Mazùt, mise en scène de Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias

Mazùt, mise en scène de Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias

 Les metteurs en scène de la compagnie Baro d’evel avaient créé cette pièce en 2012 et elle est reprise ici avec d’excellents interprètes: Julien Cassier et Valentina Cortèse. «Mazùt représente un tournant dans notre recherche et nous a permis de continuer à décloisonner ses langages, disent-ils. Dans une affirmation du travail avec la matière, tout ici fait trace et nous voulons à créer avec le dispositif scénographique et sonore, une immersion totale dans le spectacle.» Comme chez Jacques Tati ou dans les premières pièces de Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps, ici tout fait sens: langage du corps, accessoires,bruits…quelques dialogues et des silences, ces moments devenus rares dans notre société connectée à outrance.

© Lauren Pasche

© Lauren Pasche

Thomas Pachoud «ingénieur gouttes » crée la musicalité de la pièce. Des gouttes d’eau tombant des cintres dans des boîtes de conserve pour éviter une inondation, créent le rythme…. Cette machinerie aquatique va totalement perturber une réunion de travail entre un bureaucrate, Monsieur Bernardo et sa secrétaire Murielle. Tout comme une mouche écrasée sur une imprimante changeait la destinée d’une homme dans le film Brazil de Terry Gilliam (1985), ici les objets du quotidien une chaise, une table…ont leur propre vie comme ces cartes géographiques, qui vont faire basculer la vie bien réglée des personnages et formeront une immense toile.

 Une grande tendresse lie cette femme et cet homme qui cherchent à se rassurer devant ce qui leur arrive: «Cela va?» répètent-ils. L’humour et la poésie des situations burlesques nous emportent. «Que cherche-t-on exactement? On ne peut pas tout remettre en question?» Ces phrases résument bien le bouleversement de leur quotidien. Les personnages, aux gestes précis et toujours signifiants, jouent comme des enfants et nous les suivons avec plaisir dans ce voyage d’une heure au pays de l’absurde.

 Jean Couturier

 Jusqu au 2 juin, Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle, Paris (X ème). T. : 01 46 07 34 50.

 La compagnie Baro d’evel créera au festival d’Avignon Qui som? du 3 au 14 juillet.

 


Archive pour 27 mai, 2024

Théâtre en mai à Dijon (suite et fin) On ne fait pas de pacte avec les bêtes conception et mise en scène de Justine Berthillot et Mosi Espinoza

Théâtre en mai à Dijon (suite et fin)

On ne fait pas de pacte avec les bêtes, conception et mise en scène de Justine Berthillot et Mosi Espinoza

Cela se passe à la salle Jacques Fornier* avec l’évocation d’une jungle où il y a une sorte de colline en matière synthétique, mais aussi en fond de scène, des rideaux de couleur, des affiches et ujn peu partout des tubes fluo verticaux bleu ou rouge, c’est selon. Justine Berthillot et Mosi Espinosa sont des circassiens qui sont allés en Amazonie  péruvienne  (lui-même est péruvien). Et c’est à une sorte d’évocation de cette jungle et de sa survie, qu’ils nous invitent.
« On ne fait pas de pacte avec les bêtes propose une très (très) libre réécriture au du film Fitzcarraldo de Werner Herzog. Le terrain d’action et principal thème de cette création, disent leurs auteurs, est la Forêt, en ce qu’elle nous apparaît aujourd’hui comme un théâtre du monde où se concentrent les principales luttes poétiques, érotiques, culturelles et écologiques. (…) Jouer de ce réel devenu fou d’une férocité impatiente et menaçante, d’une bestialité déguisée, mettre en scène l’absurde de nos sociétés avides de dominations avec décalage, drôlerie et tragique afin de faire tomber le rideau de velours. C’est un cirque de la mascarade, de l’absurde, fait de brutalité et de beauté qui implique nos capacités physiques et circassiennes dans une perspective sociale, une lutte de bêtes contre notre propre bêtise ». 

