Le Conte des contes, d’après Le Conte des contes ou Divertissement pour les petits de Giambattista Basile,conception et mise en scène d’Omar Porras

Le Conte des contes, d’après Le Conte des contes ou Divertissement pour les petits de Giambattista Basile, adaptation et traduction de Marco Sabbatini et Omar Porras, conception et mise en scène d’Omar Porras ( à partir de douze ans)

Le spectacle du Teatro Malandro est une libre adaptation de Lo Cunto de li cunti, écrit en dialecte napolitain et publié entre 1634 et 1636, récit également connu sous le nom de Pentamerone, en référence au fameux Décaméron de Boccace où dix jeunes Toscans racontent cent histoires pendant dix jours,. Dans le Pentamerone, ce sont dix conteuses qui narrent cinq histoires pendant cinq jours. Souvent les plus anciennes versions de Cendrillon, Le Chat botté, Peau d’âne, Blanche Neige… enchâssées dans un récit-cadre, celui de Zoza, une princesse incapable de rire et pour laquelle le roi de Vallée Velue, son père, décide de trouver remède. Un récit avec nombre de thèmes apparaissant dans d’autres histoires du recueil, avec chez Giambattista Basile, un traitement burlesque pour faire rire, notamment l’élite de la cour de Naples. 

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©Lauren Pasche

Ici, Omar Porras met l’accent sur un univers baroque riche en couleurs et sur le langage gestuel qui prime sur la parole, avec lumières et musiques dans un tourbillon permanent de rideaux qui s’ouvrent se déroulent comme par enchantement ou se ferment. Tout est grossi, délirante et les scènes se succèdent à une cadence infernale. Le récit est pris en charge par une sorte de maître de cérémonie en costume noir et blanc; c’est une  version de l’Amour des trois oranges, popularisée par Gozzi au XVIII ème siècle. Ces contes choisis se passent dans la maison, au cœur d’une forêt, d’une famille de Nonola (un double imaginaire de Naples).  Il y a Monsieur et madame Carnesino, Prince leur fils qui ne parle pas et Secondine leur fille avec de grosses lunettes à monture noire, un Cuisinier et la Nourrice. L’auteur lui-même, est incarné par le Docteur Basilio qui va s’engager à guérir de la mélancolie, avec l’aide de sa famille, le fils aîné, en lui appliquant une thérapie par les contes…

Ici, il y a les thèmes récurrents de ces contes: l’éloignement puis le retour dans la famille, les voyages.  Mais ces histoires parlent aussi et avec une cruauté de la vie quotidienne comme ce lapin qu’on tue et déshabille d’un coup sec, la jeune Preziosa qui se coupe les mains, pour ne pas subir un inceste de son père, Zapatella la paysanne, qui n’a pas pu avoir d’enfant et adopte un serpent…

©Lauren Pasche

©Lauren Pasche

Le tout dans une remarquable scénographie signée Amélie Kiritzé-Topor, avec, en fond de scène deux portes coulissantes rappellent celles des pièces de Tadeusz Kantor, une cuisinière avec un gros fourneau noir où on voit le feu, un table de salle à manger nappée de blanc où il a plein de plats savoureux, des fauteuils, un piano droit où le père jouera parfois quelque note, une chambre froide, un long rideau brechtien… un autre rideau rouge vif en soie pour entrées et sorties des personnages et suspendu dans les cintres, tout un manège actif de chemises et linges qui sèchent. Et un autre grand rideau qui, dans un moment très poétique, s’envole en tourbillonnant dans des rafales de neige. Virtuose et ès impressionnant. Et il pleut quelquefois des paillettes dorées sur les personnages
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On se perd un peu dans le récit de ces contes et ces presque deux heures finissent par faire du surplace.  Omar Porras aurait pu  aussi nous épargner à la fin ces torrents de fumigène, la tarte à la crème actuelle.  Mais il a un métier incomparable et la moindre image est ciselée, les costumes et les lumières sont impeccables, la direction d’acteurs remarquable (mention spéciale à Philippe Gouin, le docteur Basilio, presque tout le temps en scène), le rythme soutenu et ces personnages, grotesques, sont pourtant tous crédibles, si on veut bien entrer dans cette magie du conte qu’il nous propose.
Omar Porras dit ne pas avoir lié forcément récit-cadre et ce qui se passe sur le plateau, mais bon, au début, tout va bien mais il a du mal à maîtriser le fantastique… Et la balance texte/ images ne fonctionne pas toujours si bien que la deuxième partie du spectacle piétine légèrement, même s’il sait créer comme d’habitude des images fabuleuses qui émerveillent le public souvent jeune de Nanterre. Il a fait une ovation debout méritées aux comédiens du Teatro Malandro.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 1er juin, Théâtre Nanterre-Amandiers, avenue Pablo Picasso, Nanterre ( Hauts-de-Seine). T. : 01 46 14 70 00. 


