qui pointe et dénonce le mensonge permanent de cette organisation qui, encore une fois ressemble terriblement à celles d’un monde que nous connaissons. 

Lætitia Lalle Bi Benie (Trois) et Frédérique Loliée (Une) et Quentin Raymond, le bien nommé Deux, qui suit sa N+1 et lui met des bâtons dans les roues sont impeccables : ils jouent tout le texte, rien que le texte mais avec un petit quelque chose en plus, une très légère accentuation, la première dans le registre de la tragédie qu’elle tient sans faiblir, les deux autres dans la maladresse cachée de « responsables » qui porteraient un habit un peu trop grand-ou trop petit- pour eux. À voir, donc.

Christine Friedel

Jusqu’au 5 mai, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro: Château de Vincennes+navette T. :01 43 28 36 36.

Qui êtes vous Louise Andrée?

Qui êtes vous Louise Andrée?

 « Magicienne, dit-elle, et croyez-le ou non, ma toute première expérience a eu lieu en direct à la télévision ici au Royaume-Uni, dans la série The Magicians à la B.B.C. J’étais découpée en neuf morceaux et restaurée à nouveau par Barry et Stuart et une célébrité, le boxeur poids lourd David Haye. »
Elle n’avait jamais vraiment regardé de tours mais a découvert qu’elle était attirée pour les illusions. Danseuse de formation, elle a grandi sur scène dès cinq ans et adoré la répétition des illusions, le besoin d’être rapide et précis était pour elle un grand défi ! Puis elle a eu l’occasion de travailler avec les plus grands noms dans cette série télévisée : Barry et Stuart, Pete Firman, Jonathan Goodwin, Jason Latimer, R. Paul Wilson, Scott Penrose et Danny Hunt. Elle a regardé aussi chaque semaine les artistes invités en direct dont les fabuleux Juliana Chen et Aaron Crow et elle a eu aussi eu la chance d’assister sur le côté de la scène aux illusions records de Hans Klok et est ainsi devenue accro !

 © Anchor Studio

© Anchor Studio

«Après ce spectacle, j’ai appris que le merveilleux Jamie Alla, cherchait à aider davantage les femmes à se lancer dans la magie rapprochée et j’ai rejoint le groupe Chicks ‘N’ Tricks en 2014. Jamie a travaillé avec nous pour nous encadrer et nous guider dans le monde du close-up en entreprise. Je préférerais les grandes illusions et ne me voyais pas vraiment dans e close-up. Puis j’ai commencé à vraiment apprécier cette discipline et c’était tellement rafraîchissant de travailler avec un petit sac, au lieu d’énormes caisses de matériel !

Puis elle a rencontré Jonathan Goodwin dans The Magicians qui lui a proposé de travailler dans la série Impossible. Ce fut un autre tournant dans sa carrière et elle ainsi pu exercer dans le West End de Londres, faire le tour du monde et apprendre, de Jonathan et de ses collègues. Et certains sont maintenant ses meilleurs amis : « Mes préférés ?: Josephine Lee, Ben Hart et Chris Cox. Rejoindre aussi The Magic Circle en 2017 m’a beaucoup aidé : être entourée d’une telle variété d’artistes et avoir accès à sa bibliothèque n’a pas de prix ! J’ai été promue AIMC avec une étoile d’argent en 2022; cela a été un sceau d’approbation de mes pairs et a amélioré ma confiance en moi. »

Elle n’avait jamais prévu devenir magicienne et, après dix ans de carrière, elle a eu le syndrome de l’imposteur et s’est dit: «Qu’est-ce que tu fais? Tu n’es pas une vraie magicienne !  J’ai récemment joué lors d’une grande convention et n’ai jamais été aussi nerveuse-me produire devant un théâtre rempli de mes pairs ! Je m’en suis sortie et j’ai vraiment apprécié à la fin. J’ai réalisé que chacun a son propre ensemble de compétences et de style à apporter aux autres. Vous n’êtes peut-être pas toujours le, ou la meilleure, mais vous serez toujours le, ou la meilleure pour être «vous ».
Elle travaille à temps plein mais aime beaucoup aider à des projets secrets ». Elle a ainsi collaboré deux fois à des émissions de télévision comme Fool Us de Penn & Teller mais personne ne saura jamais ce qu’elle y a fait ni avec qui : « Je suis loyale et douée pour concevoir du matériel et garder les secrets dit-elle, Alors finalement, j’ai peut-être toujours été une magicienne ! »Louise Andrée aime travailler sur de grands spectacles d’illusion, mais adore aussi la magie rapprochée lors d’événements. Elle aime parler aux gens, les aider et les découvri, tout en les faisant rire : « amusez-vous et sentez-vous bien ! » Son style de close-up est ludique et inclusif et elle essaie toujours de faire des spectateurs, les stars du spectacle. Avec la merveilleuse association caritative pour les enfants Spread a Smile, elle rend visite aux enfants et à leurs familles à l’hôpital pour égayer leur journée. « Nous ne pouvons pas améliorer leur maladie, mais nous essayons de les aider à échapper à leur réalité quelques minutes. Je suis tellement fière de pouvoir utiliser mon art de cette manière et voir à quel point un petit tour peut faire une grande différence. »

Elle ‘aime le style gracieux et mystique de Joséphine Lee, son inspiratrice et une de ses meilleures amies. : « son numéro de « ballon flottant » qui l’a rendue célèbre dans l’émission Britain’s Got Talent, est magnifique. Ben Hart est probablement mon magicien préféré. Très compétent et créatif, il est très fort en matière de narration et fascine son public, rien qu’avec sa voix ! Neil Kelso aussi je l’adore ; son style vaudeville d’antan est tellement élégant et vous avez l’impression d’être transporté dans l’âge d’or de la magie. Il la mélange avec la musique dans ses spectacles : merveilleux !
J’aime aussi les présentations modernes d’illusions classiques, le close-up et le cabaret avec des objets du quotidien. Comme Luke Oseland : il peut pratiquement créer un tour à partir de n’importe quoi.

