Oblomov, de L.M. Formentin, d’après Ivan Gontcharov, mise en scène de Jacques Connort

Festival off d’Avignon

Oblomov de L.M. Formentin, d’après Ivan Gontcharov, mise en scène de Jacques Connort

 Face à la vanité du monde, « à quoi bon se lever, se laver, s’habiller ? À quoi bon travailler, aimer?» se demande Oblomov.  Ce jeune aristocrate russe vit reclus dans son petit appartement à Saint-Pétersbourg avec Zakhar, son fidèle domestique.
Il passe le plus clair de son temps couché! L’unique décor est sa chambre et cette histoire commence en silence: Oblomov dort. Zakhar, lui, veille sur son maître et regarde son livre de comptes: il est criblé de dettes. Ce qui ne l’empêche pas de dormir et de tout remettre à demain.
« Monsieur, vous dormez? (Un temps). Oblomov: « Oui. » Zakar : « Très bien. J’ai oublié de vous dire que tout à l’heure, quand vous dormiez encore, le gérant a demandé au concierge de nous dire qu’il faut absolument déménager. Ils ont besoin de l’appartement. »Oblomov: « Eh! Bien, tu leur dis que nous déménagerons. Que peut-on faire de plus ? » Zakhar: « Ils veulent que nous le fassions vraiment. Oblomov: « Mais j’y pense ! J’y pense. » Zakhar: « Ils disent que nous avions promis de partir il y a un mois, mais que nous sommes toujours là. Alors, ils veulent appeler la police. « 

© P. Gely

© P. Gely

Oblomov, un marginal ? Oui, à sa manière et proche d’un dandy. Ce jeune homme original avec son domestique,  possède un art de vivre hors du commun et est quelque peu misanthrope: être libre de ses décisions, ne pas subir les conventions sociales, l’aliénation du travail, le pouvoir de l’argent! Mais cette liberté choisie coûte que coûte, n’est pas si simple! Et Oblomov devra renoncer à son amour pour Olga à qui il ne peut offrir l’existence digne d’une épouse issue de son milieu: la noblesse.

 L.M. Formentin a fait une remarquable adaptation du roman d’Ivan Gontcharov, (1859). L’auteur réussit à maintenir, quand il  passe de la langue narrative du roman, à celle du théâtre, toute la sensibilité et la relation exceptionnelle entre ces hommes si différents et que tout oppose: leur rang, leur âge, leur éducation…. La tension dramatique naît avec finesse et nous sommes surpris par cette histoire singulière, avec notamment, la nature du lien de maître à serviteur d’habitude liée à un rapport d’autorité et soumission. Or, là, nous découvrons une complicité très humaine et tout en nuances entre Oblomov et Zakhar,, et ce qu’ils refusent et désirent, chacun et/ou ensemble.

Etonnés, nous voyons qu’ils partagent, malgré leur position sociale différente, une affinité dans leur perception du monde. La banalité de la vie quotidienne est, avec leur tempérament de chacun, transfigurée. Nous ressentons des bribes de leur vie intérieure et de leur intimité. La nostalgie, la poésie, l’onirisme se mêlent aux actions ordinaires. Admirables sont les moments où Oblomov et Zakhar se souviennent et mettent en scène comme le feraient de fidèles amis, le temps passé de l’enfance de ce jeune aristocrate avec sa mère tant aimée, et celui, avec son seul amour, Olga.

Adieu, hiérarchie sociale,  formes de politesse hypocrites, hubris, rapports de force…Et bienvenue à la liberté, à la fantaisie de l’existence, à la joie et à la mélancolie, à l’amitié! L’humour et l’esprit sont bien présents dans les micro-actions de la pièce, comme une lettre perdue ou celle à écrire, l’obligation de déménager, etc. Les dialogues sont parfois à fleurets mouchetés et une dynamique jouissive de la parole prend corps grâce à l’écriture mais aussi aux acteurs, au jeu extraordinaire de sincérité. Yvan Varco (le Domestique) ancien pensionnaire de la Comédie-Française, nous émerveille par sa délicatesse, sa sensibilité, ses gestes et regards si justes dans les situations vécues avec Oblomov.
Nous découvrons avec plaisir Alexandre Chapelon (Oblomov), un jeune  comédien dont c’est le premier spectacle. Formidable, il interprète avec aisance, espièglerie mais aussi avec une certaine rêverie, cet aristocrate hors du commun. Une amitié peu banale et un rapport affectif et respectueux, inattendu entre l’aristocrate et le domestique. Le spectateur ressent un peu comme les protagonistes ce sentiment de grâce qu’offre parfois l’existence et les rencontres humaines. Ici, l’intime rejoint l’Histoire… Derrière les ordres d’Oblomov et les réponses de Zakhar, se profile en arrière-fond, toute une société qui disparaît vers la fin du XIX ème, en Russie et en Europe.

Jacques Connort a conçu une mise en scène réaliste et précise, avec une théâtralité convaincante. Il a créé un cadre, en résonance avec l’intimité entre Oblomov et Zakhar, un lien inattendu et une véritable empathie entre ceux qu’une certaine philosophie de la vie réunit. Le public est ému et enthousiasmé par ce magnifique spectacle et cette interprétation toute en profondeur. Un moment de bonheur théâtral et un apaisement en ces temps angoissants.

Elisabeth Naud

 Théâtre des Vents 63 rue Guillaume Puy, Avignon, jusqu’au 21vjuillet. T.: 06 11 28 25 42.
Le texte est en vente sur place

 



 

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