La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, un autre point de vue…

 La Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, le point de vue de Jacques Livchine…
 
 Nous avions tout imaginé autrement. Comme une flotte de bateaux, tous plus beaux les uns que les autres, avec décorations spécifiques à chaque pays: nous avions ici le monde entier sur scène. Chaque bateau aurait dû sécréter sa musique et les athlètes pouvaient être mis en scène, mais au lieu de cela, nous avons eu droit à des grappes sans intérêt d’hommes et femmes… En alternance avec le défilé, nous aurions bien vu des barges spéciales, avec des tableaux comme Thomas Jolly sait et aime en faire. 
Et nous avions cru aussi qu’il y aurait des images splendides sur l’eau, comme celles de la compagnie Ilotopie, ou d’une barge que Cyril Jaubert il y a quelques années sur la Garonne avait transformé en jardin avec maison et moutons.
Nous avons  aussi pensé qu’il y aurait beaucoup plus d’effets sous-marins. 
Et rêvé de voitures flottantes, ou carrément, de Jésus marchant sur l’eau, comme autrefois, dans un spectacle de cette même compagnie Ilotopie… 

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©x Ilotopie

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©x A Bordeaux  la barge de Cyril Jaubert

En apprenant que 320.000 personnes avaient payé jusqu’à 1. 600 € pour voir un défilé de bateaux-mouches et des vedettes sur la Tour Eiffel…  Mais que tout le reste avait été filmé pour la télévision, nous avons halluciné! Tout de même, nous avons eu droit à un cheval d’argent qui a galopé six kms: un bel effet!  On a reconnu le style du Royal de Luxe, la célèbre compagnie de théâtre de rue: Morgane Suquart a conçu et fabriqué cette splendide statue en mouvement.
Oui, mais Thomas Jolly ne connait pas les ressources et inventions du théâtre de rue…
La très belle fin au Trocadéro, avec des milliers de lasers et surtout, une poignante Céline Dion, était réservée à trois mille invités! Pour tous les autres, c’était seulement sur grand écran. On nous annonçait un fil rouge écrit par l’historien Patrick Boucheron sur les femmes, la Révolution…Nous n’avons rien vu de tout cela!  Ou à peine, avec des statues de femmes célèbres. Bien entendu, il y avait la Garde républicaine et Aya Nakamura, mais c’était un épisode qui avait été filmé.

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Et la bacchanale avec Philippe Katerine « dénudé » (en fait en mince collant) ce qui a choqué certains catholiques, était aussi un show télévisé…
Mais très bien vu: le groupe « métal » et la reine Marie-Antoinette à la Conciergerie, comme les danseurs sur les échafaudages de Notre-Dame.
Franchement, nous nous attendions à une merveilleuse parade, et non à une émission télévisée. C’est aussi l’effet-piédestal: on ne veut rien annoncer, tout est secret, etc. Mais on laisse tout de même passer une seule info : cela va être énorme! Enfin cette mise en scène de Thomas Jolly valait mieux, que celle d’une infâme boîte de prod.

Jacques Livchine, co-directeur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité à Audincourt ( Doubs)


Archive pour août, 2024

Hamlet de William Shakespeare, traduction de Georges Chimonas, mise en scène de Themis Moumoulidis

Hamlet de William Shakespeare, traduction de Georges Chimonas,  mise en scène de Themis Moumoulidis
La célèbre pièce, connue dans le monde entier, a fait l’objet  d’innombrables lectures-interprétations. Et il y a autant d’Hamlet que de commentateurs, metteurs en scène, interprètes, spectateurs… C’est la tragédie d’un esprit noble et éclairé qui se rebelle, quand s’ébranlent toutes ses croyances personnelles, philosophiques et politiques.
C’est si terrible et sa méditation sur les ruines, si irrépressible, qu’elle le paralyse et le conduit à s’autodétruire. Une libération et une rédemption pour cet étudiant en philosophie qui recherche passionnément la vérité et, qui  en homme éminent de la Renaissance, doute de tout. Cet Hamlet est poussé par un amour de la connaissance théorique mais aussi par sa tragédie personnelle: obtenir une vengeance dictée par le fantôme de son père qu’a tué l’amant de sa mère.
Proche d’Œdipe, non au sens freudien mais parce qu’il lutte passionnément  comme lui, pour apprendre la vérité mais en l’apprenant, il se détruit lui-même. La question existentielle « Vivre. Ne pas vivre.» englobe la question «Agir ou ne pas agir. », même contre soi-même.
Mais à quoi bon! Selon Hamlet, l’action ne peut avoir d’effet sur rien et l’inaction aboutit au même résultat: une incapacité à réparer les choses et changer un monde qui ne vaut pas la peine d’être vécu s’il n’est pas changé….

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Georges Chimonas  a donné en 1988, un nouvel élan au texte de Shakespeare, en créant un discours théâtral  à plusieurs niveaux. Ce qui permet aux acteurs d’évoluer avec aisance dans l’interprétation linguistique et para-linguistique des rôles.

