Festival d’Avignon Hécube pas Hécube

Festival d’Avignon

Hécube pas Hécube, texte et mise en scène de Tiago Rodrigues

 D’abord une pensée pour le grand Alain Crombecque qui  dirigea le festival d’Avignon  et à qui une exposition est consacrée à la Maison Jean Vilar (voir Le Théâtre du Blog). C’est lui qui trouva ce lieu fantastique qu’est la carrière Boulbon, proche d’Avignon.
Sur le gravier nu, quatre tables en bois autour de laquelle s’assoient les acteurs d’une troupe, en l’occurrence, certains de la Comédie-Française: Elsa Lepoivre, Éric Génovèse, Loïc Corbery, Gaël Kamilindi, Élissa Alloula et Séphora Pondi. Ils commencent à répéter  la tragédie d’Euripide sous la direction d’un metteur en scène qui semble bien fatigué (Denis Podalydès). Il dit souvent: « Euripide méritait mieux et semble un peu dépassé. »
Bref, du théâtre dans le théâtre, une vieille recette bien usée… Et, même si les acteurs expliquent la situation, il faut s’accrocher pour comprendre l’intrigue, via cette lecture vite faite à la table. Au fond, une autre longue table avec les mêmes chaises nappées de gris. Au centre de la carrière,  couverte d’un grand tulle noir,  une grande sculpture d’une chienne sur un socle de béton, qui apparaîtra plus tard, débarrassée de son enveloppe par les acteurs.

c Ch. Raynaud de Lage

c Ch. Raynaud de Lage

Tiago Rodrigues reprend des extraits de la pièce d’Euripide, qu’il tricote de façon assez maladroite avec de nombreux mais courts dialogues écrits par lui, où il raconte la vie cassée d’une actrice: Nadia (Elsa Lepoivre). C’est elle qui va jouer Hécube, la reine de Troie devenue esclave des Grecs vainqueurs, comme l’étaient toutes les femmes, après la défaite de leur pays vaincu. La veuve du roi Priam a tout perdu: trône, liberté et surtout, presque tous ses enfants. Elle va réclamer justice haut et fort.
L’actrice, elle, mène aussi un combat acharné auprès du Procureur de la République (Denis Podalydès) :  son fils autiste a fait l’objet de graves maltraitances: coups et menaces comme sur ses camarades, par des soignants de l’institution thérapeutique où il a été pris en charge. Certains viendront s’expliquer devant ce Procureur.  Nadia, elle  a rendez-vous avec  le Procureur pour la première fois et elle répondra du tac au tac à ses questions souvent embarrassantes. dans doute un des rares scènes vraiment intéressantes.
Mais cette alternance systématique entre répétitions des acteurs et interventions dialoguées de Nadia contre l’Etat, est assez vite lassante et cette mise en abyme d’une histoire inspirée d’un scandale arrivé en Suisse il y a quelques années, n’a rien de convaincant au plan théâtral.
Bref, ce tricotage textuel, une maille à l’envers dans l’antiquité, une maille à l’endroit de l’actualité entre la vie de ces deux femmes en proie à une douleur commune, ne fonctionne pas…. C’est sans doute une fausse bonne idée. Le personnage d’Hécube,  imaginé il y a vingt-cinq siècles par le grand Euripide, veut venger ses enfants morts à cause d’une guerre entre voisins méditerranéens. Son fils a été assassiné après avoir été  confié au roi des Thraces, Polymestor (Loïc Corbery).
Nadia, elle, ira jusqu’au bout dans la lutte sans merci qu’elle mène contre l’Etat pour que soient reconnues les graves maltraitances qu’a subi Otis, son fils autiste (il a une passion pour la danse et la musique d’Otis Redding dont lui a donné le prénom). Mais il a tendance à se cogner la tête contre les murs, à se scarifier et doit être constamment surveillé, ce qui n’a pas été fait.
Malgré le jeu d’Elsa Lepoivre et Denis Podalydès, nous regardons  cela avec un certain détachement. Même si parfois, nait de ces dialogues, une indéniable vérité, comme dans quelques scènes,  entre autres, celles avec un Secrétaire d’Etat à la Santé et le Procureur.  A un moment, les acteurs tous munis d’un casque noir, se tapent les poings sur la poitrine et là, cela ne fonctionne plus du tout. Que veut nous dire Tiago Rodrigues qu’on aura connu, mieux inspiré?
Soyons clair, cet Hécube pas Hécube qui n’a rien à voir avec la tragédie d’Euripide, est un spectacle teinté de sauce Pirandello, mais assez ennuyeux et jamais émouvant. Nous avons eu la désagréable impression de voir une performance, pas très efficace, à partir d’une écriture de plateau par un groupe d’amis mais sans grand souci du public qui, lui, ne semblait pas convaincu et a applaudi mollement. Enfin, il y a un instant d’émotion, enfin! Quand Elsa Lepoivre, seule face public, magnifique,  dit avec douceur et simplicité,  ces quelques mots: « Je suis prête. Des mois, des années. Peu m’importe. Je suis prête à aboyer, aboyer, aboyer. Aboyer pour le reste de ma vie, s’il le faut.(..) » là enfin, il se passe quelque chose…

