Le Petit Chaperon rouge de Joël Pommerat, mise en scène de Nina Ballester et Nina Cruveiller

 Le Petit Chaperon rouge de Joël Pommerat, mise en scène de Nina Ballester et Nina Cruveiller

  »Il était une fois une petite fille qui n’avait pas le droit de sortir toute seule de chez elle ou alors à de très rares occasions donc elle s’ennuyait car elle n’avait ni frère ni sœur seulement sa maman qu’elle aimait beaucoup mais ce n’est pas suffisant » .(…) Parfois la petite fille cherchait par tous les moyens à se faire remarquer mais toujours la maman de la petite fille était tellement occupée qu’elle ne voyait même plus sa petite fille. La petite fille, elle, voyait sa maman, mais sa maman, elle, ne voyait pas sa petite fille. » C’était exactement comme si la petite fille était devenue oui invisible. » Mais la petite fille avait peur pour sa mère sa maman quand sa maman partait toute seule loin on ne sait où et qu’elle devait garder la maison à sa place se garder toute seule se garder elle-même en fait. S’il arrivait quelque chose à sa maman en route sa maman ne pourrait pas la prévenir et alors on ne sait pas ce qui arriverait. Non on ne le sait pas. On ne sait pas ce qui arriverait à sa maman et puis à elle finalement. Ainsi débute, avec cette réitération des mots: maman et petite fille,  le célèbre conte revu par ce grand auteur contemporain  qui introduit ainsi habilement une certaine angoisse dans ce conte.

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Le petit chaperon rouge voudrait aussi aller voir sa très vieille grand-mère  qui est malade et lui porter un flan qu’elle a fait selon une recette imposée par sa maman. Mais il faut qu’elle traverse un bois; elle y joue avec son Ombre mais sur son chemin, rencontre un loup. Il se parlent et elle lui propose de faire de faire la course par deux chemins différents pour aller jusqu’à la maison de la grand-mère. Mais la petite fille rencontre des fourmis et quand elle arrive enfin, c’est trop tard : le loup a dévoré sa grand-mère puis il la mangera, elle aussi.  Mais heureusement,  un homme qui passait par là tuera le loup, lui ouvrira le ventre et elles seront sauvées toutes les deux… Comme dans les contes de Charles Perrault, puis des frères Grimm, il y a, comme souvent dans les autres pièces de Joël Pommerat-et faite par L’Homme qui raconte- une présentation des personnages:  la Petite Fille, la Mère, la Grand-mère, l’Ombre et le Loup . Ce récitant interviendra jusqu’à la fin de cette courte pièce où il aura aussi clairement énoncé  une épreuve à assumer par la petite fille et un bois à traverser, la rencontre avec le loup, le moment où il dévore la grand-mère puis la petite fille. Mais ici,  la fin est heureuse et  la petite fille qui  n’a pas suivi le bon chemin, même mangée par le loup, sera sauvée. Comme sa grand-mère. Et l’auteur ne reprend pas la morale du conte traditionnel:  mettre en garde les jeunes filles face à des hommes qui ont envie de les séduire. 

Chez  lui, l’histoire qu’il assimile à « une histoire ou plutôt un récit, qui se donne comme authentique, réel et qui évidemment ne l’est pas, et qui se développe avec des termes relativement simples et épurés, des actions qui ne sont pas expliquées psychologiquement.»  Joël Pommerat dit aussi s’être inspiré du sa mère qui  devait faire dans la campagne déserte près de neuf kilomètres pour aller à l’école et indique avoir voulu garder «garder l’aspect narratif direct. »
Et pour lui, «cette histoire est d’abord racontée avant d’être incarnée. » Le récit d’origine biographique, est ici un élément essentiel, comme dans les autres pièces de Joël Pommerat. Mais il  dit bien aussi qu’il y a trois moments où le dialogue est absolument nécessaire : la rencontre de la petite fille et du loup, la rencontre du loup et de la grand-mère, et surtout la rencontre de la petite fille et du loup déguisé en grand-mère. Dans ces instants-là, la parole partagée est essentielle et donc, indispensable. »

 Avec ce conte-et il a de quoi fasciner des metteurs en scène ou des apprentis-acteurs dans une école- l’auteur dit quelque chose de très juste quant aux relations familiales. Avec ces trois femmes, » unies par un sentiment très fort, qui sont (ou seront) amenées à prendre la place de l’autre, dans un mélange de désir et de peur. Sans que cette question, ce problème, ne soit jamais abordé directement par les personnages.
Nina Ballester et Nina Cruveiller se sont emparées avec gourmandise de ce conte et le jouent aussi à deux, la vieille grand-mère étant en voix off. Cela ne commence pas bien avec le récit joué dans la salle par les actrices devant la scène vide?  Mais on les écoute volontiers mais c’est trop long! Enfin, elles jouent sur le plateau mais pas très bien , tous les personnages.  Mais les metteuses en scène n’évitent pas les stéréotypes actuels comme le jeu dans la salle, les criailleries, ou ces nuages de fumigène à gogo (les 33 èmes au compteur pour nous depuis la rentrée de janvier) Mais les Dieux savent pourquoi… Créer un « climax »? Produire un effet? Dessiner la brume dans la forêt. Dans tous les cas, c’est con, raté et inutile. On nous iréa que c’est inoffensif… mais allez savoir! En tout cas, on en prend plein les poumons et cela fait tousser!  Er pourquoi avoir ânonné syllabe par syllabe le texte de la grand-mère? Cela fait quand même beaucoup trop d’erreurs…   
Que sauver? Au moins, la scénographie, simple et bien faite: la belle porte en «bois » de la maison de la grand-mère, une fois rabattue, fera office de lit pour la grand-mère. Mais cette réalisation manque d’empathie et sur les plans dramaturgique et scénique, faire un le modèle réduit de cette belle pièce a été une erreur. Bref, vous pouvez épargner ce court mais pas intéressant spectacle à vos enfants. A Paris comme en Avignon. Ils méritent mieux (et vous aussi).   D’autant que les places sont loin d’être données (30 € pour les adultes et 10 € pour les enfants!)
 
