Les Paravents de Jean Genet, mis en scène d’Arthur Nauzyciel

Les Paravents de  Jean Genet, mise en scène d’Arthur Nauzyciel

La pièce écrite en 1961 fut créée cinq plus tard dans la mise en scène de Roger Blin et les décors et costumes d’André Acquart au théâtre de l’Odéon pour la compagnie Madeleine Renaud-Jean-Louis Barrault, avec ses directeurs et une distribution exceptionnelle: Marie-Hélène Dasté, Maria Casarès, Jacques Alric, Michèle Oppenot… Et Tania Torrens, elle, encore vivante.

© enguerrand

© Enguerrand, mise en scène de Roger Blin (1966) 

Cette création eut lieu quatre ans après la fin des « événements » en Algérie pour ne pas dire guerre coloniale, et Jean Genet était virulent contre l’armée française. Les premières avaient été normalement jouées, puis il y eut des manifestations devant l’Odéon avec Gérard Longuet, Alain Madelin à la tête de groupes d’extrême droite dont certains  réussirent à entrer de force dans la salle et à jeter sur le plateau boules puantes et gaz lacrymo… pour faire cesser les représentations. Et cela, malgré la présence de C.R.S. en grand nombre près de l’Odéon. Des acteurs et techniciens furent même blessés.

 

©x Jean Genet et Roger Blin

© Enguerrand  Jean Genet et Roger Blin

André Malraux, ministre d’État, chargé des Affaires culturelles, défendra avec intelligence le spectacle à l’Assemblée Nationale : «Or, quiconque a lu cette pièce sait très bien qu’elle n’est pas anti-française. Elle est anti-humaine. Elle est anti-tout. Genet n’est pas plus anti-français que Goya anti-espagnol. (…) Mais là encore, Mesdames, Messieurs, allons lentement ! Car avec des citations on peut tout faire: «Alors, ô ma beauté, dites à la vermine qui vous mangera de baisers…. », c’est de la pourriture ! Une charogne, ce n’est pas un titre qui plaisait beaucoup au procureur général, sans parler de Madame Bovary. » (…) Car si nous interdisons Les Paravents, ils seront rejoués demain, non pas trois fois mais cinq cents fois. (…) L’essentiel n’est pas de savoir ce que nous pourrons faire de trois francs de subvention mais de savoir ce qu’on interdira ou non, de savoir quelle gloire sera donnée par l’interdiction à une pièce dont on veut minimiser la portée par une opération de Gribouille. Je ne crois pas que ce soit urgent. En fait nous n’autorisons pas Les Paravents pour ce que vous leur reprochez et qui peut être légitime ; nous les autorisons, malgré ce que vous leur reprochez, comme nous admirons Baudelaire pour la fin d’Une Charogne, et non pas pour la description du mort. »

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Saïd (Aymen Bouchou)  un mauvais garçon paumé vit avec sa mère (Marie-Sophie Ferdane en longue robe noire en guenilles). Ils sont pauvres et il ne peut qu’épouser la femme la plus laide du canton, Leïla, laide, le visage caché derrière une cagoule en filet. Il y a aussi les putains d’un bordel en corsage et  longue jupe dorés, des soldats français en treillis marqué d’un petit drapeau bleu-blanc-rouge. Et d’autres nombreux personnages mais assez peu réels. Loin de tout recours à une incarnation et à un certain illusionnisme, Jean Genet est fasciné par le mal, la violence et la relation à l’autre dans ce département français dont les citoyens ne parlaient pas tous et de loin, la même langue. Et qui n’avaient pas, bien entendu, les mêmes droits jusqu’au jour où… Jean Genet avait souvent insisté sur un éloignement des faits d’origine, nécessaire pour lui à la représentation de ses pièces comme et entre autres, Les Bonnes. Mais ici, dans Les Paravents, c’est quand même en filigrane, de la guerre d’Algérie dont il parle et qui eut des conséquences tragiques pour des millions d’Algériens et de Français. La pièce, malgré des moments d’une rare poésie,  est sans aucun doute inégale et, vu sa longueur, difficile à mettre en scène. Mais Arthur Nauziciel se sert du texte pour recréer un univers qu’il voudrait poétique avec des personnages qui sont plus ceux d’une fresque. Mais que le public, s’il ne connait pas Les Paravents, semble avoir du mal à identifier comme tels. Il y a les prostituées (Farida Rahouadj et Océane Caïraty) en longue robe et coiffe dorées, comme dans les mosaïques byzantines, et plus récemment les peintures de Gustave Klimt, la Mère, les Colons imbus d’eux-même, les Algériens, les officiers  et les soldats en short et chemise kaki avec drapeau bleu-blanc-rouge sur la poitrine.

