Eurydice, de Jean Anouilh, mise en scène d’Emmanuel Gaury

Eurydice, de Jean Anouilh, mise en scène d’Emmanuel Gaury

Une des « pièce noires» de Jean Anouilh- un auteur aujourd’hui bien oublié mort en 87 *mais qu’on semble redécouvrir en ce moment (avec, entre autres, Pauvre Bitos ( voir Le Théâtre du Blog).  Eurydice a été créée en 42 par André Barsacq au théâtre de l’Atelier. Moins connue que son Antigone…montée deux ans plus tard.
Ovide s’inspira d’une légende grecque pour écrire
Les Métamorphoses et plusieurs opéras en sont issus dont le célèbre Orfeo de Monteverdi et une pièce éponyme de la grande Pina Basuch. C’est à l’origine, une histoire d’amour impossible entre un musicien et une nymphe, à classer avec celles des couples mythiques:  Alcyone et Céyx, Philémon et Beaucis,  Pyrame et Thisbé ou encore Roméo et Juliette.  En proie à une passion amoureuse, ces  héros seront amenés à se dépasser, quitte à en subir les conséquences… Bien entendu, cela finira tragiquement.

Jean Anouilh-madame Mi-Tout devrait être contente- a imaginé une action où Eurydice- et non plus Orphée-a le rôle essentiel. Cela se passe au temps où il y avait encore des locomotives à vapeur, dans une gare de province avec un buffet  où, vu le temps d’attente pour avoir une correspondance, les voyageurs pouvaient se restaurer à un coût raisonnable. Ici, Orphée, un jeune violoniste et son père, un harpiste médiocre qui pense sans arrêt au prochain bon dîner pas cher, courent le cachet… Eurydice, elle, est une jeune actrice, chapeautée par une mère aussi insupportable que prétentieuse, rêvant à un passé soi-disant glorieux et remâchant ses amours avec le gros Dulac, minable chef de troupe et agent artistique. Elles appartiennent à une petite troupe qui fait des tournées (un souvenir de La Mouette ?).
Eurydice a été obligée de passer à la casserole si elle voulait avoir le rôle que lui proposait le répugnant Dulac, directeur de la troupe et minable agent artistique…Conflit entre un idéal et la réalité du quotidien, surtout à une époque où il n’y avait pas d’indemnités-chômage.
Elle rencontre Orphée dont la musique la séduit. Vite tombés amoureux fous, ils vont quitter, l’un son père qui en sera désespéré, et l’autre, sa troupe de théâtre… Ils feront l’amour avec passion dans un hôtel minable mais elle s’enfuira pour rejoindre la troupe. Eurydice lui avouera qu’elle avait couché avec Dulac. Lequel confirmera avec cynisme à Orphée. Lequel ne comprendra jamais pourquoi cette Eurydice tant aimée l’a quittée…
Il y a aussi le mystérieux et jeune Henri
, la figure du destin qui annoncera la mort de la jeune femme dans un accident de train. Mais elle ressuscitera comme, dans la célèbre légende et Orphée la retrouvera mais à condition de ne jamais la regarder. Union des enfers et de la terre et impossibilité inhérente à l’amour, mais inacceptable par l’un ou l’autre de ses héros, de pouvoir durer. Et ces pauvres amoureux, se retrouveront dans la mort. Une fin bien conventionnelle…

© Studio Vanssay

© Studio Vanssay

On retrouve ici les recettes qui ont fait un temps le succès du théâtre de Jean Anouilh : réinterprétation des grands mythes, opposition parents/enfants, dosette d’inquiétude métaphysique et  autre dosette de poésie facile et-trop souvent-l’emploi systématique de répliques assez vulgaires… Du genre : Orphée: « Une chaleur, oui. Une autre chaleur que la sienne. Cela, c’est quelque chose d’à peu près sûr. Une résistance aussi, un obstacle tiède. Allons, il y a quelqu’un. Je ne suis pas tout à fait seul. Il ne faut pas être exigeant ! » (…) Eurydice : Ah! Nous voilà dans de beaux draps tous les deux, debout l’un en face de l’autre, avec tout ce qui va nous arriver déjà tout prêt derrière nous… Orphée : Vous croyez qu’il va nous arriver beaucoup de choses. Eurydice gravement) :Mais toutes les choses. Toutes les choses qui arrivent à un homme et une femme sur la terre, une par une… Orphée : Les amusantes, les douces, les terribles? Eurydice (doucement) : Les honteuses, les sales aussi… Nous allons être très malheureux. (Orphée la prend dans ses bras).  Quel bonheur! »

