Fille de roi, de et avec Sara Llorca et Benoît Lugué

Fille de roi, de et avec Sara Llorca et Benoît Lugué

Impossible d’en finir avec Lear, ce roi qui abandonne son trône mais qui ne peut s’empêcher de s’accrocher au pouvoir, en vendant leur part à chacune de ses filles contre leur poids de paroles d’amour. Mais Cordelia, la plus jeune, n’a pas le don du discours ni les phrases fleuries de ses sœurs. Immense déception pour son père, pas très au clair avec lui-même : il chassera sa préférée qui n’a pas s’acquitter du péage.
Sara Llorca s’est choisie en Cordelia, personnage d’autant plus attirant et inoubliable qu’il apparaît peu dans la pièce de  Shakespeare, au début et à la fin, laissant beaucoup de place à la rêverie. Et à une évidence : toute fille est fille de roi, ce n’est pas pour rien que l’on parle de patriarcat. En attendant, on est au théâtre.

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Ils sont deux sur scène: la Fille et le Fou: car il y a souvent un ou deux fous chez Shakespeare-. Pour l’heure, le  Fou est un sage musicien qui, à la basse électrique, accompagne pudiquement le récit, allant parfois jusqu’au chant, mais un chant doux, contenu, comme celui qu’échangeront plus tard, à la limite du parlé-chanté, les protagonistes.
Sara Llorca, elle, a tous les outils nécessaires au théâtre comme aux jeux d’enfants, : peu de choses, une malle et un portant pour les robes qu’elle déploie comme des ailes, une épée de bois, une couronne à pointes, celle que le peintre Jean-Michel Basquiat s’était choisie comme emblème.

Avec cela, elle ira chercher du côté de Shakespeare, le souvenir de son propre père, le flamboyant metteur en scène Denis Llorca qui osait faire des spectacles de six ou huit heures, autour des chevaliers de la Table Ronde et des rois- Shakespeare, toujours. On entendra la voix de ce père, venue traverser le chemin de la fille, depuis l’au-delà, de l’autre côté du rideau. Il est mort à soixante-quatorze ans, le 15 février dernier, 

Comment échapper au théâtre dans une famille pareille? Impossible, interdit, il faut reprendre le flambeau, plus précieux, plus délicat encore à manier, que la flamme olympique. Pourtant, elle, la fille le reprendra, il faut y aller, même sur la pointe des pieds, pour commencer.
Elle nous le dit en Cordelia, avec franchise, candeur, on peut même dire avec (presque) une naïveté qu’il faut saluer, vu la carrière que la comédienne et metteuse en scène a déjà derrière elle. Ce qui fait le charme de ce spectacle. Il aurait pu être mieux ficelé mais c’est justement l’absence de ficelles, la recherche constante de l’exactitude des sentiments sur le fil, et de leur sincérité native qui nous touche.
Pas commode de parler de la mort de son père : Sara Llorca affrontera quand même ce récit, construisant un théâtre un peu «en enfance» entre elle et ce qu’elle raconte. Le charme du spectacle est là, au risque parfois de la maladresse, dans la fraîcheur de ce retour aux sources.
Fille de roi est fait pour tous les formats : ici, dans la grande salle du Théâtre des Deux–Rives à Charenton-le-Pont, dans une médiathèque ou toute autre salle. «Partout où il y a du silence, là où les publics se trouvent, nombreux, parfois non initiés et néanmoins curieux.» : c’est la compagnie qui vous le dit…

Christine Friedel

Spectacle joué en itinérance depuis l’automne: MC 93 de Bobigny (Seine-Saint-Denis), lycées, foyers, E.H.P.A.D…

Festival de Chilhac (Haute-Loire) le 8 juin.

Les  Nouvelles Coordonnées à Fontaine-L’Abbé (Eure), le 28 juillet.


