Printemps des comédiens à Montpellier (suite)
Portrait de famille, Une histoire des Atrides, texte et mise en scène de Jean-François Sivadier
Cela se passe sur le grand plateau du théâtre Jean-Claude Carrière où Jean-François Sivadier a mis en scène un texte de lui, avec quatorze jeunes et brillants acteurs, issus de la dernière promotion du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique.
Sur la scène nue, une poudre bleu foncé où brillent comme des éclats de minerai doré. L’auteur et remarquable metteur en scène (voir Théâtre du Blog) va nous raconter d’abord l’histoire d’Iphigénie et de la guerre de Troie où Grecs et Troyens vont s’affronter dix ans.
Artémis, déesse de la chasse, dit Homère dans L’Iliade, forcera Agamemnon à sacrifier Iphigénie. Il y a là justement dans cette pièce, le célèbre poète qui va raconter comme un reporter, cette guerre. ( Le monde naît, disait Victor Hugo, grand admirateur de L’Iliade et de l’Odyssée mais aussi d’Eschyle), Homère chante. C’est l’oiseau de cette aurore. » « Première année, le 15 mars, je me trouve actuellement face à l’île de Kos, à seulement trois kilomètres du front, au siège du haut commandement où sont centralisées la plupart des informations. Général Cirkos, on peut dire qu’on se trouve ici dans le centre névralgique du conflit ? G. Cirkos : « Affirmatif, c’est ici que se prennent toutes les grandes décisions. Homère : « Vous êtes le bras droit du chef des armées le roi ne prend presque aucune décision sans votre aval. Général, à quelques heures d’un nouvel ultimatum, pouvez-vous nous dire en deux mots votre état d’esprit? » G. Cirkos: « Concentré déterminé. » Homère : « Prenez-vous comme un échec d’avoir pensé que le conflit allait se régler en quelques semaines ? » G. Cirkos : Pardon, mais là, j’ai du boulot. »
On pense bien sûr à Jean Giraudoux et à sa Guerre de Troie n’aura pas lieu avec son titre antinomique: au début Cassandre dit: « Je ne vois rien, Andromaque, je ne préviens rien. Je tiens seulement compte de deux bêtises, celles des hommes et celle des éléments. » Ici Jean-François Sivadier emprunte un peu à tout le monde: Homère et Eschyle surtout dans la première partie mais aussi Sophocle et Euripide dans le seconde, pour faire dire l’histoire de cette vengeance d’Oreste qui tua sa mère Clytemnestre: elle avait tué son mari Agamemnon pour se venger du meurtre de sa fille par le grand roi pour que les vents se lèvent et qu’il puisse aller combattre les Troyens. Mais Oreste exécutera ensuite Egisthe, l’amant de sa mère.
A la fin, Jean-François Sivadier fera un retour en arrière sur ces deux frères par qui tout a commencé: Atrée, marié à Erope, avait appris qu’elle faisait l’amour avec son frère Thyeste. Alors, il se vengea et tua les fils de ce dernier puis fit cuire leurs membres qu’il lui donna à manger. Il lui montrera leurs mains et pieds coupés. Un oracle avait prédit alors à Thyeste que, s’il avait un fils Egisthe de sa propre fille Pélopia (l’inceste existe aussi chez les héros mythiques). Mais avec Erope, il eut aussi d’autres enfants: Ménélas, Anaxible et Agamemnon.

© Ch. Raynaud de Lage
Chez Jean-François Sivadier, il y a de la parodie dans l’air et ce spectacle est bourré d’invention et de fabuleuses images. L’auteur-metteur en scène a fait très fort et on suit assez bien les épisodes de cette guerre à laquelle ont participé les nombreux personnages de la mythologie grecque, présents ou évoqués. Mais si on en loupe quelques-uns, grave, on s’y retrouve quand même…
Il y a chez les Grecs: d’abord Iphigénie la fille de Clytemnestre et d’Agamemnon qu’il n’hésitera pas à sacrifier, son frère Ménélas, Nestor, le vieux roi, les jeunes Achille et Ulysse, et chez les Troyens, Cassandre emmenée comme butin de guerre par Agamemnon. C’est la fille de Priam, roi de Troie et d’Hécube et elle est la sœur de Pâris. Il y a aussi Hector et sa femme Andromaque, Patrocle, son meilleur ami tué au combat.