Sa traduction a guidé Themis Moumoulidis qui crée un spectacle vivant et rapide et cette pièce devient alors compréhensible par un large public.


Themis Moumoulidis lit et fait clairement ressortir les plis complexes du texte shakespearien, tout en cultivant le suspense et l’attention du public.
Il y a ici une attention portée aux détails et un environnement sombre, mystérieux et menaçant, capture la psyché des personnages. En imaginant une scénographie avec d’ingénieuses cachettes,  Mikaela Liakatas sert les nuances sémantiques du mouvement de Patricia Apergi, rehaussé par la musique de Stavros Gasparatos.  Eclairages de Nikos Sotiropoulos, costumes de Vassiliki Syrma, vidéos de Thomas Palyvos et travail à l’épée d’Anastassis Roilos incarnant aussi Hamlet de manière évolutive et profonde vers les multiples dimensions de l’âme: Themis Moumoulidis a bien choisi ses collaborateurs et ses interprètes. Ioanna Pappa (Gertrude) se distingue par sa maturité expressive. Michael Syriopoulos (Claudius) montre toute  la tromperie et le cynisme du personnage. Thodoris Skyftoulis (Polonius, Le Fossoyeur, Rosencrantz, Vernardios, Premier Acteur) et Thanassis Dovris (Le Roi, Le Prêtre, le Capitaine, Osric) sont très à l’aise dans tous ces rôles. Marouska Panagiotopoulou (Guildenstern, Le Reine, La Dame), Jenny Kazakou (Ophélie), Aris Ninikas (Horace) et Dimitris Apostolopoulos (Laertes, Lucian, Marcellus, Fortebras) complètent bien cette distribution.

 Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Le spectacle est actuellement joué en tournée en Grèce.
 
https://www.youtube.com/watch?v=FuF0l2iCPWc  

La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques (onzième épisode)

La Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques  (onzième épisode)

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Retour en arrière : une énergie commune pénétrait tous les styles de danse présentés sur le podium. Un seul rythme traverse les interprètes, peu importe leur singularité.  Quelqu’un venu de loin précéda le défilé, rassembla cette énergie, la dépensa et la diffusa pour les danseurs à venir, ceux du podium: Le porteur de flamme masqué. Il vient du cosmos, s’approcha en montgolfière du film projeté La Lune borgne de Méliès et navigua dans l’infini des étoiles.

Il arrive sans crier gare sur le côté du podium et lentement, met un pied sur le tapis rouge au moment où le bateau américain passe sous la passerelle Debilly. Soudain, latéralement, il plonge vers le sol, la flamme à la main. Barbara Butch apparait, le salue de la main. Elle aurait toutes les raisons de céder au ressentiment : l’antisémitisme; la haine des gros, la haine envers ceux qui militent pour LGBT. Mais elle a choisi la musique et le solidarité.

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Digne de Joë Bousquet (1897-1950), ce poète et philosophe français qui resta paralysé toute sa vie après  avoir reçu à la guerre de 14-18, une balle dans le dos. « J’écris, disait-il, pour les hommes d’avant l’amertume. »

Frédéric Nietszche disait que le chaos en nous pouvait enfanter une étoile. Mais ici une goutte de cosmos : le porteur de flamme s’élance: glissades, grande roue avant et arrière. Il rase le sol en lançant la jambe droite qui entraîne le corps tout entiers avec de rapides et  grands écarts. Le cosmos commence à la surface de la terre. Le porteur masqué ne se meut pas pour lui-même mais il libère l’énergie pour les danses qui suivront. Et  il caresse le sol en résonance avec les drag-queens qui  le regardent au bord du podium. La vague de ses pas de côté et rotations évoque la fameuse vague qui, à Tahiti, attend les athlètes surfeurs. Lui glisse et eux vont aussi  glisser. Il arrête ses tournoiements, se tient droit et disparait.

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Au fil de l’eau, à proximité de la passerelle, une voix sans corps émet, sans feu ni lieu. J’adore…chante Philippe Katrine dont l’insistance, l’obstination suscitent une forme de rire. Plus il fait comme si rien n’était, plus il reste discret (forme de prouesse) et  plus l’on rit. Sa chanson le reconduit à la passerelle et au podium. Mais dans un souffle, la tonalité change : on passe de la danse,  au chant théâtralisé dans le décor faussement antique.

Une immense cloche à fromage se soulève et révèle un Philippe Katerine allongé en  Dionysos sur un tapis de fleurs  jaunes, rouges bleues.  En  très mince  collant  bleu… cet être a une barbe orange et une couronne de fleurs sur la tête, comme au cœur d’un tableau vivant. Réunion des couleurs et de la lumière, ici tout brille.   Philippe Katerine renouvelle la figure de Dionysos souvent présenté comme un personnage de démesure et pulsions, au contraire d’Apollon, dieu de l’harmonie.

