La Robe de mariée de Katherine L. Battaiellie, de et par Marie-Catherine Conti

La Robe de mariée de Katherine L. Battaiellie, de et par Marie-Catherine Conti

 

Une histoire vraie, celle de Marguerite Sirvins internée à l’hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère). La folie : à soixante-cinq ans, elle est sûre d’en avoir dix-huit et de rencontrer bientôt son fiancé. Ce sera l’amour parfait, le bonheur. Elle va donc confectionner sa robe de mariée. Comment et où trouver ce qu’il faut en pleine seconde guerre mondiale, dans la misère et le dénuement qui frappent avant tout les asiles psychiatriques dans une France occupée par l’Allemagne nazie?
L’hôpital de Saint-Alban représentera une sorte de miracle de résistance, et a caché parmi d’autres le poète Paul Eluard et sa femme Nush, l’équipe accomplissant des prouesses pour nourrir les pensionnaires et inventant pour les «fous » l’art-thérapie.

©  Alain Bron

© Alain Bron

Marguerite tire un à un les fils d’un vieux drap, raboute, découpe, coud, brode et crée la robe reconnue plus tard par Jean Dubuffet comme un trésor d’art brut, exposé aujourd’hui au musée Lausanne. Katherine L. Battaiellie a donné une voix à Marguerite, livrant avec pudeur et franchise toute la vérité que contient le délire. La folie a cela de commun avec la poésie et le théâtre : « tout est faux et tout est vrai». On suit chez Marguerite le chemin de l’amour, « pas comme les bêtes », mais celui des contes, dans toute leur noblesse ou du Cantique des cantiques.
Marie-Catherine Conti donne sa voix à Marguerite. Toujours juste, elle se prête à la fatigue de cette femme depuis longtemps hors du monde et qui ne se plaint pas, enfin pas trop… Elle incarne sa réelle jeunesse de vieille rêveuse, nourrie d’une solide espérance. Oui, bien sûr, l’Époux viendra.
Cela n’empêche pas Marguerite d’entendre les bruits de l’asile, de se méfier des «autres», les méchantes qui ne sont pas comme elle appelée à un grand destin d’amour. Avec les belles respirations au violoncelle de Lucie Lacour (une musique enregistrée, mais d’une vraie et belle présence), on oublie l’interprète pour penser à cette Marguerite…  Moments de sérénité, certitude, crainte mais aussi fébrilité quand elle joue avec ses poupées en chiffon qui donnent corps à sa mère, à elle-même, à ce qu’elle imagine, elle jamais aussi «folle» que quand elle nous parle «normalement». On a besoin des guillemets pour rendre compte de l’expressivité du théâtre. Elle en sait des choses sur l’amour, Marguerite, que nous, pauvre public, ne savons pas.

Et cela la met en colère, parfois, que nous soyons si ignorants. La salle basse de l’Essaïon est parfaite pour cette Robe de mariée, avec sa voûte de pierre sans âge et son arcade mystérieuse, une profondeur dont on ne sait où elle mène-sans fenêtre-si l’on ne compte pas celles, mentales, qu’ouvre le personnage, ni celle que constitue le public.
Une cellule à la mesure de l’actrice, à la dimension de la confidence qui prend, on l’a vu, l’ampleur d’une fable. Le public est attentif, troublé devant ce délire si palpable, si simple, jusqu’à être emporté par l’émotion finale. Marie-Catherine Conti a réalisé elle-même cette « robe de mariée » que nous dévoilera le spectacle : une façon de coudre son texte, son rôle, point par point, geste par geste. Une belle façon cachée de travailler Marguerite, qu’elle rend si présente.

Christine Friedel

Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre-au-Lard, Paris( IV ème). T. :c01 42 78 46 42 .

La Robe de mariée de Katherine L. Battaiellie, éditions marguerite waknine.

Caché dans la maison des fous de Didier Daeninckx, Gallimard, (2017)

 

 


Archive pour 16 avril, 2024

Moman-pourquoi les méchants sont méchants ? de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Noémie Pierre, Clotilde Mollet et Hervé Pierre

Moman-pourquoi les méchants sont méchants? de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Noémie Pierre, Clotilde Mollet et Hervé Pierre

Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? La quête de sens est infinie chez les enfants à la logique implacable. Surtout quand la guerre et les arrestations rendent la vie plus incompréhensible que jamais. Pourquoi le père du petit Jean-Claude a-t-il été arrêté? Pourquoi sa mère, avec ses enfants, est-elle tombé sur un policier qui avait fini sa journée et qui voulait rentrer chez lui? Et d’ailleurs, le camion de la rafle était plein: ils sont rentrés chez eux. Une minuscule chance décisive, et absurde comme le crime.
Tout cela n’est pas ici mais dans la mémoire de Jean-Claude Grumberg qui, on l’a dit, est le plus grand auteur comique des tragédies d’aujourd’hui. Le petit Louistiti, donc, assommera sa mère seule, le Popa est juste parti définitivement au bistrot- des questions normales, c’est à dire existentielles où peut se cacher la tragédie. Ou pas. Pourquoi je m’ennuie ? Pourquoi j’arrive pas à dormir ? Pourquoi on mange pas ça et pas comme les autres ?

