Dom Juan de Molière, mise en scène de Macha Makeieff

Dom Juan de Molière, mise en scène de Macha Makeieff

Une des pièces-phares de Molière créée en 1665 et qui a été très souvent jouée (voir Le Théâtre du Blog) , sauf à la Comédie-Française.  Ici un salon/salle à manger/chambre avec lit clos, le tout très en avant sur le grand plateau où cette tragi-comédie se jouera. Et où dont Dom Juan et Sganarelle resteront comme enfermés et Macha Makeieff nous montre le grand séducteur y emmener ses conquêtes. Comme cette jeune femme que nous verrons  sortant du lit.
A jardin, une table basse estrade vert d’eau,
 trois doubles mais étroites portes battantes comme celle des Femmes savantes que Macha Makeieff avait monté (voir Le Théâtre du Blog), portes elle-mêmes héritées du fameux Lapin-Chasseur créé par elle et Jérôme Deschamps. Et au tout début, on voit Sganarelle et Gusman, le frère d’Elvire entrer et sortir sans raison apparente.

©x

©x Dom Juan et Sganarelle

Au centre, une très haute porte-fenêtre donnant sur mur peint qui changera de couleur pendant le spectacle sous des lumières bleue, rouge… Et à cour, une autre porte  invisible et secrète dans une paroi couverte de papier peint. Sur le plateau, quelques sièges, un très mince guéridon; au centre du mur, une petite vitrine où est posé un corbeau naturalisé qu’on fera sortir par deux fois comme une menace de mort. En haut, deux fenêtres où un valet noir regarde de temps à autre ce qui se passe en bas avant qu’un rideau ne s’abaisse. Comprenne qui pourra ces effets-gadget. Aussi sur le plateau, un petit tabouret, un mince guéridon noir, ensuite un prie-Dieu  tout aussi noir que deux gros cierges allumés et où s’agenouillera Dom Juan.  Enfin une grande croix en bois, elle encore aussi noire, descendra des cintres et y remontera quelques minutes après.

Cela pouvait être une bonne idée de comprimer l’espace de jeu et Dominique Pitoiset l’avait fait pour un mémorable Tartuffe. Nous verrons donc tous les personnages de la pièce jouer souvent frontalement dans ce lieu unique; y compris dans une mise en abyme du théâtre, la scène sur la plage avec Charlotte (Xaverine Lefebvre)  et Pierrot ( Joaquim Fossi)  assis sur un banc posé sur une petite scène à tréteaux vert d’eau devant des paravents, que regarde Dom Juan d’un air détaché. Ou la rencontre dans la forêt, la rencontre entre des bandits et un des deux frères d’Elvire, que sauvera de  la mort le grand séducteur. Ou encore la scène avec le mendiant dans la forêt, ou celle avec la fameuse statue du Commandeur interprétée par Xaverine Lefebvre en habit masculin argenté très XVIII ème: un clin d’œil évident aux célèbres Liaisons  dangereuses, le fameux roman de Choderlos de Laclos paru plus d’un siècle après Dom Juan.  
 
©x Dom Juan et Charlotte

©x Dom Juan et Charlotte

Cela commence bien mal avec comme une sorte de prologue sur musique rock où Sganarelle entre et sort sans raison par ces portes battantes. L’ensemble  manque singulièrement d’unité et de rythme et à vouloir tirer la pièce vers le burlesque,  Macha Makeieff semble s’être surtout fait  plaisir… Mais comment sur ces bases fausses, cela pourrait-il fonctionner? Les acteurs  font leur boulot avec souvent plusieurs rôles mais surjouent. Et la distribution est inégale.  Xavier Gallais, imposant physiquement en costume noir, semble ne pas être très à l’aise et, mal dirigé, accentue gestuellement toutes ses répliques ou presque! Pour faire croire davantage à son personnage de séducteur épuisé? Mais Vincent Winterhalter joue avec  intelligence et sensibilité ce personnage équivoque de Sganarelle.  Tout le temps en scène, il s’impose vite: excellente diction, excellente gestuelle et il reste crédible jusqu’au bout quand affalé sur un vieux fauteuil, il  réclame en vain ses gages. Mais dans les deux scènes avec Dom Juan, Irina Solano  (Elvire) n’est pas vraiment  convaincante.
Que sauver de ces deux heures longuettes où même  la fin, avec  le Commandeur arrivant chez Dom Juan, est ratée… Le décor sera ensuite appuyé,  et sur la scène nue, restera un brasero avec de vraies flammes ( pour évoquer l’enfer?) avec  au fond et de dos, les personnages…
  Ce Dom Juan a un côté sec et démonstratif,  du genre: vous allez voir ce que vous allez voir quand je m’empare, moi femme et metteuse en scène reconnue, de cette pièce mythique.
Désolé, Macha, nous n’avons pas vu Dom Juan…mais une sorte d’avatar et de lecture personnelle de la pièce, « avec la représentation d’
un personnage poussé vers le mal. Au théâtre, la figure du salaud est une grande et belle figure qui nous intéresse. Elle reste humaine et c’est pour cela qu’elle nous fascine ».