Archive pour mai, 2024

June Events 2024 (Suite)

June Events 2024 (Suite)

Shido, d’Aliféyini Mohamed-Lil’C

Cette soirée Outre-Mer nous a fait découvrir ces artistes venus de Mayotte et des Caraïbes. Le chorégraphe crée son premier solo,conçu en empathie avec son frère, autiste et qui ne parle pas. Le titre en shimahorais, langue parlée à Mayotte, signifie : miroir.  Il envisage son propre corps comme un laboratoire pour exprimer les émotions fraternelles: «Je suis celui qui n’est pas malade mais qui souffre.»  Sa performance, très physique tient d’un parcours jalonné de cailloux, comme des étapes émotionnelles traversées, d’îles et archipels explorés,  à la rencontre de son frère.

© Benedicte Kurzen

© Benedicte Kurzen

Accompagné par des musiques de jazz et des  airs traditionnels d’Ulrich Wolters, il se laisse porter, torse nu athlétique, par des énergies, retenues, ou plus expansives, guidé par les pierres qu’il rassemble. Ses gestes se font répétitifs ou soudain explosifs, comme saisis par la transe. Ce solo, encore un peu fragile, a été réalisé, sous le regard extérieur du danseur et chorégraphe Djodjo Kazadi. Une performance prometteuse… Le jeune artiste travaille à Mayotte avec la fabrique artistique Royaume des fleurs et il mène des ateliers de danse et expression corporelle en milieu hospitalier et à Mlézi Maoré Pôle Handicap.

Tropique du Képone, chorégraphie et interprétation de Myriam Soulanges et Marlène Myrtil

Sous des lumières intenses, deux étranges personnages, le crâne surdimensionné à la manière des extraterrestres de MarsAttaque de Tim Burton, semblent paresser sur leur transat, en dégustant une boisson bleue. Ambiance de plage… Des voix off à la radio ou des témoignages ,parlent de pollution, maladie, sol contaminé… Nous sommes en 2722, sous les Tropiques. Tout y est devenu bleu sous l’effet képon, nom commercial du chlorodécone : «Un insecticide organochloré utilisé dans les Antilles françaises de 1972 à 1993. »

© Fred Lagnau

© Fred Lagnau

Après avoir enquêté auprès d’un collectif d’ouvriers agricoles empoisonnés par le képone en Martinique, les danseuses-chorégraphes dénoncent ce scandale sous forme d’une uchronie déjantée. Porté par une dynamique de colère, le duo se projette dans des créatures monstrueuses, génétiquement modifiées, bleu toxique. Elles s’en donnent à cœur joie dans l’étrange et construisent une danse extravagante, parfois une peu décousue, entre ethnique et cabaret.
Avec cette pièce de cinquante minutes, elles affirment une esthétique afro-futuriste. Inspirée de la science-fiction et née dans les années soixante aux Etats-Unis chez les Afro-descendants, parmi les mouvements de contestation. Elle s’inscrit dans la mouvance du Américains le compositeur Sun Ra et le peintre Jean-Michel Basquiat. Ces cyborgs de Tropique du Képone sont plutôt sympathiques, et un rien provocatrices, plutôt amusantes. Puisant dans les veines de l’humour et de l’insolite, elles affichent un corps rebelle et une indomptable fierté noire.

Ces chorégraphes signent ici leur deuxième collaboration de lanceuses d’alerte-la première, Principe de précaution (2014), est toujours en tournée. Et Myriam Soulanges développe en Guadeloupe des projets avec son association Back Art Diffusion, en s’inspirant de son expérience et de témoignages sur les différentes formes d’oppression. Marlène Myrtil, elle, réalise en Martinique, avec sa compagnie Kaméléonite, des pièces traitant du patrimoine, de l’environnement et des fractures dans la société post-coloniale.

Mireille Davidovici

Shido, le 4 juin Les Rencontres à l’échelle, Marseille.

Tropique du Képone le 8 juin, Théâtre de l’Aire Libre, Saint-Jacques de la Lande (Ile-et-Vilaine).
Et du 10 au 14 juillet, Festival d’Avignon, Chapelle du Verbe Incarné-TOMA.

 

Aix, ville ouverte aux saltimbanques, célébration du cinquantenaire

Aix, ville ouverte aux saltimbanques, célébration du cinquantenaire

 

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A  Aix-en-Provence, Charles Nugue crée le Relais Culturel et avec Jean Digne, ils  voient bien que l’espace public peut aussi être un endroit pour les artistes, comme autrefois… Déjà, avant le festival d’Aurillac créé par Michel Crespin décédé et qui fêtera ses quarante-cinq ans cet été… En 72, le jeune Jean Digne, assez provocateur au meilleur sens du terme, ne doute de rien, surtout quand il a affaire à des créateurs et metteurs en scène, comme, entre autres, Jacques Livchine et Hervée  de Lafond.

