Festival d’Avignon ( suite et fin) Juana ficción de La Ribot et Acier Puga
Festival d’Avignon (suite et fin)
Juana ficción de La Ribot et Asier Puga
Les créations originales, plastiques et poétiques de cette chorégraphe ont toujours marqué la danse contemporaine. Pour le public d’Avignon, une découverte ! L’artiste n’y avait jamais joué et, dans le sublime cloître des Célestins, elle nous fait partager une autre rencontre hors normes avec la reine Juana Ire de Castilla (1479-1555): elle avait créé sur ce même thème El triste que os vidéo en 92.
La Ribot comme Juan Loriente, formidable et Asier Puga, le chef d’orchestre et ses musiciens s’emparent de cette création avec subtilité. Danse, musique, chants, effets plastiques, vidéos composent une performance énigmatique. Le spectacle est loin, et c’est une de ses qualités, de représenter un récit historique et un discours théâtral narratif mais traduit avec puissance et singularité, le tragique destin de cette femme.
L’espace scénique de toute beauté est chargé d’Histoire et d’émotion: une bande-son diffuse un vent violent et ouvre la représentation qui finira à la nuit noire, comme pour signifier la chute injuste et cruelle de Juana Ire de Castilla, longtemps nommée Jeanne la Folle. À la mort de son époux Philippe le Beau, et avec le consentement de sa famille et de son fils Charles Quint, sa couronne lui fut ôtée et elle sera emprisonnée quarante-six ans à Tordesillas!
La danseuse fait vibrer avec sensualité mais aussi violence et étrangeté, la vie de cette reine de Castille, son courage, son indépendance de caractère, sa force dans les ténèbres. La chorégraphie, toute en sensibilité et inventions scéniques, fantaisies, est d’une poésie étonnante et ne manque pas de sens politique.
La Ribot danse autour et sur un tabouret, circule à bicyclette mais… évolue nue dans une vidéo mais c’est seulement visible sur les portables. Pas commode du tout: le public ne réussit pas toujours à scanner le Q. R. code!
La chorégraphe donne une vision esthétique bigarrée de ce personnage royal et la musique d’Iñaki Estrada remarquable, dense et recherchée avec ses combinaisons sonores et vocales médiévales et électros, insuffle une dimension organique et une puissance dramatique à cette performance qui, sans elle, serait orpheline…
Pouvoir et impuissance, mort et deuil, enfer, haine et amour, érotisme et pudeur ne cessent de se mêler à la danse, aux voix et au son des instruments. Nous finissons par nous perdre dans cette fiction fantasque et même si parfois, notre attention se détache de cette danse fragmentée, le spectacle nous surprend. Avec la présence d’un étrange personnage arrive masqué, à la fois lugubre chevalier venu de nulle part… et messager de mauvaise augure.
Il ne cesse de poursuivre -mais dans quel but?- Juana Ire de Castilla et finira près d’elle, peignant tout son corps éteint, comme lui-même à ses pieds, de cette matière noire. A la fin, ces personnages sont comme transformés en statues.
Silence et émotion envahissent le cloître des Célestins, vite rattrapés par les applaudissements mais aussi par les huées! Le public descend les gradins, déçu ou troublé et se rassemble autour des acteurs-danseurs immobiles et silencieux.
Fascination malgré l’incompréhension: cette pièce chorégraphique et musicale d’une heure dix met au premier plan, l’imagination, la poésie, la beauté visuelle et le symbolique, la métaphore… Nous nous laissons toucher par Juana Ire de Castilla, personnage féminin historique, face à l’incompréhensible, à l’inacceptable, à la cruauté qu’elle a endurée.
Elisabeth Naud
Spectacle vu le 19 juillet au Cloître des Célestins, Avignon.
Du 5 au 8 septembre, La Bâtie, festival de Genève (Suisse).
Les 13 et 14 septembre, Centro de culture contemporaine Condeduque, Madrid (Espagne).