Reclaim, par la compagnie Théâtre d’un jour, écriture et mise en scène de Patrick Masset

Festival d’Avignon Off

Reclaim, par la compagnie Théâtre d’un jour, écriture et mise en scène de Patrick Masset

«Reclaim est un rituel imaginaire, librement inspiré du koch en Asie Centrale, où les femmes essayent de construire un rapport égalitaire avec les hommes et proposer un monde plus juste aux générations à venir.» Cette note d’intention ne semble pas très explicite. Qu’importe, nous assistons à une remarquable performance physique, esthétique et poétique, assis en cercle sur trois gradins, au plus près de l’aire de jeu. Ce qui permet aux artistes d’entrer en interaction avec certains d’entre nous.

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage


Deux violoncellistes, une chanteuse, cinq circassiens dont une voltigeuse, composent cette équipée sauvage pour un rituel de danse circulaire. La voltigeuse porte dans ses bras une marionnette d’enfant qu’elle dépose au pied d’un totem, puis, transformée en jeune hyène,  vient nous renifler. Quatre spectres très nerveux et coiffés de crânes de singe la rejoignent.
Les interprètes donnent libre cours à leur animalité : ils se battent, se frottent au public… Un malaise s’installe.

Après avoir quitté leur masque, les acrobates rivalisent de dextérité en réalisant de beaux portés, lancés et pyramides humaines. Musique, chant et acrobatie alternent et se superposent, créant une poétique de l’espace. Proches de lui, les artistes sont prévenants et doux avec le public qui pourrait être surpris ou effrayé.
Cette expérience interactive, au programme de la Manufacture, a reçu le prix Maeterlinck du meilleur spectacle de cirque 2024. Reclaim sera reprise ensuite à Paris sous le chapiteau de la compagnie belge T1J.

Jean Couturier

Jusqu’au 21 juillet, château de Saint-Chamand. (navette à la Manufacture, 2 rue des Ecoles, Avignon). T. : 04 90 85 12 71.
Du 14 septembre au 6 octobre, Cirque Electrique, place du maquis du Vercors, Paris (XX ème). T. : 09 54 54 47 24.

 


Archive pour 16 juillet, 2024

Absalon, Absalon ! texte d’après William Faulkner et mise en scène de Séverine Chavrier

Absalon, Absalon! texte d’après William Faulkner, adaptation et mise en scène de Séverine Chavrier

Après Les Palmiers sauvages (2014), la metteuse en scène, maintenant directrice de la Comédie de Genève et pianiste, retrouve l’auteur américain qui transpose dans ce roman (1936), un événement biblique, l’atroce existence d’Absalon, un des fils de David, en pleine guerre de Sécession.
Séverine Chavrier précise la nature politique et sociale de ce spectacle mais aussi quelle ont été la recherche et l’interrogation esthétique mises en œuvre: «C’est le récit d’un homme blanc, Sutpen, qui se fait renvoyer par un esclave noir, quand il sonne à sa porte à l’âge douze ans.» Humiliation suprême pour Sutpen, adolescent marqué à vie et qui n’oubliera jamais ces mots: «Tu passeras par derrière. » Vengeance et soif de reconnaissance sociale absolue seront au rendez-vous ! Seul, il quitte tout et devenu homme, construit sa maison.
Sutpen ne cesse de «se taper» des filles mais n’a qu’une obsession: avoir un hé
ritier. Cette création est aussi une tragédie du XX ème siècle, celle d’une famille colonisatrice, sans dieux, sans mythe mais bien réelle avec une brutalité sans limite dans les choix existentiels et le hasard du destin. Aux Etats-Unis, un pays né de la violence et des massacres.

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Résumer la pièce est impossible et le spectateur, devant cette fiction fragmentée, doit y renoncer. Séverine Chavrier qui a adapté le roman de William Faulkner, en dépasse largement le cadre… Dans la première partie, un peu trop longue et répétitive (il y aura deux entractes), on se sent un peu égaré quand il faut suivre le fil de l’histoire de plusieurs générations avec fratricides et incestes. Mais c’est là, paradoxalement tout le talent de Séverine Chavrier! Magistrale, est sa façon d’orchestrer dans sa mise en scène tous les moyens techniques et esthétiques : vidéo, musique, chant, sons, lumières… pour éclairer les facettes du destin tragique des protagonistes.