Ses influences artistiques ? Elle aime la musique, la danse et le spectacle en général et s’inspire souvent d’un morceau de musique ou d’un costume comme point de départ. Elle aime tout le processus et la partie show-biz dans ses spectacles et pour elle, il ne devrait pas s’agir uniquement de trucs.. A un débutant, elle conseille de demander l’aide d’autres magiciens : « Une fois que vous avez appris quelque chose et que votre niveau est correct, sortez et essayez vos tours avec vos amis, famille,collègues, etc. Répéter devant un miroir peut aider à gérer les angles, mais ce n’est qu’en jouant devant un public que vous apprendrez vraiment les nuances d’un tour et comment il réagit. Souvent, vous serez surpris de voir à quel point les magiciens se sentent culpabilisés ! Ne sous-estimez jamais la puissance d’une technique simple mais bien présentéeEt surtout, soyez bienveillant et gentil avec les spectateurs, l’équipe et l’organisateur de la soirée. Cela facilitera votre inclusion, votre travail et améliorera votre prestation. Une dernière chose : soyez ponctuel ! »

« Il y a, dit-elle, beaucoup d’inquiétude en ce moment concernant l’exposition de la magie en ligne et les méthodes révélées sur TikTok et autres réseaux sociaux. » Quant à l’intelligence artificielle et comment elle affectera notre art et les arts du spectacle en général, elle pense que les gens, par nature, ont besoin de connexions et que, si les magiciens continuent à créer ces ces moments de magie en direct, rien d’autre ne s’en approchera. « J’ai eu la chance de voir certains jeunes se produire récemment au Magic Circle de Londres et je pense que l’avenir est entre de bonnes mains. »

 Pour elle, la culture joue un rôle énorme dans son art, qu’il s’agisse de culture populaire, d’influences musicales ,de technologie ou de l’utilisation de la magie à travers l’Histoire et sorcellerie, etc. : « Sa beauté peut être un langage international et peu importe où vous vous trouvez dans le monde, la connexion humaine est universelle et l’art magique peut transcender les frontières et rassembler les gens. Y-a-t-il un mot plus universel qu’abracadabra ? Il est intéressant de voir comment la magie est perçue dans différents pays et comment les publics réagissent si différemment au même tour. C’est pourquoi j’aime tant voyager et je crois vraiment que ces expériences nous aident à nous enrichir comme artistes mais aussi comme personnes. »

Mais que fait-elle à part la magie ? Elle adore la danse, la course, le yoga, les Pilates. Et elle s’entraîne presque tous les jours et a la chance d’aimer ça. Elle fait aussi des randonnées en Écosse avec sa famille, voyager dans des endroits chauds et ensoleillés et aime découvrir la culture d’autres pays, aller au théâtre, lire. “Rien de trop intelligent, juste de l’évasion et plus récemment, sur Pinterest j’ai trouvé des idées de décoration intérieure: mon mari et moi venons d’acheter notre première maison.

Sébastien Bazou

Interview réalisée le 23 avril

 https://louiseandree.com/

 

Théâtre de la Bastille hors-les-murs Portraits de famille-Les oublié·es de la Révolution française, conception et interprétation d’Hortense Belhôte

Théâtre de la Bastille hors-les-murs:

Portraits de famille-Les oublié·es de la Révolution française, conception et interprétation d’Hortense Belhôte

« Dans le monde universitaire, la recherche généalogique, dit Hortense Belhôte, est souvent dénigrée et ramenée au rang de l’amateurisme, détachée des efforts de problématisation intellectuelle qui caractériserait la science historique. Mais, de la généalogie, à l’Histoire, il n’y a qu’un pas. Tirer le fil de la micro-histoire, c’est s’embarquer dans un processus de recontextualisation globale qui fait place à d’autres récits. Et lorsque les archives manquent, ce sont les branches cousines, les personnalités publiques, les articles scientifiques sur des sujets proches ou les œuvres d’art contemporaines et représentations anciennes qui viennent combler l’imaginaire historique. »
Elle va naviguer une heure et quelque,  parfois sur un coq aux couleurs nationales, pour nous raconter un pan méconnu de notre Histoire, mêlée à son histoire familiale où, dit-elle, «on trouve de tout quand on commence à faire son arbre généalogique et souvent ce qu’on ne cherchait pas:  un grand-oncle égyptien déporté à Cayenne? Une arrière-grand-mère verbalisée pour prostitution? Une union gay déguisée en pieuse adoption? Une mystérieuse disparition? Un mariage forcé ? Une collaboration douteuse ?  »

