160.000 Enfants, violences sexuelles et déni social, d’après le texte du juge Edouard Durand

Festival d’Avignon off

160.000 Enfants, violences sexuelles et déni social, d’après le texte d’Edouard Durand

Ce juge, coprésident en 2021 de la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles, a écrit un rapport accablant, à partir d’enquêtes, et témoignages de victimes recueillis entre 2021 et 2023... Il constate et analyse avec précision la situation morale et physique de jeunes qui sont violés en France, le plus souvent par des membres de leur famille ou des proches. Et ce fléau concerne toutes les classes sociales sans exception et tous les milieux (entreprises, scolaires, sportifs, artistiques…)
Mais en décembre dernier
, Édouard Durand a été évincé cette C.I.I.V.I.S.E. Sans doute ses critiques répétées sur le traitement judiciaire -encore assez approximatif- de ces violences sexuelles agaçaient-elle sa hiérarchie et le Pouvoir en place!
Il avait pourtant mis le doigt là où cela faisait mal ! Pour lui il était urgent «
d’organiser une réponse sociale protectrice et parmi ces recommandations: l’imprescriptibilité pour les viols et agressions sur mineurs, la garantie pour les victimes que les soins spécialisés soient pris en charge à 100%, la reconnaissance du caractère incestueux pour les violences commises par un cousin ou une cousine. »
Pour Edouard Durand, «protéger un enfant n’est jamais contraire à la présomption d’innocence » et recueillir sa parole fait partie d’une « politique publique ». A la remise de son rapport, aucun représentant de l’État n’était là. « C’est, a dit ce juge, comme si, pour le gouvernement, cette parole n’existait plus. » A la suite de son éviction, onze membres de cette commission l’ont quittée.

Autrement dit: pas de vagues, c’est un mot d’ordre sacré au Ministère de la Justice ou ailleurs, notamment au ministère de la Culture… Ce scandale, maintenant bien connu,  était
soigneusement enfoui par toute la société française et le Pouvoir, refusant d’admettre toute faute en la matière. Et, sauf à l’occasion d’affaires impliquant des personnalités politiques, les médias, régionaux comme nationaux, s’y intéressent peu. Pourtant la C.I.I.V.I.S.E. avait été créée il y a trois ans, à l’initiative d’Emmanuel Macron lui-même, quand Camille Kouchner, dans un livre La Familia grande, avait clairement accusé son beau-père, le politologue bien connu Olivier Duhamel d’avoir infligé il y a trente ans des violences sexuelles à son frère jumeau.
Camille Kouchner qui avait observé jusque là, le secret demandé par son frère, dénonçait aussi l’omerta sévissant dans cette « élite »: les nombreux proches de la famille avoueront qu’ils avaient aussi été au courant de ce crime. En 2021, l’affaire a été classée sans suite: le délai de prescription pour viol par ascendant sur mineur était de dix ans à compter de la majorité de la victime! Mais ce fut un appel d’air les nombreuses victimes d’inceste qui ont pris la parole. Un Français sur dix raconte avoir été victime d’inceste! Soit plus de six millions de personnes, dont 78% de femmes.

©x

©x Nacima Bektaoui, Cécile Morel, Isis van Groeningen

Sur une très petite scène aux rideaux noirs, rien d’autre que trois chaises. Mais la parole crue et des plus troublantes, souvent insoutenable, dite par trois actrices, frappe le public, littéralement médusé par ce qu’il entend. Et les faits rappelés sont têtus:  en France, 160.000 enfants sont victimes de violences sexuelles, soit une toutes les trois minutes ! Et cela ne se passe pas au Moyen-Age mais aujourd’hui dans les villes et campagnes de la douce France…
Cécile Morel a adapté ce rapport, l’a mis en scène et le dit, avec de jeunes actrices: Nacima Bekhtaoui qu’on avait pu voir dans Lettres à Nour avec Charles Berling et dans Jamais seul de Mohamed Rouabhi avedc Patrick Pineau.  Elle a une belle présence et sait mettre humblement et avec rigueur, sa voix au service d’un texte aussi dur que celui-ci. Isis van Groeningen, elle, très jeune, maîtrise moins les choses, surtout au début.
Mais il y a une unité dans le jeu et une rigueur indéniable dans la mise en scène. Cela suffit-il à « faire théâtre » pour reprendre les mots d’Antoine Vitez. Sans doute pas tout à fait, et il y a souvent des répétitions et longueurs, même sur cinquante-cinq minutes, qui auraient pu être évitées. Il faudrait revoir les choses, comme les costumes, vraiment très laids: ce travail, encore brut de décoffrage, mérite mieux.
Reste une parole forte pour dire l’un des faits sociétaux les plus importants de cette décennie et dont le off s’est fait une spécialité. A côté, dans le In, la parole de cette mère d’un jeune autiste dans
Hécube, pas Hécube, à la Carrière Boulbon (voir Le Théâtre du Blog) paraît moins solide…  Et il faudra suivre ces  160.000 Enfants.

Philippe du Vignal

Théâtre des Lila’s, 8 rue Londe, Avignon, jusqu’au 21 juillet.T.: 04 90 33 89 89. Attention: cette rue très étroite n’est pas facile à trouver: elle part du milieu de la rue des Teinturiers.

Le texte est paru dans la collection Tracts n° 54, chez Gallimard.

 

 


Archive pour 13 juillet, 2024

Festival off d’Avignon In Factory, chorégraphie de Chang Chung-An par le Resident island dance theatre

Festival off d’Avignon

In Factory, chorégraphie de Chang Chung-An par le Resident island dance theatre

Cette année, Taïwan est le pays invité d’honneur du off, avec quatre spectacles. Nous suivons depuis plusieurs années les compagnies soutenues par le Centre culturel de Taïwan à Paris, (voir Le Théâtre du blog). In Factory est une œuvre étroitement liée à l’histoire personnelle de son chorégraphe qui suivait de hautes études universitaires quand il perdit la vision d’un œil…. et son rang dans une société taïwanaise très hiérarchisée.  Comme au Japon, si l’on sort du cadre, on devient vite un paria! « Ce spectacle, dit Chang Chung An, expose la difficulté chez les gens ordinaires, à subsister dans notre monde : nous sommes comme des machines dans une usine, répétant jour après jour la même routine, coincés dans l’espace-temps défini pour nous, par la société. »

© Huang Jyong Jhe

© Huang Jyong Jhe

Le thème de cette pièce de quarante-cinq minutes est le même que celui  des Temps modernes  de Charlie Chaplin (1936). Chang Chung-An montre aussi l’aliénation d’un travailleur répétant les mêmes gestes au travail.  Sur une musique intense et envahissante, les quatre danseuses et le danseur répètent leurs gestes avec force et énergie, dans un relatif petit espace de jeu. Le chorégraphe a aussi ajouté une mise en danger : certains des artistes sont installés sur des plateformes mobiles.
Mais les liens entre ces femmes et cet homme ne sont pas toujours très lisibles. Il semble que le  chorégraphe ait voulu parler du système qui l’enferme. Mais l’énergie déployée et la précision gestuelle des artistes nous ont impressionné… Un cauchemar visuel à découvrir.

Jean Couturier

Jusqu’au 21 juillet,  à la Condition des Soies, 13 rue de la Croix, Avignon. T. : 04 90 22 48 43.

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...