Philippe du Vignal
 
Jusqu’au 27 avril, Studio Hébertot, 78 bis Boulevard des Batignolles,  Paris (XVII ème).T. : 01 . 42 . 93 . 13 . 04. Et au festival d’Avignon à partir du 29 juin.

Archive pour avril, 2024

Le Roi Lear de William Shakespeare, traduction-adaptation de Stratis Paschalis, mise en scène de Stathis Livathinos

Le Roi Lear de William Shakespeare, traduction-adaptation de Stratis Paschalis, mise en scène de Stathis Livathinos

L’intrigue de cette tragédie rappelle celle d’un conte populaire, ou d’une parabole évangélique. Un vieux roi distribue richesse et pouvoir à ses filles Regane et Goneril, hypocrites et ingrates mais déshérite Cordelia la plus jeune, honnête et sincère. Lear,  tyrannique, vaniteux, égoïste et têtu  mais sûr de sa grandeur, de sa puissance  absolue et de son omniscience, croit  qu’il est presque un dieu et qu’il a le droit de manipuler à volonté, les gens et leurs émotions.
William Shakespeare écrit ici une allégorie sur l’arrogance du pouvoir et sur la folie humaine. La grande passion et le tourment de Lear sont le purgatoire d’un homme qui découvre les grandes vérités de la vie et du monde, après avoir gravi toute l’ascension de la souffrance, causée à la fois par sa propre folie et la barbarie sociale… à laquelle il a amplement contribué.

Stratis Paschalis a écrit une version moderne et condensée de la célèbre pièce en vingt-six scènes et en un seul lieu, sous une immense coupole étoilée. Les époux des filles de Lear, d’autres rôles mineurs et une partie de la rhétorique exubérante de l’original sont absents. Et Kent et le Fou réunis en une seul personnage. Mais rien ne trahit le style et l’esprit du discours poétique. 
Stathis Livathinos a gardé l’essence  de la pièce et met en scène un XXI ème siècle dominé par la technologie numérique et les écrans.  L’homme est captif d’une réalité virtuelle qui l’aliène de son prochain: une nouvelle forme de maladie… Et ce Lear qui n’a pas de trône, souffre, dans un service de soins intensifs en perpétuel mouvement.

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Hélène Manolopoulou a imaginé un environnement morbide et suffocant, avec nombreux écrans au centre de la scène où des câbles interminables délimitent et submergent l’espace. Les vidéos de Christos Dimas et les éclairages centraux d’Alekos Anastassiou capturent l’invisible et l’indicible du monde mental des personnages. Télémaque Moussas  crée un environnement sonore renforçant le mystère et un climat menaçant, tout en soulignant la contribution de la Nature, dans la confrontation de Lear avec le monde.

Betty Arvaniti, grande comédienne grecque, souligne de manière évolutive et approfondie la cruauté, l’autoritarisme, l’ arrogance, la folie et la dimension tragique de ce Lear qui marche vers sa perte. Nikos Alexiou joue  avec agilité et  précision Kent et le  Fou. Antonis Giannakos (Edgar) incarne avec souplesse, un désespoir confinant à la folie.
Nestoras Kopsidas (Gloucester) exprime sans détour l’expérience de la trahison, de la tromperie et de l’abus que subit ce personnage théâtral et exprime  la relation conflictuelle entre le bien et le mal et Gal Robissa, est impressionnant en aventureux Edmond, avec un mouvement éloquent et un cynisme exemplaires.


Erato Pissi (Cordélia), Eva Simatou (Régane) et Virginia Tabaropoulou (Goneril) sont, avec clarté et poésie, des figures symboliques  et elles agissent comme des vases communicants, mais aussi comme une loupe qui montrerait sous un jour encore plus repoussant, le visage de ce père tyrannique et abusif. Un spectacle à ne pas manquer !


Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre de la rue Kefallinias, 18 rue Kefallinias, Athènes, T. : 0030210 8838727.

 https://www.youtube.com/watch?v=aErWvcVbwVI

 

Le nécessaire Déséquilibre des choses, mise en scène de Brice Berthoud et Marie Girardin

 Le nécessaire déséquilibre des choses, mise en scène de Brice Berthoud et Marie Girardin

La compagnie Les Anges au plafond reprend ce spectacle créé il y a trois ans. C’est un « voyage dans un vrai corps humain», à la recherche des mécanismes du désir et du sentiment amoureux. Deux scientifiques propulsés par les voies respiratoires jusqu’au cœur, descendent dans les intestins et les organes reproducteurs. Inspiré des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, c’est le théâtre d’une bataille, d’un déséquilibre intérieur où le désir va se confronter au manque, aux pulsions et à la jalousie. Les sentiments contradictoires prenant la forme d’un minotaure perdu dans son labyrinthe, d’une meute de loups, d’une femme sans tête, ou encore d’un gros et inquiétant bonhomme, chasseur de rats…

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Cela rappelle L’Aventure intérieure (1987), un film de science-fiction de Joe Dante mais sans effets spéciaux, avec une esthétique «transparente» de cintres, poulies, voiles, ficelles et rideaux en mouvements. La scénographie rudimentaire et à vue-c’est un choix-réunit scène et salle. Autour de deux marionnettes en papier, métaphores de l’homme manipulé par des forces supérieures, les quatuors se toisent: l’un, avec les marionnettistes Camille Trouvé et Jonas Coutancier, une créatrice d’images et lettres en direct (Amélie Madeline-en alternance avec Vincent Croguennec) et un Homme-échelle qui est aussi comédien et régisseur-plateau (Philippe Desmulie).

Et l’autre quatuor avec Jean-Philippe Viret (contrebasse), Mathias Levy (violon), Maëlle Desbrosses (alto) et Bruno Ducret (violoncelle). La musique résonne au rythme du cœur, des pulsations intérieures et donne le tempo aux acteurs avec de subtiles variations. Il y a, dans ce chaos affectif, des moments fabuleux et de magnifiques images…  comme avec ces silhouettes humaines et animales, découpées au cutter sur dix-sept mètres de carton léger déroulé de jardin à cour, puis sonorisées (scénographie de Brice Berthoud et Adèle Romieu). Un geste magique et primitif,  sous une lumière orangée rappelant les couleurs d’œuvres pariétales, et d’où émergent les marionnettes, telles Adam et Eve…

Une fresque-dix mètres de longueur!- indique les étapes du récit à venir. Il y a un moment stupéfiant vers la fin, avec l’apparition en ombres chinoises d’un corps fragmenté, grâce aux éclairés par endroits des quatre acteurs… Monstrueuse, gigantesque et digne d’une fantasmagorie moderne. Ce récit d’aventures, empreint de philosophie, humour et passion, évite une certaine lourdeur possible. Les huit artistes s’y investissent entièrement et savent toucher les spectateurs dans leur intimité…au fond, universelle. Bravo.

