Printemps des comédiens (suite)

Printemps des comédiens (suite)

Que voir? Difficile de choisir parmi les courts et longs formats (parfois fleuve) de jeunes créateurs ou d’artistes confirmés. Il y a des adaptations d’œuvres majeures comme La Mouette, Platonov, Marius, Liliom… et des formes collectives, en prise sur le politique : Résistance ! La jeunesse face à l’histoire moderne de l’Europe, Une Assemblée des femmes aujourd’hui, Life is not a picnic… Il y a aussi les projets de jeunes compagnies montpelliéraines et alentour, dites « Warm up ». Et les spectacles de sortie d’école…

Balkony-Pieśni Miłosne (Balcons-Chants d’amour) d’après L’Eté de la vie de John Maxwell Coetzee et La Maison de Bernarda de Federico García Lorca, mise en scène de Krystian Lupa (en polonais, surtitré en français)

Qu’y a-t-il de commun entre lautobiographie (fictive) de John Maxwell Coetzee, son ironie autodestructrice dans une Afrique du Sud sous le joug de l’apartheid, et la pièce de Federico Garcia Lorca avec une Andalousie sous un soleil de plomb et une société figée? A priori, rien, sinon la clôture dans laquelle se figent les personnages: John Maxwell Coetzee bâtit un mur en ciment autour de sa maison et Bernarda s’enferme dans son deuil, en y condamnant aussi ses filles…Un mariage de la carpe et du lapin: le metteur en scène et ses acteurs tirent une descente dans l’intime, ouverte sur le monde, le balcon étant la frontière entre le dedans et le dehors. Depuis la salle, Krystian Lupa -démiurge et spectateur- commente par intermittence les dires et le jeu des comédiens. Comme si l’œuvre était encore en gestation.

La cohérence se tisse au fil des séquences dans un décor sophistiqué dont l’artiste polonais a le secret. Par la magie d’un tulle, un mur un peu lépreux traverse le plateau et devient un écran géant où sont projetées les images qui hantent le metteur en scène. Des balcons: deux en haut, deux en bas, donnent sur les appartements habités à jardin, tour à tour par John Maxwell Coetzee (Andrzej Kłak), son père (Wojciech Ziemiański ), et le biographe de l’écrivain. À cour, au rez-de-chaussée, la maison de Bernarda, ouvrant sur l’avant-scène, avec éléments de mobilier disparates. On voit parfois apparaître à l’étage, un avatar d’Elfriede Jelinek (Janka Woźnicka). L’écrivaine autrichienne, elle aussi, ne sort plus, a peur des gens et craint la foule. Ses textes deviennent de plus en plus abscons et Krystian Lupa l’imagine paranoïaque, déprimée. Au téléphone, son dernier lien avec le monde, elle vitupère l’époque, éructe contre James Joyce et son traitement grossier de Molly Bloom ….

© C. Chauvin

© Natalia Kabanov

L’adaptation juxtapose ces univers littéraires autour d’un axe principal : la pièce de Federico Garcia Lorca. Bernarda (Halina Rasiakówna) et son inquiétante servante (Michał Opalińsk) règnent sur un gynécée. Le glas sonne longuement, une femme en noir fait reluire les carreaux d’une fenêtre avant qu’arrive un cortège funèbre…  Dans cette maison, on veille les morts, on s’ennuie comme chez Tchekhov mais la religion entretient la frustration et sue par tous les pores: corps alanguis, disputes hystériques, masturbation, querelles autour du fameux Pepe que se disputent les sœurs: «Dans chaque pièce, il y a une tempête.» Figure du mâle: un puissant étalon blanc qu’on entend ruer dans l’écurie et qu’Adela, la plus jeune et la plus rebelle des filles, rêverait d’enfourcher, selon l’image gigantesque projetée sur écran. Mais la petite dernière (Anna Ilczuki) va dire: non ! au sort que lui réserve sa mère. Elle  prend le relais avec un texte de son cru et dit : non! aux corps féminins hystériques, ou passifs sous les caresses, exposés sur l’écran. Elle quitte la scène et, parcourant les rangs du public, maudit le système patriarcal qui a tenu si longtemps les femmes cantonnées dans les maisons et les fantasmes érotiques ou ménagers… Balcons s’achève sur cette belle échappée qui prend de court le metteur en scène : «Le personnage vient de t’échapper, il ne t’obéit plus. », constate-t-il hors champ, ironique.

Le biographe de John Maxwell Coetzee aura interviewé Juliet (Marta Zięba), l’une des amantes évoqué par l’auteur dans L’Eté de la vie. Elle donne sa propre version de cette liaison, matérialisée par un film, puis avec une reconstitution sur le plateau, d’un épisode érotique. Le lit devient le théâtre d’une rupture quand Juliet refuse de se livrer corps et âme à l’écrivain, sur la musique d’un quatuor à cordes de Schubert. Elle décrit son amant de façon peu flatteuse, comme un oiseau qui ne saurait pas voler et qui, en amour, est autiste…Les épisodes s’enchaînent, accompagnés d’une riche iconographie : aux tableaux de Goya sur la guerre, se superposent les gros plans des acteurs et des photos ou films illustrant leurs récits. Krystian Lupa nous entraîne obstinément dans un dédale parsemé de remarques amusées, si l’on veut bien l’y suivre, ce qui n’est pas le cas de tous les spectateurs.