©H. Lewandowski Vase grec à figures rouges sur fond noir 370 av.J.C Dyonisos sur un léopard

©H. Lewandowski
Vase grec à figures rouges sur fond noir 370 av. J.C. :D yonisos sur un léopard

Attablées, face à Philippe Katrine les drag-queens Barbara Butch, Nicky Doll à l’armure rutilante, Piche, Little Banana, les danseurs du podium et une petite fille restent immobiles dans des postures divergentes. Le bleu Dionysos se lève et s’agenouille et les Dieux qui le regardent, s’ébranlent lentement en levant les bras sur l’air de Tout simplement tout nu… que Philippe Katerine interprète. Cette chanson très drôle est aussi  un hymne à la paix  et contre les armes.  Il en détache chaque mot: « Est-ce qu’il aurait des guerres si on était resté tout nu? » Avec de légères expressions du visage, il  se lève et s’agenouille sur la parterre de fleurs. Il penche la tête de côté avec un regard en coin malicieux et des gestes, multiples, fugitifs…

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Et dans sa chanson il propose une manière de vivre : célébrer la vie mais nu. Qu’apporte la nudité aux problèmes de l’existence ?Son bras droit s’ouvre, se replie sur la poitrine avec un imperceptible mouvement des épaules .Quel instrument accompagne le chant ? Son corps seul. Accoudée à la table du repas des dieux de l’Olympe; la drag-queen Leslie Barbara Butch le soutient du regard. Faussement naïf, Philippe Kateriine, pas si nu que cela, abat ses cartes en chantant avec légèreté des choses sérieuses.  C’est sa politesse et il persiste et signe: « Y aurait-il des guerres si on était resté tout nu ? Non.  » Avec lui, Dionysos redevient un être joyeux….

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Ceux qui qui critiquent, veulent « des corps sûrs, une nature sûre » et sans mélange des forces. Mais la Nature produit des corps singuliers, inattendus. La discrimination, c’est le contrôle des naissances : trier entre les corps selon un modèle abstrait qui  ignore « l’horrible travail » des forces naturelles. Les drag-queens, les trans n’en représentent qu’une partie.
Mais nous n’avons encore rien vu. Philippe Katrine se différencie, à l’envers, du porteur masqué. Il multiplie apparences et costumes (un par chanson). 

Homme aux multiples visages, il se présente parfois caché… sous une grande cloche à fromage par exemple. Sa chanson Tout Nu nous renvoie avec simplicité à la vie d’avant la vie.. « Tout simplement tout nu »… Avec la nudité, on se décharge de tout ce qui nourrit l’esprit de pesanteur et la haine de l’existence En fait, se manifestent ici deux Dionysos. « Il ne connait plus d’autres architectures, que celle des parcours et des trajets » dit Gilles Deleuze dans Mystère d’Ariane selon Nietzsche.

Quel est ce personnage dans la cérémonie qui ne connait plus que parcours et trajets ? Le porteur de la flamme aux plusieurs masques, ceux d’ Hermès et Dionysos; le dieu de la musique et de la légèreté qui nous entraîne à la danse, comme le porteur masqué sur la passerelle où se regroupent drag-queens, homos, trans… La cérémonie parle de métissage généralisé. Pourquoi ici les groupes minoritaires restent-ils entre eux? C’est un faux problème. Il faut d’abord rassembler des forces, pour se rendre visible et que  soit possible un métissage généralisé et  des projets artistiques et/ou  émancipateur..

Après mai 68, pour créer le mouvement de la libération des femmes, celles-ci éprouvèrent la nécessité de se rencontrer entre elles, pour un temps. Il s’agissait de se nettoyer des clichés fabriqués par les hommes.  Et la grande et majestueuse Histoire passa avec l’arrivée des femmes dans la vie socio-professionnelle.

Les choses sont en cours et l’exemplaire Barbara Butch multiplie les engagements envers les migrants, les enfants. Elle soutint le mouvement de grève des femmes de chambre à l’hôtel Ibis-Batignolles à Paris et elles finirent par gagner après deux ans de lutte!  Et elle se qualifie de « love activist ». Ses mix vont des chansons de France Gall, à la musique électro.
Que se passe-t-il en contrebas de la passerelle Debilly? Vue de loin, la danse semble à son maximum et le restera. Mais on pressent un danger. Le risque d »épuisement des corps. La suite au prochain numéro.

Bernard Rémy

La Mousson d’été, Rencontres théâtrales internationales et Université d’été européenne.

La Mousson d’été, Rencontres théâtrales internationales et Université d’été européenne

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À l’Abbaye des Prémontrés, La Mousson d’été fête ses trente ans ! En 2021, Véronique Bellegarde en prenait la direction artistique. Actrice et metteuse en scène, elle était déjà la co-directrice avec Michel Didym, comédien et metteur en scène qui fonda en 95 ce festival exceptionnel qui ne cesse de nous étonner et nous réjouir.