 

Avec leur Théâtre de l’Unité, ils vont jouer L’Avare and co, d’après Molière en 72, à Aix-en-Provence et avant, ils font avec leurs acteurs, une parade sur le cours Mirabeau pour annoncer le spectacle. Succès immédiat auprès de gens qui n’allaient jamais dans une salle de théâtre. «Ils riaient bien fort à cette parade, dit Jacques Livchine. Jean Digne avait compris qu’un événement pouvait être inventé hors du théâtre… sur le cours Mirabeau. Et voilà comment est née en 73, Aix, ville ouverte aux saltimbanques et autres amuseurs, un des premiers théâtres de rue en Europe. » Molière qui a tellement navigué dans les villes du Midi aurait été heureux que la pièce française, la plus connue et la plus emblématique, ait donné naissance sous forme de parade, au théâtre de rue… juste trois siècles après sa création…

©x La Parade de L'Avare and co sur le cours Mirabeau

©x La Parade de L’Avare and co sur le cours Mirabeau (1972)

Tirant  aussi la leçon de mai 68, Jean Digne avait très vite senti, avec l’intuition qu’il a toujours eu,  ce que pourrait devenir le centre d’Aix et le cours Mirabeau, si des saltimbanques, musiciens, des cracheurs de feu, marionnettistes… petites troupes inconnues des institutions. Mais aussi des peintres et sculpteurs, avec des actions ou performances, ils allaient investir calmement cet espace public, avec le soutien de la municipalité aixoise.

© Philippe du Vignal

© Philippe du Vignal Aix en 74

Alors qu’à Paris, la police ne brillait pas par son intelligence et chassait sans aucune pitié des trottoirs, le moindre équilibriste ou jongleur  avec contrôle d’identité et amende à la clé (nous en avions été témoins). Grâce au ministre de l’Intérieur, le pathétique Raymond Marcellin, décoré de la Francisque puis résistant, qui obtint la dissolution en 68 de onze mouvements d’extrême gauche, et cinq plus tard, de la Ligue communiste et d’Ordre nouveau. Il durcit la politique d’immigration et fit aussi installer des micros dans les bureaux du Canard enchaîné et réprimer sans aucun état d’âme nombre de manifestations. Il gagna ainsi le surnom bien mérité  de « Raymond la matraque ». Et en 1971, toujours acharné, il poursuit en diffamation les éditions du Seuil et Denis Langlois, auteur des Dossiers noirs de la police française. Une autre époque ! Un autre monde où les politiques au pouvoir étaient intouchables.

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Heureusement, il y avait aussi une autre vie à Aix-en-Provence, ses places et son cours Mirabeau où le café des Deux Garçons, construit en 1792! et à l’époque les hauts platanes, tous encore en vie, ses hôtels particuliers comme l’admirable, Maurel de Pontevès (1648) avec ses portes et ses Atlantes. Et bien sûr, les merveilleux platanes centenaires, alors tous existants et en bonne santé…  Aix était loin de Paris: le TGV n’existait pas encore,  sinon le Marcellin aurait bien trouvé une raison pour faire annuler l’opération… Bref,  de 73 à 76, aucune ville de France ne connut une telle effervescence. Trois jours durant, avec l’appui de la municipalité, elle était transformée en un bel espace populaire de liberté, de tolérance, et de création… 

Jean Digne a sur trois années, invité le Théâtre de l’Unité, l’architecte et sculpteur Xavier Juillot, Pierre-Alain Hubert artificier, Jean-Marie Binoche, acteur, Michel Crespin avec le Théâtracide, qui créa ensuite le festival d’Aurillac,  les frères Annezo, collectionneurs aixois de boîtes à musique, les Blaguebolle, clowns  marseillais, le cirque des Frères Gulliver, Jules Cordières et son Palais des Merveilles, Pascal Sanvic et ses marionnettes, Bartabas, les célèbres clowns italiens Colombaïoni, Bruno Schnebelin   avec sa compagnie Ilotopie, l’écrivain et metteur en scène Guénolé Azertiope, la chorégraphe Odile Duboc, Franck Herscher, Roland Roure et sa crèche animée. Philippe du Vignal, décrété par Jan Digne écrivain public puis écouteur public..  Tous à l’époque peu ou mal connus qui doivent beaucoup à Jean Digne  et qui ont répondu à l’appel de Jean-Pierre Marcos.

© Ph. du Vignal

© Ph. du Vignal La boutique de l’écrivain public en 1973

« Pas de reconstitution historique ni même carnaval, disait Jean Digne, en mai 74. » Jean-Pierre Marcos, ancien directeur du Pôle Régional des Arts du cirque d’Amiens, a suivi le même principe pour lui rendre, avec une belle maestria cet hommage, autant qu’à cet événement rare, maintenant bien connu en Europe mais aussi au Japon et en Corée. Il y avait Michiko Tanaka, directrice d’un centre artistique et qui avait fait le voyage depuis là-bas et  aussi Hee Kyung Lee, critique et chercheuse coréenne qui vit et travaille à Lyon.

© Ph. du Vignal Ratapuce

© Ph. du Vignal   Ratapuce 1974

De nombreux amis de Jean Digne, Ratapuce (ci-dessous) à l’époque, acrobate et flûtiste du Palais des Merveilles de Jules Cordières cracheur de feu,  Catherine Tasca, ancienne ministre de la Culture, Bartabas,  Jean-Louis Courcoult,  le fondateur et directeur du Royal de Luxe, Edith Rappoport, Jacques Livchine et Hervée de Lafond, directeurs du Théâtre de l’Unité et bien sûr, Philippe du Vignal qui aurait dû reprendre ses fonctions d’écrivain public comme il y a cinquante ans… Mais la pluie en décida autrement. Manquait aussi, et c’était bien triste, Jean Digne très malade dans un E.P.H.A.D. à Paris; nous le verrons pourtant trente secondes à côté de sa fille Rebecca, avec une beau sourire, sur le portable de Jean-Pierre Marcos…