Archive pour 9 mai, 2024

Qui a peur, texte de Tom Lavoye, traduction française d’Aurore Fattier et Koen de Sutter, mise en scène d’Aurore Fattier

Qui a peur, texte de Tom Lavoye, traduction française d’Aurore Fattier et Koen de Sutter, mise en scène d’Aurore Fattier


Depuis bien des années Claire et Koen, couple d’acteurs -elle wallonne, et lui flamand-jouent la pièce-culte
Qui a peur de Virginia Woolf? mise en scène dans le monde entier, de l’auteur américain Edward Albee (1928-2016). Martha, la cinquantaine, fille du grand patron de l’Université, est mariée depuis plus de vingt ans à George, professeur d’histoire. Nick, jeune professeur de biologie, assez arriviste et Honey, sa femme, un peu naïve mais inquiétante après une soirée ailleurs, viennent  retrouver George et Martha. Ces alcooliques vont tout au long de la pièce se déchirer dans un mélange de vérités et de mensonges cinglants devant le jeune couple qui sortira bouleversé.
George et Martha, après cette nuit qui ne doit pas être la première se retrouvent encore plus seuls à l’aube, quand leurs invités auront quitté le champ de bataille. Nous avions vu cette œuvre à sa création à Paris en 64, remarquablement mis en scène par Franco Zefirelli et interprétée par M
adeleine Robinson (Martha), Raymond Gérôme (George), Pascale Audret (Honey) et Claude Giraud (Nick), excellents interprètes, aujourd’hui disparus. La pièce avait été aussi très bien mise en scène par Dominique Pitoiset en 2009  et sept ans plus tard, par Alain Françon.
C
e texte de Tom Lanoye, joué il y a deux ans au festival d’Avignon, est une revisitation de la pièce originale. Claire et Koen, des acteurs déjà un peu âgés n’ont plus le moral, les subventions n’arrivent pas, le public se fait plus rare et ils sont visiblement épuisés de jouer chaque soir cette même pièce. Bref, leur couple bat de l’aile et, à la ville comme à la scène, ils commencent à ne plus pouvoir se supporter. Mais arrivent pour une audition à laquelle ils les ont convoqués, Leïla et Khadim, jeunes acteur, lui, africain et elle, arabe. Si Koen les engage, son petit théâtre pourra avoir une aide de l’État. Et le combat entre ces acteurs plus tout jeunes et ces débutants aura lieu sur plus d’une heure…

© Prunelle Rulens

© Prunelle Rulens

C’est, selon Aurore Fattier, qui dirige mainteant aux côtés de Catherine Laugier, le Centre Dramatique Nationalf de Caen , » une comédie cruelle et drôle, un précipité de réalité documentaire, un état des lieux des conflits politiques et intimes qui animent les artistes de théâtre aujourd’hui, écrit sur mesure par Tom Lanoye, pour les acteurs qui l’interprètent. C’est aussi une déclaration d’amour à ceux qui inscrivent leur vie dans cet art. »
On veut bien mais le texte est souvent léger et fait le plus souvent penser à ces écritures, dites de plateau, c’est à dire, des  improvisations. Et les thèmes, banals comme les conflits entre générations, dans les coulisses et sur la scène, une évocation du monde artistique à l’ère Mi-Tout… Bref, un  insignifiant théâtre dans le théâtre, procédé usé jusqu’à la corde.Et les dialogues, inspirés par ceux d’Edward Albee et pondus par Tom Lanoye, écrivain belge reconnu, tiennent rarement la route! Il faut se pincer pour croire même une seconde comme on nous l’assène de façon assez prétentieuse, que «le théâtre devient la scène métaphorique des dérives de notre société contemporaine et le lieu de tous les règlements de compte.»