Sur presque une semaine, au cœur d’un monument historique du XVIII ème siècle, aux espaces verts apaisants, se côtoient artistes,  techniciens, étudiants, amoureux du théâtre ou visiteurs de passage, dans un climat bienveillant, avec parfois de vives discussions. Un rassemblement unique en son genre et une occasion rare consacrée au théâtre contemporain, si bien venue en cette fin d’été, juste avant la rentrée !

Chaque jour, le public est invité à découvrir sous des formes diverses: lectures,mise en espace… le paysage bigarré des écritures contemporaines en Europe et dans le monde. Mais aussi à participer à des rencontres professionnelles avec des conférences, comme  Intimités et technologie par Lisa Oufs, pédopsychiatre à l’hôpital Necker à Paris en libre écho aux pièces Nations-unies et Rest/e. Un moment passionnant et instructif qui nous fait accéder à une réception enrichie et approfondie de ces textes…
Au programme, des conversations thématiques, et le soir venu, sous un chapiteau, des cabarets littéraires pensés comme un ensemble de cartes blanches à des artistes, mis en scène par Pascale Henry, Steve Gagnon et David Lescot.

© Boris Didym Cabaret

© Boris Didym Cabaret de Steve Gagnon

Mention spéciale à celui de Pascale Henry, aux dialogues hauts en couleurs sur la pensée, le dire, le non-dit et notre agitation mentale et affective: tout ce qui crée humeurs et tensions dans notre rapport à l’autre et habite notre intériorité. Un cabaret remarquable de sensibilité, esprit et humour, accompagné de morceaux musicaux et chansons, en totale complicité avec la parole et les poèmes de Pascale Henry. Mais nous n’avons pu voir celui de David Lescot  joué en clôture du festival…

Le programme matinal s’adresse aux  quatre-vingt inscrits à l’Université d’été qui étudient les pièces de cette trentième édition, dans les ateliers dirigés par des  auteurs et metteurs en scène comme Nathalie Fillion, Pascale Henry, et par des chercheurs: Joseph Danan et Jean-Pierre Ryngaert qui dirige aussi l’Université d’été.

Temporairement contemporain, une gazette quotidienne dont le rédacteur en chef est Arnaud Maïsetti, est  la joyeuse compagne de cette manifestation et  y sont publiés: programme du jour, interviews, cartes blanches, échos… Cette année, focus sur le théâtre de l’Europe du Nord, avec des autrices comme la Néerlandaise Magne van den Berg, la Norvégienne Monica Isakstuen et la Suédoise Sara Stridsberg dont les  œuvres récentes ont été tout juste traduites par Marianne Segol-Samoy pour les trente ans de la Mousson d’été.

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©x Monica Isakstuen

©x Sarah Stridsberg

©x Sarah Stridsberg

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©x Magne van den Berg

Mais aussi Jon Fosse, père de toute une génération d’écrivains et metteurs en scène scandinaves. Mondialement connu, il a reçu le Nobel de littérature l’an passé, distinction la plus récente obtenue parmi beaucoup d’autres comme le Prix Ibsen en 96. Il est aujourd’hui, avec cet immense auteur, le dramaturge norvégien le plus joué…
Pour Véronique Bellegarde, ici, les écritures dramatiques d’une grande actualité interrogent nos modes de vie, offrent une vision pertinente de la notion de progrès. « Dans plusieurs textes, dit-elle, il y a un regard incisif et peu habituel sur la parentalité, l’instinct maternel et les liens familiaux. »

Grâce à la singularité des relations mises en jeu, certaines pièces ne laissent pas notre conscience en repos et nous mettent en contact, sans détour mais intelligemment,  avec le monde réel et la modernité du XXI ème siècle. Comme Rest/e d’Azilis Tanneau (France), dirigée par Cédric Orain, où est posée la question de: comment vaincre la mort ? Avec une réponse: faire appel à l’intelligence artificielle et laisser finalement place… à un bonheur aliénant et illusoire.

Dans Nations-Unies, Clemens Setz (Autriche) raconte une histoire diffusée sur les réseaux sociaux:  cent trois abonnés payent pour voir un père forcer sa fillette à manger ce dont elle ne veut pas, avec chantage ou menaces bon enfant. Cela permet au couple de gagner de l’argent et chaque moment passé en famille entre les parents et leur fille Aurore, se métamorphose en activité rémunératrice.

Ces pièces, tous remarquablement interprétées, questionnent le public, sensible à l’utilisation non contrôlée des inventions technologiques, à la spectacularisation de l’intime et qui se sent très concerné. Dans  le Lit de mon père (circonstances obligent),  Magne van den Berg (Pays-Bas)  écrit à nouveau sur le thème de la mort et des relations parents/enfants mais dans un tout autre contexte: celles d’une fille et de son père,après leur deuil de la mère et épouse. Ils sont au téléphone: elle vit en ville, et lui, à la campagne. La conversation, souvent interrompue, est reprise au fil des heures ou des jours, mais les mots peinent à sortir … Chacun assume autrement que l’autre cette disparition. Fine et pertinente mise en lecture de David Lescot, comme  l’interprétation de Gilles Gaston-Dreyfus ( Le Père) et  de Noémie Moncel ( La Fille).