© Thomas O' Brien

© Thomas O’ Brien

En ce temps d’après-guerre dans les années cinquante, le peuple de France se refaisait une santé dans une langue savoureuse et populaire, aujourd’hui pleine de nostalgie et d’humour et l’auteur en a fait sa marque : « Terminus tout le monde descend », on n’en parle plus. Et on en parle encore. Surtout, «n’essayez pas de corriger les fautes et de remettre Moman en bon français correct. (…). Sachez que tout petit déjà, je détestais la grammaire. Et ma moman aussi la détestait sans la connaître. » Bon point de départ : la langue de Jean-Claude Grumberg est une langue vivante où les mots frétillent.

Hervé Pierre et Clotilde Mollet se sont emparés des saynètes de Moman 10 fois pour aller droit au cœur du théâtre : parler de choses importantes, faire rire et émouvoir, toucher juste avec les moyens du bord: Hervé joue la Moman et Clotilde, le fiston, sans aucun travestissement; il y a juste le jeu.  Nous ne vous raconterons pas les détails savoureux, les instants minuscules où Hervé Pierre teste furtivement ses capacités de féminité : il faut les voir en vrai. Affaire de confiance réciproque : on nous dit que c’est lui la Moman et on y croit, puisqu’on nous le dit et qu’il le joue avec toute la tendresse rude qui convient. Si on nous dit aussi que c’est elle, le fiston, on y croit, dans la clarté tranchante des questions d’enfants, l’angoisse de l’ennui, le «j’peux pas dormir». Et la peur cachée derrière la question : « Moman, pourquoi les méchants sont méchants ? » À celle-là, pas de réponse, même pas l’universel: parce que c’est comme ça» censé tout clore. Il faudra « s’adurcir». «Et ça, ça rend heureux, moman ? –Très beaucoup ! Mais quand même pas assez pour être heureux tout le temps. »

Noémie Pierre, formée à l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy, a aussi conçu la scénographie : un castelet à taille humaine pour ombres chinoises et acteurs, qui est aussi la chambre d’enfant avec ses dessins naïfs, l’appartement trop petit dans cet aussi petit amphithéâtre:on y est, c’est l’arène des : pourquoi, pourquoi. Et la musique de Thomas O’Brien, un écho doux et contemporain, un peu jazzy, un peu flonflon, comme celles qu’on pouvait entendre autrefois dans les bistrots aux Puces de la porte Clignancourt, au temps où on trouvait de quoi arranger sa vie pour pas cher…
Bref, une musique populaire, accessible, discrètement savante et répondant à la langue d’un grand auteur populaire. Et le public, penchés sur eux deux Moman et Louistiti, les entoure, s‘émeut et rit souvent. Ce rire-là est fait du touché juste, de la rencontre avec le vrai, où chacun se reconnaît petit enfant. Une soirée qui fait du bien et  qui fait plaisir, tout simplement.

Christine Friedel

La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.

Le théâtre de Jean-Claude Grumberg est paru en particulier aux éditions Actes-Sud et son roman Jacqueline Jacqueline aux éditions du Seuil (2021).

 

Assembly Hall mise en scène de Crystal Pite et Jonathan Young (en anglais, surtitré en français)

Assembly Hall mise en scène de Crystal Pite et Jonathan Young (en anglais, surtitré en français)

 

 Nous avions aimé les précédents spectacles de la compagnie Kidd Pivot dont le premier vu à La Colline en 2017,  (voir Le Théâtre du blog). Ici, une succession de tableaux dansés à l’exceptionnelle qualité où, pour des esprits cartésiens, il peut y avoir une absence de lien dramaturgique. Reproche que l’on a aussi fait aux créations de Philippe Genty, James Thierrée ou Joseph Nadj dans ce même Théâtre de la Ville où, à l’entrée, on cherche toujours des places à acheter.