 

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Cela commence mal avec une espèce de bouillie textuelle et irait sans doute mieux, s’il y avait une véritable direction d’acteurs, surtout dans la première partie… Une spectatrice à côté de nous, visiblement exaspérée, après plus de deux heures, a dit: « Je n’entends pas bien ce que les acteurs disent, je ne comprends rien donc je m’en vais. » Et c’est vrai, les acteurs ne parlent pas fort,  peut-être fatigués: ils sont obligés, mal éclairés par des lumières latérales qui ne les mettent pas en valeur de descendre et monter ces hautes marches d’au moins vingt centimètres et même des interprètes reconnus comme Marie-Sophie Ferdane (La Mère), Mounir Margoum (Habib, le Gendarme, Salem le combattant) ou  Xavier Gallais. (Madani, la Voix du mort, Le lieutenant, l’Académicien) ne semblent pas très à l’aise. Tous  jouent, la plupart du temps, face public mais comment faire autrement? Et l’ensemble, sec et statique, ne dégage pas d’émotion… Cela va un peu mieux dans la seconde partie. Mais, même si, encore une fois, les images sont souvent d’une grande beauté, tout se passe comme si Arthur Nauziciel s’était fait piéger par cet imposant et magnifique escalier blanc, déjà une œuvre plastique en soi imaginé par Riccardo Hernndez.  Il avait d’abord suivi une formation en arts plastiques et il a dû penser à la belle photo d’Alexandre Rodtchenko (1930) et bien sûr, au célèbre escalier construit en 1841 à Odessa, celui du Cuirassé Potemkine (1925) de Sergueï Eisenstein, métaphore de la vie et de la mort.

Il y a ici de belles images, dont certaines semblent empruntées à des artistes contemporains comme Lucio Fontana (1899-1968): une  grande toile blanche encadrée en fond de scène avec une fente, par où entrent les personnages. Un cadre blanc et vide suspendu fait penser à celui du jeune Robert Rauschenberg, et à celui ( plus petit et doré) imaginé par Sophie Calle pour mieux convoquer ses souvenirs, descend des cintres pour y remonter peu de temps après… Et une main droite grand modèle suspendue, opère le même aller et retour en quelques minutes. Proche de celle très grand format au-dessus de laquelle l’artiste australien Stelarc,  nu, est suspendu par de petits crochets, le temps d’une performance.

Ici, juste après l’entracte, est projetée une vidéo où un homme âgé lit les lettres émouvantes qu’envoyait son fils médecin, un « appelé du contingent » dans un village près de Tlemcen qui soignait les militaires français, comme la population locale. Cela allonge encore le spectacle et quelle est la relation avec le texte? La pièce, parfois assez bavarde, avec considérations métaphysiques et répliques provocatrices faciles du genre: « Branle-moi la nouille qu’elle effectue des moulinets gracieux. » a sans doute un peu vieilli et a été peu jouée. Dans nos souvenirs, la mise en scène, artisanale au meilleur sens du terme, de Roger Blin avec des acteurs à la diction irréprochable, fonctionnait bien, malgré le climat politique et les violentes manifestations à l’extérieur. Et, à cause d’une gigantesque panne d’électricité,  nous n’avions pu voir qu’une partie de la mise en scène de Patrice Chéreau dont  le scénographe Richard Peduzzi avait transformé la salle de Nanterre en ancien cinéma… Mais cela n’avait pas été un de ses meilleurs spectacles.

Là tout se passe comme si Arthur Nauzyciel avait voulu d’abord se faire plaisir sans tenir compte du texte original qu’il a largement élagué. Et il fait monter et descendre ses comédiens dans ce monumental escalier de dix-huit marches de vingt centimètres que, (pour faire chic et choc?), il éclaire parfois en blanc cru, en mauve, en bleu… Mais cet exercice de style n’a rien à voir avec la pièce. Et il fait souvent prendre à ses pauvres acteurs qui semblaient ce soir-là peu concernés ou fatigués ( ils n’avaient pas joué depuis trois jours )  des pauses acrobatiques… Où est la chorégraphie annoncée? Bref, on aurait aimé un peu plus d’humilité et ce spectacle, finalement assez prétentieux et lent (quatre heures!), distille un ennui de premier ordre, surtout dans la première partie  (il y a eu de nombreuses désertions à l’entracte…). Malgré encore une fois, de belles images, ce spectacle reste décevant… Dommage.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 19 juin, Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris (VI ème). T. : 01 44 85 40 40.

