Stadium de Mohamed El Khati
Stadium de Mohamed El Khatib
Bien avant que la décision irresponsable du président de la République ne plonge la France dans le chaos et la haine, Emmanuel Demarcy-Mota et ses collaborateurs ont eu l’idée de programmer un week-end de fête autour du spectacle vivant et du sport. Dans ce nouveau contexte actuel, Stadium, créé en 2017 (voir Théâtre du Blog), prend encore plus de sens. La pièce s’avère porteuse d’une funeste prémonition.
Christine Friedel écrivait: « L’auteur a recueilli les souvenirs encore proches sur la mine à Lewarde qui a fermé dans les années 90, est devenue aujourd’hui Centre Historique Minier, et le témoignage de l’un des derniers maires communistes de la région. Le séisme politique est encore présent, creusé par l’effondrement industriel: il y eut l’espoir avec la gauche de 2012, et le basculement en 2017 vers le Front National avec toute la puissance déferlante entraînée par la déception ».
Ce qui s’est produit au niveau local, risque maintenant d’arriver au niveau national ! La Gazette de la Place éditée par le Théâtre de la Ville a beau annoncer ce week-end festif sous le titre L’amour est sur la place, expression empruntée à Roland Barthes, mais l’atmosphère à Paris dans la perspective des élections est lourde.
Programmer Stadium le soir de la fête de la musique et au même moment qu’un match de l’Euro 2024 avec l’équipe de France, était aussi un pari risqué. Pourtant les gradins (six cent cinquante places) sont pleins.
Les interprètes, habitants et supporters du Racing Club de Lens, nous racontent sur scène où, à travers des témoignages vidéo, leurs vies, leurs déceptions et leurs amours pour cette équipe, seul cœur battant d’une région sinistrée. La magie de la vérité, portée par ce théâtre documentaire, s’est produite mais l’amertume et la crainte de l’avenir planent comme un aigle noir au-dessus de nos têtes. Des phrases écrites à l’époque prennent un sens cruel : «Le public est versatile, il faut qu’il change. », dit Christophe Dugarry (vainqueur de la coupe du monde en 1998). « On n´attend rien de l’actuel gouvernement, ni du prochain», peut-on lire sur une banderole déployée par ces acteurs-supporters, vedettes d’une soirée paradoxale. Les témoignages poignants se succèdent.
Nous garderons longtemps en mémoire une des questions de Jonathan, président des Red Tigers, un club de supporters, à Mohamed El Khatib : «On nous dit toujours qu’il faut qu’on regarde l’Art, mais est-ce que l’Art nous regarde ? Tu vois, le Louvre-Lens, il est juste à côté du stade Bollaert; est-ce que l’Art consiste à nous ramener des œuvres d’art qui moisissent dans des caves à Paris pour nous les montrer? Tu peux m’expliquer pourquoi les seuls Lensois qui travaillent au Louvre-Lens, ils travaillent à la sécurité, ou bien au nettoyage? On est trop cons, nous, pour travailler dans un centre d’art ? T’as déjà vu une œuvre d’art renverser un pouvoir ? » Tout était dit mais les gouvernants, et nous-mêmes, ne les avons pas écoutés.
Grand moment du spectacle: le Nisi Dominus de Vivaldi retentit. Un air que la mère de Georges écoutait en boucle. Décédée en 97, elle a cousu durant trois ans un très grand drapeau de supporter du R.C. Lens. A chaque match, Georges que l’on nomme « Monsieur Drapeau», continue de le balancer, en hommage à sa mère avec la musique de Vivaldi dans la tête…
Il nous fait ainsi partager ce moment unique. Il sera difficile d’oublier ces femmes et ces hommes en tenue rouge et jaune qui nous invitent au final à danser avec eux et à devenir l’espace d’une soirée ,de vrais supporters de l’équipe de Lens.
Jean Couturier
Spectacle vu place du Châtelet le 21 juin. Programmation Théâtre de la Ville, Paris, dans le cadre des Olympiades Culturelles. T. : 01 42 74 22 77