Sébastien Bazou

 Spectacle vu le 11 avril, au Théâtre des Feuillants, 9 rue Condorcet, Dijon (Côte-d’Or). T. : 03 80 74 51 51.

Cinquième édition du festival Vis-à-vis au Théâtre Paris-Villette

 Festival Vis-à-vis au Théâtre Paris-Villette: cinquième édition

Un événement rare, voire unique, avec, dans de véritables conditions professionnelles (techniques, contrat de travail, ouverture au public…) et sur quatre jours, la présentation d’actes artistiques : théâtre, danse, musique, vidéo, photos..)  interprétés ou réalisés par des hommes ou femmes «sous main de justice»: condamnés à un emprisonnement de durée variable. Valérie Dassonville, conseillère artistique du théâtre Paris-Villette, est la directrice artistique de ce festival.

©x Valérie Dassonville avec  Adrien de Van, directeur du Paris-Villette

©x Valérie Dassonville avec Adrien de Van, directeur du Paris-Villette

-Cette manifestation fait partie d’une politique globale de réinsertion…

-Oui, Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, semble y tenir et chaque année en France, les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation organisent de nombreux projets artistiques dans les établissements pour hommes (ils sont 75.000!) comme pour femmes (elle sont 2.500) . Mais de là, à ce que ces travaux puissent arriver sur une scène ou un lieu… Nous travaillons avec des institutions culturelles, artistes et associations. Un acte de création a une signification forte pour les personnes détenues et il leur rend fierté, confiance et sentiment d’appartenance à une collectivité. Créé il y a sept ans le festival Vis-à-Vis s’est aussi ouvert depuis juin dernier, ailleurs qu’à Paris. Première édition l’an passé à la Scène Nationale de Chateauvallon-Liberté à Toulon dirigée par Charles Berling, et une deuxième est en préparation pour 2025/2026. 
Mais je précise bien que ne sont pas présentés ici des travaux d’atelier mais de véritable réalisations  artistiques avec les moyens professionnels nécessaires. Avec  cependant, les contraintes que cela suppose, la représentation pouvant toujours être annulée au dernier moment… pour transport impossible des détenus, raisons de sécurité  à l’extérieur, ou événements imprévus dans la prison… 
Ce type d’action est toujours le fruit de longues répétitions avec un metteur en scène ou ou un chorégraphe, et avec leurs équipes. Mais c’est  aussi pour les détenus souvent en fin de peine, la reconnaissance d’une démarche personnelle et un début de réinsertion, après souvent de longues années d’enfermement. Cela contribue aussi à la lutte contre la récidive.
La possibilité de monter sur scène en jouant de créations, de s’adresser à un public et d’être vus comme artistes, et non comme femmes ou hommes enfermés, est une chance capitale pour eux. Et il y a aussi l’amorce d’une réconciliation avec une société qui les a rejetés. C’est, j’insiste là-dessus, non la présentation finale d’un atelier mais une vraie démarche artistique…

-Comment cela se passe, et quels sont les centres pénitentiaires concernés? 

-Cette cinquième édition a été élaborée avec le soutien des ministères de la Justice, et de la Culture, de la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris, la Direction des affaires culturelles de la Ville de Paris et la Fondation Meyer. Mais chaque création est aussi portée par, entre autres, les D.R.A.C. Ile-de-France et Normandie, des fondations, collectivités territoriales ou lieux partenaires.  Notre théâtre, le Paris-Villette, a créé il y a sept ans ce festival, avec l’idée qu’un artiste en résidence de création puisse réaliser un projet avec des amateurs isolés comme ceux qui sont en détention.
Nous voulons les encadrer professionnellement et inclure ces spectacles destinés à un large public dans notre programmation. Mais aussi valoriser  un  acte artistique fait en commun et lui donner un statut d’œuvre à part entière. Je pense qu’il ne peut y avoir de véritable démocratisation culturelle sans partage de travail, moyens et lieux. Il faut préciser que ces personnes effectuent un véritable travail et sont donc  rémunérées, comme dans les ateliers à l’intérieur de la prison. Mais une partie de cet argent va à leurs victimes.
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étenues, même privées de liberté, elles font partie intégrante de notre société. Quand on entretient ce lien avec le monde extérieur ou qu’on le renforce, cela aide à prévenir la récidive et peut faciliter la réinsertion. Soyons clairs, il ne s’agit pas d’en faire tous, des artistes mais ces créations en milieu carcéral me paraissent importantes: elles incitent à l’ouverture à soi-même, aux autres et à une meilleure compréhension du monde. Chaque année, partout en France, les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation organisent de nombreux projets artistiques, en lien avec des institutions culturelles, des artistes, associations…

- Il semble que vous ayez cette année tenu à diversifier les actions...