Reste le jeu d’une brochette de très bons acteurs, mais va-t-on au théâtre pour ce seul plaisir?  Surtout à 40 € la place + 9 € de navette aller et retour, ou 15 € pour deux heures de parking: inévitable quand on n’habite pas le centre d’Avignon! Et la buvette  est assez chère.
Un théâtre populaire? NON, c’est bien fini!  Et le festival In reste une manifestation pour gens aisés, tant pis pour les pas riches du tout… « Nous avons à cœur, dit pourtant Tiago Rodrigues, que le festival puisse accueillir le public le plus large possible. »  Nous en sommes très loin! Et de jeunes instituteurs du Cantal, nous ont dit trouver injuste de devoir payer, via leurs impôts, pour ce festival de bobos (sic), tel qu’il est actuellement. Et les faits sont têtus! Que répond Tiago Rodrigues à cette question de bon sens? Ils nous disent préfèrer aller dans le off… ou au festival d’Aurillac où il y a de nombreux spectacles gratuits.
En effet, Avignon in est hélas, devenu une fête à deux vitesses où le public a de l’argent et n’est plus jeune du tout. Il est urgent que Tiago Rodrigues en prenne conscience et change de logiciel!

Philippe du Vignal

Carrière Boulbon, jusqu’au  16 juillet. Navette à la Poste d’Avignon: 9 €

Entretien avec Éric Genovèse

L’acteur répétait avec ses camarades de la Comédie Française Hécube, pas Hécube

©photographie de répétition Hécube, pas Hécube, salle Richelieu, juin 2024 © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française, Festival d'Avignon

©photographie de répétition  juin 2024 © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française,

- Comment s’est construit le travail?

-D’abord avec Tiago Rodrigues dont la pièce a été écrite au fur et à mesure des répétitions et il a eu toute liberté pour modifier son texte. Il superpose deux histoires: celle d’Hécube et celle d’une actrice qui répète une pièce dont le fils, autiste, est victime de maltraitance. Nous avons eu plusieurs semaines de travail : nous avons lu la pièce d’Euripide, parlé ensemble du projet et après un gros travail documentaire, de la prise en charge défaillante des enfants autistes. Avec aussi, en mémoire, ce qui s’est passé récemment dans les E.P.H.A.D.

Autour de ces histoires croisées de justice et de vengeance, l’auteur a chosi desextraits d’Euripide et nous nous sommes rendus compte de l’extrême actualité des textes anciens.
On comprend pourquoi on rejoue cette pièce depuis tant d’années. Il y a ici une double écriture, entre l’œuvre d’Euripide dont Tiago Rodrigues a gardé les seuls passages signifiants, et son texte. Certaines tirades du grand dramaturge grec éclairent de façon concrète l’histoire qu’il a écrite.  Il y a aussi un parallèle entre le personnage d’Hécube et celui de Nadia, l’actrice (Elsa Lepoivre), dans sa lutte contre celui qui a tué ses enfants mais aussi dans son combat contre l’établissement qui a trahi sa mission et a maltraité son enfant.

- Vous aviez interprété Les Damnés (2016) dans la Cour d’Honneur et vous allez jouer à Boulbon, puis à Epidaure, y a-t-il une préparation physique pour affronter ce type de lieu ?

– Pas vraiment, une fois que l’on y est, on s’adapte. Mais il existe des aléas naturels comme le froid et/ou le mistral qu’il faut braver. A Epidaure, ce « mur» de quelque six mille spectateurs est impressionnant et on a moins de distance avec eux.

- Il y a une longue tournée, donc l’alternance des rôles à la Comédie-Française est impossible pour vous et vos camarades?

- Oui, elle est dense en France comme en Europe jusqu’en février prochain. A notre époque, il y a de moins en moins de grandes tournées mais nous sommes aidés par un mécénat pour couvrir une partie des coûts qui sont importants.

-Comment Tiago Rodrigues dirige-t-il ses acteurs ?

- Chaque metteur en scène a ses caractéristiques. Avec lui, cela se passe remarquablement bien : les choses sont simples et joyeuses. Il est doux et amical…

Entretien avec Jean Couturier

 

 


Archive pour 8 juillet, 2024

Oblomov, de L.M. Formentin, d’après Ivan Gontcharov, mise en scène de Jacques Connort

Festival off d’Avignon

Oblomov de L.M. Formentin, d’après Ivan Gontcharov, mise en scène de Jacques Connort

