Printemps des Comédiens 2024 (suite et fin)
Printemps des Comédiens 2024 (suite et fin)
Ce festival fait une place à la relève artistique, avec les projets de jeunes compagnies de Montpellier et alentour et avec aussi un « warm up« , et des spectacles de sortie de l’École Nationale Supérieure d’Art Dramatique montpelliéraine. Celle-ci bénéficie de lieux comme la maison Louis Jouvet, située dans un grand édifice du XVII ème siècle au cœur de la ville, avec trois salles de 150, 80 et 60 places et deux autres, moyennes, et enfin d’un studio de cinéma avec caméras et tables de montage numérique.
Le Hangar Théâtre accueille les spectacles de l’Ecole et les créations de compagnies en résidence. Les élèves de troisième année y ont joué trois pièces par jour, sous la houlette de leurs professeurs : Georges Lavaudant, Katia Ferreira et Gildas Milin. Un marathon théâtral de dix heures pour Marwan Ajili, Léopold Bertheau, Clara Bertholle, Célia Farenc, Juliette Jeanmougin, Clara Lambert, Paul Larue, Coline Le Bellec, Tristan Leroy, Eloïse Marcenac, Nicolas Mares, Hugo Serre, Colin Sinoussi et Lauretta Tréfeu. Ce sont des spectacles très aboutis, prêts à aller en tournée, si l’occasion se présentait.
Le Malheur indifférent, d’après Peter Handke, traduction d’Anne Gaudu, adaptation et mise en scène de Georges Lavaudant
Dans ce roman publié en 1972, l’auteur raconte la vie de sa mère qui vient de se suicider à cinquante-et-un ans. Sidéré par cet acte, il analyse froidement le destin d’une femme qui, malgré sa soif d’instruction, a dû renoncer à ses ambitions, pour faire un mariage sans amour. Elle a traversé la guerre sous les bombes à Berlin, puis a vécu la division de l’Allemagne, avant de retourner dans son village natal où elle sombrera dans une grave dépression. Le même coin perdu de Haute-Autriche où se situe aussi la pièce Par les villages, écrite quelques années plus tard (voir Théâtre du blog) .Georges Lavaudant fait de ce récit autobiographique, un diptyque aux chapitres contrastés.
La première partie, très visuelle, reconstitue les années de jeunesse de sa mère dans le Berlin de l’avant-guerre, des années folles jusqu’au nazisme, en une suite de courtes séquences. Un rideau argenté s’ouvre sur une scène de music-hall où les comédiens font des numéros de cabaret chant, danse, acrobatie. Des éléments de décor figurent différents lieux (bar, bal, chambres…). Le metteur en scène laisse ainsi s’épanouir les multiples talents des jeunes comédiens. Il y insère une séquence de la comédie musicale Cabaret, et une interview de l’écrivain-représenté par une petite marionnette manipulée par le personnage de la journaliste. On y sent aussi l’influence des Beatles et de Wim Wenders.
Dans la seconde partie, retour au texte de Peter Handke : une narration à la première personne du singulier, dans la prose froide et factuelle d’un journal intime. L’écrivain décrit la triste fin de sa mère, inéluctable car déterminée par son appartenance sociale et par le contexte historique et géographique: «Naître femme dans ces conditions, écrit-il, c’est directement la mort. » Chaque interprète prend en charge un fragment de ce Malheur indifférent, en y injectant sa propre sensibilité. Un exercice qui met en avant la personnalité de ces interprètes en herbe. Le spectacle, composé avec intelligence dans une esthétique qui rappelle les grandes heures de Georges Lavaudant, montre que ces jeunes gens sont désormais armés pour se lancer dans leur vie d’artiste.
Tristesse animal noir d’Anja Hilling, traduction de Silvia Berutti Ronelt, mise en scène de Katia Ferreira
La pièce, inspirée d’un fait divers, prend la forme d’un récit où alternent didascalies et dialogues. Six quadras urbains arrivent un soir d’été caniculaire dans une forêt pour s’offrir un barbecue. L’écriture, telle une caméra embarquée, capte, par le menu, la forêt desséchée, ses bruissements, couleurs et odeurs, le contenu du minibus et le déballage du pique-nique.
Ou les conversations révélant les liens amicaux ou familiaux entre les protagonistes, leurs impressions intimes, leurs échanges acidulés comme leurs désirs, exacerbés par l’alcool et leur émerveillement devant la Nature.