 © Boris Didym

© Boris Didym

David Lescot, également musicien, accompagne à la guitare avec subtilité, les passages d’une scène à l’autre. Une intervention judicieuse sur le plan dramaturgique. La musique répétitive entre chaque scène, favorise la progression du texte pour l’essentiel, au rythme d’une parole-action. Au fil des répliques, la tension prend corps et l’histoire se révèle, devenant de plus en plus intense.

D’une Mousson à l’autre, nous retrouvons parfois un auteur découvert l’année précédente. Comme ici l’écrivain, comédien et metteur en scène québécois Steve Gagnon qui nous avait fasciné et ému avec une lecture de Fendre les lacs, qu’il avait lui-même dirigée. De nouveau, il invite le public à découvrir un de ses textes: Genèse d’une révolution sans mort ni sacrifice, mis en ondes cette fois par Laurence Courtois pour France Culture. Une  lecture captivante qui nous a émerveillés par sa poésie : comment faire aujourd’hui une révolution «dans la douceur », pour un monde plus juste?  « La colère, dit Steve Gagnon, n’entraîne-t-elle pas davantage de colère, et le feu, appelant le feu, risquerait bien de mettre en cendre non pas seulement le vieux monde, mais tout le reste, et nous avec lui. »  Cela ressemble à un signal d’alarme…

 © Boris Didym Vertigo

© Boris Didym Vertigo

Encore une belle surprise avec Vertigo de Sarah Stridsberg : morte, Kristina, personnage testamentaire, se trouve quelque part, en dehors de la réalité, regardant une vie passée et celle continuant sans elle. Son existence ressemble à un rêve étrange. Autour d’elle, gravitent tous ceux et celles qui étaient autrefois là. Un labyrinthe de rêves et souvenirs évoquant la vulnérabilité, la brutalité, l’isolement. « Et, comme le dit l’autrice, cet amour immense qu’on a en soi. » C’est aussi pour chacun, une recherche vaine de la lumière.

Les lectures mises en espace sont un des points forts de ce rendez-vous entre artistes et un public fidèle ou venu pour la première  fois ! Cette approche  d’une œuvre théâtrale n’a rien avoir avec l’ébauche d’un spectacle. Avec la lecture d’un texte en main, par des acteurs, c’est un objet dramatique en soi mais créé en un temps court de répétitions. Un peu comme des acrobates, ils se mettent en danger.
Cet acte audacieux-imaginé par Lucien et Micheline Attoun en 71- exige du metteur en scène et des interprètes, un travail exigeant et d’une concentration exceptionnelle, qui ne peut se répéter sur la durée. La mise en espace a cette qualité, définie  par Michel Vinaver: « Celle d’une urgence, qui ne laisse passer que l’indispensable, donc une super-légèreté et une super-rigueur. »
Un exercice esthétique sans doute au plus près de l’écriture théâtrale, n’est pas fixé dans une mise en scène, et donc fragile, en pleine ébullition ! À travers cet objet scénique remarquable, apparait en devenir, une mise en scène !  Ce moment poétique, éphémère mais intense est réalisé à chaque fois par des artistes, musiciens, éclairagistes et techniciens hors pair… Une belle fin d’été avec cette nouvelle édition de la Mousson !

Elisabeth Naud

La Mousson d’été a eu lieu du 22 au 28 août, à l’Abbaye des Prémontrés. 9 rue Saint-Martin, Pont-à-Mousson ( Meurthe-et-Moselle). T.  :  03 83 81 10 32.

 

 

Festival d’Aurillac: Entretien avec Frédéric Fort

Festival d’Aurillac

 

Entretien avec Frédéric Fort

-Vous êtes venu au titre de conseiller pour les arts de la rue à la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (S.A.C.D.) ?

© Philippe du Vignal

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- Oui, mon rôle est de gérer et organiser les dispositifs: Écrire pour la rue, aide aux auteurs et aide à l’écriture dont le financement est assuré par la S.A.C.D.  et par la Direction Générale de la Création Artistique (D.G.C.A.) au ministère de la Culture: elle définit, coordonne et évalue la politique de l’État relative aux arts visuels et au spectacle vivant. Et à ce titre, j’organise les jurys de sélection et les débats.
La S.A.C.D. a voulu reconnaître la singularité des écritures pour l’espace public et les auteurs/concepteurs, et elle les ac
compagne financièrement, favorise leurs démarches dans les lieux et avec des partenaires jusqu’à leur aboutissement
Elle incite aussi aux démarches innovantes. Dix projets au maximum sont retenus par an. La candidature des autrices, auteurs ou responsables artistiques, doit être accompagnée par une structure d’accueil, lieu de création, notamment pour l’espace public.
Par projet lauréat, l’
aide à l’écriture versée par la S.A.CD. est de 1.000 €. Et celle pour l’accompagnement de la démarche d’écriture de 5.700 € est versée par le Ministère de la Culture. Ces aides permettent que les auteurs et leurs collaborateurs artistiques soient rémunérés, comme la recherche documentaire, les éventuels frais de déplacement pour repérage et les collaborations de tout champ disciplinaire.