Elle n’a en effet pas voulu suivre une chronologie, ou reproduire les temps forts du roman mais s’en est saisie avec toute son équipe: acteurs, techniciens, collaborateurs pour ausculter sur le plan dramaturgique, les thématiques et rapports entre les personnages: «Notre démarche est centrée sur la circulation de la parole entre les acteurs, ce qui permet une réinterprétation vivante et dynamique de l’œuvre de William Faulkner. Explorer le jeu entre le récit et la scène. »

Parfois, on ne sait plus qui joue qui et quoi, et on s’embrouille dans la succession des multiples situations, micro-actions et cadres temporels: guerre de Sécession, récits, confessions des descendants, et histoire de l’esclavage. Tous ces thèmes entrecroisés, le jeu sur la temporalité, le rythme infernal et jouissif à la fois, enrichissent avec esprit la tension dramatique et créent une théâtralité enivrante.
Cette dramaturgie complexe-avec notamment la répétition de mêmes sc
ènes jouées tour à tour par les comédiens- fait la force du spectacle ! La mise en scè
ne et le jeu des acteurs, inventif, précis, bigarré et organique, ne laissent pas un instant de répit et sont passionnants: suspense, humour grinçant, gravité et romantisme, folie et désespoir : le dionysiaque est à son zénith !
Nous sommes pris dans cette tragédie contemporaine et cette une magnifique performance scénique. Séverine Chavrier nous offre un plaisir fou de théâtre, comme nous en avons peu connu en cette soixante-dix huitième édition du festival.

Elisabeth Naud

Spectacle joué du 29 juin au 7 juillet à la Fabrica, Avignon.

Les 17 et 29 janvier, Comédie de Genève (Suisse).

Les 5 et 6 février, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg.

Les 13 et 14 février, Théâtre de Liège, (Belgique).

Du 25 mars au 11 avril, Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris.

Les 23 et 24 avril, Centre dramatique national, Orléans Centre-Val de Loire.

 

 

Le stress était monstrueux…

Le stress était monstrueux..

C’était certain, nous allions être les premières victimes des coups de sécateur opérés par le nouveau gouvernement d’extrême droite. J’imaginais notre nouvelle vie, repliés dans notre abri anti-capitaliste, le petit oasis qu’est notre Théâtre de l’Unité, ses repas, ses Kapouchniks et  ses Ruches* à Audincourt (Doubs). Il était dur d’imaginer la France et sa triple devise sous les fourches du Rassemblement National…

 

© x Un Kapouchnik

© x Un Kapouchnik

On le sait pourtant, la démocratie présente de graves dangers et un référendum sur la peine de mort pourrait nous mener à des résultats surprenants. L’émotion! Nous avons eu les résultats quinze minutes avant vingt heures par Elabe et étions persuadés que c’était une farce du Gorafi, le site d’information parodique français créé en 2012. Quoi? Brice Teinturier, toujours pondéré, Ipsos ou je ne ne sais qui, s’étaient trompés à ce point? Notre joie fut de courte durée: quatre circonscriptions sur cinq dans le Doubs, ont élu les candidats du Rassemblement National.

 
Qui pourrait m’expliquer pourquoi nos jolies campagnes si calmes, si pacifiques, avec leurs jardins et forêts, tous ces endroits où l’on ne ferme même pas nos maisons à clef, donnent leurs voix à Jordan Bardella? Dans notre village, Villars-lès-Blamont (333 électeurs inscrits), quatrième circonscription du Doubs, 66,81 % des voix  sont allés au Rassemblement National et 33,19 % à l’Union de la Gauche. La peur ? L’insécurité ? L’isolement ? L’hôpital à quarante-cinq minutes de voiture ? Mais n’est pas commentée l’abstention  à 50 %. Donc le R.N. n’est pas à 32 %, mais à 16 % des électeurs inscrits!
Que va-t-il se passer? Comment faire pression pour que la gauche ne se déchire pas ? Dix heures du matin, cela commence  déjà!  De grâce, pas de chamaillerie! Mais de la loyauté, de la dignité et apprenons à respecter nos adversaires.
 Allons, un peu de Bateau ivre pour nous consoler… « Mais vrai, j’ai trop pleuré, les aubes sont navrantes./Toute lune est atroce et tout soleil amer. /L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes. Ô que ma quille éclate, ô que j’aille à la mer.
Jacques Livchine
Co-directeur avec Hervée de Lafond du Théâtre de l’Unité, Audincourt ( Doubs).

* Imaginés par leurs directeurs, les Kapouchniks (en russe: soupe aux choux) sont un cabaret mensuel très populaire à Audincourt dont on a fêté la vingtième année et la cent-cinquantième édition. Et les Ruches, des ateliers de théâtre annuels pour les jeunes.
 