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Soit, mais il y a loin des intentions, au résultat…. Sur le plateau, de nombreux accessoires et  des colonisateurs en chemise blanche, avec de beaux masques représentant un visage et côté jardin, une grande  statue: des jambes sur un socle sur lequel Justine Berthillot arrivera à placer un petit réfrigérateur descendu des cintres, puis une  petite pirogue blanche où où elle se maintiendra en équilibre. Chapeau…  Et côté cour,  Mosi Espinosa  lui, montera et descendra  souvent de cette colline. Il imitera  aussi une bête féroce. Il y a parfois de belles images mais nous avons eu du mal à être sensible à cette remise en cause de la colonisation européenne à la fois sur les hommes et les animaux  avec, à la base, des souvenirs de voyage et du film de Werner Herzog. La pièce est bien rodée mais part dans tous les sens et la dramaturgie manque de cohérence et ce spectacle oscille entre  théâtre, danse, et performances acrobatiques, sans  être jamais vraiment convaincant  et  accumule les poncifs comme, à la fin, ces épais nuages de fumigène qui envahissent le plateau et la salle. Et malgré les numéros des circassiens,  l’ensemble  manque de force et d’unité et tourne à vide. Le public dijonnais pas très jeune a applaudi poliment le travail mais ne semblait pas convaincu…

Anima, conception et réalisation de Maëlle Poésy et Noémie Goudal, musique de Chloé Thévenin

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Cela se passe dans le grand et beau parc de l’Arquebuse où  la directrice du Centre Dramatique National de Dijon reprend cette performance conçue et réalisée avec Noémie Goudal et dont nous vous avions parlée ( voir Théâtre du Blog). Elle avait été créée en 2022 à la fondation Lambert pour le festival d’Avignon.
Dans une scénographie d’Hélène Jourdan,  il y a des images filmées et projetés sur trois grands écrans sur lesquels on voit des palmiers qui s’embrasent avec des techniciens qui œuvrent. Puis des images de rochers imprimées sur des bandes et carrés de papiers qui tombent en se déchirent pour laisser apparaître d’autres rochers en bord de mer. Mais il y aussi aussi le grand écran à gauche, un même système de déchirement/dévoilement mais cette fois, avec un rideau d’eau bien réelle qui coule et décolle les bandes de papier collé. Sans doute le fort et le plus réussi de cette performance.  Illusion/vérité comme es avec ces palmiers embrasés qui s’écrasent au sol.. Même si, les trucages sont parfois évidents, nous sommes fascinés par ces images, fortes et de toute beauté. Là, Maëlle Poésy réussit parfaitement son coup. 
Enfin, de l’acrobate Chloé Moglia, une sorte de chorégraphie de mouvements en suspension sur les barres de l’installation, ici interprétée par Mathilde Van Volsem.  Sans véritable lien avec le reste, et trop répétitif mais impressionnant de virtuosité.  
Dans ce grand parc aux merveilleux arbres centenaires, le volet gauche de ce dispositif spectacle/performance était sans doute mieux intégré à la Nature et nous a semblé plus  juste et plus fort, que dans la cour, pourtant très belle, de la fondation Lambert à Avignon.

Philippe du Vignal

*Jacques Fornier (1926-1920) que nous avions connu, était un bon metteur en scène et comédien. Pionnier de ce que l’on avait appelé la « décentralisation », il avait fondé le théâtre de Bourgogne, qu’il dirigea quinze ans. Il avait aussi été directeur du Théâtre National de Strasbourg.

Spectacles vus le 19 mai à Dijon (Côte-d’Or).