Côté mise en scène, cela commence mal avec déjà avant le spectacle, des projos éblouisseurs qui font mal aux yeux, sans doute pour nous empêcher de voir une scénographie remarquable et absolument essentielle !!! Une vingtaine de chaises en plastique gris alignés en fond de scène et sur un tapis de laine, un canapé vert placé dos au public et deux fauteuils… Et sur un écran de tulle noir fermant la scène, très agrandi et mal filmé, le visage en noir et blanc de Claire Bodson, avec, en gros plan,  un micro H.F. Là, il n’y plus qu’à tirer l’échelle devant  tant de médiocrité. Le procédé est sans aucun intérêt et vu partout mais on nous le servira plusieurs fois et quand est retransmis sur ce tulle noir, le visage de Khadim Fall, acteur africain, on le voit évidemment à peine…

Aurore Fattier utilise sans aucun état d’âme tous les poncifs actuels: lumières stroboscopiques et, à un moment, émise par tubes fluo blanc cru au-dessus du plateau, coups de batterie électronique, retransmission par vidéo et en gros plan du visage des acteurs, jeu dans la salle (à la fin seulement) et bien sûr, une petite dose de fumigène !
Et pourquoi fait-elle jouer pendant dix minutes les protagonistes, assis dans un canapé et dos au public? Pourquoi ces lumières sépulcrales et mal réglées? Pourquoi ces  jets de chaises (dangereux) à plusieurs reprises, entre acteurs? Cela fait quand même beaucoup d’erreurs, et, cerise sur ce pudding,  les saluts avec allers et retours du plateau à la salle-la dernière image que garde le public!-sont ratés!
Que sauver de ce mauvais spectacle? Sans aucun doute une scène de vraie/fausse engueulade entres Leila Chaarani et Khadim Fall: là Aurore Fattier vise juste et bien. Et la scène entre l’acteur âgé (Koen De Sutter)  et la jeune comédienne  est très subtilement dirigée.
Mai elle assure que «la pièce de Tom Lanoye fonctionne comme celle d’Albee, c’est-à-dire qu’elle opère une catharsis. J’aimerais qu’à la fin, on ait l’impression d’avoir été purgé de quelque chose. On doit avoir beaucoup ri, pleuré, été traversé par des émotions fortes, s’être identifié à tel personnage puis à tel autre… On doit avoir travaillé en tant que spectateur, et donc à la fin, on doit se sentir mieux parce qu’on a éprouvé des choses. Je voudrais que ça donne envie aux gens de retourner toujours plus au théâtre, évidemment. »
Là, désolé, non, les émotions fortes comme le rire, ce sera pour une autre fois.  Et ce genre d’entreprise ne donne absolument pas envie d’aller passer une heure quarante dans un théâtre.
Mieux vaut aller voir, ou revoir, le film de Peter Nichols,  adapté d’Edward Albee…

 Philippe du Vignal

 Jusqu’au 25 mai, Théâtre 14, 21 avenue Marc Sangnier, Paris (XIVème).

Lundi 13 mai à 20 h 30, projection du film Qui a peur de Virginia Woolf ? de Peter Nicols, à l’Entrepôt, 7 rue de Préssensé, Paris (XIV ème) .

From England with love, chorégraphie d’Hofesh Shechter, par la Hofesh Shechter Dans Company 2

From England with love, chorégraphie d’Hofesh Shechter, par la Hofesh Shechter Dance Company 2

 Le chorégraphe israélien, issu comme Ohan Naharin, Sharon Eyal et bien d’autres, de la Batsheva Dance Company, a quitté son pays en 2002 pour s’installer en Angleterre où il réalise sa première pièce Fragment,s, avant d’être nommé, en 2004, au Centre The Place. Aujourd’hui, à la tête de sa compagnie et exportant son style vers les grands ballets européens, il veut rendre hommage à sa terre d’accueil.

 En ouverture dans une lumière laiteuse, les interprètes, en uniforme d’écolier et cartable au dos, agitent simultanément les bras en signe de bienvenue, sur le solennel Nimrod d’Edward Elgar. Ce groupe, compact et discipliné, se désagrège lentement, alors qu’on entend la pluie par rafales et que le plateau s’assombrit… Danseuses et danseurs se dispersent en mouvements saccadés, certains s’agitent au sol, comme en proie à de mauvais rêves. Lumières bienveillantes et clairs-obscurs crépusculaires de Tom Visser vont rythmer ces Bons Baisers d’Angleterreaux  avec des ambiances contrastées.