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Cette descente dans le passé se croise donc avec l’histoire coloniale et post-coloniale française, comme beaucoup d’entre nous (son père a travaillé en coopération en Afrique pour ne pas faire son service militaire).
1789 et les événements de la période révolutionnaire vue comme le  creuset de certains mythes fondateurs  a passionné cette historienne de l’art qui n’en est pas à son coup d’essai et cela se voit. Elle a longtemps enseigné puis a créé Une Histoire du foot féminin, puis L’eErotisme dans l’art classique, un spectacle adapté en web série pour Arte. Puis Hortense Belhôte a monté Histoires de graffeuses et Performeureuses, une histoire de la performance en danse contemporaine. Et la marmotte? Une approche socio-historique de la montagne et enfin 1664, déboulonnage en règle de l’absolutisme de Louis XIV, il y a deux ans.
Cela se passe dans un endroit pas magique du tout pour une conférencière : une grande salle aux murs blancs du lycée Simone Weil à Paris (IIIème) pour une centaine de spectateurs. La scène est  trop basse : on voit juste son torse, bancs en bois même pas attachés ( bonjour la sécurité!y-aurait-t-il une exception pour l’Education nationale, ce serait étonnant…) et l’acoustique et les éclairages sont approximatifs.. Mais elle fait avec, munie d’un micro H.F? mal réglé et qui, à la fin, se détraquera.
Elle évoque, avec projection de portraits habilement croisés avec des photos de sa famille à elle, toute une galerie de personnages à la fois célèbres (Robespierre, Jeanne Bécu devenue madame Dubarry dont Louis XV à soixante ans deviendra l’amant).Après un procès expéditif, elle sera guillotinée en 1793, après avoir eu le temps de faire sept enfants. Mais rappelle Hortense Belhôte, il y aussi dans cette saga nationale, des personnages à la fois connus et inconnus, comme Zamor, offert à Madame du Barry par Louis XV.  Ce petit page indien de sept ans qui devint son filleul, reçut une très bonne éducation et parla bien le français. Défilent aussi le chevalier de Saint-George (1744-1799), un compositeur, escrimeur d’origine guadeloupéenne qui eut une carrière artistique et sportive exceptionnelle. Il participe à la Révolution française et commanda la légion dite des Américains, des volontaires antillais et africains.

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Elle évoque aussi le fameux chevalier d’Éon* )photo la plus proche à gauche)  diplomate, espion, officier, et homme de lettres français (1728- 1810) sous Louis XV et qui a vécu habillé en homme pendant quarante-neuf ans et en femme pendant trente-deux ans, mort à Londres dans la misère… Et Thomas Alexandre Davy de La Pailleterie, dit le général Dumas, né à Saint-Domingue et premier général de l’armée française aux origines afro-caribéennes… Le père de notre grand Alexandre Dumas (Les Trois Mousquetaires, Le Comte de Monte-Cristo…) et le grand-père d’Alexandre Dumas, l’auteur de La Dame aux camélias (1848).
Et Jean Amilcar, ancien enfant esclave sénégalais, adopté en 1787 par Louis XVI et Marie-Antoinette. Et cette femme dite Mme Royale, leur dernier enfant vivant, surnommée « l’Orpheline du Temple » et devenue l’héroïne de chansons, poèmes et récits…
Et encore Marie-Guillemine Benoist qui fait en 1800 le Portrait d’une femme noire, (*deuxième photo en partant de la gauche) sans doute une Guadeloupéenne dans la tradition du portrait français mais avec un sein nu. Enfin, Claire de Duras, qui écrit Ourika, un roman publié anonymement, en 1823… et redécouvert il y une trentaine d’années. Première grande héroïne noire de la littérature occidentale, Ourika d’origine sénégalaise avait été achetée par le chevalier de B. à trois ans, puis adoptée et qui reçut une excellente éducation mais de l’Ancien régime- l’enfance d’Ourika- jusqu’à la Restauration, elle comprendra qu’elle est restée une marginale.*

Hortense Belhôte tisse très habilement ce tissu à la fois familial et sociétal parallèle, avec ce qu’i faut de piquant et de sauce musicale et elel finit par un strip-tease comique, très réussi. Bon, le récit part un peu dans tous les sens, elle bouge sans doute parfois trop et a tendance à bouler son texte: comme l’acoustique est très mauvaise, malgré son micro H.F, on l’entend parfois mal ; curieusement, bien mieux, quand ce foutu micro H.F. est H.S… Bref, ce spectacle mériterait d’être vraiment mis en scène mais on ne n’ennuie pas une minute à cette fausse et vraie conférence d’histoire de l’art. Pas loin quelque fois -mais ici conjuguée au féminin- de celles brillantes d’Hector Obalk (voir Le Théâtre du Blog) avec des moyens simples et efficaces. Et le public pour une fois en majorité jeune, a applaudi chaleureusement, et avec raison, ce spectacle insolite et tout à fait réjouissant.
«C’est à cette population du «Quatrième ordre», dit Hortense Belhôte, que nous voulons rendre hommage, non pour établir de nouvelles dévotions, mais pour éviter la sclérose d’un nationalisme amnésique. Car si nos ancêtres les Français, les «Vrais», ceux des peintures, ceux du premier 14 juillet, étaient des Noirs, des femmes émancipées et des personnes non-binaires, c’est tout le paradigme de l’altérité qui est à reconsidérer. (..) Alors, tendons l’oreille, c’est de nous tous, que l’on parle. »
Mission largement accomplie mais nous aimerions bien revoir ce spectacle dans de meilleures conditions… Pourquoi pas au Théâtre de la Bastille?