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©x Répétition au Centre pénintentiaire de Meaux

-Nous essayons avec nos partenaires qu’il y ait à la fois  cohérence, diversité, liberté de création et pas le moindre mode opératoire exigé. Exemples: au Centre pénitentiaire de Fresnes, a été travaillée une adaptation de la nouvelle Le Ring de Jack London avec  la Nar6 compagnie. L’histoire d’un vieux boxeur qui a eu ses heures de gloire et qui va livrer son dernier combat…
Et il y a avec Et Pourtant,  un projet-pilote qui me tient à cœur,
au centre pénitentiaire de Meaux,  sous la houlette d’Irène Muscari, coordinatrice culturelle*, qui fait un travail exemplaire. Serge Hureau et Olivier Hussenet, avec le Hall de la Chanson et le Théâtre-École supérieure des répertoires de la chanson, vont diriger quatorze élèves-artistes, onze enseignants et plusieurs détenus. Et après deux mois de travail, ils vont arriver à créer un spectacle de qualité professionnelle autour du répertoire de Charles Aznavour, l’année du centenaire de sa naissance... Il a été le parrain de cette école.
Et Pourtant reprend un titre de sa chanson bien connue et a été conçu avec jazz, blues, swing, musiques du monde… Ce spectacle tout public sera joué par demi-groupes en alternance et sera repris les 17, 22 et 24 mai au Hall de la chanson à Paris. Je tiens à signaler que, là aussi, les détenus-interprètes et techniciens-seront tous rémunérés et que le spectacle sera disponible en tournée.
Il y aura aussi Sombrero par Julien Perez et Thomas Cerisola avec le Centre pénitentiaire de Paris-La Santé, une création sonore et théâtrale sur ce qui se passe autour d’un match de foot selon plusieurs points de vue.  Et à signaler, Moby Dick au Théâtre Populaire de Montreuil avec quatorze détenus (hommes et femmes) le 31 mai à 19 h.

-Et en province , ce genre d’action existe aussi…

-Il y a eu Nos Traversées, d’après L’Odyssée d’Homère, un spectacle créé par la compagnie Sur le fil, au centre pénitentiaire d’Aix-en-Provence-Luynes et qui a été joué deux cent fois.  Et cette année, est créé Méduse un spectaclede Fanny Catel et Raoul Fernandez, à l’établissement pénitentiaire de Caen, avec la Comédie de Caen-Centre Dramatique National de Normandie. Après être allés voir l’exposition Sous le regard de Méduse au musée des Beaux-Arts, les détenus-hommes et femmes- vont en jouer une version théâtrale

-Vous avez aussi choisi de montrer d’autres travaux qui ont plus à voir avec la danse et les arts plastiques.

- Oui, entre autres, 13,5 milliards d’années en cinq minutes de Flora Molinié au Centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis (Essone), le plus grand d’Europe avec 3.500 personnes incarcérées… Ce court-métrage d’animation montre l’évolution de la vie, du big bang à notre civilisation… La naissance de la matière, des étoiles, des galaxies et planètes dont la nôtre.
Et aussi Questions de genre, une exposition conçue par Amandine Maas à la Centrale de Poissy (Yvelines). Dans  l’atelier de peinture, ont été réalisés des portraits, avec, pour base d’inspiration, des œuvres  où des artistes ont opéré des décalages symboliques autour de : homme=viril et femme=féminine…

 Marion Lachaise a, elle, travaillé au Centre pénitentiaire sud-francilien de Réau, sur une  exposition: Ostrakon, pensés comme une traversée réelle, symbolique et sensitive de ce que recouvre un jugement en Cour d’assises. Un projet construit en deux résidences simultanées, l’une relevant de  cette Cour d’assises, l’autre à Réau, avec un groupe de femmes et d’hommes.
Et
Je t’épouserai avecWilly Pierre-Joseph de la compagnie du Reiko, toujours au Centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis, un spectacle avec danse et vidéo. Où des hommes en détention motivés par une promesse de mariage se remobilisent pour une vie future.  Un spectacle conçu d’après les histoires personnelles des interprètes.
Pour
Ici et là, suites, Claire Jenny de la compagnie Point Virgule a travaillé au Centre pénitentiaire du Sud-Francilien de Réau, avec l’Atelier de Paris- Centre  de Développement Chorégraphique National dirigé par Carolyn Carlson.

-Quels peuvent être vos rapports avec les grandes institutions? Depuis le XVII ème siècle jusqu’à très récemment, elles « reconvertissaient » des galériens seuls capables de monter sans vertige dans les voiles  et… très haut dans les cintres, puis d’anciens condamnés à des peines assez légères… Mais il semble que cela ne soit plus vraiment le cas

-Vous mettez le doigt où cela fait un peu mal: leurs directions ne se sentent pas vraiment concernées par ce type de projet. Dommage. Mais bon, nous travaillons avec la Comédie de Caen-Centre Dramatique National et l’Atelier de Paris-Centre Chorégraphique National. Et le festival d’Avignon est aussi partenaire. Donc tout va bien.
J’ai pu assister aujourd’hui à Fleury-Mérogis, à une répétition de Ranko la cérémonie du mariage, un spectacle de danse. Avec la coordinatrice culturelle pas rassurée quant aux autorisations de sortie des huit détenus pour venir jusqu’au Paris-Villette,  et avec  la juge d’application des peines. Il y a eu ensuite un très bel échange entre eux et elle. Elle a dit qu’elle pouvait enfin mettre un visage sur des noms et cela bien sûr, facilite les choses.  Un moment rare qu’on n’oublie pas….

Philippe du Vignal

Le festival Vis-à-vis aura lieu les jeudi 2, vendredi 3, samedi 4 à 19 h et dimanche 5 mai à 17 h 30 au Théâtre Paris-Villette, 211 avenue Jean Jaurès Paris (XIX ème).

*Irène Muscari, coordinatrice culturelle, a notamment invité au centre pénintentiaire de Meaux la grande pianiste Shani Diluka. Elle a joué pour les détenus Le Voyage d’hiver de Schubert! « La force de la musique, dit-elle avec lucidité, c’est d’exorciser nos obscurités. »

 

Mobile Home de Sarah Carré, mise en scène de Mathieu Roy

Mobile Home de Sarah Carré, mise en scène de Matthieu Roy 

 Pour la compagnie du Veilleur dirigée par Matthieu Roy, la question du répertoire est essentielle dans le parcours éthique et esthétique de son équipe. La transmission et la rencontre avec le public sont aussi fondamentales dans leur pratique professionnelle du théâtre et se manifestent concrètement au fil de leurs créations. Comme exemple, ce spectacle à l’attention des adolescents, mais pas que !