 
 
 

Festival d’Avignon Line up forever, (Immersion dans Café Müller de Pina Bausch), création de Boris Charmatz

Festival dAvignon

Line up forever, (Immersion dans Café ller de Pina Bausch), création de Boris Charmatz

En 95, la feuille de salle annonçait la reprise de Café Müller dans la Cour d’Honneur: « Le Tanztheater est de retour à Avignon. Et cest un retour historique. Pas seulement parce que cela va réveiller dans le cœur des festivaliers quelques souvenirs encore vibrants. Mais aussi parce que Le Sacre du Printemps et Café Müller sont des étapes de la naissance d’une œuvre. Le sens de la rétrospective et de la relecture, sont des notions récentes dans le spectacle. On va ainsi pouvoir constater avec Café Müller (1978), un nouvel imaginaire, prometteur de longues années de fécondité. Et décrypter dans cette œuvre mythique, la biographie de l’artiste, identifier, sur pièces et non plus dans les espaces troubles de la mémoire affective, les obsessions et les abandons. Ecouter un peu mieux l’époque, en somme. »

Presque trente ans après, Boris Charmatz, directeur artistique du Tanztheater à Wuppertal sattaque à un mythe: «Avec Forever, créé à partir de Café Müller, je me demande comment amener une pièce majeure du répertoire contemporain vers le futur. » En 2023, il  la remonte avec une nouvelle distribution. «Jai alors perçu, dit-il, une étroite corrélation entre les mouvements répétés de la fameuse porte à tambour qui trône en fond de scène, et ceux des interprètes qui répétaient inlassablement mouvements et enchaînements. Pour moi, il y avait un sens à explorer, un sens dautant plus profond que la pièce elle-même semble navoir ni vraiment de début ni vraiment de fin : quand elle commence, la danse donne limpression davoir commencé hors champ. Sa fin nest pas classique et ne marque pas la fin dune histoire et elle donne limpression de pouvoir se répéter à linfini! Symboliquement, cest ce que nous essayons de faire avec la compagnie: la danser à nouveau, alors même que ni Pina, ni Malou Airaudo, ni Dominique Mercy ne sont là pour nous accompagner. On pourrait penser que c’est presque impossible, surtout en labsence de notation, ou à partir de simples captations. Mais pourtant nous essayons de la danser: pour toujours. »

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

La mémoire a conservé peu de choses de cette pièce. Seules quarante-cinq minutes de Café Müller sur la musique mythique d’Henry Purcell, le décor de tables et chaises de bistrot. Ici  présentées, précédées de vingt-cinq minutes de ce qui correspondrait à un brouillon de répétition, avec des réflexions de Pina Bausch, dites en voix off par Audrey Bonnet et les danseurs. Entre 13 h et 20 h, vont se succéder plusieurs séances avec des équipes de jeunes recrues du Tanztheater à Wuppertal et de nombreux anciens de la compagnie : Nazareth Panadero, Héléna Pikon qui a dirigé les répétitions avec Barbara Kaufman, Jean-Laurent Sasportes… Ils vont rejouer des scènes immortelles de cette pièce. Cette première démarche réunissant toutes les générations du Tanztheater est belle mais pour autant cela crée-t-il une nouvelle œuvre? On retrouve les gestes mythiques de Café Müller et entend les mots célèbres : « Courir vers le mur, s’y jeter, se heurter, se relever, s’enlacer, aller vers l’autre, mettre le côté les obstacles, donner au gens de l’espace, s’aimer! ». Pourquoi sommes nous là? Pour les initiés depuis longtemps à la religion de Pina Bausch, venir à la Fabrica relève du pèlerinage. Mais pour les autres? Ce beau travail de transmission risque de rester au bord de la route, orphelin d’un mythe que le public a du mal à ressentir.

Jean Couturier

Jusqu’au 21 juillet à la Fabrica, Avignon.

Georgia, d’après le roman d’Howard Fast, adaptation et codirection artistique de Frédéric Fort, mise en scène et codirection artistique d’ Evelyne Fagnen et Christophe Patty

Georgia, d’après Sylvia, roman d’Howard Fast, adaptation et codirection artistique de Frédéric Fort, mise en scène et codirection artistique d’Evelyne Fagnen et Christophe Patty (à partir de douze ans)

Howard Fast (1914-2003) est surtout connu comme auteur de Spartacus  et scénariste américain a aussi écrit des romans policiers dont Georgia sous le pseudonyme d’E.V. Cunningham. Grand ami de Dashiell Hammett, il figurera sur la longue liste noire des artistes et écrivains écartés par le maccarthysme.
Le roman qui fut adapté au cinéma sous le titre L’Enquête par Gordon Douglas en 1965, retrace l’existence d’une jeune fille à travers les témoignages de quelque vingt hommes et femmes dans les années soixante aux Etats-Unis. Howard Fast sait créer des personnages qui s’affrontent dans une société où les rapports entre les deux sexes sont parfois violents. Le détective privé chargé de l’enquête n’en sortira pas indemne mais nous ne vous dévoilerons pas l’intrigue, de toute façon, assez compliquée…