A Pougne-Hérisson, Nombril du monde, le Jardin des Histoires fête ses vingt ans

A Pougne-Hérisson, Nombril du monde, le Jardin des Histoires fête ses vingt ans

 

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Il aura fallu le pari fou de quelques habitants de cette commune de trois cents âmes, pour devenir, il y a trente ans, le «Nombril du monde ». Ici légende et réalité ne font qu’un : selon l’histoire, le conteur Yannick Jaulin, ayant cité Pougne-Hérisson dans l’un de ses spectacles, à cause, dit-on, de la consonance du nom, ait rencontré le comité des fêtes qui cherchait un projet pour faire revivre ce village de Gâtine où l’épicerie, les cinq cafés, les deux écoles avaient disparu.  Voici donc l’artiste et les Pougnassiens attelés à organiser un festival autour du conte et des arts de la parole.

 Quelques années plus tard, une fois le festival bien ancré, grâce à la combativité de son directeur artistique Yannick Jaulin et d’une armée de bénévoles, mais aussi aux subsides des Collectivités locales, un Jardin des Histoires a vu le jour sur un terrain communal. Il fête aujourd’hui ses vingt ans. Lieu public d’initiation à l’imaginaire, il offre au visiteur une vingtaine d’installations plastiques loufoques : de quoi fantasmer.

Dans la Grange de Robert Jarry, forgeron mythique, placé sous le signe de la Gidouille du Père Ubu, une énorme machine extrait à grands fracas d’engrenages, des récits à partir d’un minerai de contes. Dehors, de gigantesques structures métalliques, construites avec des objets de récupération, parsèment le parcours sonorisé. On y trouve un Arbre mort multicolore, une Forêt sans tête, une futaie de troncs sans branches ni feuillage-, un Géant, mangeur de minerai qui grogne au passage.

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Ces œuvres ont été créées par la compagnie OpUS (Pascal Rome et Éric Guérin), rejoints par d’autres artistes, scénographes et paysagistes : Laurent Morin pour le Laboratoire d’ombilicologie, Zarco pour les sculptures en ferraille, les frères Diaz pour Le Spoutnik , une sorte de fusée de sept mètres de haut en métal rouillé, Anne Marcel et Vanessa Jousseaume pour Le Rond des sorcières, un tunnel de bois autour des arbres. A partir d’enceintes cachées dans les buissons ou à de micros dans les cabanes, sont chuchotées des histoires aux passants.

Ailleurs, non loin d’une chapelle du XII ème siècle, domaine des hirondelles et attenante à un château en ruines, se trouve un rocher rond, le fameux Nombril du monde et les fouilles de l’Ombilicropole où l’on déterre les vestiges de contes… En Gâtine, on dit toujours qu’il ne se passe “rin“ ! Et pourtant, mis à part un festival biennal, au Nombril du monde, des choses s’inventent toute l’année, main dans la main avec la municipalité. Jusqu’aux rues baptisées de noms évocateurs après votation des habitants. Ainsi, la rue du Trait d’union consacre la réconciliation de Pougne avec Hérisson, ces villages s’étant longtemps regardés en chiens de faïence, malgré leur fusion au XlXe ème siècle. La rue de l’Ecole buissonnière donne dans la venelle trousse-peneuilles, rendez-vous des amoureux…

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 La devise est ici : « Il faut le croire pour le voir ». Conçu à partir d’une utopie poétique, ce lieu associatif accueille de mai à septembre, la visite quelque 3.000 enfants et 4.000 touristes, pour des parcours contés. A la morte saison, s’ouvrent des résidences d’artistes qui y présentent leurs créations. Ce lieu est animé par des bénévoles et six salariés permanents, sous l’égide d’une direction artistique collégiale : L’ONUuu (Organisation Nombrilaire Utile Unifiée Universelle) qui a pris la suite de Yannick Jaulin. Avec Stéphane et Eric Pelletier, Titus, Anne Marcel et Fred Billy. « Fiers d’avoir su transformer un trou du cul du monde en son nombril.», ils nous reçoivent au Cordon, un bar associatif en dur, construit avec goût et moyens du bord, dans le même esprit surréaliste que l’ensemble. On peut y déguster des crêpes et des produits régionaux, s’y procurer livres de contes, jeux, et « minerai de conte, origine certifiée», un caillou de carbonatite qui brille au soleil, extrait d’une carrière de Gâtine. Ce jardin extraordinaire vaut le détour, en attendant le festival, du 15 au 17 août prochains.