 
© Ph. du Vignal

© Ph. du Vignal Aix en 1974

Il y eut d’abord la projection de plusieurs courts-métrages consacrés à Aix ville ouverte aux saltimbanques, dont l’un, remarquable de 55 minutes: Jean Digne, la culture du Hors de d’Aïcha Ouattara, où elle met bien en valeur une démarche à la fois personnelle et artistique, loin des institutions. Avec une audace et une étonnante faculté de mettre à l’aise un interlocuteur ou une interlocutrice encore inconnus de lui quelques minutes avant… Il préférait toujours mettre l’accent sur l’artistique, et savait déléguer les problèmes d’intendance qui ne l’intéressaient guère… Puis il y eut une promenade des amis de Jean Digne sur le cours Mirabeau,  avec la fanfare Fiera Bras, des musiciens qui avaient joué avec Blaguebolle, le cirque Gulliver et le Théâtre de l’Olivier, devant la statue, œuvre de François Truphème (1820–1888), sculpteur aixois et titrée: Arts et Sciences, à l’entrée du cours Mirabeau. Rapatapuce/Caroline Simmonds se joignit à eux à la  flûte… Puis Fiera Bras s’en alla jouer dans les rues et sur les places d’Aix.

© Jean-Pierre Marcos

© Jean-Pierre Marcos

Plus loin sur le cours Mirabeau, la compagnie Ilotopie avait installé ses Grandes oreilles de couleur où on pouvait se lover pour entendre la voix de Jean Digne: bien vu et singulièrement émouvant. Comme si le temps s’était arrêté… Et, non loin de la place de l’Hôtel de Ville, La Bulle de Jean ou la Pensée enveloppée, une installation de gros tubes en polystyrène gonflés de Xavier Juillot.  Brigitte  Burdin et Gilles Rhodes avec leur petit théâtre à manivelle déroulant des images, racontèrent L’Histoire rocambolesque du Capitaine Thomas Sankara qui prit le pouvoir  au Burkina Faso. Président, il voulut faire évoluer son pays, notamment en faisant planter des arbres dans le désert et en donnant un pouvoir réel au peuple. Mais il mourut assassiné par un de des amis.

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©x Brigitte Burdin et Gilles Rhodes

Enfin Pierre-Alain Hubert, magicien et artificier, offrit son Chapeau Volcan comme gâteau d’anniversaire et Jean-Luc Courcoult prononça un petit discours en l’honneur de Jean Digne. Simple et loin de toute prétention, cet hommage, bien préparé, est dû à tout un travail en amont de Jean-Pierre Marcos, qu’il faut encore remercier.

Philippe du Vignal

Remerciements chaleureux à Catherine Dechavannes et Philippe Gauthier.

Cette célébration a eu lieu le 17 mai à Aix-en-Provence  ( Bouches-du-Rhône).
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© Philippe du Vignal  Ratapuce


Comment ça commença
, de Floriane Gaber, éditions Ici et là (2009)

Aix, ville ouverte aux saltimbanques de Philippe du Vignal dans Autrement, La Fête, cette hantise. Dossiers trimestriels 7/76.

Que sont les irruptions devenues de Nathalie Bentolila, entretien avec Jean Digne, Rue, Art, Théâtre, Cassandre, Hors les Murs/Parc de la Villette, octobre 1997.

 

Spectres, des pièces de Lucinda Child, Bruno Bouché, William Forsythe

Spectres, des pièces de Lucinda Child, Bruno Bouché, William Forsythe

Ce beau programme imaginé par Bruno Bouché, directeur artistique du Ballet de l’Opéra national du Rhin, nous a permis après l’entracte, de revoir Enemy in the figure, une œuvre majeure du grand William Forsythe, présent ce soir-là. En coproduction avec le théâtre du Châtelet et le Ballet de Francfort que l’artiste américain dirigeait, cette pièce a été, en 89, un choc esthétique et émotionnel pour nous tous. Depuis, Enemy in the figure est entré au répertoire de la compagnie nationale d’Espagne, du Ballet de Monte-Carlo, du Ballet de l’Opéra de Lyon… Et il a été présenté au festival d’Avignon 91 mais William Forsythe qui en avait aussi créé la scénographie, les costumes et lumières, avait refusé l’esthétique des hauts murs de la Cour d’honneur et avait gardé la boîte noire originale.

©  © Agathe Poupeney

 © Agathe Poupeney

Ici, cette re-création par le Ballet du Rhin, sur une musique de Thom Willems, est une vraie réussite. Avec un travail très technique, elle n’a pas à rougir de celle de ses illustres aînés et nous avons retrouvé avec bonheur le tourbillon de lumière permanent généré par douze interprètes qui font glisser un projecteur sur le sol traversé par un châssis de bois ondulé. Cette lumière mobile crée de belles ombres portées. La danse est partout, et les murs à cour et à jardin, accueillent les danseurs qui ressemblent à des araignées géantes.