 

 


Archive pour 9 juin, 2024

Les Paravents de Jean Genet, mis en scène d’Arthur Nauzyciel

Les Paravents de  Jean Genet, mise en scène d’Arthur Nauzyciel

La pièce écrite en 1961 fut créée cinq plus tard dans la mise en scène de Roger Blin et les décors et costumes d’André Acquart au théâtre de l’Odéon pour la compagnie Madeleine Renaud-Jean-Louis Barrault, avec ses directeurs et une distribution exceptionnelle: Marie-Hélène Dasté, Maria Casarès, Jacques Alric, Michèle Oppenot… Et Tania Torrens, elle, encore vivante.

© enguerrand

© Enguerrand, mise en scène de Roger Blin (1966) 

Cette création eut lieu quatre ans après la fin des « événements » en Algérie pour ne pas dire guerre coloniale, et Jean Genet était virulent contre l’armée française. Les premières avaient été normalement jouées, puis il y eut des manifestations devant l’Odéon avec Gérard Longuet, Alain Madelin à la tête de groupes d’extrême droite dont certains  réussirent à entrer de force dans la salle et à jeter sur le plateau boules puantes et gaz lacrymo… pour faire cesser les représentations. Et cela, malgré la présence de C.R.S. en grand nombre près de l’Odéon. Des acteurs et techniciens furent même blessés.

 

©x Jean Genet et Roger Blin

© Enguerrand  Jean Genet et Roger Blin

André Malraux, ministre d’État, chargé des Affaires culturelles, défendra avec intelligence le spectacle à l’Assemblée Nationale : «Or, quiconque a lu cette pièce sait très bien qu’elle n’est pas anti-française. Elle est anti-humaine. Elle est anti-tout. Genet n’est pas plus anti-français que Goya anti-espagnol. (…) Mais là encore, Mesdames, Messieurs, allons lentement ! Car avec des citations on peut tout faire: «Alors, ô ma beauté, dites à la vermine qui vous mangera de baisers…. », c’est de la pourriture ! Une charogne, ce n’est pas un titre qui plaisait beaucoup au procureur général, sans parler de Madame Bovary. » (…) Car si nous interdisons Les Paravents, ils seront rejoués demain, non pas trois fois mais cinq cents fois. (…) L’essentiel n’est pas de savoir ce que nous pourrons faire de trois francs de subvention mais de savoir ce qu’on interdira ou non, de savoir quelle gloire sera donnée par l’interdiction à une pièce dont on veut minimiser la portée par une opération de Gribouille. Je ne crois pas que ce soit urgent. En fait nous n’autorisons pas Les Paravents pour ce que vous leur reprochez et qui peut être légitime ; nous les autorisons, malgré ce que vous leur reprochez, comme nous admirons Baudelaire pour la fin d’Une Charogne, et non pas pour la description du mort. »

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Saïd (Aymen Bouchou)  un mauvais garçon paumé vit avec sa mère (Marie-Sophie Ferdane en longue robe noire en guenilles). Ils sont pauvres et il ne peut qu’épouser la femme la plus laide du canton, Leïla, laide, le visage caché derrière une cagoule en filet. Il y a aussi les putains d’un bordel en corsage et  longue jupe dorés, des soldats français en treillis marqué d’un petit drapeau bleu-blanc-rouge. Et d’autres nombreux personnages mais assez peu réels. Loin de tout recours à une incarnation et à un certain illusionnisme, Jean Genet est fasciné par le mal, la violence et la relation à l’autre dans ce département français dont les citoyens ne parlaient pas tous et de loin, la même langue. Et qui n’avaient pas, bien entendu, les mêmes droits jusqu’au jour où… Jean Genet avait souvent insisté sur un éloignement des faits d’origine, nécessaire pour lui à la représentation de ses pièces comme et entre autres, Les Bonnes. Mais ici, dans Les Paravents, c’est quand même en filigrane, de la guerre d’Algérie dont il parle et qui eut des conséquences tragiques pour des millions d’Algériens et de Français. La pièce, malgré des moments d’une rare poésie,  est sans aucun doute inégale et, vu sa longueur, difficile à mettre en scène. Mais Arthur Nauziciel se sert du texte pour recréer un univers qu’il voudrait poétique avec des personnages qui sont plus ceux d’une fresque. Mais que le public, s’il ne connait pas Les Paravents, semble avoir du mal à identifier comme tels. Il y a les prostituées (Farida Rahouadj et Océane Caïraty) en longue robe et coiffe dorées, comme dans les mosaïques byzantines, et plus récemment les peintures de Gustave Klimt, la Mère, les Colons imbus d’eux-même, les Algériens, les officiers  et les soldats en short et chemise kaki avec drapeau bleu-blanc-rouge sur la poitrine.

