Théâtre de la Bastille hors-les-murs Portraits de famille-Les oublié·es de la Révolution française, conception et interprétation d’Hortense Belhôte
Théâtre de la Bastille hors-les-murs:
Portraits de famille-Les oublié·es de la Révolution française, conception et interprétation d’Hortense Belhôte
« Dans le monde universitaire, la recherche généalogique, dit Hortense Belhôte, est souvent dénigrée et ramenée au rang de l’amateurisme, détachée des efforts de problématisation intellectuelle qui caractériserait la science historique. Mais, de la généalogie, à l’Histoire, il n’y a qu’un pas. Tirer le fil de la micro-histoire, c’est s’embarquer dans un processus de recontextualisation globale qui fait place à d’autres récits. Et lorsque les archives manquent, ce sont les branches cousines, les personnalités publiques, les articles scientifiques sur des sujets proches ou les œuvres d’art contemporaines et représentations anciennes qui viennent combler l’imaginaire historique. »
Elle va naviguer une heure et quelque, parfois sur un coq aux couleurs nationales, pour nous raconter un pan méconnu de notre Histoire, mêlée à son histoire familiale où, dit-elle, «on trouve de tout quand on commence à faire son arbre généalogique et souvent ce qu’on ne cherchait pas: un grand-oncle égyptien déporté à Cayenne? Une arrière-grand-mère verbalisée pour prostitution? Une union gay déguisée en pieuse adoption? Une mystérieuse disparition? Un mariage forcé ? Une collaboration douteuse ? »
Cette descente dans le passé se croise donc avec l’histoire coloniale et post-coloniale française, comme beaucoup d’entre nous (son père a travaillé en coopération en Afrique pour ne pas faire son service militaire).
1789 et les événements de la période révolutionnaire vue comme le creuset de certains mythes fondateurs a passionné cette historienne de l’art qui n’en est pas à son coup d’essai et cela se voit. Elle a longtemps enseigné puis a créé Une Histoire du foot féminin, puis L’eErotisme dans l’art classique, un spectacle adapté en web série pour Arte. Puis Hortense Belhôte a monté Histoires de graffeuses et Performeureuses, une histoire de la performance en danse contemporaine. Et la marmotte? Une approche socio-historique de la montagne et enfin 1664, déboulonnage en règle de l’absolutisme de Louis XIV, il y a deux ans.
Cela se passe dans un endroit pas magique du tout pour une conférencière : une grande salle aux murs blancs du lycée Simone Weil à Paris (IIIème) pour une centaine de spectateurs. La scène est trop basse : on voit juste son torse, bancs en bois même pas attachés ( bonjour la sécurité!y-aurait-t-il une exception pour l’Education nationale, ce serait étonnant…) et l’acoustique et les éclairages sont approximatifs.. Mais elle fait avec, munie d’un micro H.F? mal réglé et qui, à la fin, se détraquera.
Elle évoque, avec projection de portraits habilement croisés avec des photos de sa famille à elle, toute une galerie de personnages à la fois célèbres (Robespierre, Jeanne Bécu devenue madame Dubarry dont Louis XV à soixante ans deviendra l’amant).Après un procès expéditif, elle sera guillotinée en 1793, après avoir eu le temps de faire sept enfants. Mais rappelle Hortense Belhôte, il y aussi dans cette saga nationale, des personnages à la fois connus et inconnus, comme Zamor, offert à Madame du Barry par Louis XV. Ce petit page indien de sept ans qui devint son filleul, reçut une très bonne éducation et parla bien le français. Défilent aussi le chevalier de Saint-George (1744-1799), un compositeur, escrimeur d’origine guadeloupéenne qui eut une carrière artistique et sportive exceptionnelle. Il participe à la Révolution française et commanda la légion dite des Américains, des volontaires antillais et africains.