La pièce, une commande faite à Sarah Carré, par Culture Commune-Scène nationale du bassin minier du Pas-de-Calais, met en scène l’amitié de trois adolescents d’une quinzaine d’années: Dino, Poney et une fille, Côtelette. Des prénoms inventés, inspirés de la vie de chacun des personnages : Côtelette a été anorexique, Dino en raison de ses origines italiennes, Poney aîné d’une famille monoparentale doit prendre soin des plus jeunes « du troupeau » et aider sa mère stressée ! Ces surnoms ne manquent pas d’humour, et sont à l’image de ce moment où la construction de l’identité se joue du rapport entre réalité et fiction, entre imaginaire et quotidien  et où l’on décide de  «Qui je suis ».
Au début de la pièce, Côtelette annonce à ses camarades, un événement aussi joyeux… que problématique, vu son âge! Elle est enceinte, faut-il garder l’enfant? Elle, le souhaite et demande l’avis et conseil à ses compagnons de route. Eux-même emportés par une envie de liberté. Vivre sa vie, s’éloigner du carcan familial, mais comment? et sans faire souffrir père et mère, et sans argent …Le public finit par se poser la question : Et si l’aveu de Côtelette n’était qu’un stratagème pour partir et tout quitter, non pas seule mais avec Dino et Poney ? Rester ensemble, comme une protection et une force pour se jeter à corps perdu dans cet ailleurs tant désiré ! De cette situation cornélienne, va naître un paysage sensible, drôle et émouvant de l’adolescence aujourd’hui. Le projet est né en 2019, juste avant la crise de la covid et pour l’autrice, comme pour le metteur en scène,  il était nécessaire d’aller à la rencontre et à l’écoute des collégien(ne)s pour écrire ce texte à la fois poétique et social. Le travail accompli est l’aboutissement d’une réflexion de fond, après une résidence dans quatre collèges. Mobile Home dit avec une grande sensibilité  à la fois l’humour, la dérision, les doutes et le besoin d’idéal de cette bande d’amis. Et en filigrane leur point de vue sur leur famille respective. Leurs paroles transcendent le réel de leur quotidien, leurs rêves et tourments. 

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La pièce est destinée à se jouer »Hors les murs » pour s’adresser plus facilement à un large public, à la jeunesse, à tous ceux qui ne vont pas souvent ou jamais au théâtre. En ce sens, une scénographie facilement adaptable avec le choix d’un décor unique et simple, juste un canapé, des chaises, une table… et pour les acteurs, des costumes au goût du jour. De bric et de broc, le lieu devient un endroit hors du monde, celui de Côtelette, Dino, et Poney où  tous les espoirs sont permis ! Mais la réalité rôde…Le public entre aussitôt en empathie avec ce trio attachant. Leurs liens d’amitié forts, animés par leurs personnalités différentes et leur prise de position sur ce dilemme, suscitent notre émotion et sont convaincants pour parler, sans aucune caricature, de la jeunesse actuelle.  Grâce à une parole évocatrice, juste et fine, parfois hardie, nous  prenons part à l’univers si singulier de cet âge de la vie où les folies les plus inattendues peuvent être au rendez-vous. La situation dramatique réaliste, vécue par les personnages au coeur de ce passage, complexe, de l’enfance qui s’éloigne et du monde adulte qui s’approche, est remarquablement mise en scène et jouée. Clara Thibault, Anthony Jeanne et Théophile Sclavis laissent jaillir une spontanéité, une complicité et une joie avec lesquelles le spectacle prend toute sa force…

Mise en scène simple mais à la fois énergique et subtile: Matthieu Roy a un regard lucide et bienveillant sur ce temps agité de la jeunesse où, depuis toujours, l’être en pleine évolution psychique et existentielle, se cherche.  Le spectacle et le texte de Sarah Carré, réussissent à faire entrer en résonance sans parti-pris et avec fantaisie, un désir profond de réaliser un idéal, une vision de la vie. Coûte que coûte et quelle soit la réalité, celle d’aujourd’hui  plutôt sombre et complexe!    

Ce jour là, dans le cadre de Culture commune et ses actions sociales et artistiques, il y avait nombre de jeunes collégien(ne)s dans le public. Après le spectacle, au « bord de plateau » avec l’équipe artistique, leurs questions judicieuses, originales et sensibles ont confirmé la qualité de ce portrait de l’adolescence. Mais aussi la nécessité de l’art théâtral au collège: tous étaient inscrits à un atelier théâtre proposé dans le cadre scolaire.  Leur analyse du spectacle s’est avérée pertinente et l’un d’eux a eu ces mots d’une remarquable lucidité sur l’éclairage: « C’est un autre langage, une autre façon de raconter l’histoire. » Cela confirme bien la nécessité pédagogique du théâtre à l’école pour développer un esprit critique, une ouverture à l’autre et aux différences. Mais aussi faire naître une conscience objective face au monde qui va s’ouvrir à ces futurs adultes.

 Elisabeth Naud 

 Spectacle vu à L’Escapade, 263 rue de l’abbaye, Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), le 12 avril. T. :  03 21 20 06 48.

Trois fois Ulysse de Claudine Galea, mise en scène de Laëtitia Guédon

Trois fois Ulysse de Claudine Galea, mise en scène de Laëtitia Guédon

 À qui appartient Ulysse? On a fait de lui, le voyageur éternel, l’aventurier, le héros chéri des Dieux… enfin, certains. On en a même fait le modèle du migrant, qui ne peut être juste que si l’on retourne l’image, pour envisager l’héroïsme de ceux qui s’en vont au prix de leur vie, plutôt que le retour obstiné d’un vainqueur peu glorieux. Qui veut de lui? Les femmes, plusieurs femmes, bien qu’il ne les ait pas ménagées. Et pour commencer, Laëtitia Guédon et Claudine Galea à qui elle a passé commande pour la Comédie-Française, d’une pièce sur le héros le plus populaire d’Homère, Ulysse le rusé, Ulysse l’endurant, si l’on peut traduire ainsi l’adjectif grec: polutlas.