 Face à la vanité du monde, « à quoi bon se lever, se laver, s’habiller ? À quoi bon travailler, aimer?» se demande Oblomov.  Ce jeune aristocrate russe vit reclus dans son petit appartement à Saint-Pétersbourg avec Zakhar, son fidèle domestique.
Il passe le plus clair de son temps couché! L’unique décor est sa chambre et cette histoire commence en silence: Oblomov dort. Zakhar, lui, veille sur son maître et regarde son livre de comptes: il est criblé de dettes. Ce qui ne l’empêche pas de dormir et de tout remettre à demain.
« Monsieur, vous dormez? (Un temps). Oblomov: « Oui. » Zakar : « Très bien. J’ai oublié de vous dire que tout à l’heure, quand vous dormiez encore, le gérant a demandé au concierge de nous dire qu’il faut absolument déménager. Ils ont besoin de l’appartement. »Oblomov: « Eh! Bien, tu leur dis que nous déménagerons. Que peut-on faire de plus ? » Zakhar: « Ils veulent que nous le fassions vraiment. Oblomov: « Mais j’y pense ! J’y pense. » Zakhar: « Ils disent que nous avions promis de partir il y a un mois, mais que nous sommes toujours là. Alors, ils veulent appeler la police. « 

© P. Gely

© P. Gely

Oblomov, un marginal ? Oui, à sa manière et proche d’un dandy. Ce jeune homme original avec son domestique,  possède un art de vivre hors du commun et est quelque peu misanthrope: être libre de ses décisions, ne pas subir les conventions sociales, l’aliénation du travail, le pouvoir de l’argent! Mais cette liberté choisie coûte que coûte, n’est pas si simple! Et Oblomov devra renoncer à son amour pour Olga à qui il ne peut offrir l’existence digne d’une épouse issue de son milieu: la noblesse.

 L.M. Formentin a fait une remarquable adaptation du roman d’Ivan Gontcharov, (1859). L’auteur réussit à maintenir, quand il  passe de la langue narrative du roman, à celle du théâtre, toute la sensibilité et la relation exceptionnelle entre ces hommes si différents et que tout oppose: leur rang, leur âge, leur éducation…. La tension dramatique naît avec finesse et nous sommes surpris par cette histoire singulière, avec notamment, la nature du lien de maître à serviteur d’habitude liée à un rapport d’autorité et soumission. Or, là, nous découvrons une complicité très humaine et tout en nuances entre Oblomov et Zakhar,, et ce qu’ils refusent et désirent, chacun et/ou ensemble.

Etonnés, nous voyons qu’ils partagent, malgré leur position sociale différente, une affinité dans leur perception du monde. La banalité de la vie quotidienne est, avec leur tempérament de chacun, transfigurée. Nous ressentons des bribes de leur vie intérieure et de leur intimité. La nostalgie, la poésie, l’onirisme se mêlent aux actions ordinaires. Admirables sont les moments où Oblomov et Zakhar se souviennent et mettent en scène comme le feraient de fidèles amis, le temps passé de l’enfance de ce jeune aristocrate avec sa mère tant aimée, et celui, avec son seul amour, Olga.

Adieu, hiérarchie sociale,  formes de politesse hypocrites, hubris, rapports de force…Et bienvenue à la liberté, à la fantaisie de l’existence, à la joie et à la mélancolie, à l’amitié! L’humour et l’esprit sont bien présents dans les micro-actions de la pièce, comme une lettre perdue ou celle à écrire, l’obligation de déménager, etc. Les dialogues sont parfois à fleurets mouchetés et une dynamique jouissive de la parole prend corps grâce à l’écriture mais aussi aux acteurs, au jeu extraordinaire de sincérité. Yvan Varco (le Domestique) ancien pensionnaire de la Comédie-Française, nous émerveille par sa délicatesse, sa sensibilité, ses gestes et regards si justes dans les situations vécues avec Oblomov.
Nous découvrons avec plaisir Alexandre Chapelon (Oblomov), un jeune  comédien dont c’est le premier spectacle. Formidable, il interprète avec aisance, espièglerie mais aussi avec une certaine rêverie, cet aristocrate hors du commun. Une amitié peu banale et un rapport affectif et respectueux, inattendu entre l’aristocrate et le domestique. Le spectateur ressent un peu comme les protagonistes ce sentiment de grâce qu’offre parfois l’existence et les rencontres humaines. Ici, l’intime rejoint l’Histoire… Derrière les ordres d’Oblomov et les réponses de Zakhar, se profile en arrière-fond, toute une société qui disparaît vers la fin du XIX ème, en Russie et en Europe.

Jacques Connort a conçu une mise en scène réaliste et précise, avec une théâtralité convaincante. Il a créé un cadre, en résonance avec l’intimité entre Oblomov et Zakhar, un lien inattendu et une véritable empathie entre ceux qu’une certaine philosophie de la vie réunit. Le public est ému et enthousiasmé par ce magnifique spectacle et cette interprétation toute en profondeur. Un moment de bonheur théâtral et un apaisement en ces temps angoissants.

Elisabeth Naud

 Théâtre des Vents 63 rue Guillaume Puy, Avignon, jusqu’au 21vjuillet. T.: 06 11 28 25 42.
Le texte est en vente sur place

 



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