Songs from Before, premier ballet de cette soirée, nous ramène aux origines de sa création en 2009 par Lucinda Childs avec le ballet du Rhin. Entre les morceaux de musique de Max Richter, on entend la voix de Robert Wyatt lisant les extraits d’un texte d’Haruki Murakami. Les danseurs traversent lentement le plateau, occupé par de grands châssis verticaux mobiles en lamelles de miroir. Parfois, il y a un furtif pas de deux hypnotique qui soulève l’enthousiasme du public. Et, entre ces pièces emblématiques, Bless-ainsi soit-IL (2010) qui a lancé la carrière de Bruno Bouché. Une partition de Jean-Sébastien Bach, jouée au piano et en direct, accompagne un duo sensuel entre l’Ange (Cauê Frias) et Jacob (Marin Delavaud). Le Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt renoue ici avec les grandes heures chorégraphiques du passé.

 Jean Couturier

Ce programme a été présenté du 22 au 25 mai, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, place du Châtelet, Paris (Ier). T. : 01 42 74 22 77.

 

Festival June Events Vagabundus, conception et chorégraphie d’Idio Chichava

Festival June Events (suite)

Vagabundus, conception et chorégraphie d’Idio Chichava

Un spectacle venu du Mozambique avec treize interprètes. Idio Chichava, issu de la danse traditionnelle, vit entre le Mozambique et la France où il a collaboré avec de nombreux artistes. Revenu dans son pays, il s’est senti en décalage par rapport à la réalité du terrain, comme un danseur des rues qui aurait perdu ses racines. D’où le titre de sa pièce, Vagabundus. «Il a un double sens:  mouvement du corps et déplacement de la personne, d’un endroit à un autre. C’est aussi, dit-il, un mot péjoratif au Mozambique pour qualifier celui qui n’a pas de destin et ne vaut rien. »

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Le chant avec de fortes et belles voix donne une musicalité à cette création; s’y ajoute le bruit des pieds qui frappent le sol en rythme.  Ce rapport à la terre est important : «La terre frappée, dit-il, fait partie de notre culture traditionnelle et le bruit réveille les couches successives de nos ancêtres sous nos pieds.» Au Mozambique, il y a plusieurs langues, trente-sept ethnies. Les danses sont accompagnées de tambours et les interprètes sont masqués et costumés.

Ici, nous découvrons une chorégraphie brute, envoûtante mais… à la lisibilité difficile. Les accessoires : panier, pneu, caddy, bâton… utilisés au début et à la fin par chacun ,s’avèrent être des objets-mémoires que ces artistes auraient emportés avec eux, dans une migration forcée. Nous retiendrons surtout la force des danses de groupe mais aussi la grande justesse de leur voix.

Jean Couturier


Spectacle vu le 23 mai. Jusqu’au 8 juin, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro Château de Vincennnes + navette. T. : 01 41 74 17 07. www.atelierdeparis.org

 

 

Exposition Jean-Michel Ribes, un pas de côté à la BnF François Mitterrand

Exposition Jean-Michel Ribes, un pas de côté,  à la BnF François Mitterrand

L’an passé, la BnF a accueilli les archives personnelles que l’auteur, réalisateur et metteur en scène lui a offertes. Il créa en 1966 la compagnie du Pallium, avec le peintre Gérard Garouste et le comédien Philippe Khorsand. Il écrite yt monte sa première pièce, Les Fraises musclées, avec, entre autres, Roland Blanche, Jean-Pierre Bacri, Tonie Marshall, Gérard Darmon et Philippe Khorsand.

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Il revendique alors l’influence de Dada, de l’Oulipo mais aussi celle de  Roland Dubillard et Raymond Queneau: «Les gens se dérangent pour venir au théâtre, disait-il, la moindre des choses, c’est qu’on les dérange à notre tour. » En 71, Jean-Michel Ribes met en scène une pièce de lui, Il faut que le sycomore coule avec Jean-Paul Farré  puis  écrit et monte à La Gaieté-Montparnasse, Les Fraises musclées avec Andréa Ferreol, Micheline Presle, Roland Blanche… Toujours avec fantaisie, humour et un certain sens de la subversion qui devinrent sa marque de fabrique. Il met aussi en scène des auteurs contemporains comme Sam Shepard, Copi, Roland Topor, Jean-Claude Grumberg, Fernando Arrabal. Et en 83, il crée, avec Roland Topor, Jean-Marie Gourio, François Rollin et Gébé, les séries Merci Bernard pour FR3, et Palace pour  Canal+.  Il a aussi réalisé quatre longs métrages dont Chacun pour toi avec Albert Dupontel et Jean Yanne et Musée haut, Musée bas,  tiré de sa pièce éponyme créé au Théâtre du Rond-Point.

