Bunker, écriture et mise en scène du collectif Superamas

Festival d’Avignon off (suite et fin)

Bunker, écriture et mise en scène du collectif Superamas 

  »L’esprit de l’homme est ainsi fait, que le mensonge a cent fois plus d’emprise sur lui, que la vérité », écrivait Erasme dans son Éloge de la folie (1509). L’art du théâtre avec le faux et  la fiction parvient à nous transmettre une forme de vérité et une réalité auxquelles, pour la durée de la représentation et/où parfois au-delà, nous adhérons et croyons. Ce avec quoi joue brillamment, le collectif Superamas avec cette pièce créée l’an passé, au Manège de Maubeuge-Scène Nationale transfrontalière.

 

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Comme dans un théâtre documentaire, le public attentif, assiste à une interview en direct de l’actrice Pauline Paolini par le collectif Superamas. Invitée à une émission de télévision pour témoigner du parcours tragique et fatal de sa sœur jumelle, Emmanuelle. Atteinte d’un cancer du sein, elle finira par en mourir mais aurait-elle survécu si elle n’avait pas rencontré, Kurtz, un certain médecin suisse? Ou en choisissant les  traitements de la médecine traditionnelle?

La gémellité n’est pas le thème premier mais a son importance dans le fonctionnement de la tension dramatique et de la dramaturgie. Ce couple des jumelles, Pauline et Emmanuelle, s’impose comme venant en opposition avec autre couple : Emmanuelle, la  malade et ce Kurtz, manipulateur et escroc. Cette question de la gémellité est ici traitée avec discernement et finesse. Révélant de manière sensible et juste, ce rapport hors du commun, réel qui exclut dans le lien entre les jumeaux, toute forme de mensonge. Amour ou violence, pas d’entre-deux !

La construction du texte en deux parties étroitement liées, est subtile : le témoignage de la sœur d’Emmanuelle puis l’enquête menée sur la pratique et la personnalité du docteur Kurtz, la tension dramatique et le récit théâtral prennent une dimension encore plus riche, intense,  mais toujours aussi terrifiante et instructive !
Au départ, un thème grave et complexe qui nous concerne tous : la maladie, ici le cancer, encore trop souvent incurable.  Puis ce thème va se joindre à au complotisme et Bunker s’adresse donc à l’Humanité. L’existence du complot, certes ne date pas d’hier, mais il a, avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux, pris une ampleur sans limite et de plus en plus dangereuse pour l’ensemble du monde. Intéressant d’observer ici le point commun partagé par le théâtre et le complotisme : l’utilisation du faux ! Le théâtre avec poésie et esthétique, le complotisme avec perversité et violence. 

Certains pensent qu’il s’agit d’une histoire vécue réellement.  Mais ici,  rien n’est vrai dans ce spectacle créé de toute pièce, excepté la mise en scène : les interventions en vidéo de spécialistes de la science, de la médecine, du complotisme, etc. Le public est fasciné par l’histoire qui devient sienne et réalise qu’elle pourrait lui arriver demain.
La catharsis fonctionne ici à merveille. En effet à partir d’un événement personnel : la perte d’un être cher, Superamas ouvre un univers et un regard critique sur la variation du mensonge: la manipulation, un procédé utilisé par le complotisme. A l’image d’une pieuvre aux huit tentacules, elle agit et emploie diverses méthodes selon l’objectif à atteindre et la/les personne(s) à convaincre.
Le spectacle alterne interviews en direct sur le plateau, adresses au public, vidéos, reconstitutions de scènes authentiques, confessions intimes. Il met aussi en avant la fragilité du pouvoir de la raison, et comment l’émotion peut nous conduire aux pires décisions dans notre existence.

 La pièce est d’une actualité brûlante d’un point de vue intime mais aussi socio-politique. Avec l’enquête menée sur le docteur Kurtz, un naturopathe auto-proclamé et au discours pseudo-médical, sans oublier un arrière -plan idéologique et ses objectifs terrifiants, elle éclaire notre esprit sur les mécanismes inimaginables du complotisme et les extrémistes politiques de tout bord. La mise en scène, le jeu d’une incroyable sensibilité et le titre métaphorique de la pièce si bien trouvé, font de ce spectacle un moment théâtral exceptionnel et précieux. Comme nous le rappelle Superamas : « Bunker souvre à une réflexion plus large sur la crédulité contemporaine et les dangers qu’elle fait peser sur nos sociétés démocratiques. « A ne pas manquer !

 Elisabeth Naud 

 Spectacle vu au 11 Théâtre, 11, boulevard Raspail, Avignon.

Du 11 au 14 mars, Maison du Théâtre d’Amiens ( Somme).

 

 

 
 
 
 
 
 

Archive pour juillet, 2024

Festival d’Avignon ( suite et fin) Juana ficción de La Ribot et Acier Puga

Festival d’Avignon (suite et fin)

Juana ficción de La Ribot et Asier Puga

Les créations originales, plastiques et poétiques de cette chorégraphe ont toujours marqué la danse contemporaine. Pour le public d’Avignon, une découverte ! L’artiste n’y avait jamais joué et, dans le sublime cloître des Célestins, elle nous fait partager une autre rencontre hors normes avec la reine Juana Ire de Castilla (1479-1555): elle avait créé sur ce même thème El triste que os vidéo en 92.

La Ribot comme Juan Loriente, formidable et Asier Puga, le chef d’orchestre et ses musiciens s’emparent de cette création avec subtilité. Danse, musique, chants, effets plastiques, vidéos composent une performance énigmatique. Le spectacle est loin, et c’est une de ses qualités, de représenter un récit historique et un discours théâtral narratif mais traduit avec puissance et singularité, le tragique destin de cette femme.
L’espace scénique de toute beauté est chargé d’Histoire et d’émotion: une bande-son diffuse un vent violent et ouvre la représentation qui finira à la nuit noire, comme pour signifier la chute injuste et cruelle de Juana Ire de Castilla, longtemps nommée Jeanne la Folle. À la mort de son époux Philippe le Beau, et avec le consentement de sa famille et de son fils Charles Quint, sa couronne lui fut ôtée et elle sera emprisonnée quarante-six ans à Tordesillas!

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

La danseuse fait vibrer avec sensualité mais aussi violence et étrangeté, la vie de cette reine de Castille, son courage, son indépendance de caractère, sa force dans les ténèbres. La chorégraphie, toute en sensibilité et inventions scéniques, fantaisies, est d’une poésie étonnante et ne manque pas de sens politique.
La Ribot danse autour et sur un tabouret, circule à bicyclette mais… évolue nue dans une vidéo mais c’est seulement visible sur les portables. Pas commode du tout: le public ne réussit pas toujours à scanner le Q. R. code!

La chorégraphe donne une vision esthétique bigarrée de ce personnage royal et la musique d’Iñaki Estrada remarquable, dense et recherchée avec ses combinaisons sonores et vocales médiévales et électros, insuffle une dimension organique et une puissance dramatique à cette performance qui, sans elle, serait orpheline…
Pouvoir et impuissance, mort et deuil, enfer, haine et amour, érotisme et pudeur ne cessent de se mêler à la danse, aux voix et au son des  instruments. Nous  finissons par nous perdre dans cette fiction fantasque et même si parfois, notre attention se détache de cette danse fragmentée, le spectacle nous surprend. Avec la présence d’un étrange personnage arrive masqué, à la fois lugubre chevalier venu de nulle part… et messager de mauvaise augure.
Il ne cesse de poursuivre -mais dans quel but?- Juana Ire de Castilla et finira près d’elle, peignant tout son corps éteint, comme lui-même à ses pieds, de cette matière noire. A la fin, ces personnages sont comme transformés en statues.
Silence et émotion envahissent le cloître des Célestins, vite rattrapés par les applaudissements mais aussi par les huées! Le public descend les gradins, déçu ou troublé et se rassemble autour des acteurs-danseurs immobiles et silencieux.
Fascination malgré l’incompréhension: cette pièce chorégraphique et musicale d’une heure dix met au premier plan, l’imagination, la poésie, la beauté visuelle et le symbolique, la métaphore… Nous nous laissons toucher par Juana Ire de Castilla, personnage féminin historique, face à l’incompréhensible, à l’inacceptable, à la cruauté qu’elle a endurée.

 Elisabeth Naud

 Spectacle vu le 19 juillet au Cloître des Célestins, Avignon.

Du 5 au 8 septembre, La Bâtie, festival de Genève (Suisse).

Les 13 et 14 septembre, Centro de culture contemporaine Condeduque, Madrid (Espagne).

