La Contrainte, d’après Stefan Zweig, adaptation et mise en scène d’Anne-Marie Storme
La Contrainte, d’après Stefan Zweig, adaptation et mise en scène d’Anne-Marie Storme
L’écrivain autrichien nous met en présence d’un couple, exilé en Suisse pour échapper à la guerre. Tom, peintre, est déchiré entre ses convictions pacifistes et un sentiment patriotique qui l’appelle au front, dès lors qu’il a reçu son ordre de mobilisation Restera-t-il auprès de sa femme qui l’exhorte à écouter sa conscience et se consacrer à son art ou partira-t-il, par solidarité avec son pays, au risque de mettre son couple en danger ? Le texte, fondé sur ce questionnement, est un dialogue entre l’artiste et son épouse.
La Contrainte, une nouvelle publiée en 1920, est clairement autobiographique. Stefan Zweig (1881-1942), avait brièvement pris fait et cause pour l’Allemagne, après l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, le 28 juin 1914, mais il se ralliera très vite aux positions pacifistes de son grand ami Romain Rolland (on a retrouvé une abondante correspondance entre eux ). Il ne se dérobe pourtant pas à son devoir et, jugé inapte au front, sera enrôlé dans les services des archives militaires. Envoyé en Pologne, il découvre l’horreur de cette boucherie et cela renforce sa conviction que la paix vaudrait mieux, que la poursuite de ce conflit insensé.
Anne-Marie Storme a choisi de sortir la nouvelle de son contexte historique et autobiographique, pour la ramener à un débat universel: le choix individuel de la liberté de conscience ou celui de la solidarité avec son pays en guerre. Cette alternative s’accompagne d’une remise en question du couple : elle, menaçant de rompre s’il s’en va. Elle plaidant la priorité pour lui de se consacrer à son art : son rôle est de créer, pas de tuer… Lui, oscillant entre se tenir à l’écart de la société au nom d’un idéal, ou se plier à la règle collective….
Anne Conti est une épouse pugnace et moins larmoyante que celle de la nouvelle et revendique son amour. Elle affirme avec force ses opinions face à Cédric Duhem, qui incarne avec nuance les contradictions de son personnage.
La chanteuse et musicienne Stéphanie Chamot est le troisième personnage de ce spectacle. En arbitre, elle intervient en contrepoint de ce huis-clo et introduit une distance bienvenue entre Tom et sa femme en soulignant malicieusement les contradictions qui traversent le héros… Sa présence décalée de rockeuse maquillée à la punk, sa musique rocailleuse, sa voix ironique et ses clins au public apportent une bouffée d’air.
Sur le plateau nu, une ligne de terre en diagonale et sous un éclairage latéral matérialise de manière dramatique, la ligne ténue que Tom franchira ou pas… Et plus largement, ces frontières qui, un peu partout, dans le monde causent tant de carnages. La pièce se clôt sur un entretien avec un écrivain ukrainien, diffusée dans Grand reportage sur France-Culture. Un rappel aigu de l’actualité. …
Mireille Davidovici
Spectacle vu en avant-première, le 17 mai au Théâtre La Verrière, 28 rue Alphonse Mercier, Lille (Nord).
Du 3 au 20 juillet à 16 h, La Bourse du Travail C.G.T., Festival d’Avignon off.
La Contrainte (Der Zwang), est publié dans le recueil de nouvelles Le Monde sans sommeil de Stefan Zweig, traduction d’Olivier Mannoni, éditions Payot et Rivages (2018).