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 Un lieu que Jean-Michel Ribes a dirigé pendant vingt-et-un ans, de 2002 à 2022,  un record! Avec dans trois salles, une grande, une moyenne et une petite, surtout des créations de ses pièces, ou d’auteurs comme Kadoc de Rémi De Vos, une virulente satire sociale avec Marie-Armelle Deguy et Jacques Bonnaffé. Il accueillit souvent de grands spectacles  un peu hors-normes comme entre autres, ceux de Jean-Baptiste Thierrée. Et en 2011, il osa prendre des risques en accueillant Golgota Picnic de Rodrigo Gracia qui suscita de violentes manifestations autour du Rond-Point, à cause d’un Christ…peu orthodoxe. Mais aussi aussi des spectacles de magie, des concerts comme celui de Michel Legrand, etc. Jean-Michel Ribes réaménagea la librairie avec les éditions Actes-Sud  et fit refaire le restaurant. On se perdait un peu dans une programmation foisonnante mais de qualité, et le public était bien au rendez-vous: Jean-Michel Ribes aura réussi à faire de ce lieu ce qu’il voulait: un centre de création, avec de remarquables acteurs et metteurs en scène comme entre autres,Pierre Arditi, François Berléand…

Dans cette exposition  réalisée  avec grand soin et intelligence par les commissaires Lise Fauchereau et Hélène Keller, conservatrices au département Arts du Spectacle à la Bnf,  c’est tout un long parcours d’acteur et metteur en scène qui renait ici… depuis le petit Théâtre de Plaisance dans le XIV ème à Paris aujourd’hui détruit- là où débuta aussi Jérôme Savary- jusqu’à ce théâtre important qu’est devenu le Rond-Point. Il y a aussi dans des vitrines horizontales, un de ses bien connus petits chapeaux ronds violet, de nombreux carnets personnels, des manuscrits, dessins, photos et maquettes de décors et costumes. Et sur grand écran, des extraits vidéo de spectacles, un peu courts mais bon… Ici, tout un pan de l’histoire du théâtre contemporain avec ses artistes défile devant nous: c’est assez rare et vaut vraiment le coup d’aller jusque là.
Philippe du Vignal

Jusqu’au 15 septembre, Galerie des donateurs, BnF quai François Mauriac Paris (XIII ème). Entrée gratuite. Attention, seule l’entrée Est est ouverte: à sept minutes du métro Bnf François Mitterrand, ligne 14.

 En parallèle, du vendredi 31 mai au dimanche 2 juin, au petit auditorium, septième édition du festival de la BnF imaginée par Jean-Michel Ribes. Avec la projection du film Chacun pour soi, des captations de spectacles mais aussi des lectures de textes de Roland Dubillard, Raymond Queneau, Roland Topor et.. lui-même lus par ses acteurs Pierre Arditi, André Dussollier, François Marthouret, François Morel, Christine Murillo, Marie-Christine Orry… Gratuit pour les détenteurs d’un Pass BnF.  Programme détaillé sur  bnf.fr  

Festival June Events Jimmy chorégraphie de Pierre Pontvianne

Festival June Events

Jimmy, chorégraphie de Pierre Pontvianne

 Jimmy C Park

© Parc

Après les solos Janet on the Roof, et Œ, ou le trio Kernel ou encore le spectacle de groupe Percut, des pièces fondées sur de tumultueux flux vibratoires, Pierre Pontvianne présente une création, en complicité avec ses fidèles membres de Parc, sa compagnie stéphanoise : Victor Mandin (lumières) et Pierre Treille (décor).  » Je ne cherche, dit le chorégraphe, ni du sens ni de l’étonnement, je cherche la collision entre les deux. »  Propos qui résume ce solo confié à Jazz Barbé, et fait de tensions entre de mystérieuses sonorités et un corps, prisonnier de cette atmosphère, comme d’un espace en format panoramique, réduit dans sa hauteur par une longue barre de fer. Une date énigmatique s’inscrit à jardin :  MCMLXXX, celle de la naissance du chorégraphe.

Sous un bonnet bleu dissimulant le haut de son visage, la tête du danseur semble lourde et l’entraîne au sol, qu’il ne quittera plus pendant cinquante minutes. Bruits mécaniques, et crépitements continus soutiennent les gestuelles répétitives: roulades au ralenti ou en accéléré, mouvements des mains, torsions des membres. De subites explosions, puis un noir brutal, déclenchent des formes plus convulsives.
Ce corps sans regard et seul, apparaît comme un isolat sensible aux variations du monde qui l’entoure et chaque détail physique fait signe : telle position des doigts, tel croisement des bras, tel soubresaut du torse requièrent toute l’attention du spectateur sous le charme des paysages fictifs qu’ils engendrent…

 Qui est Jimmy ? Un être sans visage au corps serpentin qui nous entraîne dans une rêve (ou un cauchemar) éveillé, à la merci des grondements sourds de l’époque… La guerre ou un autre cataclysme, n’est pas loin quand une sourde lumière rouge s’insinue sur le sol blanc et que Jazz Barbé lève les bras, comme pour se rendre à un adversaire fantôme. A chacun de se raconter sa propre histoire autour de cette pièce insolite, écrite et interprétée au cordeau. «J’aime dire que je propose des formes “réceptaculaires“ et non “spectaculaires“ », dit le chorégraphe. Il faut aller découvrir son travail.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 23 mai, à l’Atelier de Paris, 2 route du Champ de Manœuvre, Cartoucherie de Vincennes. Métro : Château de Vincennes + navette gratuite. T. : 01 41 74 17 07.

 Le festival June Events se poursuit jusqu’au 8 juin.

Adieu Dominique Dupuy

Adieu Dominique Dupuy


Ce danseur et chorégraphe français est mort ce mois-ci à quatre-vingt-treize ans, un an et demi après son épouse Françoise Dupuy qui l’a toujours accompagné dans son parcours. Il avait travaillé en France avec le chorégraphe allemand Jean Weidt (1904-1988) après la dernière guerre pour Cellule. Il  fonda sa première compagnie: Françoise et Dominique, puis les Ballets modernes de Paris, en 55  et créa le festival des Baux-de-Provence sept ans plus tard.. Puis il fut inspecteur de la danse au ministère de la Culture de 89 à 91.