 

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Cela commence mal avec une espèce de bouillie textuelle et irait sans doute mieux, s’il y avait une véritable direction d’acteurs, surtout dans la première partie… Une spectatrice à côté de nous, visiblement exaspérée, après plus de deux heures, a dit: « Je n’entends pas bien ce que les acteurs disent, je ne comprends rien donc je m’en vais. » Et c’est vrai, les acteurs ne parlent pas fort,  peut-être fatigués: ils sont obligés, mal éclairés par des lumières latérales qui ne les mettent pas en valeur de descendre et monter ces hautes marches d’au moins vingt centimètres et même des interprètes reconnus comme Marie-Sophie Ferdane (La Mère), Mounir Margoum (Habib, le Gendarme, Salem le combattant) ou  Xavier Gallais. (Madani, la Voix du mort, Le lieutenant, l’Académicien) ne semblent pas très à l’aise. Tous  jouent, la plupart du temps, face public mais comment faire autrement? Et l’ensemble, sec et statique, ne dégage pas d’émotion… Cela va un peu mieux dans la seconde partie. Mais, même si, encore une fois, les images sont souvent d’une grande beauté, tout se passe comme si Arthur Nauziciel s’était fait piéger par cet imposant et magnifique escalier blanc, déjà une œuvre plastique en soi imaginé par Riccardo Hernndez.  Il avait d’abord suivi une formation en arts plastiques et il a dû penser à la belle photo d’Alexandre Rodtchenko (1930) et bien sûr, au célèbre escalier construit en 1841 à Odessa, celui du Cuirassé Potemkine (1925) de Sergueï Eisenstein, métaphore de la vie et de la mort.

Il y a ici de belles images, dont certaines semblent empruntées à des artistes contemporains comme Lucio Fontana (1899-1968): une  grande toile blanche encadrée en fond de scène avec une fente, par où entrent les personnages. Un cadre blanc et vide suspendu fait penser à celui du jeune Robert Rauschenberg, et à celui ( plus petit et doré) imaginé par Sophie Calle pour mieux convoquer ses souvenirs, descend des cintres pour y remonter peu de temps après… Et une main droite grand modèle suspendue, opère le même aller et retour en quelques minutes. Proche de celle très grand format au-dessus de laquelle l’artiste australien Stelarc,  nu, est suspendu par de petits crochets, le temps d’une performance.

Ici, juste après l’entracte, est projetée une vidéo où un homme âgé lit les lettres émouvantes qu’envoyait son fils médecin, un « appelé du contingent » dans un village près de Tlemcen qui soignait les militaires français, comme la population locale. Cela allonge encore le spectacle et quelle est la relation avec le texte? La pièce, parfois assez bavarde, avec considérations métaphysiques et répliques provocatrices faciles du genre: « Branle-moi la nouille qu’elle effectue des moulinets gracieux. » a sans doute un peu vieilli et a été peu jouée. Dans nos souvenirs, la mise en scène, artisanale au meilleur sens du terme, de Roger Blin avec des acteurs à la diction irréprochable, fonctionnait bien, malgré le climat politique et les violentes manifestations à l’extérieur. Et, à cause d’une gigantesque panne d’électricité,  nous n’avions pu voir qu’une partie de la mise en scène de Patrice Chéreau dont  le scénographe Richard Peduzzi avait transformé la salle de Nanterre en ancien cinéma… Mais cela n’avait pas été un de ses meilleurs spectacles.

Là tout se passe comme si Arthur Nauzyciel avait voulu d’abord se faire plaisir sans tenir compte du texte original qu’il a largement élagué. Et il fait monter et descendre ses comédiens dans ce monumental escalier de dix-huit marches de vingt centimètres que, (pour faire chic et choc?), il éclaire parfois en blanc cru, en mauve, en bleu… Mais cet exercice de style n’a rien à voir avec la pièce. Et il fait souvent prendre à ses pauvres acteurs qui semblaient ce soir-là peu concernés ou fatigués ( ils n’avaient pas joué depuis trois jours )  des pauses acrobatiques… Où est la chorégraphie annoncée? Bref, on aurait aimé un peu plus d’humilité et ce spectacle, finalement assez prétentieux et lent (quatre heures!), distille un ennui de premier ordre, surtout dans la première partie  (il y a eu de nombreuses désertions à l’entracte…). Malgré encore une fois, de belles images, ce spectacle reste décevant… Dommage.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 19 juin, Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris (VI ème). T. : 01 44 85 40 40.

 

 

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