Le petit mélange concocté par l’auteur a un côté fabriqué et racoleur avec mots d’auteur a mal vieilli : : « Il ne faut pas croire que c’est très compliqué d’être mystérieuse. Il suffit de ne penser à rien, c’est à la portée de toutes les femmes.  » Là madame Mi-Tout se déchaînerait    et comme Jean Anouilh ne fait pas dans la clarté quant aux motivations de ses personnages, le texte reste assez sec et il n’y a guère d’émotion. Malgré quelques scènes intéressantes.
Emmanuel Gaury pour une première mise en scène, se débrouille assez bien pour faire exister cette pièce. Et le spectacle est parfaitement rodé, après avoir été joué au Théâtre de Poche. Des costumes début XX ème siècle pas très réussis mais bon… Des pendrillons noirs et juste quelques accessoires (un violon mais sans archet et des valises vides : pas grave mais assez ridicule ! Et il y a une belle fluidité dans le jeu des acteurs qui ont tous une diction impeccable. Merci qui ? Merci Jean-Laurent Cochet disparu il y a juste quatre ans et qui fut leur enseignant.  Même si la distribution est inégale, le spectacle va son cours…
Bérénice Boccara est une jeune Eurydice crédible: amoureuse et inquiète à la fois devant cette rencontre amoureuse inattendue et Gaspard Cuillé joue bien cet Orphée, jeune violoniste mélancolique au pouvoir de séduction. Benjamin Romieux ( Monsieur Henri) est assez juste, comme Patrick Bethbeder dans le rôle du père d’Orphée, un brave homme un peu sot, obsédé par les repas, mais assez malin pour s’en sortir dans la vie. Corine Zarzavatdjian joue la mère d’Eurydice façon boulevard mais comment faire autrement avec un personnage aussi peu consistant… Et Jérôme Godgrand lui est juste en ignoble Dulac même s’il est un peu caricatural. Emmanuel Gaury a succombé comme tant d’autres (le trente-deuxième à notre compteur depuis janvier !) aux charmes des fumigènes, alors que cela n’apporte strictement rien!
Y aller ou pas, telle est la question ? Sûrement pas prioritaire mais si vous avez envie de découvrir un auteur qui fut tellement joué au siècle dernier
, pourquoi pas? Cela dure un peu plus d’une heure. A vous de décider…

 Philippe du Vignal

*Brève rencontre de Ph. du Vignal avec l’auteur qui avait soixante ans et était déjà célèbre:  » Bonjour, j’aimerais bien faire une interview de vous. /Monsieur, vous saurez que je déteste la télévision, l’avion et les interviews. « /Bon alors, au revoir monsieur, les choses sont claires et je n’ai plus rien à vous dire.  » Le Jean Anouilh en était resté pétrifié…

Le Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris ( VI ème). T. : 01 45 44 57 34.


Archive pour 13 avril, 2024

La France, Empire, de et par Nicolas Lambert

La France, Empirede et par Nicolas Lambert

Après la trilogie L’A-Démocratie consacrée au pétrole, au nucléaire et à l’armement et à toutes mes malversations commises avec le silence au plus haut sommet de l’Etat ( entre autres avec Le Floch-Prigent, Roland Dumas… (voir Le Théâtre du Blog) Avec La France, Empire, Nicolas Lambert parle des nombreuses et redoutables opérations dans une douce France belliqueuse souvent à l’autre bout du monde.
Il revient dans ce solo-documentaire à  la fois sur les souvenirs personnels d’une enfance heureuse en Picardie et la mise en place d’un gigantesque empire colonial au nom de la République puis à son démantèlement sans que cessent les magouilles en toute genre quand ces pays retrouveront leur indépendance.
Il ne dévoile aucun véritable secret mais ravive notr mémoire en feuillettant avec nous les actions militaires et gouvernementales où s’illustrèrent nombre de personnages (tous masculins) peu recommandables de notre Histoire nationale, et cela, jusqu’à aujourd’hui. Comme en Espagne, Portugal, Grande-Bretagne, Belgique, Allemagne… la France a toujours tenu à cacher dans les livres scolaires du premier et second degré mais aussi à l’Université, les épisodes gênants, voire pas reluisants du tout, de ses  colonisations en Asie, Afrique, Amérique… Et encore maintenant, il y faut tout l’acharnement des journalistes d’investigation pour arriver à faire ressurgir certains faits peu glorieux de notre nation en exercice dans ses ex-colonies.
« Parfois, j’ai l’impression, dit-il, que Marianne, notre symbole depuis la Révolution, ne se porte pas très bien… Je me suis sincèrement demandé comment elle allait dans ces Républiques qui se succèdent et semblent si embarrassées d’appliquer sa devise Liberté, Égalité, Fraternité pour tous ses enfants.  Alors je me suis mis dans sa peau et je suis allé voir un psy… Et il est apparu que les troubles qu’elle portait, pourraient venir de ce qui ne se dit pas, d’une génération à l’autre.
Et Nicolas Lambert rappelle que, dans un sujet de brevet des collèges, on demandait aux élèves de «montrer en quelques lignes que l’armée française est au service des valeurs de la République et de l’Union européenne !  Moi-même, n’étant pas bien au courant de ce que fait l’armée… Je me suis mis à chercher. »
Et il a effectué un gros travail de recherche pour construire ce qui s’apparente à un théâtre documentaire mais où on ne voit ni écrits ni  photos, sauf à la toute fin quand il déroule le rouleau du synopsis de son prochain spectacle.
Et dans ce « théâtre d’investigation » comme il dit, il y a des pépites : documents très révélateurs soixante ans après, discours d’hommes politiques, procès-verbaux d’auditions, conférences de presse, écoutes téléphoniques, questions à l’Assemblée Nationale… Une recherche sérieuse et Nicolas Lambert connait bien ce dont il parle.