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On l’a oublié mais Dominique Dupuy a été, et avant tout le monde, le seul à accueillir dans son studio de danse à Paris, un chorégraphe américain alors inconnu… Merce Cunningham (1919-2009) qu’il fit programmer au Théâtre de l’Est Parisien.
Il a eu aussi une activité pédagogique intense et créa en 69 le centre de formation des Rencontres internationales de danse contemporaine et en
1995, le Mas de la danse à Fontvieille, lieu de résidence avec studios, etespace de recherche dont l’activité cessa en 2008. Il fit appel à de nombreux praticiens mais aussi à des critiques et historiens de la danse, comme Laurence Louppe dont il était proche.

Il créa, souvent influencé  par le cirque et le théâtre, de nombreux spectacles comme, entre autres  Ballum circus (1986), Solo-Solo (2010) et  plus récemment à Chaillot, Acte sans paroles 1 de Samuel Beckett (2013) qu’il admirait beaucoup.voir Théâtre du Blog. Il avait connu Jean Martin qui joua Lucky dans En attendant Godot à la création en 53 , mise en scène de Roger Blin et il nous offrit un petit livre où l’acteur raconte entre autres, son amitié avec Beckett.
Très soucieux de transmettre les éléments qui avaient été à l’origine de la danse contemporaine, il donna aussi de nombreuses conférences.
Sous l’influence de Jerome Andrews, Dominique Dupuy avait beaucoup réfléchi et théorisé sur ce pouvait être une «pratique circulaire du corps avec des échanges fonctionnels permanents», comme l’a bien analysé Laurence Louppe dans Poétique de la danse contemporaine
: «Parmi les phases de la respiration, il porte une attention particulière à l’expiration, non seulement par ce qu’elle nourrit la décharge d’un geste mais parce qu’elle touche à le sensation de l’air comme passage et donc à la perte : l’ai n’est pas un acquis, il est repris mais non conservé . Il est restitué, reperdu par le processus d’élimination et l’accent qu’on lui donne. (…) Car il y a, poursuit Dominique Dupuy, «dans l’essoufflement une passion interne, qu’il serait intéressant de provoquer volontairement.  (…) Enfin, l’expiration nous conduit au vide, au Mâ de la respiration. Ce moment de vide assumé n’a rien à voir avec le souffle coupé, le hors-d’haleine. C’est un instant de qui-vive, de suspension du temps, où l’on est dans l’attente de vivre un instant de plus. » 

Après avoir surtout vécu en Provence, il préféra revenir à Paris, d’abord dans une belle maison du XX ème puis à Saint-Germain-des-Prés où il est mort. Mal connu du grand public, il laissera le souvenir d’un artiste et d’un passeur intransigeant, peu enclin aux concessions mais curieux et très proche des arts plastiques comme du théâtre (il suivit les cours de Charles Dullin au Théâtre de l’Atelier). Cette véritable icône de la danse contemporaine en Europe et aux Etats-Unis aura eu une grande influence sur les jeunes danseurs et chorégraphes du XX ème siècle.

Philippe du Vignal

Ils sont partis. Françoise puis l’autre, Dominique son compagnon. Jusqu’au bout, ils ont inventé la danse contemporaine. Pour eux, dans un ordre profondément inscrit dans le corps de chacun, pour nous, élèves amateurs, un peu dans le désordre jusqu’à trouver la bonne respiration et le bon mouvement de la colonne vertébrale. Dominique pouvait passer une heure pour nous amener à bouger entre la quatrième et la cinquième vertèbre dorsale,  à prendre conscience de notre corps dansant, toujours dansant même dans l’immobilité.

©x

©x Franççoise Dupuy

Françoise Dupuy aussi: qu’est-ce qu’être debout, sinon agir encore et encore, se grandir, encore et encore, tiré par la verticale ?
Dans la troupe, Delphine Rybinski (qui exerce toujours), nous apprenait, sans le dire, que tout est danse : l’exercice d’échauffement, les étirements sont déjà de la danse.  Partant du milieu du corps, inspirer, souffler… provoque, construit, dessine le mouvement.

J’ai suivi leurs ateliers pendant neuf ans, entre trente et quarante ans. J’ai pu reprendre la danse vers soixante ans, rassurant mes «vieilles» collègues de trente-neuf ans. Et ce n’est pas fini… Cette danse-là, comme le yoga ou d’autres disciplines corporelles, vous accompagne toute la vie, vous porte, vous équilibre. Merci tous les jours, à Françoise et Dominique.

Christine Friedel



Album de Françoise et Dominique Dupuy, et
Poétique de la danse contemporaine de Laurence Louppe.