Mais pourquoi souligner nombre de répliques avec de la musique, ce qu’on fait dans une école de théâtre pour aider les élèves mais pas sur une scène?  Et pourquoi  ces criailleries trop fréquentes et absolument inutiles? Quant aux costumes en particulier, la jupe-pantalon rouge d’Elvire- ils sont loin d’être une réussite! et c’est un euphémisme. 
 Plus grave, il n’y a jamais ici la moindre émotion, même dans les scènes entre Elvire et Dom Juan. Où Macha Makeieff veut-elle nous emmener? Même si ce spectacle est précis, on l’aura connue mieux inspirée… Ce qu’elle dit du théâtre en général est juste: «C’est un lieu de folie, on se consume ensemble, c’est une géographie absolument étonnante : on entre dans le noir, on s’assoit à côté de quelqu’un qu’on ne connait pas, et on va expérimenter quelque chose de l’existence, et ce partage-là n’existe qu’au théâtre. »  Mais ici, il ne se passe rien, ou si peu. Et aux saluts, le public était partagé: il y a eu plusieurs rappels mais beaucoup de spectateurs qui ont à peine applaudi, ne devaient pas y trouver leur compte: ce spectacle par ailleurs bien réalisé, ne fait pas vraiment sens….
Reste le texte de Molière avec cette langue magnifiquement scandée. Et plus de trois siècles après sa création, nous la savourons à chaque fois avec le même bonheur.  Cette mise en scène  trop souvent pléonastique de Dom Juan ne fera pas date et quant à  » la trace physique, physiologique laissée sur le public » qui importe à Macha  Makeieff, que nenni! Dommage et elle avait bien mieux réussi son coup avec Les Femmes savantes... A vous de choisir.
 
Philippe du Vignal
 
Jusqu’au 19 mai, Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon , Paris ( Vi ème).  T. : 01 44 85 40 40.          
 

Archive pour 8 mai, 2024

Dom Juan de Molière, mise en scène de Macha Makeieff

Dom Juan de Molière, mise en scène de Macha Makeieff

Une des pièces-phares de Molière créée en 1665 et qui a été très souvent jouée (voir Le Théâtre du Blog) , sauf à la Comédie-Française.  Ici un salon/salle à manger/chambre avec lit clos, le tout très en avant sur le grand plateau où cette tragi-comédie se jouera. Et où dont Dom Juan et Sganarelle resteront comme enfermés et Macha Makeieff nous montre le grand séducteur y emmener ses conquêtes. Comme cette jeune femme que nous verrons  sortant du lit.
A jardin, une table basse estrade vert d’eau,
 trois doubles mais étroites portes battantes comme celle des Femmes savantes que Macha Makeieff avait monté (voir Le Théâtre du Blog), portes elle-mêmes héritées du fameux Lapin-Chasseur créé par elle et Jérôme Deschamps. Et au tout début, on voit Sganarelle et Gusman, le frère d’Elvire entrer et sortir sans raison apparente.

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©x Dom Juan et Sganarelle

Au centre, une très haute porte-fenêtre donnant sur mur peint qui changera de couleur pendant le spectacle sous des lumières bleue, rouge… Et à cour, une autre porte  invisible et secrète dans une paroi couverte de papier peint. Sur le plateau, quelques sièges, un très mince guéridon; au centre du mur, une petite vitrine où est posé un corbeau naturalisé qu’on fera sortir par deux fois comme une menace de mort. En haut, deux fenêtres où un valet noir regarde de temps à autre ce qui se passe en bas avant qu’un rideau ne s’abaisse. Comprenne qui pourra ces effets-gadget. Aussi sur le plateau, un petit tabouret, un mince guéridon noir, ensuite un prie-Dieu  tout aussi noir que deux gros cierges allumés et où s’agenouillera Dom Juan.  Enfin une grande croix en bois, elle encore aussi noire, descendra des cintres et y remontera quelques minutes après.

