Printemps des Comédiens Gaviota (Mouette), d’après La Mouette d’Anton Tchekhov, dramaturgie de Juan Ignacio Fernández, mise en scène Guillermo Cacace
Printemps des Comédiens à Montpellier
Gaviota (Mouette), d’après La Mouette d’Anton Tchekhov, dramaturgie de Juan Ignacio Fernández, mise en scène de Guillermo Cacace
La pièce (1896) du grand dramaturge russe créée par Georges Pitoëff en 1920 à Paris, a été depuis longtemps et régulièrement mise en scène en France comme en Europe, entre autres par Otomar Krejča, Antoine Vitez, Philippe Adrien, Christian Benedetti, Frédéric Bélier-Garcia, Thomas Ostermeier et il y a deux ans, ici même, au Théâtre Jean-Claude Carrière, par Cyril Teste (voir Théâtre du Blog),
Il s’agit d’une revisitation par l’écrivain et metteur en scène argentin, sans avoir l’air d’y toucher et avec élégance. Il a éliminé les personnages secondaires et cinq comédiennes seulement jouent la jeune Nina qui rêve d’être une actrice connue. Mais c’est une « mouette » qui s’envolera vers son destin d’artiste de tournées minables, après avoir eu un enfant qui mourra. Le jeune Konstantin, lui, souhaite être un écrivain renommé, l’aime sans retour. Trigorine. Et enfin Macha, l’intendante qui a la haute main sur le domaine et est ici le personnage central de ce spectacle….
Ce projet a été conçu avant la pandémie de covid. et Guillermo Cacace l’avait imaginé à Buenos Aires, pendant plusieurs mois une mise en scène classique, avec décors et costumes, avant de se dire qu’il valait mieux tout bazarder.
Et quand on voit le résultat, on se dit qu’il a sûrement bien fait: aucun plateau mais des gradins pour quatre-vingt personnes et il a placé ses cinq actrices et quelques spectateurs autour d’une grande table carrée en latté sans nappe. Avec au milieu, des fruits, petits gâteaux, chips, vodka et vin rouge… dont les actrices offrent volontiers un verre à leur voisin. Mais aucune mouette à l’horizon ni surtout aucune vidéo, aucun fumigène… Ouf ! Cela fait du bien.
Le dispositif scénique est hérité de celui devenu-culte de Catherine, d’après le roman d’Aragon Les Cloches de Bâle, mis en scène par Antoine Vitez il va y avoir déjà cinquante ans. Bien entendu, les actrices parlent espagnol mais comme il y a, sur chaque mur, un très bon sur-titrage, il n’y a aucune difficulté pour suivre correctement le spectacle.
Et La Mouette, dans tout cela? On connaît plus ou moins l’histoire des amours contrariées de ses personnages : Medviedenko aime Macha, qui aime Konstantin qui aime Nina. Mais elle a une passion pour Trigorine, un écrivain mondain qui vit avec Arkadina, la mère de Konstanin, qu’aime en secret, Dorn, le médecin de famille, lui-même aimé par Paulina qui se détache de Chamraïev….
Ici à partir d’un texte ciselé le metteur en scène reprend la trame de La Mouette, avec des répliques originales qui forment un ensemble remarquable… et sur le plan dramaturgique, d’une grande intelligence et très vivant. Parfois aéré par quelques musiques. Trigorine: « Vous jouez avec une telle sincérité. Je pourrais passer ma vie à pêcher dans ce lac. Nina: Quelles belles paroles, venant de vous. Et d’écrire les personnages si vivants qui peuplent vos nouvelles. Je voulais juste vous demander pardon et vous saluer. C’est une grande joie pour moi. Je vous lis tout le temps. »Les actrices ne quittent pas leur chaise mais ont une belle unité de jeu.
Vaut-il mieux connaître la pièce d’Anton Tchekhov? Peut-être mais pas nécessairement: ici tout est clair et grâce au jeu exceptionnel de Clarisa Korovsky (Macha), Marcela Guerty (Trigorine), Paula Fernandez MBarak (Arkadina), Muriel Sago (Kostia) et Romina Padoan (Nina), le metteur en scène a réussi à donner vie à ces personnages bien connus qui souffrent de leur situation sociale mais qui ne voient aucune issue.
L’annonce du suicide de Konstantin est une scène terriblement émouvante et iciArkadina s’écroule de douleur: cela marquera pour tous la fin d’une époque mais aussi peut-être le début d’une autre vie, puisqu’ils ne pourront plus revenir dans un passé qui ne cesse de les hanter… Le metteur en scène et ses actrices ont été chaleureusement applaudis et à juste raison. C’est un spectacle d’une intelligence et d’une qualité de jeu exceptionnelle.
Philippe du Vignal
Jusqu’au 2 juin, Le Printemps des comédiens, Domaine d’Ô, Montpellier (Hérault).
Du 22 au 27 août, Festival of performing Arts & Society, Noorderzon (Pays-Bas).
Du 29 au 31 août, FITT Noves Dramaturgies, Tarragone, (Espagne).
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