Philippe du Vignal

*Marie Plateau avait interprété Ourika  d’après le roman de  Claire de Duras, dans une mise en scène d’Elizabeth Tamaris, l’an passé au Théâtre Darius Milhaud à Paris ( XIX ème).

Spectacle vu le 22 avril; jusqu’au 23 avril, 15 h 15 et 19 h, lycée polyvalent Simone Weil, site François Truffaut, 28 rue Debelleyme, Paris (III ème).

Et Rembobiner sera joué par le collectif Marthe,  les 25 et 26 avril à 15 h et 19 h , Le Consulat, 14 avenue Parmentier, Paris (XI ème).

 

Le Mensonge, libre adaptation du Mensonge de Catherine Grive et Frédérique Bertrand, chorégraphie de Catherine Dreyfus.

Le Mensonge, libre adaptation du Mensonge de Catherine Grive et Frédérique Bertrand, chorégraphie de Catherine Dreyfus ( tout public)

 Un projet né juste d’une envie de pois ! Une envie fantaisiste qui a trouvé tout son intérêt et son univers artistique quand se sont rencontrées en 2019, l’autrice et la chorégraphe. Elles ont souhaité construire à partir de leur espace esthétique différent, une collaboration d’un duo autrice/chorégraphe. À la lecture de cet album pour la jeunesse, Catherine Dreyfus, enthousiasmée par l’histoire, a voulu la mettre en scène. Le caractère universel du thème  et la manière dont il est traité, la séduisent. Dans ce récit, aucune moralité mais une pudeur et une élégance et aussi beaucoup de merveilleux, d’étrangeté, d’humour et de gravité, face à cette question du mensonge concernant  le monde entier depuis la nuit des temps !

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Cette adaptation du livre de Catherine Grive (illustrations de Frédérique Bertrand) est dionysiaque et poétique! Maryah Dos Santos Pinho (la Petite fille), Anna Konopska (la Maman) et Rémi Leblanc-Messager (le Papa) nous éblouissent avec leurs danses et acrobaties.
Pendant un repas, une fillette fait malgré elle, fait un mensonge, à ses parents: «Dans un silence, les mots sont partis tout seuls.» En entrant le soir dans sa chambre, oh ! Surprise… le mensonge avait pris la forme d’un petit rond rouge, et l’attendait ! Petit rond rouge deviendra  de plus en plus grand et envahissant. Il se multipliera et ne quittera plus l’enfant, jusqu’à créer en elle une sensation d’étouffement.
Une lutte s’engage alors entre mensonge et menteuse. Sans cesse il disparaît pour mieux réapparaître et la surprendre, la déstabiliser dans son rapport aux autres, au quotidien et dans son intimité. Mais pourquoi et jusqu’à quand, cela va-t-il durer? La tension monte, et jusqu’où ce rond rouge va-t-il mener la petite fille? Vont-ils trouver un terrain d’entente et finir par abandonner ce corps-à-corps destructeur. …

 Pour entrer en contact avec l’univers hors-normes et souterrain de l’histoire (la vie intérieure de la jeune héroïne), Catherine Dreyfus a mis en rapport subtil les espaces et langages artistiques de la danse, du mime , du théâtre et du cirque.
Les danseurs (la Mère et le Père) et une circassienne (la Fillette) et ce croisement entre les arts, créent une intensité dramatique d’où surgit une belle théâtralité. La première partie est ritualisée à l’extrême et graphique, avec répétition de gestes dans des situations issues du quotidien et réglées au plus près. «Le public, dit la chorégraphe, doit percevoir une illusion de perfection.» Et dans la deuxième partie-changement radical dans l’évolution dramatique de l’histoire et de la danse- la fillette ne veut plus respecter ce rituel avec ses gestes répétitifs et mécaniques.

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La machine chorégraphique alors totalement déréglée, traduit à travers son corps, la tempête intérieure que subit l’enfant. «La danse, dit Catherine Dreyfus, devient plus lâchée.» Et, avec une dimension onirique et cette rupture, se crée une opposition entre les deux parties de cette fiction. Petits et grands sont fascinés par cette danse-théâtre. Aux côtés de la petite fille en lutte avec le rond rouge, personnification du mensonge et devenu multiple, la magie, le rêve, le cauchemar et le désir semblent s’être donnés rendez-vous comme des esprits, dispersés sur la scène.
Jamais nous ne seront révélées la nature et l’origine de ce mensonge: c’est toute la subtilité et le point fort de cette histoire poétique et éthique… Il est peut-être aussi une métaphore de nos angoisses et de ce qu’elles engendrent mentalement en chacun de nous. Pour Catherine Grive et Catherine Dreyfus, il s’agit de «raconter avec grâce et légèreté, les affres d’un combat intérieur que nous avons tous livré un jour. »

