Le Révizor d’après Nicolas Gogol, adaptation et mise en scène de Théo Riera ( à partir de sept ans)
Le Révizor, d’après Nicolas Gogol, adaptation et mise en scène de Théo Riera (à partir de sept ans)
La pièce, créée à Saint-Pétersbourg en 1836, fut applaudie par les libéraux et attaquée par les réactionnaires, mais connaîtra un succès dû au scandale. «Tout le monde en a pris pour son grade, moi le premier, dira l’empereur Nicolas. » Mais Nicolas Gogol aurait voulu qu’on y voit, non une satire politique mais une comédie farcesque où il dénonçait la corruption et l’avarice de bourgeois provinciaux. Désemparé, l’écrivain quittera la Russie… La pièce est devenue un classique mais, vu l’importante distribution qu’elle exige, peu de metteurs en scène s’en emparent. Jean-Louis Benoît en 99, puis Christophe Rauck, il y a neuf ans au Théâtre du Peuple à Bussang, avaient bien réussi leur coup et il y a eu plusieurs adaptations au cinéma comme à la télévision..
L’histoire avait été suggérée à Nicolas Gogol par son ami, l’écrivain Alexandre Pouchkine. Cela se passe dans un petite ville de province où les habitants apprennent pour bientôt la visite d’un revizor, c’est à dire un inspecteur administratif… Chacun des fonctionnaires -ils ont tous trempé dans des magouilles et piqué dans la caisse- a une trouille absolue et essaye de voir comment il pourra faire face à cette inspection et échapper éventuellement à la prison.
Ils apprennent qu’un homme assez étrange est descendu avec son valet à l’auberge depuis quelques jours. Mais il ne sort jamais de sa chambre et n’a pas encore versé le moindre kopeck pour sa pension et ses repas. Serait-ce lui, ce revizor redouté ? Reçus les uns après les autres, ils vont tous sans état d’âme, arroser ce jeune homme qui leur demande avec calme de lui prêter un peu, voire beaucoup d’argent.
Très cynique, il n’hésitera pas à draguer à la fois la mère et la fille du bourgmestre… Et il promet honneurs et merveilles financières à ces bourgeois naïfs… Mais son valet l’avertit que la situation commence à être brûlante et qu’il vaudrait mieux filer en vitesse. Effectivement, on annonce l’arrivée du véritable inspecteur…
Depuis 1836, les choses dans tous les pays n’ont guère changé et même à l’ère informatique, les escrocs s’adaptent… Souvenez-vous, entre autres, des escroqueries de Nicolas Gomez Iglesias, un tout jeune Espagnol de vingt ans qui avait réussi à s’infiltrer dans les plus hautes sphères économico-politiques et à la cour de Felipe IV. Il avait ainsi fait de nombreuses victimes.
Comme le mois dernier dans la Région Auvergne-Rhône-Alpes, de faux conseillers bancaires avaient soutiré plusieurs centaines de milliers d’euros… à quatre cent personnes. Ils les mettaient en confiance et, on n’arrête pas le progrès, leur disaient qu’elles avaient été victimes d’une escroquerie, récupéraient leur numéro de carte bancaire, puis soutiraient de l’argent, via une application ou par sms. Nicolas Gogol aurait apprécié…
Et son Revizor reste un excellent terreau pour faire travailler de jeunes acteurs. « J’ai conçu, dit le metteur en scène, une adaptation qui se veut un véritable «concentré» de l’œuvre originale. La distribution a été réduite à neuf comédiens pour pousser au maximum les multiples caricatures qu’offrent les personnages de Gogol. (..) Il m’a semblé nécessaire de jouer cette pièce à la manière d’une farce. (…) J’ai voulu que le public vive leurs micro-tragédies à un rythme effréné. »
En effet, cela commence et continue vite. Sur le plateau noir vide, juste une sorte de haut bureau qui deviendra une banquette, puis un canapé. Les neuf jeunes acteurs jouent tous plusieurs rôles, en costumes actuels mais clownesques noirs à paillettes argentées ( les plus réussis sont ceux des actrices) et le visage grimé de blanc, tout aussi clownesque. Loin de tout réalisme ce choix esthétique n’est pas mal vu, quand on a des moyens limités… Et Théo Riera a réussi à traduire l’humour acide de Nicolas Gogol et à rendre tout à fait crédible cette histoire loufoque où se sont embarqués ces notables de province. Le spectacle a un bon rythme et mérite mieux que sa note d’intention, du genre bouillie répétitive: «L’esthétique proposée, éliminant toutes références culturelles ou temporelles, permet de créer un univers visuel fort, cohérent et immersif, accentuant le caractère intemporel et universel des thèmes abordés.»
Théo Riera a simplifié l’intrigue, éliminé les personnages secondaires et imaginé la fin avec une sorte de ballet surréaliste, en maîtrisant bien le coup de théâtre fabuleux imaginé par Nicolas Gogol. Quand le directeur des Postes- il en a l’habitude!- a sans aucun scrupule ouvert une lettre de Khlestakov: «Une affaire étonnante, Messieurs, le fonctionnaire que nous avions pris pour le revizor, n’était pas le revizor. Tous : Comment, pas le revizor ? »
Le jeune homme traite aussi dans cette lettre le bourgmestre d’âne bâté » puis le directeur des Postes, de « canaille et poivrot », le curateur des œuvres de charité, de « véritable cochon à casquette ». Et Khlestakov se vante aussi de séduire la femme et la fille du bourgmestre et précise cyniquement que la mère est plus facile à draguer (mention spéciale à Sophie Ellaouzi et Marie Cornudet). Tous ces bourgeois sont atterrés et comprennent qu’il se sont fait avoir et n’ont aucne possibilité de recours! Et on leur annonce en plus que le revizor attendu est à l’auberge où ils sont tous convoqués !
Il y a une bonne direction d’acteurs, les scènes s’enchaînent sans à-coup, les entrées et sorties par deux portes latérales se font facilement, ce qui est un miracle sur cette petite scène. Et Théo Riera est très crédible dans le rôle de ce jeune faux revizor qu’il joue avec élégance et désinvolture…
Le spectacle est encore brut de décoffrage et il y a encore du travail: les acteurs boulent souvent leur texte, la diction est approximative et mieux vaudrait éliminer un trop plein de criailleries… Mais bon, cela se travaille et devrait s’arranger; trois semaines avant le festival d’Avignon, le spectacle a toutes les chances de se bonifier et il faudra suivre cette compagnie des Loubards…
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 4 juin au Théâtre de Belleville, passage Piver, Paris (XI ème) et le 20 juin à 19h, le 23 juin à 14h45
Espace Alya, du 3 au 21 juillet à 14 h 35, Avignon.
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Ce Révizor, je l’ai souhaité contemporain, cynique, drôle et divertissant.
Théo RIERA
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