Quand les Dieux s’en mêlent… tout part en vrille à cause d’Iphigénie sacrifiée et aussi à cause d’une histoire d’amour entre Pâris et Hélène, la belle jeune femme de Ménélas promise à Pâris par Aphrodite lui attribuant la pomme d’or. Bref, nous dit Jean-François Sivadier comme les dramaturges grecs, surtout Eschyle, ce sont les Dieux (c’est à dire le destin) qui tirent les ficelles des passions amoureuses et des guerres auxquelles se livrent les mortels.
Dans les Euménides, la dernière pièce de sa trilogie L’Orestie, les Dieux ont laissé aux mortels le plaisir de s’entretuer, comme si la guerre de Troie et le massacre familial qui avait suivi, était inévitable. Mais la grande Athéna (qui avait aidé Achille à tuer Hector) sifflera la fin de partie, en ajoutant sa voix pour qu’Oreste soit acquitté par un tribunal humain, et non divin : une grande leçon de démocratie…
Et cela donne quoi chez Jean-François Sivadier ? Un spectacle admirablement bien fait, plein de vie et d’invention, souvent comique au second degré avec un côté B D, et vraiment intelligent où le metteur en scène ne cesse de dire à son habitude qu’on est bien au théâtre, et pas ailleurs. Avec une remarquable scénographie réalisée par les étudiants de quatrième année à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs à Paris: Xavi Ambroise, Martin Huot et Violette Rivière. Ainsi, le meurtre d’Iphigénie est juste suggéré: devant sur une toile tendue où elle est allongée, gicle son sang. Cela nous a rappelle cette scène d’Electre de Sophocle dans la mise en scène somptueuse d’Antoine Vitez (1986) où on entendait juste des rafales de mitraillette et où un flot de sang coulait doucement en dessous une porte, pour dire la mort d’Egisthe, accompagnée par la musique triste d’un accordéon.
C’est souvent drôle, parfois avec des anachronismes un peu faciles mais le tout fonctionne bien et les costumes actuels de Valérie Montagu sont réussis. Iphigénie en mini-jupe plissée et blouson noir, la déesse Artémis habillée tout en vert. Ce Portait de famille est diablement intelligent et on ne s’ennuie jamais: il y a une scène clairement inspirée par celle des artisans dans Le Songe d’une nuit d’été, des tonnes de fumigène sans raison évidente (au second degré?), des airs d’opéra, des chansons….
Les scènes se succèdent à un bon rythme et Jean-François Sivadier dirige à la perfection ses quatorze jeunes acteurs, impeccables jusqu’au bout. Mention spéciale à Aristote Luyindula (Agamemnon), Olivia Jubin (Iphigénie), Walid Caïd (Oreste), Olek Guillaume (Achille), et surtout à Marine Gramond (Clytemnestre) et Sébastien Lefebvre, le présentateur. Ils ont tous une excellente diction (donc, pour une fois, on entend bien le texte, ce qui devient rare et il y a une réelle unité de jeu avec, toujours une certaine distance : les personnages jouent aussi à être les personnages… pour le bonheur du public.
Mais Jean-François Sivadier maîtrise mieux l’espace que le temps, et un sérieux élagage ne serait pas un luxe, surtout dans la seconde partie, beaucoup moins solide: l’histoire d’Electre piétine et celle de Thyeste et d’Atrée, pas vraiment intéressante.
Ce Portait de famille, malgré ses grandes qualités, est trop long. Dommage! Et il est sûrement bien tard pour raccourcir certaines scènes mais cette saga familiale tragi-comique savoureuse, si elle était resserrée en à peine deux heures, le serait nettement plus…
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 1er juin au Domaine d’Ô, Montpellier (Hérault). Le Printemps des comédiens se poursuit jusqu’au 21 juin.
Du 18 au 29 septembre,Théâtre de la Commune, Aubervilliers ( Seine-Saint-Denis).
Les 4 et 5 octobre, Le Carré Sainte-Maxime (Var).
Les 13 et 14 novembre, La Coursive-Scène Nationale de La Rochelle ( Charente-Maritime)
Les 7 et 8 février Le TAP,-Scène Nationale de Poitiers. Les 12 et 13 février, L’Azimut-Antony/Châtenay-Malabry ( Hauts-de Seine).
Du 19 au 21 mars, Comédie de Béthune-Hauts de France ( Pas-de-Calais).
Du 19 au 29 juin, Le Théâtre du Rond-Point, Paris (VIII ème).