Voilà donc, choisis non sans une certaine insolence, trois Ulysse, confrontés chacun à une femme. Le premier (Sefa Yeboa), encore chaud de Troie incendiée;  épuisé, il se retrouve face à Hécube, la reine, défaite et captive. Ils ont en commun nombre de morts : ceux qu’il a tués par ruse, et ceux qu’elle a perdus et qui font saigner son cœur maternel.  Des deux côtés d’une guerre, ils se comprennent. Mais celui qui va le plus mal, le plus égaré et qui ne le dira jamais, c’est lui, Ulysse. Clotilde de Bayser est une Hécube encore jeune, forte de la catastrophe qu’elle a endurée, et de son deuil. Mais, paradoxalement, elle en nourrit sa vie…

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Un énorme crâne de cheval occupe le plateau-un reste encombrant et qui doit le rester à jamais-de la fameuse ruse du cheval en bois qui sera fatale à la ville de Troie. Racontée au chant VIII de L’Odyssée en une vingtaine de vers par Demodocos, l’aède qu’Ulysse prie de chanter «l’histoire du cheval qu’Épéios construisit, assisté d’Athéna.» En fond de scène, une haute fenêtre s’ouvre sur des vidéos changeantes : c’est la mer, c’est le ciel, c’est le feu au centre de la terre, le mouvement incessant des atomes : ce que l’on voudra mais surtout la vie et la mort qui passent.

Le second Ulysse s’arrache du giron de Calypso après sept ans d’amour sans nuages ou plutôt environnées… d’un nuage d’oubli. L’autrice interprète cette longue parenthèse comme un moment de dépression. Possible. Cet Ulysse (Baptiste Chabauty qui est aussi percussionniste) est comme un enfant dans les bras de sa mère (Séphora Pondi offrant une image beaucoup plus maternelle qu’amoureuse). Et quelles sont les femmes qui finissent par laisser partir les garçons, sinon les mères? Le crâne de cheval est devenu une grotte protectrice qu’il faudra abandonner quand même.

Le troisième Ulysse (Éric Génovèse) est le plus émouvant: il arrive tard auprès d’une Pénélope longtemps silencieuse, au pied du crâne-grotte, devenu montagne. Marie Oppert-aussi cantatrice- nous délivre alors un chant d’une grande beauté, devant un Ulysse muet, agenouillé, suppliant, les mains ouvertes… Laëtitia Guédon a le sens et le goût du rituel-parfois trop insistant-et emprunte à différentes époques et à toute la Méditerranée. Ce qu’elle a aussi demandé au chœur Unikanti : accompagner les scènes, de chants sacrés, baroques, contemporains, en plusieurs langues, parfois inconnues, expression du grand métissage des peuples autour de la mare nostrum.  Mais l’ensemble vocal ne joue pas le chœur antique: il ne s’agit pas d’une tragédie mais du parcours d’un homme qui prend consistance grâce aux femmes… La musique rappelle en toute élégance que cette épopée était chantée.
L’autrice et la metteuse en scène ne se privent pas d’une grande liberté envers le «héros ». Claudine Galea introduit des expressions prises à l’anglais populaire d’aujourd’hui, ou à d’autres langues européennes, toujours héritières de la Méditerranée, comme des coups de griffe qui trouent la légende… et qui en donnent une image étrillée. Cela apporte au spectacle une touche d’humour bien venu… L’auteure réglant ici ses comptes, non avec le texte d’Homère, mais avec le personnage qui, depuis longtemps, s’est dégagé du poème.

Rétrospectivement, on peut croire qu’on y perd, quand on se souvient de certaines images homériques mais là n’est pas la question. Trois fois Ulysse ? On pourrait en compter beaucoup d’autres encore : le méchant Ulysse à face de loup et Diomède massacrent les chefs thraces, alliés des Troyens au chant X de L’Iliade. Et l’Ulysse qui, de retour chez lui, fait pendre les douze servantes, dénoncées par sa nourrice Euryclée. Elles ont trahi Ithaque en couchant avec les prétendants trop avides de succéder à Ulysse… Il y a aussi Ulysse, l’indifférent qui perd en mer tous ses compagnons et le presque naufragé s’écorchant les mains aux rochers du rivage. L’autrice et la metteure en scène ont choisi avec raison: le personnage d’Ulysse n’est intéressant qu’à deux… Dans la confrontation, l’abandon ou les retrouvailles.  Et cela donne un spectacle vif, efficace, assez jubilatoire et sans illusions.

Christine Friedel

Jusqu’au 8 mai, Théâtre du Vieux-Colombier-Comédie-Française, 21 rue du Vieux-Colombier, Paris ( VI ème).

Le texte, commandé à Claudine Galea par la Comédie-Française, sur une idée de originale de Laëtitia Guédon, est publié aux éditions Espaces 34.

La Robe de mariée de Katherine L. Battaiellie, de et par Marie-Catherine Conti

La Robe de mariée de Katherine L. Battaiellie, de et par Marie-Catherine Conti

 

Une histoire vraie, celle de Marguerite Sirvins internée à l’hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère). La folie : à soixante-cinq ans, elle est sûre d’en avoir dix-huit et de rencontrer bientôt son fiancé. Ce sera l’amour parfait, le bonheur. Elle va donc confectionner sa robe de mariée. Comment et où trouver ce qu’il faut en pleine seconde guerre mondiale, dans la misère et le dénuement qui frappent avant tout les asiles psychiatriques dans une France occupée par l’Allemagne nazie?
L’hôpital de Saint-Alban représentera une sorte de miracle de résistance, et a caché parmi d’autres le poète Paul Eluard et sa femme Nush, l’équipe accomplissant des prouesses pour nourrir les pensionnaires et inventant pour les «fous » l’art-thérapie.

