Trois fois Ulysse de Claudine Galea, mise en scène de Laëtitia Guédon

Trois fois Ulysse de Claudine Galea, mise en scène de Laëtitia Guédon

 À qui appartient Ulysse? On a fait de lui, le voyageur éternel, l’aventurier, le héros chéri des Dieux… enfin, certains. On en a même fait le modèle du migrant, qui ne peut être juste que si l’on retourne l’image, pour envisager l’héroïsme de ceux qui s’en vont au prix de leur vie, plutôt que le retour obstiné d’un vainqueur peu glorieux. Qui veut de lui? Les femmes, plusieurs femmes, bien qu’il ne les ait pas ménagées. Et pour commencer, Laëtitia Guédon et Claudine Galea à qui elle a passé commande pour la Comédie-Française, d’une pièce sur le héros le plus populaire d’Homère, Ulysse le rusé, Ulysse l’endurant, si l’on peut traduire ainsi l’adjectif grec: polutlas.

Voilà donc, choisis non sans une certaine insolence, trois Ulysse, confrontés chacun à une femme. Le premier (Sefa Yeboa), encore chaud de Troie incendiée;  épuisé, il se retrouve face à Hécube, la reine, défaite et captive. Ils ont en commun nombre de morts : ceux qu’il a tués par ruse, et ceux qu’elle a perdus et qui font saigner son cœur maternel.  Des deux côtés d’une guerre, ils se comprennent. Mais celui qui va le plus mal, le plus égaré et qui ne le dira jamais, c’est lui, Ulysse. Clotilde de Bayser est une Hécube encore jeune, forte de la catastrophe qu’elle a endurée, et de son deuil. Mais, paradoxalement, elle en nourrit sa vie…

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Un énorme crâne de cheval occupe le plateau-un reste encombrant et qui doit le rester à jamais-de la fameuse ruse du cheval en bois qui sera fatale à la ville de Troie. Racontée au chant VIII de L’Odyssée en une vingtaine de vers par Demodocos, l’aède qu’Ulysse prie de chanter «l’histoire du cheval qu’Épéios construisit, assisté d’Athéna.» En fond de scène, une haute fenêtre s’ouvre sur des vidéos changeantes : c’est la mer, c’est le ciel, c’est le feu au centre de la terre, le mouvement incessant des atomes : ce que l’on voudra mais surtout la vie et la mort qui passent.

Le second Ulysse s’arrache du giron de Calypso après sept ans d’amour sans nuages ou plutôt environnées… d’un nuage d’oubli. L’autrice interprète cette longue parenthèse comme un moment de dépression. Possible. Cet Ulysse (Baptiste Chabauty qui est aussi percussionniste) est comme un enfant dans les bras de sa mère (Séphora Pondi offrant une image beaucoup plus maternelle qu’amoureuse). Et quelles sont les femmes qui finissent par laisser partir les garçons, sinon les mères? Le crâne de cheval est devenu une grotte protectrice qu’il faudra abandonner quand même.

Le troisième Ulysse (Éric Génovèse) est le plus émouvant: il arrive tard auprès d’une Pénélope longtemps silencieuse, au pied du crâne-grotte, devenu montagne. Marie Oppert-aussi cantatrice- nous délivre alors un chant d’une grande beauté, devant un Ulysse muet, agenouillé, suppliant, les mains ouvertes… Laëtitia Guédon a le sens et le goût du rituel-parfois trop insistant-et emprunte à différentes époques et à toute la Méditerranée. Ce qu’elle a aussi demandé au chœur Unikanti : accompagner les scènes, de chants sacrés, baroques, contemporains, en plusieurs langues, parfois inconnues, expression du grand métissage des peuples autour de la mare nostrum.  Mais l’ensemble vocal ne joue pas le chœur antique: il ne s’agit pas d’une tragédie mais du parcours d’un homme qui prend consistance grâce aux femmes… La musique rappelle en toute élégance que cette épopée était chantée.
L’autrice et la metteuse en scène ne se privent pas d’une grande liberté envers le «héros ». Claudine Galea introduit des expressions prises à l’anglais populaire d’aujourd’hui, ou à d’autres langues européennes, toujours héritières de la Méditerranée, comme des coups de griffe qui trouent la légende… et qui en donnent une image étrillée. Cela apporte au spectacle une touche d’humour bien venu… L’auteure réglant ici ses comptes, non avec le texte d’Homère, mais avec le personnage qui, depuis longtemps, s’est dégagé du poème.

Rétrospectivement, on peut croire qu’on y perd, quand on se souvient de certaines images homériques mais là n’est pas la question. Trois fois Ulysse ? On pourrait en compter beaucoup d’autres encore : le méchant Ulysse à face de loup et Diomède massacrent les chefs thraces, alliés des Troyens au chant X de L’Iliade. Et l’Ulysse qui, de retour chez lui, fait pendre les douze servantes, dénoncées par sa nourrice Euryclée. Elles ont trahi Ithaque en couchant avec les prétendants trop avides de succéder à Ulysse… Il y a aussi Ulysse, l’indifférent qui perd en mer tous ses compagnons et le presque naufragé s’écorchant les mains aux rochers du rivage. L’autrice et la metteure en scène ont choisi avec raison: le personnage d’Ulysse n’est intéressant qu’à deux… Dans la confrontation, l’abandon ou les retrouvailles.  Et cela donne un spectacle vif, efficace, assez jubilatoire et sans illusions.

Christine Friedel

Jusqu’au 8 mai, Théâtre du Vieux-Colombier-Comédie-Française, 21 rue du Vieux-Colombier, Paris ( VI ème).

Le texte, commandé à Claudine Galea par la Comédie-Française, sur une idée de originale de Laëtitia Guédon, est publié aux éditions Espaces 34.

 

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