La Maison d’à côté de Sharr White, traduction et adaptation de Gérald Sibleyras, mis en scène de Christophe Hatey et Florence Marschal

La Maison d’à côté de Sharr White, traduction et adaptation de Gérald Sibleyras, mis en scène de Christophe Hatey et Florence Marschal 

Cet auteur américain est surtout connu pour ses séries télévisées mais cette pièce fut un succès à Broadway depuis 2011… Juliana est une brillante scientifique et à cinquante deux ans, elle a réussi à mettre au point un médicament qui ralentit la dégénérescence neuronale.

 

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A un congrès médical aux Iles Vierges où elle intervient, elle croit voir dans la salle, une jeune fille en bikini jaune et s’effondre. Incapable de continuer son allocution, elle s’en va. Elle croit qu’elle a un cancer du cerveau et cela la ramène à “la maison d’à côté” à Cape Cod, où, il y a dix ans ans, Laura, sa fille, alors adolescente, est partie après avoir été vue dans les bras de l’assistant, bien plus âgé qu’elle, de Juliana… Elle, et Ian son mari, n’ont plus jamais eu de ses nouvelles … 

Juliana sait maintenant qu’elle a une maladie neuro-dégénérative… comme celles sur lesquelles elle a si longtemps travaillé. Elle va alors quitter le monde réel et s’enfoncer dans les images du passé, ou du moins celles qu’elle est encore capable d’imaginer. Elle est aussi secouée par la disparition volontaire de laura et tombe dans une sorte de déni permanent de sa maladie. Son mari médecin, lui aussi, est attentif et essaye de la soigner de ses troubles neurologiques… Mais la pièce est du genre mélo a bien mal vieilli et on est prié de naviguer à coups de retour en arrière, entre ce grave accident de santé et la disparition de cette jeune fille qui, elle-même est devenue maman. 

Nous n’avions pu voir la mise en scène qu’en 2015, Philippe Adrien avait faite de cette Maison dà côté, peu avant de tomber gravement malade et de mourir en 2021. « Les Américains, écrivait-il, ont une sorte de génie pour faire des histoires à la fois immédiates et profondes, simples et structurées. C’est une pièce construite avec un personnage de femme magnifique d’émotion et de complexité. On pense à Alfred Hitchcock tant le suspense est remarquablement mené. Et par moment, c’est drôle, c’est léger…» Pourquoi Philippe Adrien avait-il été attiré par cette pièce? Nous avons connu  ce grand metteur en scène, mieux inspiré, quant au choix des textes Et celui-ci n’est ni profond, ni efficacement structuré…

Sur le plateau nu, juste une chaise et canapé contemporains et sur le beau mur de pierres, quelques projections d’imagerie cérébrale quand Juliana  fait son intervention. Mais quand l’action est censée se passer ailleurs, pas l’ombre d’une indication scénographique: que les spectateurs se débrouillent: pas très professionnel, même si la mise en scène de Christophe Hatey et Florence Marschal est précise… Mais ici, tout est sec et il n’y a aucune émotion.Jean-Jacques Boutin, Samantha Sanson, Christophe Hatey, Florence Marschal font leur boulot d’acteurs. Il y a parfois chez elle une tendance à sur-jouer pour essayer de faire décoller cette pièce mais cela se sent dès les premières minutes: mission impossible. Comment arriver à traiter cette redoutable dégénérescence physiologique, mais aussi en même temps, un drame familial?
Ici, tout est confus et se bouscule sans efficacité et, malgré le thème universel de la maladie mentale et qui a souvent été traité au théâtre (voir déjà Ajax de Sophocle!) la dramaturgie et les dialogues sont souvent d’une pauvreté affligeante, et comme Juliana est tout le temps en scène, les autres personnages, peu crédibles, ont du mal à s’imposer.  Résultat: cette Maison d’à côté part dans tous les sens et on décroche assez vite… Bref, vous n’avez rien perdu !

Philippe du Vignal

La pièce a été jouée du 27 mars au 7 avril au Théâtre de l’Opprimé, 78 rue du Charolais, Paris (XII ème).
 