Le spectacle est à l’image du mensonge de cette petite fille: obsédant et énigmatique. Son étrangeté en prenant une forme vivante, ce rond rouge animé, acquiert une densité dramatique grâce au croisement de champs esthétiques utilisés ici avec finesse, pour mettre en scène ce mensonge dévastateur chez la fillette.
L’ensemble du public est émerveillé par la beauté de la scénographie et l’univers fantastique qui a pris possession de l’âme de la fillette. La scénographie est fidèle à l’univers graphique de l’album et de ses éléments dramaturgiques. Une sensation d’angoisse s’empare de nous, entre crainte et fascination.
Ce travail théâtral, esthétique et soigné fait écho à l’état perturbé de la petite fille… Le Mensonge, est proche d’une œuvre plastique en mouvement: des châssis mobiles aux damiers en noir et blanc avec quelques carreaux colorés et le rond rouge de plus en plus gros, et se reproduisant à l’infini, envahissant l’espace. La couleur tient une place signifiante dans la construction de l’histoire. Le changement de l’une à l’autre pour les costumes mais aussi pour l’ensemble des éléments scéniques, la radio par exemple,  marque le passage d’un tableau chorégraphique au suivant. Ce jeu des couleurs rythme l’évolution de l’histoire. L’éclairage contrasté entre point lumineux et obscurité laisse resplendir le jaune, le bleu, le vert… et le rond rouge, un ovni-personnage !
La musique et les bruits, les sons sont inspirés d’éléments rebondissant comme des petits pois dans une assiette, ou les perles d’un collier se répandant sur le sol. En totale complicité avec les situations, à la fois beaux et originaux, ils augmentent notre attention.

Ce spectacle pour la jeunesse procure aussi un plaisir chorégraphique et théâtral aux adultes. «Cela a toujours été, dit Catherine Dreyfus, ma façon de concevoir mes spectacles: offrir plusieurs grilles de lecture, pour m’adresser au plus grand nombre.» Le Mensonge nous interroge et crée un dialogue entre l’intime et le quotidien et nous fait prendre conscience de l’importance de la parole et de l’échange, aussi difficile soit-il. Ne plus garder et s’enfermer dans sa peur, mais ouvrir le dialogue pour retrouver la paix en soi et avec les autres ! Une danse des corps et des mots -survenant dans la chorégraphie- font de ce spectacle un chant poétique et théâtral, bienvenue pour apaiser les esprits, un moment jubilatoire de toute beauté… Le public sort émerveillé et léger de ce spectacle...

 Elisabeth Naud

 Spectacle vu le 17 avril, au Théâtre Paris-Villette, 211 avenue Jean Jaurès, Paris (XIX ème). 

Festival d’Avignon, La Scierie, du 3 au 21 juillet. (Deux versions en sont proposées: pour jeune public et pour des représentations hors des théâtres)

 

Adieu Georges Forestier

Adieu Georges Forestier
 
Ce professeur de littérature française à la faculté des Lettres à la Sorbonne-Université de 1995 à 2020, grand spécialiste de Molière et du théâtre du XVII ème siècle- surtout  Corneille, Racine- est mort à soixante-douze ans. Il était connu pour avoir créé une méthode d’analyse des processus créatifs. Passions tragiques et règles classiques : essai sur la tragédie française (2003) est maintenant un ouvrage de référence, comme le furent autrefois les  Morales du grand siècle de Paul Bénichou et La Dramaturgie classique de Jacques Scherer…
Il participa grandement à la nouvelle édition des œuvres complètes de Racine et Molière dans la collection de la Pléiade. Avec  Molière (Gallimard), Georges Forestier a aussi écrit une biographie très précise du grand dramaturge.

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Il a dirigé le Centre de recherche sur l’histoire du théâtre et le Centre d’études de la langue et des littératures françaises et a aussi fondé le Théâtre Molière Sorbonne. L’an passé, il avait monté avec Mickaël Bouffard, une version du Malade imaginaire à l’Opéra royal de Versailles.

Son adaptation en trois actes de Tartuffe a été mise en scène à la Comédie-Française en 2022 par Ivo van Hove. Mais il y a eu un contentieux: il avait alors attaqué en justice pour «violation de ses droits d’auteur»: «On savait, a-t-il dit, que la pièce qui avait été interdite par Louis XIV, était en trois actes. Je suis donc parti de la version en cinq actes, dans laquelle j’ai coupé l’acte II et l’acte V. «J’ai créé un objet nouveau qui n’existait pas jusqu’ici. »
De son côté, la Comédie-Française avait estimé quil n’en était pas le véritable auteur et qu’il avait  juste «restitué en tant qu’universitaire le texte originel de Molière». Mais pour  Georges Forestier : »La Comédie-Française dit tout simplement que cette pièce est du domaine public, que c’est du Molière, alors que j’ai créé une œuvre qui n’existait pas et qu’ils n’auraient jamais pu jouer sans mon travail. C’est vexant ». Mais la Justice ne lui a pas donné raison et il avait été débouté.
Fin avril, le Théâtre Molière-Sorbonne jouera Les Précieuses Ridicules.

La Sorbonne lui rendra prochainement un hommage.

Philippe du Vignal

Après les Ruines, texte et mise en scène de Bertrand Sinapi (spectacle tout public)

Après les Ruines, texte et mise en scène de Bertrand Sinapi (spectacle tout public)

 Échoué dans un pays dont il ne sait rien et ne comprend pas la langue, un homme demande l’asile. Il parle le français mais la femme qui le reçoit, l’allemand… Dialogue de sourds et fil rouge de ce spectacle, issu de rencontres et ateliers-théâtre avec des réfugiés, travailleurs sociaux ou gens croisés au hasard des rues… pour parler d’exil, asile, frontières géographiques et mentales.