©  Alain Bron

© Alain Bron

Marguerite tire un à un les fils d’un vieux drap, raboute, découpe, coud, brode et crée la robe reconnue plus tard par Jean Dubuffet comme un trésor d’art brut, exposé aujourd’hui au musée Lausanne. Katherine L. Battaiellie a donné une voix à Marguerite, livrant avec pudeur et franchise toute la vérité que contient le délire. La folie a cela de commun avec la poésie et le théâtre : « tout est faux et tout est vrai». On suit chez Marguerite le chemin de l’amour, « pas comme les bêtes », mais celui des contes, dans toute leur noblesse ou du Cantique des cantiques.
Marie-Catherine Conti donne sa voix à Marguerite. Toujours juste, elle se prête à la fatigue de cette femme depuis longtemps hors du monde et qui ne se plaint pas, enfin pas trop… Elle incarne sa réelle jeunesse de vieille rêveuse, nourrie d’une solide espérance. Oui, bien sûr, l’Époux viendra.
Cela n’empêche pas Marguerite d’entendre les bruits de l’asile, de se méfier des «autres», les méchantes qui ne sont pas comme elle appelée à un grand destin d’amour. Avec les belles respirations au violoncelle de Lucie Lacour (une musique enregistrée, mais d’une vraie et belle présence), on oublie l’interprète pour penser à cette Marguerite…  Moments de sérénité, certitude, crainte mais aussi fébrilité quand elle joue avec ses poupées en chiffon qui donnent corps à sa mère, à elle-même, à ce qu’elle imagine, elle jamais aussi «folle» que quand elle nous parle «normalement». On a besoin des guillemets pour rendre compte de l’expressivité du théâtre. Elle en sait des choses sur l’amour, Marguerite, que nous, pauvre public, ne savons pas.

Et cela la met en colère, parfois, que nous soyons si ignorants. La salle basse de l’Essaïon est parfaite pour cette Robe de mariée, avec sa voûte de pierre sans âge et son arcade mystérieuse, une profondeur dont on ne sait où elle mène-sans fenêtre-si l’on ne compte pas celles, mentales, qu’ouvre le personnage, ni celle que constitue le public.
Une cellule à la mesure de l’actrice, à la dimension de la confidence qui prend, on l’a vu, l’ampleur d’une fable. Le public est attentif, troublé devant ce délire si palpable, si simple, jusqu’à être emporté par l’émotion finale. Marie-Catherine Conti a réalisé elle-même cette « robe de mariée » que nous dévoilera le spectacle : une façon de coudre son texte, son rôle, point par point, geste par geste. Une belle façon cachée de travailler Marguerite, qu’elle rend si présente.

Christine Friedel

Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre-au-Lard, Paris( IV ème). T. :c01 42 78 46 42 .

La Robe de mariée de Katherine L. Battaiellie, éditions marguerite waknine.

Caché dans la maison des fous de Didier Daeninckx, Gallimard, (2017)

 

 

Moman-pourquoi les méchants sont méchants ? de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Noémie Pierre, Clotilde Mollet et Hervé Pierre

Moman-pourquoi les méchants sont méchants? de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Noémie Pierre, Clotilde Mollet et Hervé Pierre

Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? La quête de sens est infinie chez les enfants à la logique implacable. Surtout quand la guerre et les arrestations rendent la vie plus incompréhensible que jamais. Pourquoi le père du petit Jean-Claude a-t-il été arrêté? Pourquoi sa mère, avec ses enfants, est-elle tombé sur un policier qui avait fini sa journée et qui voulait rentrer chez lui? Et d’ailleurs, le camion de la rafle était plein: ils sont rentrés chez eux. Une minuscule chance décisive, et absurde comme le crime.
Tout cela n’est pas ici mais dans la mémoire de Jean-Claude Grumberg qui, on l’a dit, est le plus grand auteur comique des tragédies d’aujourd’hui. Le petit Louistiti, donc, assommera sa mère seule, le Popa est juste parti définitivement au bistrot- des questions normales, c’est à dire existentielles où peut se cacher la tragédie. Ou pas. Pourquoi je m’ennuie ? Pourquoi j’arrive pas à dormir ? Pourquoi on mange pas ça et pas comme les autres ?

© Thomas O' Brien

© Thomas O’ Brien

En ce temps d’après-guerre dans les années cinquante, le peuple de France se refaisait une santé dans une langue savoureuse et populaire, aujourd’hui pleine de nostalgie et d’humour et l’auteur en a fait sa marque : « Terminus tout le monde descend », on n’en parle plus. Et on en parle encore. Surtout, «n’essayez pas de corriger les fautes et de remettre Moman en bon français correct. (…). Sachez que tout petit déjà, je détestais la grammaire. Et ma moman aussi la détestait sans la connaître. » Bon point de départ : la langue de Jean-Claude Grumberg est une langue vivante où les mots frétillent.

Hervé Pierre et Clotilde Mollet se sont emparés des saynètes de Moman 10 fois pour aller droit au cœur du théâtre : parler de choses importantes, faire rire et émouvoir, toucher juste avec les moyens du bord: Hervé joue la Moman et Clotilde, le fiston, sans aucun travestissement; il y a juste le jeu.  Nous ne vous raconterons pas les détails savoureux, les instants minuscules où Hervé Pierre teste furtivement ses capacités de féminité : il faut les voir en vrai. Affaire de confiance réciproque : on nous dit que c’est lui la Moman et on y croit, puisqu’on nous le dit et qu’il le joue avec toute la tendresse rude qui convient. Si on nous dit aussi que c’est elle, le fiston, on y croit, dans la clarté tranchante des questions d’enfants, l’angoisse de l’ennui, le «j’peux pas dormir». Et la peur cachée derrière la question : « Moman, pourquoi les méchants sont méchants ? » À celle-là, pas de réponse, même pas l’universel: parce que c’est comme ça» censé tout clore. Il faudra « s’adurcir». «Et ça, ça rend heureux, moman ? –Très beaucoup ! Mais quand même pas assez pour être heureux tout le temps. »

Noémie Pierre, formée à l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy, a aussi conçu la scénographie : un castelet à taille humaine pour ombres chinoises et acteurs, qui est aussi la chambre d’enfant avec ses dessins naïfs, l’appartement trop petit dans cet aussi petit amphithéâtre:on y est, c’est l’arène des : pourquoi, pourquoi. Et la musique de Thomas O’Brien, un écho doux et contemporain, un peu jazzy, un peu flonflon, comme celles qu’on pouvait entendre autrefois dans les bistrots aux Puces de la porte Clignancourt, au temps où on trouvait de quoi arranger sa vie pour pas cher…
Bref, une musique populaire, accessible, discrètement savante et répondant à la langue d’un grand auteur populaire. Et le public, penchés sur eux deux Moman et Louistiti, les entoure, s‘émeut et rit souvent. Ce rire-là est fait du touché juste, de la rencontre avec le vrai, où chacun se reconnaît petit enfant. Une soirée qui fait du bien et  qui fait plaisir, tout simplement.

