Pour en revenir à Hamlet, mise en scène de Christiane Jatahy

Pour en revenir à Hamlet, d’après William Shakespeare, un spectacle de Christiane Jatahy

 On reconnait Shakespeare dans cette joyeuse comédie musicalemais sans le tragique de la pièce, sans sa poésie, sans sa profondeur. Le questionnement sur l’être et le désir, les jeux de miroir et les fantômes sont bien présents mais, en pleine crise d’ado, le jeune Hamlet interroge son identité et sa place dans une famille d’aujourd’hui.
Mise en scène enlevée avec d’excellents acteurs: Clotilde Hesme, superbe Hamlet et Mathieu Sampeur, remarquable Claudius. Gros plans, images-vidéos, miroirs et fenêtres: le cinéma envahit le plateau du théâtre, comme sur un écran de télévision. Scènes et images-vidéos se déroulent simultanément à un rythme assuré. Pas de temps mort, impossible de s’ennuyer ou de s’interroger et la dramaturgie théâtre-cinéma fonctionne à plein feux. Mais la vidéo-cinéma peut-elle remplacer le théâtre ?

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Le son avec langues  et mélodies variées ouvre vers un ailleurs poétique, entre réel et imaginaire, entre réalité et fiction. On peut reconnaître les musiques de Sinead O’Connor, Prince, Nina Simone, Stealers Wheel, David Bowie, Gilbert Bécaud, Michel Legrand, Amalia Rodrigues, Juliette Greco mais aussi Mozart. Eclairages et vidéos découpent et organisent des images très réussies, notamment au premier acte, avec l’apparition du spectre du roi Hamlet et une scène de rave-partie, lors du remariage de la reine Gertrud avec Claudius, où l’on se retrouve presque à danser avec les comédiens. « To be or not to be”, est-il devenu “Let it be “?

Une grande idée traverse cet Hamlet revisité,«amélioré ». Pour faire barrage au système patriarcal et à la violence qui conduit à la guerre et la mort, une femme peut changer le cours des choses. Le doute envahit Hamlet et l’empêche d’entrer dans le cycle des vengeances, d’écouter le fantôme de son père assassiné lui ordonnant de tuer Claudius… Il est devenu, pour lui, pour elle, et pour nous, salvateur.
«La conscience fait de nous des lâches.», écrivait Shakespeare. Ici, le doute d’Hamlet qui le poussait à s’interroger et à ne pas agir, n’est plus l’expression d’une pusillanimité, d’une procrastination ou d’une lâcheté particulière, ce doute peut et veut changer le monde. Christiane Jatahy avec un Hamlet devenu femme propose donc une relecture de la pièce. «Être ou n’être pas, telle est la question ». « Est-il plus noble pour une âme de souffrir les flèches et les coups d’une atroce fortune ou de prendre les armes contre une mer de troubles et de leur faire front et d’y mettre fin ? »
Le fameux dilemme sur l’Être ne renvoie plus seulement à la dissociation entre élément masculin et élément féminin qui caractérisait l’Hamlet de Shakespeare. La question interroge désormais le féminin
en nous: il renvoie à l’Être, au maternel premier, le masculin à la pulsion, au «faire». «First being, after doing.» écrivait le psychanalyste David Winnicott.
Ici, le renversement féministe de la mise en scène subvertit la pièce de Shakespeare et détruit les frontières. Mais comment se défaire de ces frontières et des assignations? Hamlet sur scène est-il/est-elle vraiment une femme? Il apparait en pleine transition… trans-identitaire. Sigmund Freud et Jacques Lacan y perdraient leur latin. «Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, que n’en rêve votre philosophie.», dit une fois de plus, Hamlet à Horatio.
L’être comme le temps apparait ici disloqué. Le prince du Danemark se dévoilait à Freud comme un Oedipe inhibé, hésitant à passer l’acte, oscillant entre l’amour et la haine pour la femme, exprimant son horreur de l’inceste face à Gertrud. Puis Ophélie, transformant la scène shakespearienne de parricide en scène de matricide… Que devient-elle ici? Victime d’un féminicide, elle n’est plus la naïve et romantique Ophélie et n’accepte plus d’être l’objet de la violence patriarcale, comme la montre Christiane Jatahy. Un spectacle très applaudi par la jeune génération, moins par les amoureux de Shakespeare qui se retrouvent à mille lieues de Stratford-upon-Avon…

Jean-François Rabain , psychiatre et psychanalyste

Jusqu’au 14 avril, Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris (VI ème).

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