Cela pouvait être une bonne idée de comprimer l’espace de jeu et Dominique Pitoiset l’avait fait pour un mémorable Tartuffe. Nous verrons donc tous les personnages de la pièce jouer souvent frontalement dans ce lieu unique; y compris dans une mise en abyme du théâtre, la scène sur la plage avec Charlotte (Xaverine Lefebvre)  et Pierrot ( Joaquim Fossi)  assis sur un banc posé sur une petite scène à tréteaux vert d’eau devant des paravents, que regarde Dom Juan d’un air détaché. Ou la rencontre dans la forêt, la rencontre entre des bandits et un des deux frères d’Elvire, que sauvera de  la mort le grand séducteur. Ou encore la scène avec le mendiant dans la forêt, ou celle avec la fameuse statue du Commandeur interprétée par Xaverine Lefebvre en habit masculin argenté très XVIII ème: un clin d’œil évident aux célèbres Liaisons  dangereuses, le fameux roman de Choderlos de Laclos paru plus d’un siècle après Dom Juan.  
 
©x Dom Juan et Charlotte

©x Dom Juan et Charlotte

Cela commence bien mal avec comme une sorte de prologue sur musique rock où Sganarelle entre et sort sans raison par ces portes battantes. L’ensemble  manque singulièrement d’unité et de rythme et à vouloir tirer la pièce vers le burlesque,  Macha Makeieff semble s’être surtout fait  plaisir… Mais comment sur ces bases fausses, cela pourrait-il fonctionner? Les acteurs  font leur boulot avec souvent plusieurs rôles mais surjouent. Et la distribution est inégale.  Xavier Gallais, imposant physiquement en costume noir, semble ne pas être très à l’aise et, mal dirigé, accentue gestuellement toutes ses répliques ou presque! Pour faire croire davantage à son personnage de séducteur épuisé? Mais Vincent Winterhalter joue avec  intelligence et sensibilité ce personnage équivoque de Sganarelle.  Tout le temps en scène, il s’impose vite: excellente diction, excellente gestuelle et il reste crédible jusqu’au bout quand affalé sur un vieux fauteuil, il  réclame en vain ses gages. Mais dans les deux scènes avec Dom Juan, Irina Solano  (Elvire) n’est pas vraiment  convaincante.
Que sauver de ces deux heures longuettes où même  la fin, avec  le Commandeur arrivant chez Dom Juan, est ratée… Le décor sera ensuite appuyé,  et sur la scène nue, restera un brasero avec de vraies flammes ( pour évoquer l’enfer?) avec  au fond et de dos, les personnages…
  Ce Dom Juan a un côté sec et démonstratif,  du genre: vous allez voir ce que vous allez voir quand je m’empare, moi femme et metteuse en scène reconnue, de cette pièce mythique.
Désolé, Macha, nous n’avons pas vu Dom Juan…mais une sorte d’avatar et de lecture personnelle de la pièce, « avec la représentation d’
un personnage poussé vers le mal. Au théâtre, la figure du salaud est une grande et belle figure qui nous intéresse. Elle reste humaine et c’est pour cela qu’elle nous fascine ».

Mais pourquoi souligner nombre de répliques avec de la musique, ce qu’on fait dans une école de théâtre pour aider les élèves mais pas sur une scène?  Et pourquoi  ces criailleries trop fréquentes et absolument inutiles? Quant aux costumes en particulier, la jupe-pantalon rouge d’Elvire- ils sont loin d’être une réussite! et c’est un euphémisme. 
 Plus grave, il n’y a jamais ici la moindre émotion, même dans les scènes entre Elvire et Dom Juan. Où Macha Makeieff veut-elle nous emmener? Même si ce spectacle est précis, on l’aura connue mieux inspirée… Ce qu’elle dit du théâtre en général est juste: «C’est un lieu de folie, on se consume ensemble, c’est une géographie absolument étonnante : on entre dans le noir, on s’assoit à côté de quelqu’un qu’on ne connait pas, et on va expérimenter quelque chose de l’existence, et ce partage-là n’existe qu’au théâtre. »  Mais ici, il ne se passe rien, ou si peu. Et aux saluts, le public était partagé: il y a eu plusieurs rappels mais beaucoup de spectateurs qui ont à peine applaudi, ne devaient pas y trouver leur compte: ce spectacle par ailleurs bien réalisé, ne fait pas vraiment sens….
Reste le texte de Molière avec cette langue magnifiquement scandée. Et plus de trois siècles après sa création, nous la savourons à chaque fois avec le même bonheur.  Cette mise en scène  trop souvent pléonastique de Dom Juan ne fera pas date et quant à  » la trace physique, physiologique laissée sur le public » qui importe à Macha  Makeieff, que nenni! Dommage et elle avait bien mieux réussi son coup avec Les Femmes savantes... A vous de choisir.
 
Philippe du Vignal
 
Jusqu’au 19 mai, Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon , Paris ( Vi ème).  T. : 01 44 85 40 40.          
 

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