Le Poids des fourmis de David Paquet, mise en scène de Philippe Cyr (tout public, dès treize ans)
Que faire lorsque les menaces semblent nous dépasser, dans un monde qui marche sur la tête? À cette question, répond un texte à l’humour ravageur dans une mise en scène sur fond de système scolaire en crise.
Le directeur du collège annonce «la semaine du futur », comme on lancerait une campagne pour Coca-Cola, dans un décor style club Med. Affalé sur une chaise longue, bermuda et chemise hawaïenne, il propose aux élèves des élections. Seront-elles l’occasion pour Jeanne et Olivier de changer le cours des choses? La jeune fille est en colère: non seulement la cantine offre des lasagnes sans fromage, les cours dispensent du bourrage de crâne mais une publicité dans les toilettes vante shampoings et produits de beauté : «Fuck you ! Je suis déjà belle.», s’écrie l’adolescente en vandalisant le panneau. Espérant désamorcer sa révolte par le canal de la «démocratie», le chef d’établissement lui propose de se faire élire au conseil étudiant.

© Yanik MacDonald
Olivier, lui, ne se remet pas d’un cauchemar: on lui offrait «la Terre morte» en cadeau d’anniversaire. Que faire quand la planète brûle et que le système capitaliste attise l’incendie ? Les adultes ne proposent aucune solution à son « éco-anxiété », sauf une libraire farfelue qui lui recommande l’Encyclopédie du savoir inutile. Il y trouve matière pour se présenter lui aussi aux élections. Jeanne en pasionaria et Olivier en doux rêveur s’affrontent à grand renfort de discours. Mais ils seront coiffés au poteau par une troisième candidate qui promet des pizzas gratuites à tous…
Elections, trahisons, tel est l’amer constat. Reste que nos deux héros auront ouvert les yeux et s’allient pour aller plus loin. Car l’union fait la force. «Le Poids des fourmis est un appel à la solidarité. L’entraide, c’est contagieux et ça mobilise. Réunir les petits, c’est devenir des poids lourds, conclut David Paquet. » L’auteur québécois n’y va pas par quatre chemins et dans ce texte destiné aux collégiens et lycéens, il se pose en lanceur d’alerte et prône l’indignation: «Si l’on pense à Rosa Parks, Martin Luther King Jr., Emma Gonzalez ou Greta Thunberg, c’est ce désir d’avoir un impact sur la société qui est au cœur du Poids des fourmis. »
Philippe Cyr s’empare de ce brûlot pour en faire une comédie acide, poussée jusqu’à l’outrance. Les acteurs jouent le jeu à fond, dans un décor des plus kitch et nous enchantent avec les accents chantants de la Belle Province. Les adultes, en costume de plage de mauvais goût, vivent dans une prospérité illusoire, sous un ciel d’incendie dans un îlot; autour, flotte une marée noire prête à les engloutir. Gaétan Nadeau est irrésistible en directeur flemmard, rusé et en patron crapuleux. Nathalie Claude fait la paire en poussant la caricature d’une mère écervelée ou d’une candidate vulgaire façon Donald Trump. Face à ces guignolades, Élisabeth Smith (Jeanne) a des élans de sincérité à la Greta Thunberg et un culot monstre, tandis que Gabriel Szabo (Olivier) compose un personnage timide et lunaire.
Le rire est au rendez vous, grinçant parfois, mais nécessaire. «Comment résister ?» était l’objet de la commande passée à David Paquet par le Théâtre Bluff, producteur de ce spectacle.L’écrivain et le metteur en scène y répondent par un réjouissant pamphlet. «Avec Le Poids des fourmis, dit l’auteur, je ne creuse pas un sillon : je mitraille l’horizon.» A voir avec, ou sans enfant.
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 24 juin en avant-première au Théâtre Paris-Villette, Paris (XIX ème )
Du 4 au 21 juillet à 10 h, La Patinoire, festival d’Avignon off. Navette à 9 h 45 au Théâtre de la Manufacture, 2 rue des Écoles, (durée 2 heures trajet en navette inclus).