Archive pour 7 avril, 2024

L’Île des esclaves de Marivaux, mise en scène de Stephen Szekely

L’Île des esclaves de Marivaux, mise en scène de Stephen Szekely

Une île merveilleuse au parfum d’utopie, habitée par « des esclaves de la Grèce révoltés contre leurs maîtres, et qui depuis cent ans, sont venus s’établir dans une île». Marivaux a-t-il pensé aux Antilles, alors colonie française? Fait naufrage, un bateau avec Iphicrate et son valet Arlequin, Eurphrosine et sa servante Cléanthis ont fait naufrage dans cette île, tiens justement des Grecs venus d’Athènes ! «Comme c’est curieux ! Comme c’est bizarre! et quelle coïncidence dira plus tard dira madame Martin dans La Cantatrice chauve
 Trivelin, ancien esclave lui-même et gouverneur de l’île, explique qu’ici on rééduque les maîtres et rappelle aux nouveaux arrivants que la cruauté, cela se soigne et il a une sacrée thérapie pour cela! On les oblige tout simplement à être des valets, et les valets, des maîtres. Dura lex sed lex! mais chacun doit la respecter. « Nous ne nous vengeons plus de vous, nous vous corrigeons ; ce n’est plus votre vie que nous poursuivons, c’est la barbarie de vos cœurs que nous voulons détruire ; nous vous jetons dans l’esclavage, pour vous rendre sensibles aux maux qu’on y éprouve »

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Iphicrate et Arlequin, Euphrosine et Cléanthis devront donc échanger leurs noms, comme leurs vêtements.  Ici noir ou rouges. Et les anciens maîtres vont s’entendre dire leurs quatre vérités: Cléanthis trace de façon cinglante, un portrait peu flatteur d’Euphrosine qui, très humiliée, doit pourtant en admettre la vérité. Et Arlequin ne se gênera pas pour dire toutes les brimades, voire les coups que lui a fait subir Iphicrate.
Cléanthis et Arlequin parodient, eux, avec virulence une scène de séduction mondaine. Mais lui drague vite
 une Euphrosine, pas très à l’aise de vivre ce qu’elle a fait subir à sa Cléanthis. Pire, les domestiques vont aussi passer au stade suivant, avec une certaine perversité : un possible double mariage, le valet avec la maîtresse, et la servante avec le maître… Et Trivelin avec de grands airs de moralisateur, ne se gêne pas pour enfoncer le clou: « Vous avez été leurs maîtres, et vous avez mal agi ; ils sont devenus les vôtres et ils vous pardonnent; faites vos réflexions là-dessus. La différence des conditions n’est qu’une épreuve que les dieux font sur nous. »

Arlequin, personnage typique de la commedia dell’arte, assez paresseux et naïf, sera peu rancunier envers Iphicrate (en grec : celui qui gouverne par la force). Mais ce valet est un «brave garçon » comme disaient nos grands-mères mais il fait quand même la leçon en tutoyant à son tour le malheureux Iphicrate : «Je ne te ressemble pas moi ; je n’aurais pas le courage d’être heureux à tes dépens. «Et il y a un petit côté morale catho assez insolite chez Marivaux, quand il lance à la fin :« Cela fera quatre beaux repentirs qui nous feront pleurer tant que nous voudrons. (…) Quand on se repent, on est bon. »

Cléanthis, femme de chambre, elle, est nettement plus dure envers Euphrosine et a soif de vengeance, après les humiliations que cette jeune snob lui a fait subir. Trivelin comprend mais la modère. Pour rester gouverneur de l’île, il doit rester près des puissants: chez Marivaux, il faut savoir parfois lire entre les lignes.
Trivelin mettra fin à cette parenthèse en accordant à ces naufragés un bateau et un capitaine pour les remmener chez eux vers la grande Athènes, berceau de la civilisation. Mais la fin de cette courte mais remarquable pièce est grinçante : après cette dure épreuve qui ressemble, avec ses changements de costume, à un carnaval, les rapports de domination ne bougeront guère.
 Cléanthis dira simplement en conclusion. « Je veux bien oublier tout », « Je vous rends la liberté » et « Je partirai avec vous ». Clap de fin.
Bref, après ce qui ressemble à une thérapie de groupe, il y a aura sans doute quelques ajustements dans les rapports humains. Mais Marivaux le cynique, ne nous laisse aucune illusion: les dominés serviront à nouveau les dominants. Noblesse des sentiments, une petite générosité envers les plus humbles, d’accord… mais juste le temps d’une pause au club Med, et sans jamais renverser
l’ordre établi. La volonté radicale de réforme, ce sera pour une autre fois, soixante ans plus tard… à la Révolution française. Mais Pierre Carlet de Marivaux dont les pièces n’auront guère connu le succès de son vivant, était déjà mort depuis vingt-cinq ans….

