Marilù, rencontre avec une femme remarquable, un documentaire de Sandrine Dumas
Marilù, rencontre avec une femme remarquable, documentaire de Sandrine Dumas
Qui a eu la chance de la rencontrer sur scène donc chez elle, ne l’oublie pas… La Dame assise de Copi, elle était la seule capable de jouer aussi bien qu’un dessin qui se serait animé tout seul. Mais alors, animé ! Même sur sa chaise pathétique, Marilù Marini est en caoutchouc, peut tout faire avec son corps de danseuse et sa voix qui n’a plus forcément envie de chanter, mais qui se travaille : on la voit dans le film, perfectionner sa diction, au-delà du simple exercice, avec déjà un engagement total dans le jeu, en un français teinté de ses origines argentines, c’est à dire mondiales.
Complice active d’Alfredo Arias (directeur du Théâtre de la Commune-Centre Dramatique National d’Aubervilliers de 85 à 91) et du groupe TSE qu’il avait fondé ), elle partage avec lui, avec eux, un théâtre qui ne craint aucune transgression et qui tient le pari de la perfection formelle. Un exemple, qu’on voit furtivement dans le film: parfois à la fin du spectacle, le groupe se paye et offre au public, le luxe de saluer en jouant une suite de courts tableaux vivants si précis, si forts et si drôles qu’on aurait pu rester des heures encore à les applaudir. Mais ils avaient le sens de la juste durée.
Saluts, entrées en scène avec toutes les superstitions possibles, assumées ou tournées en dérision -enfin, ça peut servir, on ne sait jamais-, comme le fameux : «merde» à prononcer avant le lever du rideau*… Marilù nous emmène dans l’envers du théâtre et, en une seconde, à son endroit exact, vers l’actrice. Le film est un exercice d’admiration d’une réalisatrice et comédienne à une autre, avec qui elle a travaillé, jouant le rôle de sa fille. Cela ne s’oublie pas.
Sandrine Dumas ne nous raconte pas l’histoire du théâtre : ceux qui ont eu la chance de voir Marilù Marini sur scène ou au cinéma, se referont leur propre histoire. Mais aux autres, le film ouvre des portes un instant, sur une période éblouissante, celle du théâtre des Argentins comme Alfredo Arias, Jorge Lavelli, Victor Garcia, Copi… qui avaient fui en France, la dictature de leur pays.
Ni regrets ni nostalgie mais des piqûres de rappel : cette audace et cette vivacité d’écriture ont existé. Ce travail très précis, cet humour froid,et ces remarquables costumes (hommage à Françoise Tournafond (1940-2011), la grande costumière entre autres au Théâtre du Soleil et au Théâtre du Campagnol) : toutes ces miettes de souvenirs sont autant d’incitations à l’exigence et à la liberté. Au centre, dans le désordre, la vraie Marilù, en personne. Clown et tragédienne, faisant volte-face en une seconde, vraie boule à facettes, choisie par Alfredo Arias pour jouer Caliban,et par Peter Brook pour Ariel, dans dans La Tempête de Shakespeare A la l’esclave souillé de terre et de haine, et le favori ailé, aérien, tout aussi esclave.
Sandrine Dumas a emmené Marilù Marini sur le théâtre -c’est le cas de la dire- de quelques-uns de ses exploits, aujourd’hui, joyeuse, lanceuse de défis et jambe en l’air. Elles s’accordent toutes les deux, elle et la cinéaste, le droit de la montrer fatiguée, inquiète et hop! de nouveau à vif. Un film sur le théâtre, sans doute et surtout sur cette femme remarquable, saisie, accompagnée dans son mouvement, le passé s’invitant dans le présent, et réciproquement, toujours changeante, pétillante. « Tu peux me filmer jusqu’à ma mort », « d’accord ». Pacte conclu entre elles. Et cela fait la qualité de ce film, dans le désordre de la vie…
Christine Friedel
*allusion à la présence autrefois de crottin de cheval en masse devant un théâtre, donc, signe de succès.
Documentaire de Sandrine Dumas, actuellement en salles.