Léon Blum, une vie héroïque adaptation du podcast de Philippe Collin, conception de Philippe Collin, Violaine Ballet et Charles Berling
Léon Blum, une vie héroïque, adaptation du podcast à France Inter de Philippe Collin, conception: Philippe Collin, Violaine Ballet et Charles Berling
Adapter au théâtre une émission de radio : le pari avec une chorale, des danseurs, comédiens et musiciens amateurs du territoire de Belfort. Soit une soixantaine de personnes de tout âge sur le plateau ou essaimés dans la salle, pour partager une journée festive avec les spectateurs. Aux entractes, des débats avec l’historien Nicolas Rousselier , un bal populaire et un pique-nique républicain. Du spectaculaire : on voit opérer une régie-radio qui rythme en direct les interventions des interprètes et un dessinateur qui croque sur le vif les personnages de cette saga, contée par Philippe Collin. À ses côtés, Charles Berling prête sa voix à Léon Blum, en adoptant ses inflexions fluettes et Bérengère Warluzel lit des textes d’historiens et biographes.
Pour le plaisir des yeux, aux gestes millimétrés de la créatrice sonore Violaine Ballet, s’ajoutent les coups de pinceau et plume de Sébastien Goethals, auteur de BD et de films d’animation. Les dessins s’affichent sur un écran géant et, de sa main habile, naît un petit théâtre de personnages et scènes historiques.
Cela a eu lieu de quatorze à vingt-trois heures, à la Maison du Peuple de Belfort, lieu idéal pour convoquer cette icône de la gauche qui a traversé héroïquement les tempêtes du XX ème siècle. Les neuf heures de l’émissions ur France-Inter, réalisée en 2022 par Philippe Collin, ont été ramenées à six en neuf chapitres, de la naissance à la mort de Léon Blum (1872-1950). La dernière séquence, après ses funérailles nationales, est consacrée à l’héritage laissé par cette figure historique ambigüe…
Avec documents sonores, commentaires de biographes et journalistes lus par les acteurs de Belfort, et chants choraux, on nous raconte l’enfance insubordonnée puis les années d’apprentissage où se révèlent les ambitions littéraires de ce jeune dandy normalien, d’une famille juive alsacienne établie à Paris.
L’affaire Dreyfus propulsera le brillant conseiller d’État de vingt-cinq ans vers l’arène politique et, dans le sillage de Jean Jaurès (chapitre 2), à la S.F.I.O. (Section Française de l’International Ouvrière) en 1919. Nous vivrons avec lui la division des Gauches au congrès de Tours l’année suivante : il refusera les vingt-et-une conditions de Moscou pour adhérer à la III ème Internationale. «La réforme est révolutionnaire, ose-t-il dire, la révolution est réformiste. »
Puis le pacifisme échoue à l’orée de la Grande Guerre et Léon Blum en sortira effondré. Un temps, il revient à la critique dramatique qu’il n’a jamais cessé de pratiquer d’abord à La Revue Blanche, quand il avait vingt ans. Élu député socialiste en 1936, il formera un gouvernement de coalition incluant des femmes et initiera le Front populaire (chapitre 5/ Changer la vie) . Cet événement a donné lieu à des scènes de liesse et sur scène, on danse et chante L’Internationale, paroles d’Eugène Pottier (1871) et Vas-y, Léon de Gaston Montéhus (1936) ou Amusez-vous d’Henry Garat (1934):« Amusez vous/Comme des fous/ La vie passera comme un rêve /Faites les cents coups/ Dépensez tout /Prenez la vie par le bon bout/ Et zou.»
Des airs repris en chœur par le public, parmi les nombreuses partitions arrangées et entonnées par L’Echo des rafales, une chorale belfortaine : chants d’espoir, de résistance, ou détournés comme le révolutionnaire: Ah ! ça ira, ça ira, ça ira (1790) chanté… par les Camelots du Roi, un groupe antisémite et antirépublicain qui voue «tous les députés à la lanterne ».
En particulier, ce « Juif allemand naturalisé ou fils de naturalisé (..) un monstre de la République démocratique (…) Détritus humain à traiter comme tel. (…) Un homme à fusiller, mais dans le dos. »
Les injures antisémites, particulièrement virulentes à l’époque, ont accompagné Léon Blum toute sa vie. Ses opposants retrouvèrent Du Mariage (1907), un texte où il prônait l’égalité homme/femme et la liberté sexuelle pour celles-ci. «Gonflé pour l’époque!», commente l’historienne Dominique Missica. «Un pornographe au Conseil d’État!» titre un magazine réactionnaire.
Les réjouissances seront de courte durée! Arrive la guerre d’Espagne et les atermoiements de la France à intervenir. Léon Blum, incapable de trancher, sous-estimera aussi le danger nazi… Il ira à Munich puis assistera à l’agonie de la III ème République, et courageusement, affrontera le régime de Vichy, au procès qui lui sera fait à Riom en 1942. « Ah! Mon beau procès, ma tant ti relire lire/Avant d’être jugé /Déjà condamné.», se moque la chorale.
Léon Blum connaîtra les geôles françaises, puis la déportation à Buchenwald où le rejoint sa troisième épouse, Jeanne Reichenbach (chapitre 7 /Les Mariés de Buchenwald). Grâce à elle et à la littérature, sa première passion, il survivra mais reviendra à jamais démoli et se retirera de la vie politique : «Je n’oublie pas. Je n’efface pas. (…) Ma résolution: faire tout pour que l’Humanité ne soit plus jamais souillée par de telles horreurs. Jamais plus. »
Quelle est la leçon transmise par cet homme d’État, plus humaniste que politique? Il poursuivit sa vie durant, un rêve de justice en « socialisant les moyens de production» . Le jeune homme pétri de romantisme- Julien Sorel du Rouge et Noir de Stendhal était son modèle-arrivera à la tête du pays mais se révèlera plus idéaliste que stratège, et peu enclin à trancher dans le vif. Gouverner, c’est prévoir et cela lui a fait défaut lors des grandes crises. Mais ne lui jetons pas la pierre et son épopée a ouvert ici de beaux moments de débat.
Cette longue traversée de l’histoire, Philippe Collin et Charles Berling n’ont pas voulu en faire une n ième série documentaire mais la partager avec nos interrogations. Pour inscrire le spectacle dans les lieux de représentation, ils ont sollicité les forces culturelles locales. En amont, la coordinatrice, Hélène Bensoussan, a rencontré la direction du théâtre d’accueil, via les associations ou parties prenantes de l’aventure : chorales, compagnies de danse et de théâtre amateur, musiciens…
Après des mois de préparation sous sa direction artistique, un filage d’une journée a suffi pour réaliser cette pièce bien huilée. Charles Berling se demandait «comment dé-verticaliser la pratique du théâtre. L’équipe de création y a répondu en bâtissant un « événement participatif » exemplaire.
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 1er juin, à la Maison du Peuple, 1 place de la Résistance, Belfort (Territoire de Belfort) avec le Granit-Scène nationale. T. : 03 84 58 67 67.
Le 15 juin, Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).
Le 9 novembre de 14 h à 22 h, Maison de la Radio, avenue du Président Kennedy, Paris (XVI ème).
Le 7 décembre, Espace des Arts,-Scène nationale de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). Le 14 décembre, La Criée, Théâtre National de Marseille.
Le 5 avril, Théâtre National de Nice et le 26 avril, Théâtre de Grasse (Alpes-Maritimes).