 Mireille Davidovici

 Le 18 mai, Le Nombril du monde, 7 rue des Merveilles, Pougne-Hérisson (Deux-Sèvres) T. : 05 49 64 19 19. lenombril@nombril.com

 

La Contrainte, d’après Stefan Zweig, adaptation et mise en scène d’Anne-Marie Storme

La Contrainte, d’après Stefan Zweig, adaptation et mise en scène d’Anne-Marie Storme  

 L’écrivain autrichien nous met en présence d’un couple, exilé en Suisse pour échapper à la guerre. Tom, peintre, est déchiré entre ses convictions pacifistes et un sentiment patriotique qui l’appelle au front, dès lors qu’il a reçu son ordre de mobilisation Restera-t-il auprès de sa femme qui l’exhorte à écouter sa conscience et se consacrer à son art ou partira-t-il, par solidarité avec son pays, au risque de mettre son couple en danger ? Le texte, fondé sur ce questionnement, est un dialogue entre l’artiste et son épouse.

La Contrainte, une nouvelle publiée en 1920, est clairement autobiographique. Stefan Zweig (1881-1942), avait brièvement pris fait et cause pour l’Allemagne, après l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, le 28 juin 1914, mais il se ralliera très vite aux positions pacifistes de son grand ami Romain Rolland (on a retrouvé une abondante correspondance entre eux ). Il ne se dérobe pourtant pas à son devoir et, jugé inapte au front, sera enrôlé dans les services des archives militaires. Envoyé en Pologne, il découvre l’horreur de cette boucherie et cela renforce sa conviction que la paix vaudrait mieux, que la poursuite de ce conflit insensé.

©Jef Le Maout

© Jef Le Maout

Anne-Marie Storme a choisi de sortir la nouvelle de son contexte historique et autobiographique, pour la ramener à un débat universel: le choix individuel de la liberté de conscience ou celui de la solidarité avec son pays en guerre. Cette alternative s’accompagne d’une remise en question du couple : elle, menaçant de rompre s’il s’en va. Elle plaidant la priorité pour lui de se consacrer à son art : son rôle est de créer, pas de tuer… Lui, oscillant entre se tenir à l’écart de la société au nom d’un idéal, ou se plier à la règle collective….
Anne Conti est une épouse pugnace et moins larmoyante que celle de la nouvelle et revendique son amour. Elle affirme avec force ses opinions face à Cédric Duhem, qui incarne avec nuance les contradictions de son personnage.

La chanteuse et musicienne  Stéphanie Chamot est le troisième personnage de ce spectacle. En arbitre, elle  intervient en contrepoint de ce huis-clo et introduit une distance bienvenue entre Tom et sa femme en soulignant malicieusement les contradictions qui traversent le héros… Sa présence décalée de rockeuse maquillée à la punk, sa musique rocailleuse, sa voix ironique et ses clins au public apportent une bouffée d’air.
Sur le plateau nu, une ligne de terre en diagonale et sous un éclairage latéral matérialise de manière dramatique, la ligne ténue que Tom franchira ou pas… Et plus largement, ces frontières qui, un peu partout, dans le monde causent tant de carnages. La pièce se clôt sur un entretien avec un écrivain ukrainien, diffusée dans
Grand reportage sur France-Culture.  Un rappel aigu de l’actualité. …

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu en avant-première, le 17 mai au Théâtre La Verrière, 28 rue Alphonse Mercier, Lille (Nord).

Du 3 au 20 juillet à 16 h, La Bourse du Travail C.G.T., Festival d’Avignon off. 

La Contrainte (Der Zwang), est publié dans le recueil de nouvelles Le Monde sans sommeil de Stefan Zweig, traduction d’Olivier Mannoni, éditions Payot et Rivages (2018).

 

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