© Pardes Rimonim

© Pardes Rimonim

Metz, où la compagnie Pardès Rimonim s’est implantée il y a dix-neuf ans, est une terre d’asile où se sont envoyés et se sont installés de nombreux réfugiés. Les artistes, engagés à éveiller les consciences, axent aujourd’hui leurs créations sur des collectes de paroles qui viennent nourrir une « écriture de plateau.
Dans ce contexte, ils présentent un diptyque sur l’exil dont le premier chapitre À Vau l’eau est tiré du roman éponyme de Wajdan Nassim. L’écrivaine syrienne, réfugiée à Metz, mêle à la sienne les histoires de ses voisins du quartier Borny où elle a pris racine: ils sont koweïtiens, irakiens, marocains, pakistanais, soudanais, afghans, syriens… Amandine Truffy, que l’on retrouve dans Après les ruines, y incarne l’autrice et se fait la passeuse de leurs récits, en construisant au sol un décor miniature et en dessinant une carte du monde. Ce premier spectacle joué dans les écoles ou les centres sociaux, a été la matrice d’Après les ruines.

Le second volet s’ouvre sur l’un des récits d’À Vau l’eau, en voix off et arabe surtitré : l’histoire cauchemardesque d’un naufrage rapporté par un homme qui en a réchappé avec sa femme et son fils, il ne sait comment… Suivra une série de questions posées par les trois comédiens. Quel asile et quel secours, ceux qui ont tout quitté, fuyant guerre et misère, trouvent-ils dans nos riches contrées ? Comment sont-ils accueillis en Europe ? Que peut faire le simple citoyen ? Pourquoi criminaliser ceux qui portent secours aux migrants ? Que ferions-nous à la place de ces fugitifs ? Le monde est-il en train de tomber en ruine ?

Et comment en parler au théâtre ? : « Les témoignages affluent, abondent, se ressemblent … nous savons, dit Bertrand Sinapi. Nous les avons déjà entendus, ou nous choisissons de les ignorer et poursuivre nos vies. Depuis nos territoires, comme au fond de la caverne de Platon, nous apercevons les ombres du monde. »

© Guillaume Lenel

© Guillaume Lenel

Dans cette caverne : une boîte aux parois immaculées, les ombres des acteurs se projettent, s’allongent ou disparaissent grâce un savant jeu de lumières créé par Clément Bonnin.  Amandine Truffy, la narratrice, nous adresse des salves de questions, en marge des errances d’un réfugié (Bryan Polach) aux prises avec les absurdités administratives d’un pays dont il ne comprend pas la langue et ne connait pas la culture. L’employée qui le reçoit (interprétée en allemand par Katharina Bihler) ne peut pas faire grand chose pour l’aider. La comédienne venue d’outre-Rhin nous rappelle par ailleurs que le traitement de l’immigration dans son pays n’est pas le même qu’en France. Une bonne leçon pour nos édiles !

Le metteur en scène a apporté un grand soin à la scénographie et aux éclairages. Dans un espace épuré où les ombres jouent à cache-cache avec la lumière, un décor miniature se construit au fil de la pièce : assemblage de cubes, grilles, maquettes d’immeubles et d’arbres au ras du sol… Le contrebassiste allemand Stefan Schreib, accompagne les comédiens avec une grande sensibilité et à ses notes, se mêlent les compositions du Luxembourgeois André Mergenthaler enregistrées au violoncelle, et les paroles d’exil égrenées, en voix off, tout au long du spectacle.

 Mais dans cet environnement sonore et esthétique cohérent, la trame dramatique reste peu lisible et les éléments assemblés au plateau à partir d’improvisations, sont comme posés en vrac. Malgré ses imperfections, ce spectacle transnational (France, Allemagne, Luxembourg) reflète la volonté d’artistes européens d’aller sur le terrain pour faire du théâtre autrement… De croiser leurs regards et amener le public à se questionner avec eux : « Après les ruines interroge notre capacité à nous projeter, ou non, dans l’altérité. Quelles seraient nos réactions face à la brutalité de l’arrachement, aux procédures administratives complexes? »

À la veille des élections européennes, il y a urgence et merci à eux de lancer l’alerte. « C’est parce que nous ne l’affrontons pas, que l’Histoire ne change pas » disait déjà James Baldwin dans  Je ne suis pas votre nègre , un  documentaire du réalisateur haïtien Raoul Peck ( 2016) 

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 18 avril à La Comète-Scène Nationale, 5 rue de Fripiers, Châlons-en-Champagne (Marne). T. :03 26 69 50 99.

Les 5 et 6 juin, L’Agora de Metz (Moselle).

Du 2 au 21 juillet à 13 h 55, au Onze, festival off d’Avignon (Vaucluse).

 À Vau l’eau est publié aux éditions Ile et Lettres de Syrie, de la même autrice mais sous le pseudonyme de Joumana Maarouf, chez Buchet-Chastel (2014).

 

Le Mandat de Nicolaï Erdman, traduction d’André Markowicz, mise en scène de Patrick Pineau

Le Mandat de Nicolaï Erdman, traduction d’André Markowicz, mise en scène de Patrick Pineau

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L’auteur (1901-1970 écrivit Le Mandat que monta le grand Vsevolod Meyerhold *,  il y a juste un siècle, puis Le Suicidé quatre ans plus tard, une pièce que monta aussi Patrick Pineau (voir Le Théâtre du Blog). Dans la lignée de Nicolas Gogol, Le Mandat écrit par ce jeune écrivain de vingt-trois ans était d’une virulence incroyable et cette création aux situations loufoques où s’empêtrent ses personnages, comme chez Georges Feydeau (mort trois ans avant) et aux dialogues colorés eut un grand succès. Comme l’a écrit notre amie et collaboratrice Béatrice Picon-Vallin:  « Pour Meyerhold, si le public change, le théâtre est transformé. Et il l’a vraiment trouvé, ce public. Jusqu’en 1926-1927, il y a énormément de public populaire dans son théâtre de Moscou.  Publié aux Solitaites Intempestifs,  le texte, dit André Markowicz‚ mais le témoignage d’une étape de travail‚ dans une entreprise plus globale‚ et celui d’une tentative de saisir un style particulier‚ sans aucun équivalent dans le théâtre français. »