 

Festival d’Avignon vu par une spectatrice

Festival d’Avignon vu… par une spectatrice

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©x La Cour d »Honneur au Palais des papes

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©x Les dizaines de milliers d’affiches pour les 1.300 spectacles du off

Une spectatrice-parmi d’autres dit-elle- nous a envoyé quelques notes écrites, dans cette ville qu’elle a découverte pour la seconde fois, avec, à chaque fois, dit-elle,  comme une sorte d’émerveillement.
« Après tout, les critiques n’ont pas le monopole et je remercie Le Théâtre du Blog s’il veut bien héberger ces quelques réflexions. »  (Message reçu). Des réflexions, le plus souvent lucides, sur un spectacle du off et quatre du in…


Elizabeth Costello, adaptation du roman de J. M. Coetzee  et mise en scène de  Krysztof Warlikowski  (en polonais sur-titré)

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Les comédiennes polonaises et un acteur parlent dans une langueur presque érotique et d’une éloquence troublante. Musique très rythmée, répétitive, comme pour insister sur le sinistre des événements revendiqués sur chaque plateau ( écologique, politique et culturel )
J’ai trouvé la mise en scène de Krysztof Warlikowski techniquement parfaite. Oui, mais le rêve du réalisateur semble s’arrêter là : le texte traduit en sous-titres projetés, nous a déconcertés, c’est le moins qu’on puisse dire!
D’où une incontestable cacophonie dans cette merveilleuse Cour d’honneur où on ne comprend pas grand chose à ce spectacle. Après deux heures, malgré l’immense talent des acteurs polonais, j’ai, comme beaucoup d’autres, abandonné la partie et suis sortie assez désenchantée. Quel dommage !

Dämon, texte et mise en scène d’Angelica Liddell

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Actrice de son texte, elle nous entraîne seule dans la première partie de son spectacle, presque nue vers ses fantasmes les plus personnels et ose mettre à nu, la religion, la politique, le sexe et le bien-pensant. Et les images de la seconde partie  sont souvent d’une grande beauté.
Une pièce jouée à rythme soutenu, avec comme fil conducteur, le personnage de celui qu’elle considère comme son mentor, Ingmar Bergman. C’était la première fois que je pénétrais dans la Cour d’honneur, et c’était merveilleux.

Le Cid de Corneille, mise en scène de Frédérique Lazarini

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Le théâtre du Chêne noir offre aux acteurs plusieurs entrées et sorties au milieu du public.
La mise en scène, classique, est rythmée par les alexandrins mais avec une énergie encore plus évidente avec ces duels fréquents à l’’épée .
C’est un Cid mais sans le personnage de l’Infante et sa suite. Donc une seule femme est en scène…
Il y a de bons acteurs  comme Philippe Lebas (Don Diègue). Arthur Guézennec incarne un Rodrigue passionné et tout à fait crédible.. Comme Lara Tavella, la jeune actrice (Chimène).

La mise en scène de Frédérique Lazarini est précise et mise au service de cette pièce qu’on ne joue pas si souvent. Une belle réussite…
Comment ne pas avoir une pensée  pour Gérard Philippe qui reprit ce rôle dans la Cour d’Honneur, il y a déjà soixante-treize ans… Mais pourquoi le nouveau directeur du festival ne programme-t-il pas un seul classique?

Historia d’un senglar, mise en scène de Gabriel Calderon (en catalan, surtitré en français)

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Un mise en scène déconcertante… Le Catalan Joan Carreras joue un acteur parmi d’autres, installé sur une sorte d’estrade avec, au fond, des fils comme sur les côtés d’une scène classique. Il apprend qu’il a été choisi pour jouer Richard III de Shakespeare. La gloire: il n’ jamais été une vedette !
Sur une musique d’Henry Purcell, le metteur en scène va désacraliser la pièce. L’acteur s’en excusera plus tard, juste avant le dénouement et louera le génie du grand dramaturge anglais, et suppliant par la même occasion, de ne jamais cesser de le lire. Cela dure une heure, c’est assez bavard mais l’acteur  m’a émerveillé…

Toda La Vida, Un Día

Ce 21 juillet, fin du festival d’Avignon où a été privilégiée la langue espagnole: « L’inviter, dit Tiago Rodrigues, c’est reconnaître aujourd’hui la richesse du monde hispanophone et son importance dans le domaine des arts vivants. C’est aussi se mettre à l’écoute de son histoire, des récits collectifs ou intimes portés par ses artistes. Au-delà des spectacles dans cette langue (30% de la programmation,) elle irrigue l’ensemble de cette édition à travers des rencontres, lectures… »

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Ce concert de la chanteuse catalane Silvia Pérez Cruz en deux heures nous tous fait vibrer ce soir sur des vers d’écrivains et artistes espagnols. Elle-même (voix, guitare, saxophone, clavier, synthé) accompagnée à un rythme soutenu par Bori Alberto (contrebasse, clavier, chœurs), Marta Roma (violoncelle, trompette, chœurs) et Carlos Montfort (violon, percussions, trompette, clavier, chœurs). 
Avec Toda la vida, un día, son dernier album, elle a mis, dit-elle «toute sa vie». Avec, pour fil conducteur, la poésie concrète de William Carlos Williams, elle nous offre une œuvre envoûtante: je ne trouve pas d’autre mot!
Le public de l’Opéra du grand Avignon en était tout tremblant et j’en suis sortie ensorcelée.

Sylvie  Claudy

Festival d’Aurillac : Champ libre ! Frigo (opus 2) par la compagnie Dis bonjour à la dame, écriture de Pia Haufeurt et Nicolas Ferré, musique d’ Antoine Amigues, regard complice d’Yohan Lescop et Fred Blin (tout public)

Festival d’Aurillac : Champ libre !

Frigo (opus 2) par la compagnie Dis bonjour à la dame, écriture de Pia Haufeurt et Nicolas Ferré, musique d’Antoine Amigues, regard complice d’Yohan Lescop et Fred Blin ( tout public)

Champ libre a pris le relais, il y a quatre ans, des Préalables. Avec dès la fin juillet et en août, de petits spectacles dans quelque vingt-cinq villes et villages autour d’Aurillac. Cette fois à Saint-Projet de Cassaniouze (Cantal) dans un merveilleux petit hameau au bord du Lot avec maisons aux toits en lauzes, vieille église et les restes d’une abbaye où, dit la légende, les moines du couvent tout proche de Conques (Aveyron) allaient mais en toute discrétion, consommer de jeunes nonnes affectées à cet usage.  Cette grande abbaye et sa cathédrale du XII ème siècle mondialement connue depuis qu’elle a été réhabilitée par Prosper Mérimée, écrivain mais aussi inspecteur des Monuments historiques. Elle a un célèbre tympan aux quelque cent douze personnages, avec restes de polychromie et depuis 1994, une centaine de vitraux de Pierre Soulages.

©Ph. du Vignal

©Ph. du Vignal

Cela se passe sur l’herbe et à l’ombre de trembles centenaires,  à quelques mètres du Lot. A côté, un petit marché de produits locaux. Spectacle gratuit. Public avec de nombreux jeunes et des enfants. Quelques bancs pour cent cinquante personnes. Pas de lumière artificielle, pas de micros H.F., pas de scène, juste un tapis noir, bref du théâtre, dit de tréteaux mais sans tréteaux, pas de coulisse pas d’éléments de décor sinon quatre caisses en bois où seront puisés quelques accessoires, et un frigidaire ancien au volume arrondi caché au début par un grand drap noir. Mais du vrai et bon théâtre de clown.
Après quelques mots de Michel Castanier, maire de Cassaniouze et avant un petit air d’Antoine Amigues au synthé et à la batterie, entre, parmi le public, Frigo (Nicolas Ferré), nez de clown non plus rouge mais noir, chaussures trop longues et minces tout aussi noires, pantalon gris trop court… Il  tient fièrement une baudruche blanche.. Bref, dans la tradition de Grock dont il a la grande précision gestuelle, et plus récemment, des fameux italiens Colombaioni, avec l’archétype du clown, revu et corrigé.
Au programme, une union impossible entre le ciel et la terre, entre la pesanteur et l’apesanteur, et à la fin, on verra quelque chose qui s’apparente de très loin à une fusée spatiale! Un frigidaire bidouillé, muni d’un siège où sera invitée à prendre place une spectatrice (en fait une comédienne de la troupe mais très crédible) et ce sera le décollage-ou presque- avec bruit infernal au synthé, lumière rouge et fumée en dessous du frigo qui s’élèvera de… quelques cms !

Entre temps, quelques paroles en italien, une belle complicité avec les spectateurs acquis d’avance par le charme incontestable de de ce pauvre mais très habile clown qui travaille sans filet, toujours en scène pendant cinquante-cinq minutes… Il dirige la musique du synthé avec une télécommande! Comme les applaudissements, et a quelques tours de magie dans son sac… Des moments d’une poésie rare, comme cet enfermement d’un mouchoir rouge venu de nulle part dans une baudruche dans un ballon gonflé à l’hélium qui s’élèvera au dessus du Lot, petit point rouge.  Ou ce portable chapardé vite fait à un spectateur et enfermé aussi vite fait lui aussi, dans une baudruche. Regard extasié des enfants. Une fois le portable bien haut dans le ciel bleu, Frigo le rendra à son à son propriétaire. (Les baudruches nous a-t-on dit, sont bio- dégradables). Avant de faire apparaître deux bouteilles de bière que Frigo et sa complice boiront assis sur une caisse à outils rouge.