Le second volet du dispositif est l’aide aux compagnies: 5.700 € pour la création et la diffusion. Ce budget est financé à 100 % par la S.AC.D. et par les festivals de Chalon, Aurillac, et cette année de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise). Comme, par exemple, le spectacle Jouir qui a eu un grand succès ( voir Le Théâtre du Blog). Il faut noter que ces dispositifs peuvent être cumulables la même année. Cela fonctionne bien, avec environ soixante à quatre-vingt dossiers de candidature par an.

- Comment voyez-vous l’évolution du festival d’Aurillac où votre compagnie Hannibal et ses éléphants, a souvent joué?

- Dirigé par Frédéric Rémy, il suit, pourrait-on dire, son bonhomme de chemin et il y a une chose récurrente et  unique: toutes les compagnies peuvent y jouer; cette année, il y en a eu environ six cent!  Dans de nombreux espaces publics de vie au centre ville, comme les places, les cours, etc.  Et il y a beaucoup de spectacles gratuits.

- Vous êtes sans doute très pris par votre fonction mais vous avez sans doute pu en voir plusieurs…

 

©x La Baleine Cargo

©x La Baleine Cargo

- Oui, notamment Jouir dont vous avez rendu compte dans Le Théâtre du Blog. C’est une réalisation que je trouve intéressante à plus d’un titre. Les jeunes interprètes et le musicien ont tous une belle énergie. Et parler en plein air, de thèmes comme l’orgasme et le fonctionnement du clitoris devant un millier de personnes, représente un sacré défi.  J’ai aussi beaucoup aimé Les Furtives par la Balène Cargo, un spectacle demi-ambulatoire sur le désastre écologique avec trois jeunes actrices Clémentine Bart, Sylvie Dissa et Agathe Zimmer. Un autre spectacle sympa : Quartett Buccal avec des textes bien écrits et bien chantés.

- Avec 2.800 représentations par six cent compagnies. La ville d’Aurillac était saturée et son activité bousculée, sans doute à cause de sa programmation à partir du 15 août, par cet événement  à la fois artistique mais aussi social… Cette année, il y a eu environ 220.000 spectateurs soit 40% de plus que l’an passé. Comment voyez-vous l’attrait actuel pour le théâtre, dit de rue, en France?

 

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©x Pierre Mathonier

-Sans aucun doute grâce à la pluralité des formes mais aussi grâce à la F.E.A.R. à Marseille. Cette formation a engendré de nouvelles écritures et aidé les compagnies à sortir des schémas habituels. Et  Pierre Mathonier, maire d’Aurillac, fait tout pour assurer au mieux l’accueil de jeunes spectateurs  et des compagnies. Il y a quelques jours, un homme en vélo a demandé en passant à une compagnie si tout allait bien. C’était lui et ce n’est pas si fréquent!
Dans ce pays devenu assez totalitaire, chaque crise, chaque événement est l’occasion pour laisser les exclus au bord de la route. Aurillac reste, pendant quelques jours,  un merveilleux espace de liberté… avec de nombreux spectacles gratuits.

-Et votre compagnie Hannibal et ses éléphants qui a parcouru et continue à parcourir la France entière?


-J’ai pris ma retraite comme directeur mais je continue à assurer la codirection artistique et la coproduction de nos spectacles. Et je suis l’auteur-adaptateur du dernier, Georgia dont vous avez vu la première à Colombes (voir Le Théâtre du Blog).

-Et votre compagnie Hannibal et ses éléphants?

-J’ai pris ma retraite comme directeur mais je continue à en assurer la direction artistique et les coproductions de nos spectacles.

 Philippe du Vignal

 https://www.sacd.fr/fr/residences-dauteurs-ecrire-pour-la-rue
 :https://www.sacd.fr/sites/default/files/ecrire_pour_la_rue_reglement_2024.pdf

La Cérémonie d’ouveture de Jeux Olympiques ( neuvième épisode)

La Cérémonie d’ouverture de Jeux Olympiques (neuvième épisode)

 

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Il y a le déjà fameux « Repas des dieux dans l’Olympe » avec Barbara Butch, et Philippe Katrine, comédien et chanteur  en Dyonisos, où certains ont voulu voir une parodie insultante de la Cène… Nous le verrons plus en détail dans l’épisode n° 10 où il chante en collant bleu « To nu ».
Les athlètes ukrainiens qui ont sur la poitrine du jaune avec un fin ruban bleu, sont portés par le courage  de tout un peuple qui défend intelligemment sa terre. Le bateau Dominico illustre la carte des mers du monde: Christophe Colomb et son esprit au-dessus des océans dans toutes les directions.