Elle évoque aussi le fameux chevalier d’Éon* )photo la plus proche à gauche) diplomate, espion, officier, et homme de lettres français (1728- 1810) sous Louis XV et qui a vécu habillé en homme pendant quarante-neuf ans et en femme pendant trente-deux ans, mort à Londres dans la misère… Et Thomas Alexandre Davy de La Pailleterie, dit le général Dumas, né à Saint-Domingue et premier général de l’armée française aux origines afro-caribéennes… Le père de notre grand Alexandre Dumas (Les Trois Mousquetaires, Le Comte de Monte-Cristo…) et le grand-père d’Alexandre Dumas, l’auteur de La Dame aux camélias (1848).
Et Jean Amilcar, ancien enfant esclave sénégalais, adopté en 1787 par Louis XVI et Marie-Antoinette. Et cette femme dite Mme Royale, leur dernier enfant vivant, surnommée « l’Orpheline du Temple » et devenue l’héroïne de chansons, poèmes et récits…
Et encore Marie-Guillemine Benoist qui fait en 1800 le Portrait d’une femme noire, (*deuxième photo en partant de la gauche) sans doute une Guadeloupéenne dans la tradition du portrait français mais avec un sein nu. Enfin, Claire de Duras, qui écrit Ourika, un roman publié anonymement, en 1823… et redécouvert il y une trentaine d’années. Première grande héroïne noire de la littérature occidentale, Ourika d’origine sénégalaise avait été achetée par le chevalier de B. à trois ans, puis adoptée et qui reçut une excellente éducation mais de l’Ancien régime- l’enfance d’Ourika- jusqu’à la Restauration, elle comprendra qu’elle est restée une marginale.*
Hortense Belhôte tisse très habilement ce tissu à la fois familial et sociétal parallèle, avec ce qu’i faut de piquant et de sauce musicale et elel finit par un strip-tease comique, très réussi. Bon, le récit part un peu dans tous les sens, elle bouge sans doute parfois trop et a tendance à bouler son texte: comme l’acoustique est très mauvaise, malgré son micro H.F, on l’entend parfois mal ; curieusement, bien mieux, quand ce foutu micro H.F. est H.S… Bref, ce spectacle mériterait d’être vraiment mis en scène mais on ne n’ennuie pas une minute à cette fausse et vraie conférence d’histoire de l’art. Pas loin quelque fois -mais ici conjuguée au féminin- de celles brillantes d’Hector Obalk (voir Le Théâtre du Blog) avec des moyens simples et efficaces. Et le public pour une fois en majorité jeune, a applaudi chaleureusement, et avec raison, ce spectacle insolite et tout à fait réjouissant.
«C’est à cette population du «Quatrième ordre», dit Hortense Belhôte, que nous voulons rendre hommage, non pour établir de nouvelles dévotions, mais pour éviter la sclérose d’un nationalisme amnésique. Car si nos ancêtres les Français, les «Vrais», ceux des peintures, ceux du premier 14 juillet, étaient des Noirs, des femmes émancipées et des personnes non-binaires, c’est tout le paradigme de l’altérité qui est à reconsidérer. (..) Alors, tendons l’oreille, c’est de nous tous, que l’on parle. »
Mission largement accomplie mais nous aimerions bien revoir ce spectacle dans de meilleures conditions… Pourquoi pas au Théâtre de la Bastille?
Philippe du Vignal
*Marie Plateau avait interprété Ourika d’après le roman de Claire de Duras, dans une mise en scène d’Elizabeth Tamaris, l’an passé au Théâtre Darius Milhaud à Paris ( XIX ème).
Spectacle vu le 22 avril; jusqu’au 23 avril, 15 h 15 et 19 h, lycée polyvalent Simone Weil, site François Truffaut, 28 rue Debelleyme, Paris (III ème).
Et Rembobiner sera joué par le collectif Marthe, les 25 et 26 avril à 15 h et 19 h , Le Consulat, 14 avenue Parmentier, Paris (XI ème).