Ils parlent de la célèbre maison sur la cascade de Franck Lloyd Wright, ou citent Walden de Thoreau… Et s’endorment à la belle étoile, bercés par Always on my mind d’Elvis Presley que fredonne le chanteur de la bande. Au deuxième acte, cette comédie de mœurs vire à la tragédie. Le feu couve tel «un animal silencieux.» « Au début, on le savoure. » Puis: « On se sent comme un œuf dans un tourbillon de phosphore . » Cris, peur, panique, chaleur, sueur, douleur et soif… C’est le sauve-qui-peut. Dans une épopée hallucinée écrite au plus près des sensations, fouillant les corps comme le font les flammes. Les comédiens s’en emparent et transportent le spectateur dans le «giron du feu».
Au troisième acte, on compte les victimes, on enterre les morts (bêtes et humains) et soigne les plaies qui ne se refermeront pas. Les vies partent en lambeaux, comme la peau des brûlés… Le désespoir de l’homme est insondable face à la Nature qui «est bien plus simple» et prend ici sa revanche. La metteuse en scène, sortie aussi de l’École Nationale Supérieure d’Art Dramatique de Montpellier, a hérité le goût de l’image du metteur en scène Cyril Teste, avec qui elle joue régulièrement et elle rend la forêt présente par des mouvements de caméra, effets de lumières et sons: un univers bruissant de mille-pattes, scarabées, écureuils, martres, chevreuils…
Katia Ferreira dirige au plus près les jeunes artistes dans tous les registres de jeu que leur offre l’écriture et ils s’y prêtent avec habileté. Les six protagonistes sont rejoints, dans la deuxième partie, par la troupe et forment un chœur tragique. Le spectacle finit avec un gros plan sur chaque personnage : mort, blessé, et à jamais traumatisé par la catastrophe. Jeux en direct, et devant la caméra, se conjuguent pour donner à ce puzzle textuel la forme d’un cauchemar à la David Lynch. Plus qu’un exercice de sortie d’école, Tristesse animal noir est un spectacle à part entière qui mériterait de poursuivre sa route.
Warm up#10
Rendez-vous est donné pour voir les prémisses de créations à venir et que Le Printemps des comédiens suivra sur un an. Aujourd’hui, cinq compagnies viennent montrer leurs projets, sous forme d’une présentation en vingt minutes pour chacune. Un exercice obligé quand on cherche des producteurs..
Fils de, par la compagnie La Barak
Cette « meute artistique » : ainsi se nomment ces jeunes gens sortis du cours Florent à Montpellier, souhaite mettre en scène le procès des frères Karamazov : qui, des quatre fils, a tué le père ? Un tribunal populaire car il appartiendra au public de juger in fine. Le fond est russe, mais la forme, américaine, emprunte au feuilleton policier.
A travers Dostoïevski, Matthieu Dandreau et Romain Ruiz qui a écrit le texte- veulent mettre en scène la crise de sens de leur génération, à la lumière de celle de leurs aînés. La compagnie s’est déjà frotté avec succès aux Démons du même auteur mais le spectacle, malgré un accueil chaleureux, n’avait pu être suffisamment exploité à cause du Covid. Un projet à suivre.
Virginia par la compagnie Casquettes
Jess Avril,également issue de l’École Nationale Supérieure d’Art Dramatique de Montpellier, va, pour le premier spectacle de sa compagnie, reconstituer les dernières heures de Virginia Woolf, avant qu’elle ne mette fin à ses jours. Son enquête la mènera à explorer son œuvre,, en particulier, Une Chambre à soi. Jess Avril envisage d’écrire et mettre en scène ce solo pour une actrice.
Tragédie Démocratie par le Groupe O
La démocratie est malade. La compagnie fondée par Lara Marcou et Marc Vittecoq en 2016 propose, avec ce quatrième spectacle, de revenir à la Grèce de Platon et de Socrate, berceau du théâtre, pour creuser la notion de « gouvernement par le peuple». La pièce s’écrira au plateau avec six comédiens.
L’Ombre, autopsie d’un corps technique par le collectif S.N.L.R. (Surtout ne lâchez rien)
« Qu’est-ce que les techniciens racontent à propos des artistes ?» Ce solo, interprété par Manon Petitpretz, questionnera la condition des ouvriers du théâtre et pourquoi certains choisissent l’ombre des coulisses, plutôt que la lumière du plateau.
Nostalgie du réconfort par le ES3-Théâtre
A partir d’interviews de membres de sa famille, à qui il a posé quatre-vingt questions – toujours les mêmes- Mathieu Dandreau écrit et interprètera un seul en scène. Un portait de groupe de personnages, issus de milieux ouvriers et paysans, auquel il mêlera ses « souvenirs de jeune homo d’Auvergne ».
Mireille Davidovici
Du 30 mai au 21 juin, Le Printemps des comédiens, Cité du Théâtre, Domaine d’Ô, Montpellier (Hérault) T. : 04 67 63 66 67.
Printempsdescomediens.com