 

Festival A Vif à Vire Fille de , texte et jeu Leïla Anis, mise en scène et scénographie de Justine Bachelet

Festival A Vif à Vire

Fille de, texte et jeu Leïla Anis, mise en scène et scénographie de Justine Bachelet

L’autrice et comédienne raconte comment, à quinze ans, elle a dû quitter le Burundi pour atterrir dans une petite ville française. Un voyage plein d’embûches qui la mènera jusqu’à la scène. Justine Bachelet a  fait appel à un dispositif scénique de théâtre d’objets, ce qui permet à la narratrice de trouver la bonne distance, avec la part autobiographique de son récit. Elle revient minutieusement, heure par heure, au jour J où sa mère, Française, plie bagage et l’embarque, elle et son petit frère (qui ne s’en remettra jamais), loin du père, de l’autre mère“, et de la sœur ainée….

(c)Geoffrey Posada Serguier

(c) Geoffrey Posada Serguier

Justine Bachelet (nommée dans la catégorie révélation féminine aux Molières 2024, pour son jeu dans d’Après la répétition/Persona d’Ivo van Hove) a dirigé Laïla Anis avec une précision horlogère. De petites figurines conçues par Cécile Paysant incarnent les fugitifs : l’actrice leur prête sa voix et les entasse dans une voiture miniature qui les emmènera vers l’inconnu…Des pancartes suspendues progressivement à un portique, rythment les épisodes avec autant de questions qui jalonnent son chemin :“Quoi? Pourquoi je pars? Qu’est-ce que je quitte? 9 juin 1999 minuit Trou noir Est-ce que j’ai peur de me souvenir?”

Ce trou noir, Laïla Anis le comblera quatorze ans plus tard quand elle sera devenue comédienne et écrira Fille de. Elle y raconte sa difficile adaptation, la folie du petit frère, l’incompréhension de la sœur ainée, l’ire du père. Puis la progressive métamorphose de la petite émigrée timide, en étudiante assidue, puis en actrice accomplie.

©Geoffrey Posada Serguier

©Geoffrey Posada Serguier

Le récit vivant, fait de détails imagés, interroge l’exil au féminin et les stéréotypes de genre. L’écriture syncopée et à fleur de peau, dit la brutalité du déracinement. Le public est happé par le phrasé de la comédienne: «6 octobre 1999 Premier jour vers l’oubli Matin Sud France Sale solitude Froid Quinze ans et demi Mal de ventre Parking d’un lycée de province Fébrile Avance ! Tiens fermement ton sac à dos et avance ! Le groupe est à cinquante mètres de toi Nuage de fumée au-dessus de leurs têtes coiffées à la mode Pétards au bec, accoudés à leurs scooters, tu regardes leurs dialogues muets Tout sonne juste dans leur bouche Tu donnerais tout pour paraître «juste» ici ».
Conçu pour être joué dans des centres sociaux, lieux associatifs, écoles… Fille de touche au plus près les jeunes gens dont certains ont vécu le même traumatisme. C’est aussi une leçon de vie pour les autres. Avis aux programmateurs…

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 22 mai au lycée Jean Mermoz à Vire ( Calvados).

 Du 21 au 28 mai, Festival A Vif,  au Préau-Centre Dramatique National de Normandie-Vire, 1 place Castel, Vire (Calvados). T. : 02 31 66 16 00.

 

 

Mazùt, mise en scène de Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias

Mazùt, mise en scène de Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias

 Les metteurs en scène de la compagnie Baro d’evel avaient créé cette pièce en 2012 et elle est reprise ici avec d’excellents interprètes: Julien Cassier et Valentina Cortèse. «Mazùt représente un tournant dans notre recherche et nous a permis de continuer à décloisonner ses langages, disent-ils. Dans une affirmation du travail avec la matière, tout ici fait trace et nous voulons à créer avec le dispositif scénographique et sonore, une immersion totale dans le spectacle.» Comme chez Jacques Tati ou dans les premières pièces de Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps, ici tout fait sens: langage du corps, accessoires,bruits…quelques dialogues et des silences, ces moments devenus rares dans notre société connectée à outrance.

© Lauren Pasche

© Lauren Pasche

Thomas Pachoud «ingénieur gouttes » crée la musicalité de la pièce. Des gouttes d’eau tombant des cintres dans des boîtes de conserve pour éviter une inondation, créent le rythme…. Cette machinerie aquatique va totalement perturber une réunion de travail entre un bureaucrate, Monsieur Bernardo et sa secrétaire Murielle. Tout comme une mouche écrasée sur une imprimante changeait la destinée d’une homme dans le film Brazil de Terry Gilliam (1985), ici les objets du quotidien une chaise, une table…ont leur propre vie comme ces cartes géographiques, qui vont faire basculer la vie bien réglée des personnages et formeront une immense toile.

 Une grande tendresse lie cette femme et cet homme qui cherchent à se rassurer devant ce qui leur arrive: «Cela va?» répètent-ils. L’humour et la poésie des situations burlesques nous emportent. «Que cherche-t-on exactement? On ne peut pas tout remettre en question?» Ces phrases résument bien le bouleversement de leur quotidien. Les personnages, aux gestes précis et toujours signifiants, jouent comme des enfants et nous les suivons avec plaisir dans ce voyage d’une heure au pays de l’absurde.

 Jean Couturier

 Jusqu au 2 juin, Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle, Paris (X ème). T. : 01 46 07 34 50.

 La compagnie Baro d’evel créera au festival d’Avignon Qui som? du 3 au 14 juillet.

 

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