Federico Fellini ( très intéressé lui aussi par la magie) n’est pas loin ; ici, comme chez lui, plus de frontière entre l’imaginaire et le monde réel… Et comment croire un instant que ses paroles ont déjà plus d’un demi-siècle : « Le clown a toujours été la caricature d’une société bien établie, ordonnée, pacifique. Mais aujourd’hui tout est provisoire, désordonné, grotesque. Qui peut encore rire des clowns ? Le monde entier fait le clown maintenant. » Avis aux chefs d’Etat…
Nicolas Ferré, très concentré sur son jeu, parle italien (bien vu cette distanciation, dirait papa Brecht et comme les Colombaioni, il  sait avec une courte phrase donner au public l’impression de comprendre ce qu’il lui dit. Et il y a une magnifique image où, à un petit garçon choisi par le public, il fait faire les mêmes gestes que lui… Ce petit spectacle a au début, un peu de mal à avancer mais ensuite en le détournant vers la magie, Nicolas Ferré et ses complices réinventent la tradition clownesque avec quelques accessoires mais surtout il réussit à établir une connivence de premier ordre avec les spectateurs qui l’ont chaleureusement applaudi. Frigo sera au festival d’Aurillac, si vous pouvez, ne le ratez pas.

Philippe du Vignal

 Spectacle vu à Saint-Projet de Cassaniouze (Cantal),  le 26 juillet.

 

Ce que l’âge apporte à la danse ? conception de Cécile Proust, montage, images, lumières, et sons de Jacques Hoepffner, captation de Claudie Cavallari

Ce que l’âge apporte à la danse, conception et mise en scène de Cécile Proust, montage, images, lumières et sons de Jacques Hoepffner, captation de Claudie Cavallari

C’est à la fois, un spectacle et un film articulant entretiens, moments de danse, images d’archives, contrepoints entre mouvements sur scène et projections sur écran. Une logique se dessine dans ce titre, à la fois question et affirmation. Le mot: « apporte » dit tout et l’âge n’est pas assimilé à la vieillesse, comme attente, fatigue, usure, décomposition, empêchement physique… Il « apporte », sans subir la loi de l’entropie, la dégradation des forces. »Qui a bu aux sources de la vie ? » demandait Antonin Artaud.

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©x Elsa Wolliaston

La danse contemporaine survient après des millénaires dont elle garde le souffle dans les gestes de Kasuo Ono, Elsa Wolliaston qui ont dansé ou dansent après soixante-dix ans, comme Françoise Dupuy, Elisabeth Schwartz L’âge, immédiatement positif, pressent le monde des sources et cela le met en route, attiré par les ondes et l’inconnu. On ne danse pas immédiatement mais on plonge en soi-même, entre fatigues et usures. L’âge frôle la faiblesse mais aussi les mécanismes qui aident à supporter la vie, trop grande parfois.

Comme dans les autres arts, la danse, pour commencer et pour être, doit éliminer stéréotypes et gestes établis. Depuis longtemps, elle se livre une course de vitesse… et de lenteur, entre l’ancien et l’immémorial. L’âge fissure les fondations de l’être et l’ancien, disait Emile Zola, fait passer le malheur de l’hérédité. Son ami Paul Cézanne, lui, à propos de la naissance des couleurs, parle d’un effondrement géologique. « Horribles travailleurs » disait Arthur Rimbaud, en évoquant la main à la plume, et la main à la terre.

© x Isadora Duncan dessin  de Jules Grandjouan

© x Isadora Duncan dessins de Jules Grandjouan

D’où vient le sol en danse contemporaine? Isadora Duncan le touche à peine. Ses rebonds, son allant, ses allers et retours, jetés de bras en avant, ronds de jambes se coordonnent mais avec de légers décalages et prennent de vitesse l’attraction terrestre. Le sol supporte moins le corps, qu’il ne le relance. Le corps « tient» en lui-même grâce à cette coordination artistique. Le sol pèse moins.

L’âge est tactile: il y a ici beaucoup d’ondulations de mains. Il soupèse et trie les forces non encore vécues. Il travaille sous lui-même et convertit le potentiel en énergie. Dans la vie quotidienne chez Françoise Dupuy qui nous a quitté il y a deux ans, le présent s’effondre et se distribuent l’avant et l’après. Le déséquilibre est la forme de sa danse et quelque chose de secret approche: une nouvelle conception de la mort, celle qui ne finit pas, entre autres, comme chez Kazuo Ono, Elsa Wolliaston…
Comme cette jeune femme à l’écran: elle-même autrefois filmée au Japon, Cécile Proust danse. Les âges se répondent à travers le temps, avec parfois des gestes en résonance: bras en rotation ou levés en anse au-dessus de la tête, ondulations. Deux chaises vides côté cour. C’est tout: on n’est plus tout fait dans l’espace, mais dans le temps… En contrepoint, des figures de bras à l’écran: Jean Babilée devient ici un personnage qui se relie à la performance scénique d’Elisabeth Schwartz. Et ils vont évoluer en duo.

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©x Cécile Proust

«Là où tout a commencé » dit Cécile Proust, évoquant son séjour à l’école de danse d’Yashiho Inoué au Japon et grâce au style kyomai: un creuset pour elle…  Qu’apporte l’âge, à la danse? Des espaces-temps qui révèlent à partir d’une modulation de l’invisible, un style. Mais la pensée peut aussi être attentive à la vie d’avant la vie, celle qui précède toute naissance des corps.
L’âge vient du plus lointain, avant toute mémoire et se rassemble dans l’intimité que creuse le dehors. A-t-il à voir avec l’enfantement? A l’école d’Yashiho Inoué, uniquement des femmes qui font, de la maturation, une règle de danse. Isadora Duncan restait des heures devant les tableaux de Botticelli qui peint des jeunes femmes au ventre arrondi et comme légèrement en suspension.


Cécile Proust, elle, alterne avec lenteur, rectitude et plis des bras à angle droit,  à hauteur des yeux, la tête inclinée ou relevée.  La concentration s’accroit: la pensée de la danse en train de se faire, suppose une dépense. Et la méditation est une puissance qui s’inclut dans le mouvement même, avec lui et en lui, à une vitesse légèrement différente. Cela se répète et fait partie du rythme secret de la danse.

©x Mary Wigman

©x Mary Wigman


Le regard de Cécile Proust, visage incliné et de profil, s’oriente vers un point extérieur.  On pense à
Adieu et merci de Mary Wigman fixant aussi ce même point. Qu’est-il? Le « corps d’aujourd’hui » d’Elisabeth Schwartz le contient aussi, vibrant en suspension devant le savoir-faire.
Celui du matin, quand nous nous levons avec nos habitudes, le non encore vécu, si proche de nous, nous offrant une part d’un lointain à expérimenter.

Cécile Proust lève les bras au-dessus de sa tête, les croise et à la fin, tout son corps ondule. Une merveille sur l’écran: un gros plan de main s’appuyant et se recourbant sur un sol invisible. Cette main gris clair rayonne de rides, veines et os. Odile Azagury, assise est là sereine; le visage marqué.

Elle affirme que l’exploration du corps par le corps sur des années, provoque un détachement du souci de la prouesse. Et elle nous offre, comme un secret, une belle idée : le geste résonne avec le proche dehors et se double en écho: lequel efface le miroir qui rabat le mouvement, le tourne contre lui-même (haine de soi). Il vibre et empêche de se regarder danser. Il participe de « l’aujourd’hui » toujours à venir.

 

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©x Odile Azagury

Selon Odile Azagury, la diminution de la performance technique libère le geste. L’âge prend le relais de la vieillesse, quand faiblissent les possibilités physiques. Il enveloppe le pressentiment du « geste essentiel » et développe le geste pur. De ce qu’on ne peut plus faire, nait une nouvelle qualité. Pour accomplir ce «geste essentiel», il faut atteindre ce point où la vieillesse devient « âge ». « Je ne suis pas assez vieille », dit-elle malicieusement.

Cécile Proust et Elisabeth Schwartz s’assoient. La première, en longue robe rouge, bras nus, parle de la «danse libre » d’Isadora Duncan qu’elle interprète. Elle suspend un instant son propos et on la voit de profil, fixer aussi un point extérieur. Une émotion fugitive passe sur son visage. La danseuse tire une ligne entre le dehors et son intimité. Puis elle se lève, danse sur un moment musical de Franz Schubert. Doux rebonds et mouvements circulaires ponctuent la forme. La fluidité est première, variable mais constante et sous-tend les nuances successives.