Avec une belle touche d’absurde, le théâtre de Nicolaï Erdman préfigure celui d’Eugène Ionesco qui commence à écrire La Cantatrice chauve quelque dix ans après… Et certaines répliques, on l’a souvent dit, font penser à Pierre Dac, voire à Pierre Desproges… qui disait : «Je vous le demande : en votre âme et conscience : « Sans la peine de mort, est-ce la peine de vivre. »  Après un retour à une petite économie de marché, la société russe tangue. Il y a ceux qui voient un avenir meilleur dans un communisme radical, et ceux qui n’ont pas encore vraiment coupé les liens avec l’ancien Régime…
Le spectacle fut joué plus trois cent-cinquante fois dans la mise en scène de Vsevolod Meyerhold. C’était juste après la Révolution d’Octobre et Lénine meurt cette même année 1924 et Staline évincera Trotski du gouvernement, avant de la faire assassiner au Mexique. Et il devient Secrétaire général du Comité central du Parti communiste jusqu’à sa mort en 52. La censure impitoyable va surgir 
 et Le Suicidé (1928), la seconde pièce de Nicolaï Erdmann, adaptée par Vsevolod Meyerhold, sera finalement interdite. Et le grand metteur en scène que Staline ne supportait pas, arrêté en 39 et torturé, sera contraint de reconnaître sa culpabilité : trotskysme et espionnage et sera exécuté un an plus tard, comme son épouse… Quant au Mandat, il sera interdit en 1930 et Nicolaï Erdman, arrêté, ne verra jamais sa pièce éditée… elle le sera seulement en 87 !

Dans ce trop long mais savoureux vaudeville aux nombreux personnages, fleurissent quiproquos, malentendus et départs en catastrophe avec des dialogues aussi absurdes que cinglants. La farce  commence aussitôt  quand  un voisin et locataire voisin, la quarantaine qui vit à côté mais dans le même appartement que les Goulatchine,  vient tout le temps reluquer la jeune fille et surveiller ce qu’ils font. Et il dit avoir reçu sur la tête la casserole de vermicelles au lait posée sur une étagère  parce que Pavel, le fils des Goulatchkine, a donné des coups de marteaux sur la mince cloison pour accrocher un tableau:  «Alors‚ Nadejda Petrovna‚ on a eu peur ? Vous croyez que la loi n’existe pas dans la République des soviets ? Elle existe‚ Nadejda Petrovna‚ elle existe. Il n’y a pas un État au monde où l’on permette de noyer les gens dans le vermicelle au lait. Vous croyez‚ Nadejda Petrovna‚ parce que vous faites vos prières en tête-à-tête avec un gramophone‚ que vous êtes intouchable ? Vous passerez en justice‚ maintenant‚ pour gramophone et contre-révolution. »
Deux familles tentent de garder leur place sociale dans un monde où leur situation économique va se trouver bouleversée. Les Goulatchkine, ces petit-bourgeois, ont vite compris l’intérêt qu’il y avait à être du côté du manche, c’est à dire dans la ligne post-révolutionnaire. Et Pavel Sergueïevitch essaye, lui, d’entrer au Parti. Il pourrait ainsi obtenir le précieux «mandat», une sorte de sauf-conduit, censé assurer la sécurité à ces familles.
La famille Smetanitch, elle, assez nostalgique de l’ordre ancien,  a vu qu’il y avait une seule issue. Nadejda Petrovna Goulatchkine (Sylvie Orcier) va essayer de marier sa fille Varvara (Nadine Moret) à Valerian Stepanovitch, un jeune de famille bourgeoise, autrefois riche (Arthur Orcier).  Sur fond de burlesque, 
l’auteur tape avec une jouissance féroce sur ces pantins pitoyables: ceux qui regrettent le régime disparu comme ceux qui prônent le nouveau, en dénonçant au passage la violence et la terreur qui règnent sur la population, toutes classes confondues. Mais comme toujours chez lui, histoire de dire que cela reste une comédie vaudeville pas très loin de Feydeau, il y a en permanence, un dialogue aussi absurde que farcesque. 

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Ici, cela se passe d’abord dans une cuisine-salon-chambre à coucher du petit appartement des Goulatchine (intelligente scénographie à la fois réaliste et poétique de Sylvie Orcier) aux murs peints en vert foncé, avec table et chaises aux pieds en tubes inox et siège formica des années cinquante qui ont inondé la France rurale. Il y a aussi une sorte de piano peint. Et sur le mur de face, une dizaine de tableaux à l’huile, assez chromo de paysages mais deux sont à double face, l’une avec un paysage de vallon boisé et l’autre, un portait de Karl Marx… facilement interchangeables en cas de visite inopportune dont il faut toujours se méfier. Il y a aussi une icône représentant le Christ en lumière, posée sur le sol comme prête à être enlevée mais qui sera ensuite raccrochée au mur. Et deux bouquets de fleurs en plastique.

