Après les Ruines, texte et mise en scène de Bertrand Sinapi (spectacle tout public)

Après les Ruines, texte et mise en scène de Bertrand Sinapi (spectacle tout public)

 Échoué dans un pays dont il ne sait rien et ne comprend pas la langue, un homme demande l’asile. Il parle le français mais la femme qui le reçoit, l’allemand… Dialogue de sourds et fil rouge de ce spectacle, issu de rencontres et ateliers-théâtre avec des réfugiés, travailleurs sociaux ou gens croisés au hasard des rues… pour parler d’exil, asile, frontières géographiques et mentales.

© Pardes Rimonim

© Pardes Rimonim

Metz, où la compagnie Pardès Rimonim s’est implantée il y a dix-neuf ans, est une terre d’asile où se sont envoyés et se sont installés de nombreux réfugiés. Les artistes, engagés à éveiller les consciences, axent aujourd’hui leurs créations sur des collectes de paroles qui viennent nourrir une « écriture de plateau.
Dans ce contexte, ils présentent un diptyque sur l’exil dont le premier chapitre À Vau l’eau est tiré du roman éponyme de Wajdan Nassim. L’écrivaine syrienne, réfugiée à Metz, mêle à la sienne les histoires de ses voisins du quartier Borny où elle a pris racine: ils sont koweïtiens, irakiens, marocains, pakistanais, soudanais, afghans, syriens… Amandine Truffy, que l’on retrouve dans Après les ruines, y incarne l’autrice et se fait la passeuse de leurs récits, en construisant au sol un décor miniature et en dessinant une carte du monde. Ce premier spectacle joué dans les écoles ou les centres sociaux, a été la matrice d’Après les ruines.

Le second volet s’ouvre sur l’un des récits d’À Vau l’eau, en voix off et arabe surtitré : l’histoire cauchemardesque d’un naufrage rapporté par un homme qui en a réchappé avec sa femme et son fils, il ne sait comment… Suivra une série de questions posées par les trois comédiens. Quel asile et quel secours, ceux qui ont tout quitté, fuyant guerre et misère, trouvent-ils dans nos riches contrées ? Comment sont-ils accueillis en Europe ? Que peut faire le simple citoyen ? Pourquoi criminaliser ceux qui portent secours aux migrants ? Que ferions-nous à la place de ces fugitifs ? Le monde est-il en train de tomber en ruine ?

Et comment en parler au théâtre ? : « Les témoignages affluent, abondent, se ressemblent … nous savons, dit Bertrand Sinapi. Nous les avons déjà entendus, ou nous choisissons de les ignorer et poursuivre nos vies. Depuis nos territoires, comme au fond de la caverne de Platon, nous apercevons les ombres du monde. »

© Guillaume Lenel

© Guillaume Lenel

Dans cette caverne : une boîte aux parois immaculées, les ombres des acteurs se projettent, s’allongent ou disparaissent grâce un savant jeu de lumières créé par Clément Bonnin.  Amandine Truffy, la narratrice, nous adresse des salves de questions, en marge des errances d’un réfugié (Bryan Polach) aux prises avec les absurdités administratives d’un pays dont il ne comprend pas la langue et ne connait pas la culture. L’employée qui le reçoit (interprétée en allemand par Katharina Bihler) ne peut pas faire grand chose pour l’aider. La comédienne venue d’outre-Rhin nous rappelle par ailleurs que le traitement de l’immigration dans son pays n’est pas le même qu’en France. Une bonne leçon pour nos édiles !

Le metteur en scène a apporté un grand soin à la scénographie et aux éclairages. Dans un espace épuré où les ombres jouent à cache-cache avec la lumière, un décor miniature se construit au fil de la pièce : assemblage de cubes, grilles, maquettes d’immeubles et d’arbres au ras du sol… Le contrebassiste allemand Stefan Schreib, accompagne les comédiens avec une grande sensibilité et à ses notes, se mêlent les compositions du Luxembourgeois André Mergenthaler enregistrées au violoncelle, et les paroles d’exil égrenées, en voix off, tout au long du spectacle.

 Mais dans cet environnement sonore et esthétique cohérent, la trame dramatique reste peu lisible et les éléments assemblés au plateau à partir d’improvisations, sont comme posés en vrac. Malgré ses imperfections, ce spectacle transnational (France, Allemagne, Luxembourg) reflète la volonté d’artistes européens d’aller sur le terrain pour faire du théâtre autrement… De croiser leurs regards et amener le public à se questionner avec eux : « Après les ruines interroge notre capacité à nous projeter, ou non, dans l’altérité. Quelles seraient nos réactions face à la brutalité de l’arrachement, aux procédures administratives complexes? »

À la veille des élections européennes, il y a urgence et merci à eux de lancer l’alerte. « C’est parce que nous ne l’affrontons pas, que l’Histoire ne change pas » disait déjà James Baldwin dans  Je ne suis pas votre nègre , un  documentaire du réalisateur haïtien Raoul Peck ( 2016) 

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 18 avril à La Comète-Scène Nationale, 5 rue de Fripiers, Châlons-en-Champagne (Marne). T. :03 26 69 50 99.

Les 5 et 6 juin, L’Agora de Metz (Moselle).

Du 2 au 21 juillet à 13 h 55, au Onze, festival off d’Avignon (Vaucluse).

 À Vau l’eau est publié aux éditions Ile et Lettres de Syrie, de la même autrice mais sous le pseudonyme de Joumana Maarouf, chez Buchet-Chastel (2014).

 

 

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