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©Tom Visser

La dernière partie est un jeu de cache-cache avec succession de brefs tableaux fixes avalés par des noirs secs et la musique contribue à ces sautes de ton: Hofesh Shechter, lui-même batteur de talent, signe une  bande-son alternant les mélodies baroques de Thomas Tallis, Henry Purcell, William H. Monk, avec rythmes rock et dissonances électroniques de haute densité.
Loin des clichés mais jouant avec eux, ce message d’amour en demi-teinte évoque les paradoxes d’Albion avec de mini-séquences écrites et réglées au cordeau. Joyeuses farandoles ou terrifiantes traversées des ténèbres, luttes contre des forces obscures, marquent le parcours d’un groupe hétérogène en quête d’identité, face à un système de valeurs contradictoires, entre conservatisme et avant-gardisme.

Hantée par un passé colonial et des relents xénophobes, cette Angleterre n’en demeure pas moins pour le chorégraphe, un havre où son art a pu s’épanouir en toute liberté. Une folle liberté exprimée par une troupe cosmopolite à la grande endurance, pour une danse à l’état pur. Holly Brennan (Royaume-Uni), Yun-chi Mai (Taïwan), Eloy Cojal Mestre (Espagne), Matthea Lára Pedersen (Islande), Piers Sanders (Royaume-Uni), Rowan Van Sen (Pays-Bas) et Toon Theunissen (Belgique) ont été choisis parmi un millier de candidats, pour intégrer la Hofesh Shechter Company 2. Le chorégraphe propose à ces jeunes gens venus des quatre coins du monde, un programme complet de recherche et développement professionnel. Il veut former, à partir de son répertoire, une relève de haut niveau.
Comme il l’avait fait
pour Contemporary Dance.2, créé en 2019 avec le Göteborgsoperans Danskompani, en Suède, revisité en 2022 avec des artistes de la Shechter dance company2 (voir Le Théâtre du Blog), il reprend ici avec sa nouvelle troupe, une chorégraphie réalisée il y a trois ans au Zuiderstrandtheater de La Hague au sein du Nederlands Dans Theater 1.

 From England with Love, adressé au vieux royaume, est teinté d’humour so british et non dénué de critique: il montre des jeunes gens cherchant leurs repères dans un environnement parfois hostile. Très tendance, les créations d’Hofesh Shechter portent le son et le mouvement à l’extrême. Elles attirent les nouvelles générations qui se reconnaissent dans cette grammaire incandescente: marches syncopées sur quarts de pointe, poings tendus, bras levés, corps vrillés… Cette œuvre accueillie pour la première fois en France au théâtre d’Annemasse a été saluée debout!

 Mireille Davidovici


Spectacle vu le 3 mai à Château-Rouge, 1 route de Bonneville, Annemasse (Haute-Savoie). T. : 04 50 43 24 24.

Le 22 mai, La Faïencerie, Creil (Oise); le 24 mai, Espace Germinal, Fosses (Val-d’Oise) ; le 26 mai, Le Figuier Blanc, Argenteuil (Val-d’Oise)  et le 29 mai, Theater Rotterdam (Pays-Bas).

Les 1 et 2 juin, Scène Nationale de Bourg-en-Bresse (Ain).
Du 6 au 8 juin, HOME, Manchester (Royaume-Uni) ; les 11 et 12 juin, Exeter Northcott Theatre (Royaume-Uni)  et le 18 juin, Théâtre de Cahors (Lot).

Du 4 au13 juillet, Théâtre de la Ville-Théâtre des Abbesses, Paris (XVIII ème). Du 19 au 21 juillet, Grec Festival de Barcelona (Espagne).

Le 11 septembre, Derby Theatre et les 24 et 25 septembre, Blackpool Grand Theatre (Royaume-Uni).

Du 23 au 26 octobre, Dance East, Ipswich (Royaume-Uni).

Le 9 novembre, The Riley, Leeds (Royaume-Uni).

 

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