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Ici, pas de règlements de compte, mais dit-il, « en m’interrogeant sur cette histoire effacée de nos mémoires collectives, je me suis rendu compte combien ça résonnait dans mon propre parcours et celui de mon entourage. » Et ainsi défilent, les discours bien connus qu’il a connu, enfant admiratif:  » Eh bien ! moi, Général de Gaulle, je vais vous faire une promesse, une promesse pour ce Noël 1941. Chers enfants de France, vous recevrez bientôt une visite. La visite de la Victoire. Ah ! comme elle sera belle, vous verrez !… » (…)  Paris ! Paris outragé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré ! Libéré par lui-même avec le concours de la France tout entière, de la France éternelle.

« La France éternelle, c’était les soldats de la Nationale 20″. Mais il apprend en tournée avec un spectacle  à Dakar qu’ils venaient justement de tout l’Empire colonial. «L’armée au service des valeurs de la République » du Brevet de ma fille, pas celle qui collaborait avec les Nazis, avait massacré des centaines d’autres soldats français, qui venaient de libérer l’hexagone. Alors que le général de Gaulle était au pouvoir. Mon héros de la paix.» Puis il cite les incroyables mots frisant le racisme de Nicolas Sarkozy, alors Président de la République
Et dans le genre aigre-doux, ces aussi incroyables phrases tirées du Voyage de Macoco, Méthode de lecture par Henriette François (1959): « Macoco est un petit enfant noir. Mamadi est la maman de Macoco, elle est jolie. Sambo est le papa de Macoco, il est noir.
Et le général Bugaud tel qu’on le voit dans Les Conquêtes d’Afrique une pièce de Théodore Cogniard et Hippolyte Cogniard (1855): «Sachez-le donc : cette terre d’Afrique est à nous ! Cette terre d’Afrique est désormais une terre française. Bientôt le drapeau Bleu Blanc Rouge flottera au sommet de tous vos minarets.» (…) « Louis Faidherbe, c’était la pacification du Sénégal avec des dizaines et des dizaines de villages incendiés avec tout le monde dedans… Très belle statue à Lille! »

« Bugeaud, le maréchal Bugeaud, c’était la pacification de l’Algérie par les enfumades, les razzias. « Exterminez-les tous, jusqu’au dernier ! » Et Nicolas Lambert enfonce encore le clou, en six mots radicaux : très belle statue, rue de Rivoli… (…) Ou alors, si les militaires qui ont fait la conquête des barbares, leur nom est toujours partout en ville, plutôt que dans des musées où on les regarderait comme une trace d’un passé… Ce serait toujours des valeurs de la République? Tous ces grands noms de la colonisation, ou de la décolonisation… » Et il rappelle aux jeunes générations ce qu’on leur a soigneusement caché. Des centaines de morts à Paris? Tués par la police? Des Français musulmans d’Algérie ? Comme la guerre d’Algérie très longtemps appelée «événements d’Algérie »…