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L’intimité se suspend, comme des notes de musique sur une portée. Travailler consiste à se mettre à un niveau. Dès lors, la simplicité se situe à un certain niveau de l’être et simplicité diffuse ses ondes.
Entrain sans pause, ce qui suppose une certaine immobilité oscillante préalable. Une suspension plus intime que toute vie intérieure et qui opère ce délestage, ce changement de niveau. Elisabeth Schwartz danse Moment Musical d’Isadora Duncan: l’air se propage dans les bras et les jambes: ces plissements portent, et emportent les nuances. On dirait que la continuité du mouvement se nourrit d’elle-même. En fait, cette rivière qui danse, bifurque sur deux diagonales.
La relance s’opère en boucle : le mouvement avant se recourbe vers son point de départ et mystérieusement, s’effectue par l’arrière du corps. René Char fit de ces allers et retours d’avant en arrière, d’arrière en avant, une figure d’existence. «Retour amont.» disait-il. «Revers des sources : pays d’amont ; pays sans biens, hôte pelé, je roule ma chance vers vous. » Et «Notre figure terrestre n’est que le second tiers d’une poursuite continue, un point, amont. »

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Rebonds, ouvertures et repliements des bras, ronds de jambe vont se coordonner quasi simultanément. Selon Elisabeth Schwartz, les émotions sont premières et soufflent les expressions. Elles diffusent un flux libre et variant sans cesse. « L’espace n’est pas premier, c’est l’énergie et le temps. Une multitude d’oscillations peuplent le corps ». Comment éviter la dispersion? Elle parle d’un « centre moteur » comme le plexus solaire qui rassemble et distribue les énergies, les flux, « même dans la courbe d’un regard. »  Et elle a une belle idée: « le corps d’aujourd’hui ». L’âge me donne une liberté de penser; dit-elle aussi, danse libre/libre pensée.  »Que peut faire mon corps aujourd’hui ? »
L’aujourd’hui, comme point vierge extérieur, s’ajoute aux gestes connus. Avant de danser Moment musical, elle le regarde et la proximité traverse tout le spectacle.  « L’âge me met rapidement dans un état sensible, composé de strates de sensations. Je m’y abreuve. » disait Antonin Artaud, qui a bu aux sources de la vie ? »

Chaque matin, nous nous levons avec nos habitudes et va s’ajouter alors un instant non encore vécu. C’est « l’aujourd’hui » d’Elisabeth Schwartz. « Le temps ne cesse de se contracter en avant et après : passé et futur se nouent autour d’un présent vide. Tout danseur se dédouble et médite sa chorégraphie. Plotin (III ème siècle après J.C.). fut un des premiers philosophes à associer contemplation et action.

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©x Anna Halprin

Cécile Proust, Elsa, Wolliaston, Ann Halprin et Kazuo Ono méditent à l’intérieur. Elisabeth Schwartz, elle, danse sur des flux, tout en méditant à toute vitesse. L’âge découvre une réserve d’être qui attend depuis des millénaires. La danse, bien nommée «contemporaine » est une pionnière de la vie. 

Cette réserve d’être ne concerne pas les seuls artistes mais l’humanité toute entière, comme le montre  la danse contemporaine. Toujours, la vie est expérience, événement et cela suppose de nouvelles manières d’exister. Cécile Proust demande à Elisabeth Schwartz: « Peux-tu nous parler des enjeux de cette danse? Les danseuses sont assises mais pas immobiles: étirements des bras, inclinaisons du visage, regards en biais, sourires ponctuant la parole…
Et, là encore, elle médite en vocalisant, plongeant en soi-même pour atteindre le niveau des flux. Elle évoque cette question du flux qui articule aussi son propos:  »Cette danse exprime librement des émotions. Ondulations, courbes, torsions, oscillations tissent des solos. Isadora Duncan s’inspire de la mer:  » Dans les solos, je ne me réfère qu’à moi-même. Mais, en me percevant dans une situation temporelle. La condition du « moi », c’est le temps. »

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©x Rudlof Laban et ses interprètes

Le danseur, chorégraphe et pédagogue hongrois Rudolf Laban parlait de « temple fluctuant », désignant ainsi la consistance qui enveloppe les flux. Le temple, lieu de construction, rassemble, coordonne ces flux initialement dispersés et les aligne. La liberté de la danse libre n’est pas donnée et implique leur composition mais aussi les relations de vitesse et lenteur. Le plexus solaire, « centre moteur », regroupe la dispersion. « Dès lors, dit-elle, se pose la question: que peut faire mon corps aujourd’hui ? »

« En 2008, dit Cécile Proust, je rencontre Ann Halprin à San Francisco et découvre son travail « non-spectaculaire. » Sur l’écran, en fond de scène, nous voyons une danse d’elle sur une musique signée Meredith Monk. A travers les images, on perçoit les relations entre danse et couleur. Ann Halprin, en pantalon gris clair, tee-shirt blanc parsemé de cercles gris, évolue à proximité d’un mur de taches mauves, bleues, orangées. Le gris et le blanc de son costume tendent à scintiller. Les taches colorées du mur, le jaune du sol diffusent un paysage ambiant, accentuent les attitudes et modulent les gestes.

Ann Halprin, debout et comme adhérant de profil au mur, se désaxe, les genoux dedans, et fait le dos rond. Couleurs et mouvements  se travaillent. On la voit toujours de profil,  pliant les genoux, penchant la tête, s’abaissant au creux du bassin. Et, ici dans ce film, le ralenti condense les forces intérieures.

Couleurs au mur et légères déformations du corps font contrepoint. La couleur sculpte, déforme aussi un peu. L’âge découvre une réserve d’être, un sous-sol qui attend depuis des millénaires: cela ne concerne pas les seuls artistes, mais l’humanité tout entière.  La danse contemporaine pose toujours la question. La vie est expérience, événement et cela suppose de nouvelles manières d’existence. C’est « l’aujourd’hui » ».

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On danse sur la frontière entre vie et mort, entre homme et femme. La mort n’est pas une fin, mais un espace, et pour le traverser, il faut se maquiller. Kazuo Ono (1906-2010) danse en regard d’une morte: la Argentina, et il va là où vivants et morts se croisent…Une fleur dans les cheveux, il oscille, mi-homme, mi-femme. Il frôle sans cesse une catastrophe et évolue à petits pas, se décomposant et se recomposant en un temps à peine perceptible…
Pour élaborer une apparition, Kazuo Ono se blanchit le visage, s’arrondit au crayon noir les sourcils, met sur ses lèvres un rouge intense et une goutte d’incarnat à la commissure des yeux. Ce visage-paysage a été filmé au plus près comme un relief. « Ceci est le maquillage des morts », dit Kazuo Ono, ils nous donnent des bienfaits ».
Les morts affectent les vivants. Son corps en bégaie: un discret, lent et continu tremblement mais il le tient à distance et assure ses déplacements. Le chorégraphe Dominique Boivin parle «d’abandon, de lâcher prise».
Kazuo Ono danse toujours la tête penchée, une manière à lui d’esquiver ce vertige.  Il pose la question: comment tenir debout, sans une ligne verticale qui, invisible, traverse le corps de bas en haut. Visible, elle renvoie à l’attraction terrestre. Le danseur invente ici avec ce maquillage, une nouvelle relation entre le visuel et le geste. La station debout doit «prendre » à chaque pas, décentrée. D’imperceptibles reprises d’équilibre ponctuent sa danse. Et son maquillage le soutient dans ses tremblements à peine visibles.

La peinture a mis très longtemps à donner une image de la chair. Mais cela ne suffit pas: les ondes des vivants et celles des morts composent un plan qui assure la motricité. Un tableau tient dans ses rapports de couleurs mais la danse de Kazuo Ono, tient, elle, grâce aux gestes qui voltigent en lui au ralenti. Avec Elsa Wolliaston, une étrange et lente méditation s’unit à la transe qu’elle contrôle: ses mains ne tremblent pas mais sont secouées. «La main à plume vaut la main à charrue, disait Arthur Rimbaud.Jamais, je n’aurai ma main.»
Elsa Wolliaston est une magnifique et « horrible » travailleuse! «Qu’il crève dans ses bondissements par les choses inouïes et innommables : viendront d’autres horribles travailleurs; ils continueront par les horizons où l’autre s’est affaissé. » écrivait aussi cet immense poète.

Qu’apportent les morts à la danse et qu’apporte-t-elle aux disparus? Elsa Wolliaston invente un rituel de passage « Dans le culte ancestral, les morts ne sont pas morts, les morts sont partout, au milieu de nous. La mort n’est pas une finalité. Les morts vont et viennent dans l’air, dans l’eau, dans la végétation. » La mort-mouvement dans la vie est une des forces de l’âge. Des vagues se soulèvent en elle, puis retombent. Elle grimace parfois et se déplace avec lenteur mais ce corps massif devient une puissance rayonnante. Elle joue à la folie avec saccades et battements de mains, théâtralise les forces: son sourire dans la vie courante en est l’indice. Elle se recourbe jusqu’à l’apaisement final et tend ses bras vers Elisabeth Schwartz.

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Françoise Dupuy, ou du moins son image-elle nous a quitté il y a deux ans-entre en scène, en robe longue à lamelles de tulle rouge, ocre, bleu, à travers un rideau plissé, lui,  d’un blanc éclatant. Ces lamelles inversent l’idée de vieillesse. Rides du visage et lamelles relèvent de « l’âge ».Une apparition majestueuse, malicieuse. Qui est-elle? Elle ne renvoie qu’à elle-même.
En un instant, la danseuse apparait et disparait. Elle se retourne, va derrière le rideau, puis revient. Ce solo est une série de merveilles avec le passage d’une apparition à une autre, et la naissance de la vie quotidienne. Elle contourne un tabouret, s’assied. Nous la voyons de profil dessinant avec son corps, une ligne : tête, dos, jambe droite se situent dans le même prolongement.
Cela dure un instant et esquive le point de l’inscription spectaculaire… En se déshabillant, elle passe à un autre être. »Il faut travailler tous les jours, disait Françoise Dupuy. Et si on travaille tous les jours, on s’adapte au jour. On s’adapte bien à la vie. C’est la même chose pour la danse. La danse, ce n’est pas des excentricités, mais la vie devenue plus intense. »

La vitesse garantit la pensée pour assurer la vie quotidienne et la découverte du « non- vécu ». On se lève comme Françoise Dupuy qui choisit ce moment  comme exploration du temps d’une journée. Elle retire sa robe, la met en boule et la jette négligemment. En petite tenue, elle fait semblant de prendre un bain, debout dans une grande cuvette. Elle se dévêt d’une apparition, pour une autre et ne cherche pas la nudité.