Christine Friedel

La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.

Le théâtre de Jean-Claude Grumberg est paru en particulier aux éditions Actes-Sud et son roman Jacqueline Jacqueline aux éditions du Seuil (2021).

 

Assembly Hall mise en scène de Crystal Pite et Jonathan Young (en anglais, surtitré en français)

Assembly Hall mise en scène de Crystal Pite et Jonathan Young (en anglais, surtitré en français)

 

 Nous avions aimé les précédents spectacles de la compagnie Kidd Pivot dont le premier vu à La Colline en 2017,  (voir Le Théâtre du blog). Ici, une succession de tableaux dansés à l’exceptionnelle qualité où, pour des esprits cartésiens, il peut y avoir une absence de lien dramaturgique. Reproche que l’on a aussi fait aux créations de Philippe Genty, James Thierrée ou Joseph Nadj dans ce même Théâtre de la Ville où, à l’entrée, on cherche toujours des places à acheter.

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 Belle scénographie de Jay Gower Taylor: le vieux gymnase d’une ville américaine s’ouvrant sur une petite scène où se tient l’assemblée générale de L’Ordre bienveillant et protecteur, association et secte à la fois. Chaque membre doit voter, ou pas, la dissolution de l’association et la fin de leur fête calendaire de la Quête. Mais Dave hésite! Et tout ce monde bascule dans une folie pleine d’humour et surprises, au rythme du Concerto pour piano n°1 de Piotr Tchaikovsky. Est-ce un jeu de rôles ou le délire imaginaire de Dave ? À chacun sa vérité…

 Il faut se laisser aller à voir ces images loufoques rappelant celles, parodiques, des Monty Python dans  Sacré Graal ! Et parfois d’une grande beauté comme un ballet de danse classique. Un premier pas de deux suscite l’émotion et on reconnaît ici tout le talent de la chorégraphe. Certains solos sont d’une grande fluidité et virtuosité mais les mouvements, quelquefois saccadés, transforment les personnages en marionnettes vivantes.

 Cette chorégraphie est accompagnées d’un savant doublage : le texte dit par les acteurs est aussi dansé de manière parodique, ce qui donne un côté irréel. Les accessoires : casque médiéval, glaive… induisent de nouveaux tableaux. Brandon Alley, Livona Ellis, Rakeem Hardy, Greg Lau, Doug Letheren, Rena Narumi, Ella Rothschild et Renée Sigouin, sont tous exceptionnels. Cette création d’une heure trente, un peu déroutante, marquera pour longtemps l’imaginaire des spectateurs.

 Jean Couturier

 Jusqu’au 17 avril, Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, place du Châtelet, Paris (Ier). T. : 01 42 74 22 77.

Une Soirée chez Offenbach, texte et mise en scène de Martin Loizillon, musique et chansons de Jacques Offenbach.

Une Soirée chez Offenbach,  texte et mise en scène de Martin Loizillon, musique et chansons de Jacques Offenbach

Un scénario simple… Sur ce petit plateau, un  fauteuil, un pouf rouge rectangulaire devant un montant de porte en bois et, à cour, un piano pour l’accompagnateur. Le célèbre compositeur vit ici vivre une histoire d’amour avec une princesse étrangère qui arrive chez lui mais elle n’a pas bu que de l’eau… Dans le salon, elle a un faible pour Justin, le valet, ce qui ne plait guère à Jacques Offenbach…qui, très amoureux, va la faire chanter dans sa prochaine création. Arrive une catastrophe: le ténor est parti filer le grand amour et le compositeur va supplier Justin de le remplacer en urgence.

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Mais autre mini-catastrophe, il manque toujours une chanson et ils vont s’atteler tous les trois… Bref, un trio amoureux sur fond d’airs d’opérette et une petite intrigue, prétexte pour Nicolas Rigas à la belle voix de baryton-basse  (Jacques Offenbach), la soprano Clémentine Decouture ( la Cantatrice) et le ténor Guilaume Zhang ( le Valet) accompagnés par Félix Ramos,  à interpréter les airs les plus célèbres de La Vie Parisienne: (Paris nous arrivons en masse, A Paris nous nous précipitons ! A Paris, il faut nous faire place ! A Paris nous nous ruinerons.) La Belle Hélène  avec Ce n’est qu’un rêve  ou La Périchole : « Elle est là-bas cette contrée adorée, Où l’on voudrait vivre toujours ! Filons vers la terre promise ! Bonne brise ! Allons aux pays des amours !  » Mais aussi Les Contes d’Hoffmann… Des airs que nous connaissons tous mais sans savoir exactement à quelle œuvre, ils appartiennent.

Un spectacle bien mis en scène sur ce petit plateau par son auteur Martin Loizillon. Diction impeccable des chanteurs mais pas toujours de la soprano… Mais bon, cela passe et en un peu plus d’une heure, cette réjouissante bulle de savon  fait le plus grand bien et change des interminables et trop souvent prétentieuse créations théâtrales mal adaptées de romans… Ici, aucun fumigène ni micro H.F. et le bonheur d’entendre ces airs bien chantés de ces opérettes et opéras-bouffe du génial Jacques Offenbach né il ya deux siècles déjà mais qui ne cessent d’être joués qui font maintenant partie de notre patrimoine. Mais qui n’ont jamais eu les honneurs du festival d’Avignon. Dommage et tiens, une piste pour Tiago Rodrigues…

 Philippe du Vignal

Jusqu’au 27 mai, seulement les lundis à 19 h et les samedis à 16 h, Théâtre de Passy, 95 rue de Passy, Paris (XVI ème). T. :

Il y a aussi le lundi à 21 h dans ce même théâtre ContreBrassens de Pauline Dupuy

Cette contrebassiste  et chanteuse nous fait redécouvrir Georges Brassens en soixante-quinze minutes, avec des chansons autour du thème des femmes et de l’amour… Un court mais remarquable spectacle créé au festival d’Avignon il y a cinq ans (voir Le Théâtre du Blog). Depuis  Michael Wookey, l’a rejoint avec son banjo et ses claviers.

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