La pièce se clôt sur Adieu, un court poème de Federico Garcia Lorca: «Si je meurs/Laissez le balcon ouvert./L’enfant mange des oranges./ (De mon balcon je le vois) / Le moissonneur fauche le blé./ (De mon balcon je l’entends)/Si je meurs laissez le balcon ouvert(« (…) A qui s’adressent ces vers émouvants ? Créé au Teatr Polski Underground de Wroclaw, cette pièce en quatre heures trente avec entracte, serait-elle un acte testamentaire?  Krystian Lupa semble avoir associé ces auteurs pour élargir, par frottement, son point de vue, en guettant l’insondable -souvenirs et pensées- qui affleure au grand jour ? Les siens et ceux des écrivains qu’il fréquente. Autour, entre autres, de la question: «Qu’en est-il de l’amour entre l’homme et femme? » De ce spectacle énigmatique comme un rêve, resteront de superbes images et des scènes saisissantes avec une troupe homogène dont les interprètes composent sous la houlette de l’artiste, des tableaux vivants et d’un rôle à l’autre, nous éclairent, de leur jeu expressif, dans cette longue traversée des sens.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 14 juin, au Printemps des comédiens. Jusqu’au 21 juin, le festival se poursuit à la Cité du Théâtre, Domaine d’Ô, Montpellier (Hérault). T. : 04 67 63 66 67.Printempsdescomediens.com

 


Archive pour 19 juin, 2024

Démissionner ou collaborer ? Un danger imminent guette la Culture

Démissionner ou collaborer ? Un  danger imminent guette  la Culture
 
 Les militants de gauche nous avaient reproché à Hervée de Lafond et à moi-même, Jacques Livchine d’avoir dirigé pendant neuf ans, la Scène Nationale de Montbéliard, alors que la Mairie était de droite. Certes, il y a eu des frictions mais on finissait toujours par s’arranger. Louis Souvet ( R.P.R. puis U.M.P)  était capable de voir le bien que nous faisions à sa ville et avait entendu un habitant lui dire: si je reste à Montbéliard, c’est pour le Théâtre de l’Unité.  Louis Souvet n’était pas notre pote mais quand nous avons été directeurs de la Scène Nationale, nous avions convenu d’un accord: nous ne voterions jamais pour lui et en échange, nous devions nous abstenir d’appartenir aux Partis Communiste et Socialiste pendant la durée de notre mandat.
 

©x La Nuit unique un des récents spectacles du Théâtre de l'Unité

©x La Nuit unique, un des récents spectacles du Théâtre de l’Unité

Maintenant, que va-t-il se passer? Les coupes budgétaires ont déjà commencé en Région Auvergne-Rhônes Alpes: Laurent Wauquiez a frappé au porte-monnaie de nombreuses compagnies qui ne semblaient pas être dans sa ligne.
Rachida Dati,  ministre de la Culture, elle, a beaucoup diminué les budgets de la Comédie-Française et de l’Opéra, au nom des économies  imposées par Bruno Lemaire.
Et, si nous héritions de Marion Maréchal au ministère de la Culture, le régime dont bénéficient les intermittents du spectacle risquerait d’être gravement atteint. Ariane Mnouchkine, directrice du Théâtre du Soleil, est radicale et se refusera à négocier avec les  porteurs de la flamme R.N.

 Méfions-nous! Ce n’est pas leur argent mais celui des impôts du Peuple.  Le R.N. ne peut pas nous en priver et mettre à mort la Culture subventionnée. “Le combat spirituel, disait Arthur Rimbaud, est aussi brutal que la bataille d’hommes.” Oui, cela va être dur, mais je ne  ferai jamais le cadeau au R.N., de mettre fin au Théâtre de l’Unité et nous entrerons alors dans une furieuse résistance. Nos lieux doivent devenir des bastilles imprenables.
 Le bon théâtre n’est pas de gauche ou de droite, et pas non plus, un outil de propagande!  Mais plutôt un lieu de dialogue, réflexion et oxygénation. Depuis vingt ans, Audincourt où nous sommes implantés, a un maire P. S.  qui nous soutient et qui fait même du Théâtre de l’Unité, une figure de proue de l’image de la ville.  D’une loyauté exemplaire, il nous prête une grande maison, un lieu dont nous avons fait un dépôt de costumes et accessoires, un studio de deux-cent cinquante  places où nous présentons note  kapouchnik, un cabaret mensuel. Nous n’avons pas de  subvention municipale mais le coût estimé de ces avantages est de 70.000 €, que nous rendons sous forme de spectacles.
Savoir si nous aurons encore ou pas, la subvention du ministère de la Culture nous donne des sueurs froides.  Et si l’agglomération L.R .nous privait de notre « château » de treize chambres, là, nous serions en grand danger. Le ciel est parsemé de nuages très noirs et les 30 juin et 7 juillet prochains seront cruciaux.
Jacques Livchine, codirecteur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité à Audincourt ( Doubs).

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