Cuvette et tabouret modestes participent d’une quête et s’adaptent à la première manifestation de la vie de chaque jour: l’équilibre. Debout, accroupie dans la cuvette, creusant le bassin, dos rond, mains sur les cuisses, elle change de temps sur place. Comme en surimpression avec elle-même. Elle passe de la vieillesse et de l’usure,  à «l’âge ». Enfin, l’avenir a lieu avant le passé.
La nudité renvoyait à la première partie du solo. Elle couvre sa robe  de tissus qui vont et viennent devant son corps, l’enveloppent en tourbillonnant. Les bras se plient et portent les mains verticalement à hauteur des oreilles. Elle médite, les yeux fermés.
Mais qui  frôle ainsi le visage? Ces mains lumineuses, articulées de calmes et nouvelles énergies.
Elle se lave: se laver est un geste de danse, libre et qui libère. De flux non encore vécus, non encore sentis. La vie toute entière passe vers l’intensité, du côté du « temps pur ». Françoise Dupuy, c’est l’enfance du monde et elle « joue » à la vie quotidienne. Elle défait ses habitudes, sa mémoire. Elle se lave d’un temps « mécanique ».

Dans une espace restreint avec peu de gestes, au ralenti, elle se nettoie les mains. Recroquevillée ou debout: chaque point du corps s’éveille, s’intensifie dans une fluidité commune. Un corps nait dans un autre corps, avec les gestes les plus simples qui donnent peut-être à sentir cette superposition de la vie quotidienne et de l’avenir.
Elle fait glisser ses mains l’une sur l’autre; ce n’est plus de la virtuosité mais de l’agilité. Le passé ne détermine plus la vie avec ses mécanismes, lassitudes, usures mais la tension vers l’avenir dépasse tout présent. Vers « l’aujourd’hui ». Tout commence par un léger décalage : la main qui lave, libère une main. Comment ne pas penser à un accouchement? Françoise Dupuy enfante une autre qu’elle-même. « Je est un autre », disait Arthur Rimbaud. A travers le temps, « l’âge » arrive à joindre ces puissances éloignées que sont l’enfantement et la vieillesse.

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©x E. Manet

En peinture, le bain d’une femme nue dans une grande cuvette est un classique à la fin du XIX ème siècle. Paul Cézanne, Claude Monet, Edouard Manet, Vincent Van Gogh, Paul Gauguin, André Bonnard… partagent la non-représentation de ce qui existe et cela les conduit à recomposer des objets et gestes sur une toile, et ici sur scène, par la couleur.

Grâce soit rendue aux idées cinématographiques et au travail de Cécile Proust et Jacques Hoeffner: Jean Babilée (1923-2014) apparait à l’écran dans un extrait d’un film de William Klein et ces deux créateurs investissent les forces plastiques du cinéma
sur un plateau. Le danseur apparait, frontalement, tout en force contenue et penche de côté. les bras le long du corps, il avance un peu en biais dans une espèce de balancement. Le mur du fond est d’un blanc éclatant et lui est en pantalon et sweet aussi blancs… A ses côtés, l’acteur Maurice Baquet joue du violoncelle.

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A peine mobile, Jean Babilée pivote légèrement, se penche un peu du côté gauche, lève ses bras pliés en angle obtus. Il n’est plus que ligne, et marche au ralenti. La jambe droite se plie, il avance puis marche sur place.

Elisabeth Schwartz se glisse alors sur le plateau et  a lieu un duo contrasté entre elle et lui. Elle danse lentement puis plus vite et rebondit d’une jambe sur l’autre. Ses bras montent, descendent et tournent au-dessus de sa tête. Ceux, ouverts, de Jean Babilée résonnent avec ceux de la danseuse qui s’éloigne de l’écran.
L’espace a changé avec les ombres et  un rayon de lumière jaune rouge apparait, comme dans un film. Elle le traverse et le rouge de sa robe longue intensifie le noir des ombres. Cécile Proust, avec une «poursuite», surexpose dans la lumière sa partenaire qui ralentit et juste un instant, figure une ligne pure: tête, dos, jambe se situent dans un unique prolongement. « Une image, juste une image », disait Jean-Luc Godard. Un  « temps pur », comme dans la représentation de la vie quotidienne chez les peintres flamands.

Les contrepoints se succèdent: Jean Babilée danse au ralenti dans un petit espace. Elisabeth Schwartz, elle, occupe la scène toute entière. A ses flux continus, répond la force contenue du danseur: le blanc sur blanc de son image contraste avec le rouge de la robe… Des corps puissants, face à celui rayonnant d’énergie mais frôlant la paralysie d’Elsa Wolliaston. Côté cour, assise de tout son poids, elle bat de ses bras la mesure et la démesure. Ici, l’âge est proche de la vieillesse mais elle « tient » par l’invention de gestes simples, à la plus modeste place, presque immobile quand elle fait tournoyer ses bras en demi-cercle. Elsa Wolliaston médite mais ne clôt rien: elle entretient un commerce avec les morts qui soutiennent les vivants. Ses mouvements  se raréfient et elle chante avec ses bras parmi quelques morts.

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Force contenue de Jean Babilée, flux libre d’Elisabeth Schwartz, lents mouvements circulaires des bras d’Elsa Wolliatson. Coordination exemplaire et cela enfante notre pensée. Ici, le geste de la danse et la parole des entretiens se répondent. Et se relient ici la notion d’âge, le «corps aujourd’hui», les rapports entre danse et couleur, les contrepoints, le rythme, le temps pur, l’avant et l’après, le point extérieur, le non-encore vécu, la succession des apparitions, la méditation contemporaine de l’acte, la mort-mouvement.
La danse des bras de Kasuo Ono et d’Elsa Wolliaston semble traduire la vieillesse. La danseuse, empêchée par son poids et libérée, massive en bas et légère en haut, est d’une beauté rayonnante… Elle marche avec difficulté mais sourit constamment. Malgré l’âge, elle lève les bras, les abaisse, dessine un demi-cercle au-dessus de la tête…
Elsa Wolliaston et Cécile Proust rendant visibles des pensées mais forment aussi des axes à partir de ces pensées, véritable flèches du corps et de l’esprit. L’objet premier de l’âge est de trouver un potentiel entre les niveaux d’énergie. La danse ici connait deux temps : choisir ce potentiel et le convertir en figures. Dans le monde des sources, commence une activité tactile… L’âge soupèse et regroupe les flux et intensités et avec un surcroit de légèreté, il apporte aussi un gain de vie.
Plus on vieillit, plus on explore, et plus alors, se révèlent les dimensions de l’être: pesanteur et vie aérienne situées au sous-sol de la présence. L’âge traverse la vieillesse, les mécanismes et habitudes et, en un endroit mystérieux, bascule, tel Alice au pays des merveilles, dans un air peuplé. D’où vient l’âge? Du dehors, du plus lointain ?
«Vous dites que vos proches vous sont lointains, écrivait Rainer Maria Rilke dans  ses Lettres à un jeune poète (1929). C’est qu’il se fait un espace autour de vous. Si tout ce qui est proche, vous semble loin, c’est que cet espace touche les étoiles.»
«Et l’artiste est toujours celui-ci, écrivait-il aussi dans Sur L’Art, un danseur dont le mouvement se brise sur le mur de sa cellule. Ce qui, dans ses pas et dans l’élan restreint de ses bras, n’a point d’espace… à moins que, de ses doigts écorchés, il ne lui faille inscrire sur les murs, les lignes de son corps qu’il n’a pas encore vécues.»

Bernard Rémy

Captation du spectacle vue le 1er juillet.
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e 19 octobre à Maison de la danse, 8 rue Jean Mermoz, Lyon  (VIII ème). T.: 04 72 78 18 00. Il fera partie de l’évènement Ce que l’Age apporte à la danse et seront aussi présentés des entretiens et les vidéos-danse #résonance.


