Illusions d’ Ivan Viripaiev, mise en scène de Galin Stoev
Illusions d’ Ivan Viripaev, mise en scène de Galin Stoev
Cet auteur russe de quarante-neuf ans, devenu récemment polonais, acteur, réalisateur, scénariste et metteur en scène russe, est maintenant bien connu en Europe. Figure majeure du mouvement de la nouvelle dramaturgie en Russie, il a été intransigeant et a refusé toute collaboration après l’invasion de l’Ukraine qu’il a dénoncée avec force… ll avait en 2021 mis en scène au Nowy Teatr de Varsovie, 1.8 M16 une pièce de théâtre documentaire en soutien aux prisonniers politiques opposants aux régimes totalitaires en Biélorussie et ailleurs. Fondée sur des lettres et témoignages de détenus biélorusses, rassemblés par un groupe de dramaturges.
L’année suivante, Ivan Viripaev a annoncé vouloir reverser l’intégralité de ses droits d’auteurs perçus en Russie à une fondation humanitaire polonaise qui aide les réfugiés ukrainiens, ce qui a entraîné dans son pays natal une interdiction totale de ses pièces et une procédure pénale contre lui. Il a renoncé à sa citoyenneté russe mais a été condamné par contumace à huit ans de prison ferme… Depuis, il a reçu la nationalité polonaise.
Son ami le metteur en scène bulgare Galin Stoev, dirige le Théâtre de la Cité à Toulouse et a monté cinq de ses pièces dont Illusions à Paris il y a huit ans, déjà avec de jeunes acteurs de la promotion sortante de l’E.S.A.D. ( voir Le Théâtre du Blog). « Ici, dit-il, avec l’inCubateur créatif (sic) au Théâtrededelacité (sic), on a la chance de traverser des expérience un peu inédites. Ici, en particulier le travail sur ce spectacle s’est étalé sur plusieurs mois et ce projet en soi porte aussi l’idée de transmission. J’espère aussi qu’ils vont apprendre cette chose que moi, j’ai mis des années à comprendre comment cette écriture fonctionne et comment, dans sa genèse, elle est quelque part inachevée, comme n’importe quel texte dramatique d’ailleurs. »
Marine Déchelette, Mathieu Fernandez, Élise Friha, Marine Guez, Alice Jalleau, Thomas Ribière, Julien Salignon sont réunis pour douze représentations. Ils vont raconter en une heure et demi, les beautés mais aussi les paradoxes et les malentendus de la vie sentimentale de deux vieux couples mariés : Sandra et Dennis, Margaret et Albert …. qui ont vécu ensemble quarante-deux ans, et à la fin de leur vie. Une histoire à la fois simple et compliquée avec parfois une teinte de comique ou de fondamentalement triste chez ces personnages aux sentiments souvent contradictoires.
Ces quatre-là se connaissent depuis qu’ils sont jeunes et sont toujours restés proches. Bien entendu, il y a sans doute eu des sorties de route secrètes et des croisements. Mais bon, ils ont toujours réussi à garder un amour réciproque et leur amitié. Fiction, mensonges, illusions affabulations: la pièce d’Ivan Viripaev fait penser à Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman ou à Qui a peur de Virginia Woolf d’Edward Albee. Les histoires de couples n’ont pas de frontières…
Les jeunes acteurs jouent à la fois les personnages mais les racontent aussi tour à tour à deux, à quatre, voire en chœur. Mais bien entendu sans jamais simuler ces couples âgés, même si les situations et les états émotifs auxquels ils sont confrontés sont bien réels. Au début, une réplique confirme tout le climat de la pièce. « Je suis reconnaissant pour la vie que j’ai vécue. Grâce à toi, j’ai vécu une vie magnifique, étonnante, bien remplie. Et tout çà uniquement grâce à toi. »(…) Rien n’est capable de nous tirer du trou de notre propre égoïsme sauf l’amour. L’amour m’a poussé à relever la tête et à me regarder de l’extérieur, l’amour m’a poussé à vaincre ma propre paresse, ma propre lâcheté, ma propre peur. Tout ce que j’ai réussi dans cette vie, tout ça, je l’ai fait grâce à toi. »
Ivan Viripaev sait renouveler et tricoter assez habilement, avec un langage fondé sur la répétition et en partie sur le récit à partir d’une situation bien connue au théâtre, une histoire de quatre amours croisés. Mais nous ne saurons jamais qui a vraiment aimé l’autre ou a eu un moment de passion pour l’amie ou l’ami de toujours avec qui il ou elle, n’était pas marié.. Albert a une très mauvais vue et n’est pas peiné d’apprendre que sa femme l’a en fait «trompé toute sa vie ». Vrai ou faux? Ou les deux… Viripaev sait nous balader, mais à un moment, finis la comédie et le badinage… Margaret s’est pendue dans sa chambre en laissant un mot. Sandra mourra aussi et Albert, vivra encore dix ans, jusqu’à quatre-vingt douze ans.
Mise en scène épurée et au cordeau: plateau noir, murs noirs et costumes noir et blanc, que ce soit pour les quatre filles ou les trois garçons. Seuls éléments scénographiques: des lampadaires alignés sur le côté avec un socle en bois où ceux qui ne jouent pas, regardent sagement assis ceux qui jouent: vieux procédé brechtien plus qu’usé-et une sorte de cadre parallélépipédique. Et aussi un effet miroir en fond de scène.
La direction d’acteurs extrêmement stricte: on voit qu’il y a eu en amont, tout un investissement chez ces jeunes interprètes qui font ici un travail remarquable et ils ont tous une belle présence mais il y a parfois une effet de réverbération sonore pas très agréable, dû à ce plateau nu. Dommage. Ils réussissent à tirer le meilleur parti de ce texte difficile, souvent assez sec et démonstratif qui, passées soixante minutes, a tendance à faire du surplace. Loin de toute émotion…
Mention spéciale à Marine Déchelette, Élise Friha, Marine Guez et Alice Jalleau qui sont plus solides que les garçons, comme souvent à la sortie des écoles de théâtre. C’était seulement la deuxième de cette série de représentations et le spectacle devrait se bonifier. En tout cas, c’est une bonne leçon de travail pour ces jeunes acteurs et Galin Stoev a eu raison de les lancer dans cette aventure.
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 24 avril, jusqu’au 7 mai au Théâtre de la Cité, 1 rue Pierre Baudis, Toulouse (Haute-Garonne). T. : 05 34 45 05 05.
Le théâtre d’Ivan Viripaev est édité en France aux Solitaires intempestifs.