Et il met le doigt où cela fait mal, à propos de l’ex-hôpital «franco-musulman» de Bonbigny maintenant nommé Avicenne. « Franco d’un côté, musulman de l’autre… ‘Des choux d’un côté, des carottes de l’autre ? La tribu des uns, la tribu des autres ? Ou alors deux religions, je ne sais pas : les musulmans d’un côté, Notre-Dame-la-France de l’autre ? En tout cas, ce n’est pas clair… Pourtant, c’est la République laïque qui a nommé ça «Hôpital Franco-musulman».
« En tout cas, je n’ai jamais appris que toutes les insurrections d’outre-mer seront écrasées par des colonnes de soldats français, par des tapis de bombes… De l’Algérie à la Syrie, en passant par le Viêt Nam, et puis après à Madagascar, et puis après au Cameroun… Je n’ai jamais vu que l’après-guerre… C’est des guerres lancées par le Général de Gaulle L’après-guerre, c’est trente ans de guerre… et pas glorieuse… pour éviter le démantèlement de l’Empire français. De l’Empire français de la République. » Pierre Messmer. C’est lui qui dirigeait ces combats au Cameroun : devenu Premier Ministre de la Cinquième République, à la fin de sa vie il était à l’Académie Française. Quand on lui parlait du napalm au Cameroun, il disait: «C’est pas important. » Et comme le souligne Nicolas Lambert, récemment le général François Lecointre, chef d’état-major des armées appuiera cette théorie : «La création de forces spéciales européennes en Afrique renvoie à la doctrine théorisée par  le maréchal Hubert  Lyautey et vise à sécuriser les zones conquises en y réinstallant l’ordre public, une fois ces zones pacifiées.»

 

Nicolas Lambert ne triche jamais et cela fait la force du spectacle, même s’il ne fait pas toujours dans la nuance. Il va aux meilleures sources comme Les Guerres lointaines de la paix. Civilisation et barbarie depuis le XIX ème siècle de Sylvain Venayre (2023) et dit parfis crûment les choses : (au Maroc) Jusqu’à huit cent prostituées au service d’une clientèle surtout militaire qui pouvait trouver là, de quoi assouvir de supposés besoins dans un certain confort. Marianne proxénète. À la tête d’un bordel militaire.» (…) Ce serait utile, une expo, pour raconter que le Maroc a fait partie de la République française. On a oublié de me l’apprendre à l’école, moi… » L’après-guerre, comme il le rappelle justement c’est aussi loin de la France…  trente ans de guerre ou d’opérations militaire, quel que soit le gouvernement en place…
Et il finit en racontant comment très loin de la métropole, «un monsieur spécial des forces spéciales, Bob Denard est allé régulièrement renverser des gouvernements comoriens, ou parfois tuer un ou deux chefs d’État des Comores quand il le jugeait nécessaire. » Et ce qui se passe aux Comores, dit-il aussi, est loin d’être clair.

Rien à dire: Nicolas Lambert a réuni l’indispensable matériau pour faire avec une rigueur exemplaire, un bon spectacle d’agit-prop… Oui mais voilà sur le plateau, il ne s’en tire pas très bien. D’abord, la construction dramaturgique est d’une insigne faiblesse  et cela commence par une mauvais et long sketch où sa fille de quinze ans lui demande son aide pour une devoir d’histoire.
Puis il accumule les faits historiques les uns après les autres sur deux heures et c’est estouffadou… Comme disaient nos grands-mères, qui trop embrasse mal étreint.  Bavard, le spectacle traîne en longueur et aurait mérité des coups de ciseaux. .«L’écriture du scénario, disait le grand cinéaste Frank Capra, est la partie la plus difficile… la moins comprise et la moins remarquée.» Mais cela vaut aussi pour le théâtre,quelque soit sa forme, surtout et même, pour un solo comme celui-ci. Il manque de toute évidence à La France, Empire, une véritable dramaturgie…
Et côté jeu, nous l’avons connu mieux inspiré. Pourquoi imiter de Gaulle assez bien mais trop souvent? Cela devient lassant et quand il parodie François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing ou Emmanuel Macron, là, c’est franchement raté… Nicolas Lambert devait faire un réel effort et éviter de laisser tomber ses phrases comme si cela allait de soi, ce qui est plutôt gênant. Nous avons eu souvent la désagréable impression qu’il nous faisait un grand honneur d’être là. Bref, il n’a pas un vrai contact avec le public…
Il semble oublier que, sur un plateau, il y a une règle d’or: pour un acteur, rien n’est jamais acquis d’avance, et chaque soir, il lui faut recommencer et convaincre. Pourquoi, surtout vers la fin, chuchote-t-il parfois comme s’il était dans un salon? Là, il y a encore aussi du travail. Le public, plus très jeune, a applaudi mais pas chaleureusement. Nous ne sommes peut-être pas tombés sur le bon soir… et le spectacle pourrait progresser mais il y faudra plus de rigueur dans le jeu, et un véritable élagage du texte, si Nicolas Lambert veut attirer les jeunes…

 Philippe du Vignal

Théâtre de Belleville, 16 passage Piver (donnant dans la rue du Faubourg du temple) Paris (XI ème)

Du 2 au 21 juillet, au Onze, 11 boulevard Raspail, Avignon.

 

 

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