Où est l’Amérique? Les trois derniers bateaux s’approchent de la passerelle Debilly qui va devenir un des  centres de la cérémonie. Les athlètes australiens en costume vert bleu, au coude à coud, crient, enthousiastes en levant  les bras. Une lumière blanche scintillante veine la passerelle Debilly. Suit le bateau des Etat-Unis avec ses athlètes, pantalon bleu clair et veste bleu foncé,  comme des roseaux pensants et joyeux. 

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Et voilà la France avec, sur ce dernier bateau, un cortège qui crie, chante et danse. Eux aussi se penchent, le sourire est général! La vie peut être belle… Mais cette puissance d’être se prolongera-t-elle dans la société ? Quand on goûte à la vie, c’est peut-être pour toujours.. »Qui a bu aux sources de la vie ? » écrivait Antonin Artaud. Elégance en mouvement, les athlètes français portent  une veste bleu nuit, avec ou sans manches , au col tricolore. Ils exultent,  portés par la lenteur majestueuse  du navire qui se dirige vers la passerelle et dont le ralentissement accentue une joie immense. « Et là, commente Alex Boyon, ils font le plein d’énergie. » Mais nous aussi.

Au passage du bateau la passerelle Debilly, entre le pont d’Iéna et celui de l’Alma ,a été construite pour l’Exposition  universelle de 1900. L’âge de fer se lèvait à Paris, avec aussi la Tour Eiffel, le Grand Palais. Cette passerelle soudain clignote en bleu, blanc et rouge. Tout est électrique :  lumière, couleurs, atmosphère. Le puissance de chacun ne relève pas de l’ubris grec-la démesure-mais d’une fluidité bienveillante.  Cela rappelle les premiers jours de mai 68… Ensuite la passerelle vire au rouge, puis au mauve, saluant ainsi les athlètes. Les étoiles jaunes du drapeau européen tournent autour de la Tour Eiffel bleuissante.

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 Comme elle, la passerelle devient bleue puis orange. Le navire se dirige vers le Trocadéro. Teddy Riner, judoka guadeloupéen de trente-cinq ans concourant dans la catégorie des plus de cent kgs lui,  se trouve sur le bateau France. Arrivé, il disparaîtra. Où ? Nous le découvrirons plus tard.

En cette fin XIX ème  siècle naissent la danse et la peinture modernes qui vont échapper à la représentation.  Paul Cézanne, Claude Pissaro, Claude Monet, Vincent van Gogh, avec la couleur, déforment un peu les objets.  Et va bientôt naître une nouvelle chorégraphie avec Isadora Duncan, et Loïe Fuller qui aménage un véritable studio de cinéma pour danser avec ses longs voiles.

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©x Loïe Fuller


« Elle danse sur un parterre de carrés de lumières », écrivait Laurence Louppe (1938-2012), grande spécialiste de la danse moderne et contemporaine. 

Les interprètes défilent au rythme de la généreuse Leslie Barbara Butch -engagée socialement auprès d’enfants- DJ qui mixe des titres de variétés. Elle figure aussi parmi  les drag-queens: Nicky Doll, Pich, l’étoile du voguing CC Palmer, l’athlète handisport Béatrice Vio, le mannequin transgenre Raye Martigny, la reine de la waacking danse Josepha Madaki, les danseurs Fauve Houtot et Romain Guillermic, Germain Louvet (danse classique), Adeline Kerny et Jr Madrapp (krump), Boys Horipar (breaking).

 

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Il y aussi les Aveyronnais Loïs Aurières et Antonin Cazals, du groupe la Bourrée de Paris.Cette danse traditionnelle d’Auvergne fut à l’origine de la danse classique) et c’est sans doute la seule région française représentée à cette cérémonie… Et clin d’œil de l’Histoire: pas loin de la passerelle Debilly, habitait Laurence Louppe, est morte dans l’Averyon et enterrée dans le Cantal. Elle aurait sans doute bien aimé cet épisode de la Cérémonie!   

Nature engendre tous les corps et surprend et seuls existent les corps singuliers: il n’y en pas de « normal ». Nous sommes tous des énigmes et certains prétendant le contraire, voudraient nous imposer une vie morte-née. Craintifs au plus haut point, ils voudraient qu’on obéisse aussi à leur crainte… Que va-t-il avoir encore lieu sur cette passerelle? « Y en a encore ? avait dit notre fils Tanguy à la projection des premiers dessins animés de Walt Disney à la Cinémathèque française…
( Suite au prochain numéro)

Bernard Rémy

 

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Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques (huitième épisode)

Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques  (huitième épisode)

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La naissance du cinéma…Quand le porteur masqué de la flamme regarde Notre-Dame, nous la percevons à travers lui. Chaque navire transportant les athlètes d’un pays, voit et nous voyons aussi, un raccourci d’histoire de leur peuple. L’espace qu’il traverse est de nature cinématographique. Les couleurs des costumes, associées à leurs gestes de joie en renforcent la vision. On passe du coton bleu clair des vestes sans manches haïtiennes, au bleu et blanc d’Israël. L’Italie chante avec ses corps en bleu sombre, l’air brille et la Jamaïque éclate d’un jaune vif traversé par un fin ruban bleu.

