Macbeth, d’après William Shakespeare, traduction d’Yves Bonnefoy, adaptation, mise en scène de Silvia Costa
Macbeth, d’après William Shakespeare, traduction d’Yves Bonnefoy, adaptation, mise en scène ey scénographie de Silvia Costa
C’est une affaire de songe. L’épouse du général Macbeth a eu une vision : «Tu seras roi ». C’est une histoire de guerrier et Macbeth vient de gagner une bataille contre le traître Cawdor allié aux ennemis de son roi Duncan. Une journée «sombre et claire», dit-il. Les guerriers sont parfois superstitieux et celui-ci rencontre trois sorcières (ou «sœurs fatales», ce qui est plus beau). A leur tour, elles lui prédisent qu’il portera le titre de Cawdor et qu’il sera roi.
Enfin, de la bouche du Roi (le vrai), Macbeth s’entend récompensé de sa victoire, par le titre de Cawdor. Le réel fait irruption dans les prédictions et tout est ébranlé. De, là à en déduire qu’il sera roi, il n’y a qu’un pas, bien difficile à franchir , s’il n’était poussé en avant par sa femme… Et on se demande si elle ne serait pas la première des sorcières.
Les prophéties s’enchaînent : oui, il sera roi, mais ce sont les descendants de Banquo, vainqueur avec lui, qui lui succèderont sur le trône. Il faudra donc éliminer Banquo. Et les vengeances possibles et probables ? Méfie-toi de Macduff ? Bon, on le tuera. Bien que « jeune dans le crime», Macbeth commencera à s’y habituer. Un nouvel oracle tempère : aucun homme «né d’une femme » ne pourra le tuer et personne ne pourra le vaincre, à moins que la forêt de Birnam ne se mette en marche. L’impossible même, donc les nuages, s’éloigne. Mais les Dieux, ou plus modestement les sorcières, aveuglent ceux qu’ils veulent perdre…
D’autres nuages plus lourds apparaissent : ceux des désirs, de plus en plus exigeants. C’est l’aveuglement progressif du héros qui conduit « la pièce écossaise » vers la tragédie : la prophétie éclaire le destin mais éblouit et prend l’imagination au piège. Ainsi Macbeth progresse sans cesse vers le pire, faute sur faute, l’une commise pour essayer en vain d’effacer l’autre. Le tragique : les rêveries de pouvoir, les illusions de l’ambition engendrent du réel, inévitablement sanglant avec des cauchemars qui mènent à la folie.
Silvia Costa a beaucoup élagué la pièce et écarté les personnages secondaires. Pourquoi pas ? On y perd quelques intermèdes comiques, pourtant nécessaires au drame. Macbeth est à la fois une pièce d’action et une tragédie : la metteuse en scène a choisi la tragédie au sens le plus abstrait, en laissant de côté la guerre et les rivalités politiques dans un monde régi par la loyauté et un pouvoir royal de droit divin, pour se concentrer sur un tragique abstrait.
La pièce serait l’histoire du Mal, sous une double figure: celle, indécise mais agissante, de Macbeth et celle, féminine et résolue mais privée de glaive, d’une lady Macbeth frustrée. On sait comment le sang se venge en imprimant sur sa main coupable, la tache que «tous les parfums d’Orient» ne pourraient laver. Ce serait elle l’homme du couple, si seulement, elle n’était pas née femme. Situation contre nature, comme tout ce qui déclenche cette série de crimes et le suicide de cette femme-homme.
Silvia Costa joue beaucoup des sons, murmures, grincements, souffles, battements de portes ; cela rappellent les anciens films d’horreur mais ces effets un peu naïfs font sourire. Plus gênante est la déformation des voix : on y perd du texte et du jeu, bien qu’il n’y ait aucun reproche à faire aux acteurs, au contraire. La lumière également poussée vers le noir, semble venir en pléonasme et assombrir l’affaire. « Le clair est noir, le noir est clair » est une des énigmes au début de Macbeth : ici, le clair va s’évaporer, ce qui est logique mais il nous manque souvent, à la fois en contraste et dans sa brutalité nécessaire.
Cette ancienne collaboratrice de Romeo Castellucci, crée de belles images, parfois justes, dont celle du Messager se glissant sous un tapis rouge fluide qui va l’absorber comme une immense flaque de sang . Ou celle, enfantine et réussie, de la lignée de Banco figurée par une ribambelle de chemises de taille croissante sur un fil… Ou encore le prologue joué par une lady Macbeth changée en Parque, masquée par ses cheveux qu’elle déroule et arrache comme les fils du destin, sous le portrait immobile puis tourbillonnant de Macbeth (Noam Morgensztern)… D’autres images relèvent de l’erreur obstinée et des objets monumentaux descendent parfois des cintres, rendant la scène pompeuse sans lui donner plus de poids.
La metteuse en scène installe entre les paroles de longs temps qui, le plus souvent, ne « jouent» pas et alourdissent le spectacle. Dans le décor gothique qui succède à l’ espace vide, Silvia Costa place une sorte de confessionnal où, encadrés comme sur un tableau d’église, apparaissent et disparaissent les fantômes des personnages et quelques-uns des vivants, invités au banquet donné par le nouveau roi.
On comprend qu’elle veuille traiter ce thème de la culpabilité mais pourquoi se priver de l’image symbolique du banquet où Macbeth n‘arrive pas à prendre place, entravé par le fantôme de Banquo? La mise en scène assez lourde sera bientôt oubliée mais le public a applaudi et c’est tant mieux. À tous ceux qui découvrent ici Macbeth, il manquera sans doute plusieurs dimensions de la pièce mais ils ne le sauront pas….
Christine Friedel
Jusqu’au 20 juillet, Comédie-Française, salle Richelieu, Place Colette, Paris ( Ier). T. : 01 44 58 15 15.