© Moyen

© Benoît Moyen

Première image très second degré: le rideau central s’ouvre, laissant apparaître un écran de trois mètres sur deux. Il y a ainsi quatre petites scènes sur la grande. Alan Mackkin tape à la machine en fumant une cigarette. Sur le bureau, son chapeau et son flacon de whisky. En voix off : «Je m’appelle Alan Macklin, Mack pour les intimes. Mais à vrai dire, je n’ai pas beaucoup d’intimes.» Le détective apparaît et précise: «Un mètre soixante dix-huit. Quatre-vingts kilos. Essentiellement du muscle. Je ne suis pas plus laid, ni mieux qu’un autre. Quoique les femmes me trouvent plutôt séduisant. Ce qui fait que je ne comprends pas grand-chose aux femmes. »
Et sur une musique de George Adams, il poursuit : «J’ai été assez patriote pour m’enrôler trois jours après Pearl Harbor, sous les ordres du général Harry Sallis. Quand on m’a rendu à la vie civile, je me suis inscrit à l’Université. Tout en travaillant à mi-temps à l’usine, pour payer mes études. J’en suis sorti, muni d’un diplôme d’Histoire ancienne. Mention : «excellent ». Je pourrais donc enseigner dans un établissement quelconque. Mais la vie vous réserve de satanées surprises. Et ainsi, je me retrouve détective privé. »

Et cet Alain Macklin devra réussir à découvrir le passé de cette Georgia malgré les quelques indices qu’il a a récoltés. «Notre troisième et dernier volet de cette trilogie de Kamishibai vivant, dit Frédéric Fort, s’attardera cette fois sur le polar américain et son iconographie au cinéma. Les images de notre histoire étant ainsi des dioramas, enrichis quelquefois de projections animées. Comme une suite de miniatures mouvantes, rehaussées par une bande-son: bruitages et musiques de jazz, be-bop… Charles Mingus, George Adams, Don Pullen et Dannie Richmond viendront compléter l’ambiance d’une enquête qui prend des aspects de «road-movie » dans les Etats-Unis des années soixante.»

© Benoît Moyen

© Benoît Moyen

Cette relation musique/théâtre est ici remarquable. Et sont projetées les aquarelles très réussies de François Boucqillustrateur et dessinateur de bandes dessinées, représentant avec beaucoup d’humour et de finesse, les lieux où se passent les épisodes de cette saga: un bureau, un jardin, un bar, une prison avec devant, bien réels, une table, une chaise, une bibliothèque, un banc de square, un paravent …Les ouvertures et fermetures de rideau permettant aux acteurs d’aller d’un lieu à l’autre, après chaque petite séquence. Le détective lui, passant du rôle de narrateur à son personnage. Il y a juste ici ce qu’il faut de mise à distance pour ne pas parler de distanciation… Les costumes de Sylvie Berthou, les masques de Loïc Nebreda, comme les images animées de L’Oeil du Baobab sont aussi exemplaires d’intelligence scénique.

La qualité de Georgia tient beaucoup à la gestuelle et au jeu masqué : il y a ici une curieuse relation entre l’image projetée et l’expression de ces pantins au corps et au visage grotesques et caricaturaux: cela induit une rare poésie et donne au spectacle une remarquable unité.
La compagnie Annibal et ses éléphants s’est fait comme une spécialité, une mise en abyme de situations et Georgia en est un bon exemple. La direction d’acteurs est très précise (mention spéciale à Thomas Bacon-Lorent (le détective) mais le spectacle, encore brut de décoffrage, souffre d’un nombre de séquences  un peu élevé, ce qui finit par être lassant. Et Evelyne Fagnen aurait pu nous épargner ces micros H.F. , la plaie du théâtre contemporain.
A ces réserves près, en une heure et quelque, ce vrai faux-vrai polar est séduisant, et un public comme celui d’Avignon serait sans doute heureux de le découvrir, loin des grandes machines coûteuses. Avis à son directeur, Tiego Rodrigues… N’ayons pas peur des mots: Georgia a toutes les qualités d’un bon théâtre populaire. Par les temps qui courent, c’est une bonne nouvelle…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 13 juin à l’Avant-Seine, Théâtre de Colombes (Hauts-de-Seine).
Actuellement en tournée.

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