Le texte est conservé, même si le metteur en scène a enlevé les personnages (muets) des Insulaires, et son épée, à Iphicrate, symbole de pouvoir sur son valet pour la lui remettre ensuite.. Et sur le plateau? Cela commence assez mal avec sous des flots de lumière bleue avec jets de fumigènes à gogo pendant tout le spectacle (record battu, même après Bérénice !!! voir Le Théâtre du Blog) et le vingt-huitième pour nous depuis la rentrée de janvier!). Au moins, comme dit un mien confrère, cela ne sent pas mauvais…Cela ne fait jamais sens, sauf peut-être pour Stephen Szekely… qui ensuite inonde la scène de lumière orange

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Puis il y a une chorégraphie assez pauvrette pour évoquer la tempête. Et enfin la pièce commence, toujours et jusqu’au bout, nappée de fumigène, comme si c’était indispensable. Mais enfin, on retrouve dans cette brume permanente, les dialogues ciselés-juste quatre siècles après, miracle de la langue du grand Marivaux, font encore les délices des jeunes acteurs… Et on pense curieusement aux répliques des personnages d’Eric Rohmer avec leurs jeux permanents de séduction. Ici, il y a impeccables: Barthélémy Guillemard (Arlequin) et Lucas Lecointe (Iphicrate), et mention spéciale aux brillantes Marie Lonjaret (Euphrosine) et Lyse Moyroud (Cléanthis). Laurent Cazanave (Trivelin) a, lui, plus de mal à imposer son personnage.
Au moins pour une fois, même s’il y a des ruptures de rythme, la diction est ciselée: on entend remarquablement le texte (on échappe pour une fois aux foutus micros H.F.). La mise en scène de Stephen Szekely reste assez statique en partie à cause d’une scénographie ratée. Pourquoi ces magmas de tissus dépliés au sol et ces voiles dans le fond, qui bloquent un espace déjà limité? Et il aurait pu nous épargner ces médiocres et inutiles chorégraphies au début, et à la fin. On ne comprend très bien ce qu’il a voulu faire dont la note d’intention tient en quelques lignes:  » Chez Marivaux, il n’y a pas de morale. Il y a une sorte d’autopsie des jeux de l’amour, du désir, de la cruauté. Le comique va toujours de pair avec la brutalité des sentiments et la pièce reste impitoyable, quant au destin des personnages. »
A voir? Peut-être si vous n’êtes vraiment pas exigeant et pour retrouver au moins un texte formidable qui s’inscrit dans la longue tradition des couples domestiques/patrons, au théâtre comme au cinéma.  Dans Les Grenouilles d’Aristophane, son esclave Xanthias se moque de Dionysos, descendu aux Enfers sous le déguisement d’Héraclès et dans Amphitryon de Plaute, le valet Sosie se plaint de l’injustice de son sort. Puis il y eut Sganarelle et Dom Juan, Orgon et Dorine, chez Molière…  Et dans Crispin rival de son maître  de Lesage (1707) , un ambitieux valet cherche à s’élever socialement. 
L’Île des esclaves préfigure aussi bien sûr,  les aventures des célèbres Figaro et Almaviva de Beaumarchais dix ans avant la Révolution de 89…. Puis Eugène Labiche (entre autres Edgard et sa bonne.  Et deux siècles, après sur fond d’alcoolisme, Puntilla et son valet Mati de Brecht.
Nous avons connu des mises en scène plus convaincantes de la pièce mais nous aimerions bien revoir ces jeunes acteurs
dans un autre projet. Eux, comme Marivaux… et le public, méritent mieux que ce travail approximatif…

 Philippe du Vignal

Juqu’au 2 juin, Le Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des Champs, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 57 34.

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