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 Belle scénographie de Jay Gower Taylor: le vieux gymnase d’une ville américaine s’ouvrant sur une petite scène où se tient l’assemblée générale de L’Ordre bienveillant et protecteur, association et secte à la fois. Chaque membre doit voter, ou pas, la dissolution de l’association et la fin de leur fête calendaire de la Quête. Mais Dave hésite! Et tout ce monde bascule dans une folie pleine d’humour et surprises, au rythme du Concerto pour piano n°1 de Piotr Tchaikovsky. Est-ce un jeu de rôles ou le délire imaginaire de Dave ? À chacun sa vérité…

 Il faut se laisser aller à voir ces images loufoques rappelant celles, parodiques, des Monty Python dans  Sacré Graal ! Et parfois d’une grande beauté comme un ballet de danse classique. Un premier pas de deux suscite l’émotion et on reconnaît ici tout le talent de la chorégraphe. Certains solos sont d’une grande fluidité et virtuosité mais les mouvements, quelquefois saccadés, transforment les personnages en marionnettes vivantes.

 Cette chorégraphie est accompagnées d’un savant doublage : le texte dit par les acteurs est aussi dansé de manière parodique, ce qui donne un côté irréel. Les accessoires : casque médiéval, glaive… induisent de nouveaux tableaux. Brandon Alley, Livona Ellis, Rakeem Hardy, Greg Lau, Doug Letheren, Rena Narumi, Ella Rothschild et Renée Sigouin, sont tous exceptionnels. Cette création d’une heure trente, un peu déroutante, marquera pour longtemps l’imaginaire des spectateurs.

 Jean Couturier

 Jusqu’au 17 avril, Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, place du Châtelet, Paris (Ier). T. : 01 42 74 22 77.

Une Soirée chez Offenbach, texte et mise en scène de Martin Loizillon, musique et chansons de Jacques Offenbach.

Une Soirée chez Offenbach,  texte et mise en scène de Martin Loizillon, musique et chansons de Jacques Offenbach

Un scénario simple… Sur ce petit plateau, un  fauteuil, un pouf rouge rectangulaire devant un montant de porte en bois et, à cour, un piano pour l’accompagnateur. Le célèbre compositeur vit ici vivre une histoire d’amour avec une princesse étrangère qui arrive chez lui mais elle n’a pas bu que de l’eau… Dans le salon, elle a un faible pour Justin, le valet, ce qui ne plait guère à Jacques Offenbach…qui, très amoureux, va la faire chanter dans sa prochaine création. Arrive une catastrophe: le ténor est parti filer le grand amour et le compositeur va supplier Justin de le remplacer en urgence.

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Mais autre mini-catastrophe, il manque toujours une chanson et ils vont s’atteler tous les trois… Bref, un trio amoureux sur fond d’airs d’opérette et une petite intrigue, prétexte pour Nicolas Rigas à la belle voix de baryton-basse  (Jacques Offenbach), la soprano Clémentine Decouture ( la Cantatrice) et le ténor Guilaume Zhang ( le Valet) accompagnés par Félix Ramos,  à interpréter les airs les plus célèbres de La Vie Parisienne: (Paris nous arrivons en masse, A Paris nous nous précipitons ! A Paris, il faut nous faire place ! A Paris nous nous ruinerons.) La Belle Hélène  avec Ce n’est qu’un rêve  ou La Périchole : « Elle est là-bas cette contrée adorée, Où l’on voudrait vivre toujours ! Filons vers la terre promise ! Bonne brise ! Allons aux pays des amours !  » Mais aussi Les Contes d’Hoffmann… Des airs que nous connaissons tous mais sans savoir exactement à quelle œuvre, ils appartiennent.

Un spectacle bien mis en scène sur ce petit plateau par son auteur Martin Loizillon. Diction impeccable des chanteurs mais pas toujours de la soprano… Mais bon, cela passe et en un peu plus d’une heure, cette réjouissante bulle de savon  fait le plus grand bien et change des interminables et trop souvent prétentieuse créations théâtrales mal adaptées de romans… Ici, aucun fumigène ni micro H.F. et le bonheur d’entendre ces airs bien chantés de ces opérettes et opéras-bouffe du génial Jacques Offenbach né il ya deux siècles déjà mais qui ne cessent d’être joués qui font maintenant partie de notre patrimoine. Mais qui n’ont jamais eu les honneurs du festival d’Avignon. Dommage et tiens, une piste pour Tiago Rodrigues…

 Philippe du Vignal

Jusqu’au 27 mai, seulement les lundis à 19 h et les samedis à 16 h, Théâtre de Passy, 95 rue de Passy, Paris (XVI ème). T. :

Il y a aussi le lundi à 21 h dans ce même théâtre ContreBrassens de Pauline Dupuy

Cette contrebassiste  et chanteuse nous fait redécouvrir Georges Brassens en soixante-quinze minutes, avec des chansons autour du thème des femmes et de l’amour… Un court mais remarquable spectacle créé au festival d’Avignon il y a cinq ans (voir Le Théâtre du Blog). Depuis  Michael Wookey, l’a rejoint avec son banjo et ses claviers.

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