 

 

 

Festival d’Avignon Elizabeth Costello, Sept leçons et cinq contes moraux,mise en scène de Krzysztof Warlikowski, (en polonais surtitré en français et anglais)

Festival d’Avignon (suite et fin)

Elizabeth Costello, Sept leçons et cinq contes moraux, mise en scène de Krzysztof Warlikowski (en polonais, surtitré en français et anglais)

En quatre trop! longues heures, le metteur en scène fait entendre la parole du prix Nobel de littérature, sur la vie d’Elizabeth Costello. Les textes sont issus de trois des romans de cette écrivaine australienne qui, à soixante-dix ans, parcourt le monde avec son fils et qui donne des conférences sur sa lutte pour la cause animale. Ce personnage imaginé par l’auteur, traite aussi de grands thèmes comme le réalisme, la question du mal… « J.M. Coetzee entretient des rapports complexes avec celle qui va, de conférence en conférence comme lui. Elle  devient son alter ego, dit Krzysztof Warlikowski. Certaines de ses interventions sont inspirées par celles qu’a faites l’auteur. »

Oui, mais dans la Cour d’honneur, les choses se sont bien mal passées! Inutile d’avoir lu J. M. Cotzee  pour essayer de voir à quel découpage de textes, a procédé le metteur en scène polonais : de toute façon, on ne comprend rien et sa mise en scène n’est absolument pas lisible. Manque ici une véritable dramaturgie pour structurer et… rendre lisibles les tableaux successifs de ce spectacle. Elizabeth Costello est incarnée par plusieurs comédiennes et un travesti. Et J.M. Coetzee par un seul interprète. Comme toujours chez le metteur en scène polonais, le jeu de ses fidèles acteurs est exceptionnel, comme la très remarquable scénographie de Malgorzata Szczesniak. Ici, associée aux vidéos d’un réalisme esthétique, signées Kamil Polak.

© Magda Hueckel

© Magda Hueckel


Mais cela ne suffit vraiment pas! Ici, faute d’intelligibilité, la pièce fait du surplace et l’ennui gagne une grande partie des spectateurs; chaque soir, ils quittent assez vite cette épopée à travers le monde.

Même les quelques passages teintés d’humour comme l’arrivée d’un coureur cycliste disant: «Je ne fais pas partie du spectacle.» Ou la traversée inopinée d’un montagnard en raquettes dans une tempête de neige, n’arrivent pas à sauver cette mise en scène !
Avant d’arriver au Théâtre national de la Colline à Paris, Krzysztof Warlikowski aurait tout intérêt à vraiment retravailler cette création. La cause animale défendue par J.M. Coetzee en vaut la peine…

Dans un épilogue du roman éponyme, il y a, citée, Une lettre de Lord Chandos (1904) du grand écrivain autrichien Hugo von  Hofmannsthal  «En de tels instants, une créature sans valeur, un chien, un rat, un insecte, un pommier rabougri, un chemin de terre tortueux escaladant la colline, un caillou couvert de mousse comptent pour moi davantage, que n’a jamais eu l’amante la plus belle, la plus prodigue de la plus heureuse de mes nuits. Ces créatures muettes et parfois inanimées s’élancent vers moi avec un amour si entier, si présent, que mon regard comblé ne peut tomber alentour sur aucune surface morte. Tout ce qui est, ce dont je me souviens, tout ce, à quoi touchent mes pensées les plus confuses, me semble être quelque chose. »

Jean Couturier

Le spectacle a été joué du 16 au 21 juillet, à la Cour d’Honneur du Palais des Papes, Avignon.

Théâtre National de la Colline, Paris (XX ème),  du 5 au 16 février.

 

Qui êtes-vous Florian Flop?

Qui êtes-vous Florian Flop?

En 2012, j’ai seize ans et suis installé sur un canapé devant la télé. A La France a un incroyable talent, Florian Sainvet présente sa routine de C.D. pour la deuxième fois à cette émission. Séduit, je me dis que j’aimerais bien essayer !  J’ai ensuite et pendant deux mois, essayé plusieurs choses, plutôt content du résultat mais cela ne devait pas être si génial ! Je ne connaissais, de la magie, que la manipulation de C.D…

Mes parents m’ont vraiment mis un pied dans cet art  (merci à eux). Quand ils ont vu comment je m’étais investi, ma mère a décidé de m’offrir des cours avec Alexandre Georges, un professionnel qui habitait Montivilliers (Seine-Maritime) qui n’est plus en activité et Thibault Ternon, un créateur fantastique, avec qui je travaille depuis.
Je suis resté un an et ai appris la magie générale. Pour l’anecdote, Alexandre m’a appris ma première routine d’anneaux chinois qui deviendra par la suite un de mes accessoires préférés. Mais je devrais remercier surtout Robert Brachais. Sans lui, je ne serais peut-être pas magicien. À dix-huit ans, je vais faire mes études à Paris et ne peux plus suivre les cours d’Alexandre Georges. Robert Brachais, responsable d’un cabaret rural avec chanteuses, danseurs et humoristes, m’a donné la chance de monter sur scène.  Je les ai rejoints pendant trois ans, ai découvert  à quel point, j’aimais cela !

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Ensuite, je me suis aussi construit avec plusieurs personnes dont Thibault, un proche ami. J’échange des idées, voyage avec eux dans les congrès et j’aide parfois donne au stand du Cabinet d’illusions. Quelque chose aurait pu me freiner, je ne sais trop, le temps peut-être? Mais ma technique est surtout fondée sur la manipulation, l’humour et le décalage. Collectionneur d’objets, je m’amuse à en extraire le potentiel comique et magique. Depuis cette année, je développe l’univers de la « magie colorée » qui se concentre sur le partage d’émotions à travers des histoires et objets. Un retour à l’essentiel, à l’humain.

J’aime évoluer sur un plateau, et en déambulation. Mais sans vraiment de préférence: chaque forme a ses particularités. En déambulation, j’adore être au contact de la foule, créer des instants improvisés. Sur un plateau, libre de présenter mon univers, j’écris et met en scène des tours; cela me permet de laisser libre cours à mes idées. J’ai présenté il y a deux ans et en famille, un premier spectacle Retour en enfance qui, depuis, a beaucoup évolué : j’ai changé pas mal de choses et ce sera sa troisième année. J’ai en aussi écrit un autre uniquement pour les EVJF:  avec mon intérêt pour le cabaret et le burlesque, je me devais de présenter une expérience digne de ce nom. Il est réservé aux femmes et on passe un bon moment de rire, sans complexe. Il a été décrit comme « spectaCULaire », je vous laisse imaginer le reste…Mais j’ai un numéro-signature que j’espère pouvoir emmener bientôt dans les festivals, et peut-être en concours. Je vous ai parlé de mon amour pour les «anneaux chinois». En 2022, j’ai lancé quelques vidéos appelées Dancing with rings.*

L’été avec mon amie Clémentine Bleurvarcq, nous somme allés à Séville nous reposer  une semaine. J’avais pris mes anneaux pour faire quelques vidéos et une idée nous est venue. Nous la développons et en octobre 2022, sort (aussi sur mon Instagram) un extrait de trente secondes : Ganesh. Un enchaînement avec deux anneaux et… quatre bras. Pour moi, c’était du jamais vu. J’ai découvert, après avoir posté la vidéo, qu’il y avait un duo qui avait pratiqué un « quatre bras »: Tempest et Cottet. (Il y a une vidéo sur YouTube, à recommander).
L’an passé, mon club de magie, le cercle Robert Houdin de Normandie a fêté ses quatre-vingt ans et on me demanda de faire ce numéro  «quatre bras ». Mais, à part ces trente secondes, je n’avais encore rien écrit…. Cela m’a motivé pour, au plus vite, créer un numéro de six à sept minutes. Malheureusement, je me suis cassé la malléole en juin et ai été immobilisé deux mois… Déplâtré en août, j’avais à peine un mois pour travailler le numéro, donc nous avons revu à la baisse sa durée et en septembre, j’ai présenté Ring Reality, un numéro de cinq minutes avec magie, lumière et danse. Pas vraiment satisfait du résultat, je supprime la partie futuriste (pour le moment) et reviens à l’essentiel : des anneaux, nous sommes en plein travail pour obtenir Stay tuned, quelque chose d’original.

Je travaille aussi en parallèle à un numéro en solo (encore avec des anneaux!) mêlant manipulation, hula-hoop et magie (il y un extrait sur mon compte Instagram. À côté de toute cette magie colorée, comique et familiale, je suis passionné de fantastique et d’étrange. Bien entendu, le travail de Christian Chelman m’intéresse. J’ai créé une expérience immersive ressemblant à une « murder party » unissant paranormal et L’Histoire d’Anna, une pièce tragique mêlant Les Aventures d’Harry Potter et le monde des Créatures fantastiques. Peu convaincu du format, j’ai laissé l’idée mûrir.. Puis, j’ai rencontre Cédric Marauri, acteur et animateur dans le spectacle médiéval fantastique. Nous avons commencé à travailler ensemble et il m’a proposé d’intervenir dans une création.

Mon idée alors s’éclaircit, pourquoi ne pas créer un spectacle sous forme d’échoppe ? L’Exploratorium était né. Je retravaille le passé du personnage, les histoires que je veux raconter et toujours avec Clémentine, nous créons l’identité de cette nouvelle création.
L’objectif de Félix Belrose, le personnage que j’incarne, est de partager ses aventures et  découvertes : un mélange de chimie, marionnettes, histoire et magie. Je m’inspire de l’univers des sorciers créé par J.K Rowling, mais pas uniquement des films. Je me documente sur les livres, jeux vidéo et toute la fan fiction. Le répertoire est très large et je réalise plusieurs routines avec des runes, cartes, pièces, dés, cordes…Récemment, j’ai pu découvrir Juan Colás  avec Dreadlock act et cela a beaucoup changé ma vision des choses. Comme Ben Rose avec sa pluie de cuillères et Ben Hart, que j’ai eu la chance de voir à Blackpool, avec apparition d’œuf dans un éventail.
Mais j’ai beaucoup de mal à accrocher à des numéros de grande illusion ou de mentalisme : souvent trop axés sur la performance et la démonstration. J’aime beaucoup ceux où on raconte quelque chose et où le tour est mis au second plan. Et les numéros complètement décalés !