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Puis dans une seconde partie, le décor retourné aux murs noirs ceinture un grand espace vide avec, au centre, un grand baquet pour se baigner. Cette fois nous sommes chez les Smetanitch où le mariage du fils doit avoir lieu. Il y  a confusion-mais c’est moins clair- sur l’identité de la cuisinière des Goulatchine en robe de princesse et les Smetanitch seraient prêts à revenir à un autre régime politique.
Bref, la pièce finira dans la confusion et les deux familles y perdront. Le jeune auteur de vingt trois ans dénonce en filigrane comment le prolétariat va mettre en place, via une terreur organisée, tout un système d’ordres contradictoires à la soviet. Impossible de tout raconter mais les renversements de situation fleurissent quand chacun ne sait plus où il est vraiment et voudrait bien avoir les faveurs du nouveau régime. Nastia, la  cuisinière (Lauren Pineau-Orcier)-l’habit faisant le moine- est habillée d’une longue et belle robe et devient illico princesse. Et, Pavel avec son impeccable « mandat »: un sauf-conduit administratif, va régner sur ces pauvre gens déboussolés.

Sans doute historiquement, cette pièce est-elle importante et Nicolaï Erdman, déjà grand dramaturge, sait utiliser de façon exemplaire, tout un comique de répétition, dans les situations insolites comme celle où, dans une grosse malle en osier, une amie de la Mère vient planquer une merveilleuse robe longue de princesse mais où la cuisinière ira aussi se cacher… Nicolaï Erdman, en expert ès loufoqueries, fait naître toute une gestuelle souvent étonnante et des courses-poursuites. Mais cela n’est jamais facile à mettre en scène,  et à jouer : il y faut une concentration et une précision de tous les instants comme dans toute œuvre de comique burlesque (voir la commedia delle’arte, Eugène Labiche, Georges Feydeau et au cinéma, Laurel et Hardy, Buster Keaton... La mise en scène de Patrick Pineau est d’une grande précision : François Caron, Ahmed Hammadi Chassin, Marc Jeancourt, Aline Le Berre, Virgil Leclaire, Philippe Levêque, Yasmine Modestine, Nadine Moret, Arthur Orcier, Sylvie Orcier, Elliot Pineau-Orcier, Lauren Pineau-Orcier, et Patrick Pineau lui-même, avedc une impeccable diction, font leur boulot d’acteurs.

Mais cela ne fonctionne pas bien. A cause d’abord d’un texte qui nous a semblé moins clair, que celui publié dans la traduction de  Jean-Pierre Jaccard aux éditions L’Age d’Homme. Et même s’il y a dans ce Mandat des moments  très drôles, Patrick Pineau s’est planté: il fait jouer ses acteurs toujours en force, très vite avec criailleries  et sur le même registre, sans la moindre plage de calme . La pièce tient du vaudeville soit mais ce Mandat a sans doute été écrit avec nombre de nuances dont il aurait fallu tenir compte. Peut-être aussi la pièce, maintenant centenaire, aurait-elle mérité quelques coupes et en tout cas, de ne pas subir ce traitement uniforme.
Il y a dans cette farce socio-politique, des répliques qui n’ont pas vieilli, bien mises en valeur par les interprètes: «
Qu’est-ce que c’est, que cette vie ? (…) Comment vivre ici pour les honnêtes gens? »dit la mère qui n’arrive pas à s’adapter. «Louvoyez!»lui réplique cyniquement Pavel. Ou encore ce dialogue loufoque entre lui et sa mère:- »Mais ma gentille maman‚ ça se fait‚ de donner en dot un communiste ? Et Nadejda Petrovna lui répond  « Si on le prend dans la rue‚ bien sûr‚ ça ne se fait pas mais si‚ pour ainsi dire‚ on le prend chez soi‚ à la maison‚ personne ne peut me l’interdire. »

Les personnages assez médiocres, avides de fric et sans état d’âme, avec mensonges ou rumeurs habilement colportées, ne sont en rien sympathiques et Nicolaï Erdman n’y va pas de main morte dans ce jeu de massacre! Il y a vraiment de bons effets comiques, entre autres, l’apparition de la mère dans le lit clos, ou l’arrivée de sa vieille amie venue avec une robe longue à cacher de toute urgence…
Mais la seconde partie nous a paru longuette et assez vieux théâtre. Et quelle idée de faire envoyer plusieurs fois de puissants jets de fumigène derrière une toile en plastique à la fois transparente et réfléchissante, là où passent les personnages. Pour créer quelques belle images de nuages? Nous continuerons à dénoncer cette dictature du fumigène qui envahit quotidiennement les grands espaces comme celui de la Tempête mais aussi maintenant les petites salles…
Et nous avons alors eu l’impression que le texte échappait à Patrick Pinaut et la fin de ce spectacle, déjà trop long, est un peu cahotante. Quelles bonnes raisons d’aller à la Cartoucherie? Peut-être pour aller découvrir cette pièce d’un auteur finalement mal connu en France, et peu jouée à cause d’une distribution importante, comme
Le Suicidé… Et voir de bons acteurs  interpréter avec plaisir, cette farce truculente qui, encore une fois, aurait mérité d’être mise en scène avec plus de nuances.

Philippe du Vignal

*A lire: le très bon chapitre sur Le Mandat dans Meyerhold,  C.N.R.S. Editions. 

Spectacle vu le 17 avril.  Jusqu’au 5 mai, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro : Château de Vincennes (sortie 4) et navette gratuite pour la Cartoucherie. T. :  01 43 28 36 36.

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