A part cela, j’ai toujours été influencé par le Japon et j’ai eu la chance d’aller faire mes études à Tokyo où j’ai rejoint un club de magiciens, une expérience unique ! Découvrir leur travail a été une leçon inestimable et j’aime énormément les créations de @tarochan.ooo avec les «anneaux chinois».  Nous avons des échanges réguliers sur le futur de ces accessoires. Et j’aime beaucoup l’art des Espagnols comme Juan Colás, Tobias Dostal,  Rúbi Férez; il correspond tout à fait à l’idée de « magie colorée ».

Quels conseils donner à un débutant? Ne jamais passer des années à peaufiner des techniques incroyables pour finalement rester devant un miroir. Le plus vital: que vouloir partager et offrir aux autres? Le tour en lui-même n’est pas essentiel; c’est l’influence sur un public qui compte. Il faut aussi éviter d’écouter tout ce qu’on dit ! (même moi, ne m’écoute pas). J’ai trop de fois entendu de mauvais conseils de magiciens enfermés dans une vision dépassée.

Apprendre, tester, échouer et recommencer et surtout ne pas être celui que les autres veulent que l’on soit mais être soi-même. Actuellement, notre art prend la poussière et il faut vite souffler dessus ! Les grands tours d’il y a trente à quarante ans, ne sont plus ceux de maintenant : les réseaux sociaux ont créé un art de la consommation et la magie en fait partie: je ne m’en inquiète pas plus. Beaucoup de collègues partagent cette vision et essayent d’aborder différemment notre art. Nous sommes au commencement d’une autre époque et j’ai hâte de la voir !

 Un même tour sera perçu différemment en fonction de l’expérience de vie de chaque spectateur: cela lui donne cette force. La magie est un outil de connexion puissant pour unir des gens d’autres cultures, origines et milieux et nous avons intérêt à voir comment elle est pratiquée ailleurs. En partageant, on obtient quelque chose de bien meilleur.
A part cela, je suis passionné de mangas et j’en ai exactement sept cent vingt quatre ! (sans compter celles que je lis sur mon portable). Les histoires m’aident à m’évader et parfois, à trouver des idées.


Sébastien Bazou

Interview réalisée le 1er juillet à Dijon.

*A retrouver sur Instagram @florian.flop.

https://www.florianflop.com/

Festival off d’Avignon En une nuit, notes pour un spectacle, d’après Pier Paolo Pasolini , écriture, mise en scène et interprétation : Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette et Eva Zingaro Meyer

Festival off d’Avignon

En une nuit, notes pour un spectacle, d’après Pier Paolo Pasolini, écriture, mise en scène et interprétation : Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette et Eva Zingaro Meyer

Faire revivre l’œuvre et l’héritage du grand réalisateur est une création qui a eu le prix du jury du Festival Impatience 2023. Dans la nuit du 1 er novembre 1975, Pier Paolo Pasolini a été assassiné sur la plage d’Ostie près de Rome, dans des conditions qui resteront inexpliquées. Cinquante ans plus tard, quatre artistes se retrouvent pour faire un spectacle, de cette disparition et, en même temps, diffuser l’héritage de l’écrivain et réalisateur.  Ce constant aller et retour entre son message politique et leur parole à eux, n’est pas toujours simple à percevoir. Et le théâtre dans le théâtre, sans doute une fausse bonne idée pour évoquer une personnalité aussi complexe.

© Elsa Seguier

© Elsa Seguier

Les écrits de Pasolini paraissent visionnaires, surtout au lendemain d’élections législatives qui ont bouleversé l’équilibre politique de la France: «Une bonne partie de l’antifascisme d’aujourd’hui, ou du moins ce qu’on appelle antifascisme, est soit naïf et stupide, soit pré-textuel et de mauvaise foi. En effet, il combat, ou fait semblant de combattre, un phénomène mort et enterré, archéologique qui ne peut plus faire peur à personne. En sorte un antifascisme de tout confort et de tout repos. Je suis profondément convaincu que le vrai fascisme est ce que les sociologues ont trop gentiment nommé: la société de consommation, définition qui paraît inoffensive et purement indicative. Il n’en est rien. Si l’on observe bien la réalité, et surtout si l’on sait lire dans les objets, le paysage, l’urbanisme et surtout les hommes, on voit que les résultats de cette insouciante société de consommation sont eux-mêmes les résultats d’une dictature, d’un fascisme pur et simple .» Ce phénomène mort et enterré dont il parle, ne  le semble pas tant que cela! Et nous subissons aujourd’hui ces deux types de fascisme…

Le spectacle commence dans l’obscurité, par le long et émouvant témoignage en italien, d’une comédienne sur son travail avec Pier Paolo Pasolini. Puis, les artistes nous expliquent comment ils ont procédé sous forme de Notes pour un spectacle. Pour eux, son corps mort plusieurs fois représenté sur scène, est un fil rouge, une métaphore :«Relier son assassinat, et celui des mondes paysan et sous-prolétaire.»
Un discours généreux mais pas certain que les jeunes vivant, eux, dans le numérique, y soient très sensibles ! Ce spectacle vaut surtout par la volonté de transmettre au public un ou plusieurs messages de Pasolini et donne envie d’aller revoir  Journal Intime de Nanni Moretti qui évoque avec poésie la mort du réalisateur. Il se balade dans Rome, dansant sur sa Vespa pour rejoindre à la fin, le terrain vague où a été assassiné Pasolini.

Jean Couturier

Jusqu’au 21 juillet, La Scala Provence, 3 rue Pourquery Boisserin, Avignon. T. : 04 65 00 00 90.

 

C’était là exactement il y a trente-sept ans, Chalon, première édition, nous y étions.

C’était là, exactement il y a trente-sept ans, Chalon, première édition, nous y étions!

Bon, ça va comme ça, j’en ai assez connu des Chalon, Aurillac, Sotteville-lès-Rouen,  Amiens, Vieux-Condé… Et qu’est-ce qui me prend?  Je retourne à Chalon et m’arrête à l’endroit précis où en 87, nous, Théâtre de l’Unité, jouions La Femme Chapiteau dans une ville à peu près déserte! Mais il y avait, je m’en souviens, la fille de Valéry Giscard d’Estaing qui allait à une fête du cheval.
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Une sociologie du public assez claire: en journées, des familles avec enfants et le soir, les jeunes avec leur appétit de vivre et découvrir. Toutes les jauges sont pleines! Enthousiasme et ovations debout à tous les coins de rue. Les spectateurs discutent partout. Il faut voir quoi? T’as vu quoi? Qui as-tu déglingué? Excusez-moi, je ne conseille rien, je ne suis pas du public…


Cinquante ans de théâtre de rue dans les jambes, j’ai assisté à plus de 2.000 spectacles! Formé à l’école brechtienne, je veux de l’épique, du puissant, du ravageur… et ne pas me fâcher avec Lucile, devenue madame Off à Chalon: il n’y a aucune raison. Tout ce que j’ai pu voir, tient la route. Je n’ai pas envie de faire des palmarès et suis admiratif: énergie, don de soi, invention permanente…
J’ai du mal à accepter l’indifférence des observateurs des politiques culturelles: ils ne comptent pas le public des arts de la rue dans leurs statistiques. Mais la vérité est bien là: 200.000 personnes à Chalon! Pas de billetterie, ou si peu, que cela ne compte pas. Ces arts de la rue méritent beaucoup plus d’attention, des médias: c’est scandaleux. Merci à Stéphanie Ruffier d’écrire sur ce festival dans L’Humanité mais il y a ici sur cinq jours, cent cinquante compagnies françaises et internationales et deux cents spectacles par jour!  Comment  juger à partir d’une douzaine?
La Comédie-Française ne représente pas notre pays à l’international mais les arts de la rue français exportés dans le monde entier, ont commencé à faire partie de l’histoire du théâtre! Indéniable! Avec un renouvellement des formes et du public: j’en suis persuadé et ne peux m’empêcher de citer La Saison en enfer (1873) d’Arthur Rimbaud: « Recevons les influx de vigueur et de tendresse réelle et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes. « 
Quand  je n’y crois plus, j’y crois encore…
Jacques Livchine, metteur en songes, pré-décédé.
Codirecteur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité,  9 allée de la Filature, Audincourt. T. : 03 81 34 49 20
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Festival de Châteauvallon

Festival de Châteauvallon

Dans l’immense pinède dominant la mer, bercés par le concert des cigales, nous découvrons un amphithéâtre de mille deux cent places. Un peu plus haut, un théâtre couvert et modulable de quatre cent à huit cent places, et le Baou, un studio faisant office de petite salle.
Du bar sur une terrasse, on a une vue magnifique sur la Méditerranée. En contrebas, une bastide accueille les artistes en résidence. Un équipement culturel remarquable, construit en partie par des bénévoles  et fruit d’une longue histoire : l
’année prochaine, ce festival, situé à Ollioules près de Toulon, qui a été fondé par le peintre Henri Komatis et le journaliste Gérard Paquet, fêtera ses soixante ans.

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Ces amis découvrent, en 64, les ruines d’une bastide du XVII ème siècle et vont faire construire sur cette colline enchanteresse et inspirante, un lieu voué à la création. Dès les années soixante-dix, ils invitent artistes, penseurs et musiciens célèbres et conçoivent un festival de jazz.  Châteauvallon devient aussi un des hauts lieux de la danse contemporaine alors en plein essor, sous le nom : Théâtre national de la danse et de l’image, toujours sous la direction de Gérard Paquet. Mais il partira en 96, après de graves démêlés avec Jean-Marie Le Chevallier, maire (Front National) de Toulon, qui voulait censurer sa programmation! Ce qui déclencha un mouvement de solidarité dans toute la France…
En 98, devenu Centre National de Création et de Diffusion Culturelles (C.N.C.D.C.), Châteauvallon dirigé par Christian Tamet, passe sous la régie de la Communauté d’Agglomération Toulon-Provence-Méditerranée. Puis en 2015, devient Scène Nationale fusionnant avec le théâtre Le Liberté, dirigé par Charles Berling et son frère Philippe, et qui avait été ouvert quatre ans avant à Toulon.
Sous le nom Châteauvallon-Liberté, ces structures coexistent mais avec deux directeurs.  Mais huit ans plus tard, Christian Tamet s’en va et Charles Berling en prend la tête avec des programmations distinctes. L’enfant de Toulon qui s’est beaucoup battu pour forger cet outil, veut ancrer le lieu au cœur du territoire, avec des spectacles itinérants et va à la rencontre de nouveaux publics : écoles, prisons, E.P.H.A.D.
Le Festival, fer de lance de ces actions, ne déroge pas à la pluridisciplinarité originale et au programme, cette année : danse, cirque, opéra et théâtre. Avec ce soir, dans le sillage d’une courte pièce de Tamara Al Saadi, le prestigieux ballet Exit Above-after the tempest d’Anne Teresa De Keersmaeker.

Partie, texte, mise en scène et scénographie de Tamara Al Saadi

Nous avons découvert l’autrice-metteuse en scène avec Place, prix du Jury et prix des Lycéens du festival Impatience 2018, puis Brûlé-e-s, au festival Les Singuliers 2021 (voir Le Théâtre du Blog). Après ces débuts prometteurs, elle a poursuivi sa route et est associée, depuis cette année, au Théâtre national Bordeaux-Aquitaine.
Tranchant avec le registre de ses autres pièces, Partie décrit l’horreur de la Première Guerre mondiale, à travers les lettres d’un fils, à sa mère. Ici ni artillerie lourde ni pathos. Quatre comédiennes prennent en charge la narration mais une seule, Justine Bachelet, incarne Louis, envoyé au front à dix-sept ans, et Eliane, sa mère. Les autres l’assistent, en contrepoint.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Éléonore Mallo fabrique avec des objets de fortune, des bruitages à vue, et sur mesure : rumeurs des rues parisiennes, activités ménagères d’Eliane, chant d’oiseaux, cahots et sifflets de train, pas cadencés de la soldatesque, sifflements d’obus, ronflement de bombardiers…
Jennifer Montesantos, en fond de scène, fait apparaître des éléments scénographiques et déroule une grande feuille de papier avec didascalies et commentaires.

Tamara Al Saadi (remplacée ce soir-là), aura préalablement demandé aux spectateurs de participer à cette œuvre, en lisant à voix haute, et à son signal, les textes distribués à l’entrée. Effet choral assuré… tant bien que mal. En les invitant à raconter cette histoire avec elles, les actrices instaurent une belle complicité. Ce qui vient appuyer le jeu délicat et pudique de Justine Bachelet. Cette jeune actrice, vue récemment dans Après la répétition/Persona d’Ivo van Hove (voir Le Théâtre du blog), campe avec la même simplicité, une femme du peuple, pragmatique, et un jeune vendeur des rues parisien, naïf et rêveur.
Elle suit « Louis Verrier, 274ème d’Infanterie, 22ème compagnie » dans une guerre terrible où il perd son ami. Atteint d’«obusite, syndrome commotionnel incurable avec tremblements incontrôlés», il sera fusillé «pour abandon de poste en présence de l’ennemi», le 5 mars 1915.

Ces lettres écrites dans une prose simple et limpide, nous plongent dans l’horreur, sans véritable haine : « Les rats sont gras et le silence ici, c’est pire que tout, parce qu’il fait entendre la voix des blessés (….) Quand ils s’arrêtent de crier, c’est nous qu’ils blessent. »
Véritable réquisitoire contre la guerre, la pièce revisite notre Histoire à travers l’intimité des soldats, victimes anonymes. Il suffit de peu à Tamara Al Saadi pour faire théâtre : un tablier, des gestes quotidiens et nous sommes dans la cuisine d’Eliane… Un sac à dos, un casque, un peu de terre déversée, et nous voilà partis au front.
Les sons, produits et mixés par Éléonore Mallo, font revivre des images qu’on a très souvent vues dans les films de guerre. La distanciation s’opère, quand Tamara Al Saadi dévoile l’artisanat théâtral mais n’enlève rien à l’émotion que nous éprouvons face au sort douloureux de ces personnages.
On retrouvera la metteuse en scène à Châteauvallon-Liberté avec Taire, les 13 et 14 mars après sa création en janvier au Théâtre Dijon-Bourgogne. Une réécriture d’Antigone à ne pas manquer.

EXIT ABOVEafter the tempest, d’après La Tempête, chorégraphie d’Anne Teresa De Keersmaeker, musique de Meskerem Mees, Jean-Marie Aerts et Carlos Garbin

La musique a toujours porté la danse de la chorégraphe belge: de Steve Reich, Joan Baez ou John Coltrane, à Jean-Sébastien Bach, elle renouvelle sa grammaire, au tempo des compositeurs. Ici, elle accorde le rythme de la marche aux sonorités du blues, servies par la voix envoûtante de la chanteuse flamande d’origine éthiopienne Meskerem Mees et les « walking songs » joués par le guitariste Carlos Garbin.
Tout commence par un impressionnant solo de Solal Mariotte. Le danseur hip hop semble s’envoler, tournoyant dans une large jupe. Il lutte contre une tempête, figurée par une immense voile soulevé par un ventilateur.
Sur un écran, s’affichent en anglais, des phrases de Sur le concept de l’Histoire de Walter Benjamin : «Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus Novus. Il représente un ange qui semble s’éloigner de quelque chose qu’il fixe de son regard ».

 

© Anne Van Aerschot

© Anne Van Aerschot

Quand le vent s’apaise, la troupe rejoint cet ange qu’on croirait déchu, chassé du Paradis. Les musiciens, danseurs et danseuses occupent le plateau, martelant les pas d’une marche en un même mouvement. Ils avancent et reculent face public, ou en processions circulaires suivant les arabesques de couleurs dessinées au sol (scénographie de Michel François).
Avec comme point de départ, le standard
Walkin’ Blues,  popularisé dans les années trente par Robert Johnson, et ensuite par le chanteur Muddy Waters, Anne Teresa De Keersmaeker associe ces airs afro-américains, sources de nombreux styles musicaux, à la marche, forme primitive du mouvement.
Au fil de ces morceaux-écrits et composés par la chanteuse, le guitariste et Jean-Marie Aerts- la musique et la danse s’émancipent : électro, rap et punk, avec une succession de ruptures font voler en éclats la mélancolie répétitive de la marche, pour une fulgurance de gestes débridés.
Les textes qui les accompagnent, évoquent des catastrophes naturelles, inondations et incendies qui, sur notre  planète, sèment la mort des espèces.
La complainte jazzy devient colère techno et, en transe, les danseurs jettent leurs costumes à tout vent. Abigail Aleksander, Jean-Pierre Buré, Lav Crnčević, José Paulo dos Santos, Rafa Galdino, Carlos Garbin, Nina Godderis, Solal Mariotte, Meskerem Mees, Mariana Miranda, Margarida Ramalhete, Ariadna Navarrete Valverde et Jacob Storer se dispersent et se rassemblent sans cesse, dans les alternances de noirs et lumières signées Max Adams.
Ils ont troqué progressivement leurs costumes sombres pour d’autres : rouge, blanc ou bleu… Un feu d’artifice de musiques et mouvements embrase les interprètes : parmi eux, Meskerem Mees sera d’un bout à l’autre, le ciment de cette pièce multiforme et polychrome. Échappée d’un corps gracile, sa voix poignante et puissante n’a pas fini de nous émouvoir. Sous le ciel étoilé provençal, les paroles empruntées à Shakespeare et aux autres poètes, donnent des ailes aux anges de la danse.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 23 juillet, Festival de Châteauvallon, 795 chemin de Châteauvallon, Ollioules (Var) T. : 09 80 08 40 40.

 

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