©x Le porteur de la flamme la passe à Zinedine Zidane

©x Le porteur de la flamme la passe à Zinedine Zidane

Le porteur masqué court ensuite sur le toit du Musée d’Orsay et entre dans une étrange pièce sur la musique de L’Apprenti sorcier de Paul Dukas. Laquelle va être envahie d’eau! Inexorablement? Ensuite, il se lève et abaisse les manettes d’un cadran, d’habitude, instrument d’aiguillage qui oriente dans l’espace et inscrit des indications temporelles: passé récent, passé lointain, futur et au-delà. Le plus lointain et le plus proche : le cinéma va naître en 1895. Un cadran glisse à l’image et déclenche la mise en place d’une machinerie au rouge métallique (comme l’a fait Jean Tinguely avec Le Cyclop, une sculpture de vingt-deux mètres de haut aux grandes roues en fer, dans un bois près de Milly-la-Forêt (Essonne).

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Les frères Lumière: Auguste (1862-1934) et Louis (1864-1948) inventent le cinéma avec, à la fois, les prises de vue et la projection des images capturées. Georges Méliès, leur  exact contemporain (1861-1938) crée Le Voyage dans la Lune (1901) inspiré du roman De la Terre à la lune de Jules Verne. Et Riciatto Canudo (1877-1923), poète, philosophe et théoricien du cinéma, invente la formule: septième art. Relié au premier des arts, l’architecture, avec, selon lui, la nécessité d’une Maison des images. Une maison, selon Gilles Deleuze, filtre le cosmos quand il frappe à la porte : « Et non seulement, la maison ouverte communique avec la paysage, par une fenêtre ou un miroir, mais (…) la plus fermée est ouverte sur un univers. » (…) Celle de Claude Monet se trouve sans cesse happée par les forces végétales d’un jardin déchaîné, cosmos aux roses. » Ici, c’est le Musée d’Orsay et la montgolfière, avec le porteur masqué à son bord, va monter  jusqu’au cosmos où l’attend…

 

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Henri Langlois (1914-1977) qui a fondé en 36, la Cinémathèque française avec Georges Franju, Jean Mitry et Raoul Auguste. Le monde entier passe sur la Seine avec les bateaux des athlètes… Rappelons que les réalisateurs de tous les pays envoyèrent leurs films à la Cinémathèque française! Et Henri Langlois fut le premier à rendre hommage à Buster Keaton, alors un peu oublié… 

Le Musée d’Orsay est situé à Paris ( VII ème) dans l’ancienne gare d’Orsay que, vers 1975, desservaient encore certains trains qui s’arrêtent maintenant tous gare d’Austerlitz. Devant le Porteur de flamme, un écran tombe du ciel et y est projeté le court mais célébrissime film des frères Lumière L’Entrée d’un train en gare de la Ciotat (1896). A la première projection, dit-on, les spectateurs sursautèrent de frayeur. 

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Ici, le train crève littéralement l’écran et la musique de L’Apprenti sorcier traverse toute la séquence de la naissance du cinéma qui n’a rien, elle, de catastrophique. Hiatus entre le son et l’image. Le Porteur masqué passe par la trouée sur l’écran qu’a provoquée le train lancé à toute vitesse et il se retrouve sur un ponton où se tient immobile un ballon avec une nacelle. Le noir et blanc du personnage résonne avec celui du milieu traversé, alors que  le noir et blanc du cinéma muet se diffuse au dehors. Tout s’inverse : ce qui était projeté, alors se met à projeter…

Le Porteur masqué enjambe la nacelle et allume le feu propulseur… Le ballon s’envole en oscillant, puis monte vers les nuages d’un blanc intense et, très vite,  se retrouve dans la nuit étoilée. Il passe à proximité d’un écran où est projeté La Lune borgne de Georges Méliès et va dans l’infiniment grand… »Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, disait Blaise Pascal, la fin des choses et leur principe sont invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d’où il est tiré, et l’infini où il est englouti. »

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Alice Guy (1873-1968) fut la première réalisatrice de films (plus de mille!) et le 25 mars 1895, elle assiste avec son patron Léo Gaumont à la présentation du Cinématographe des frères Lumière. Jean-Luc Godard distingue le documentaire avec les frères Lumière, et la fiction avec Georges Méliès. Mais il y eut aussi Alice Guy et son imagination débordante (des bébés  naissent dans les choux). Elle atteint à la grandeur dans l’histoire du cinéma. Sa statue dorée apparait au cours de la cérémonie d’ouverture. Souvenirs, souvenirs…

Bernard Rémy

Remerciements à Nicolas Villodre, Anne-Marie Chaulet, Virginie Aubry, de la Cinémathèque de la danse (1981). à la Cinémathèque française Mais aussi à Patrick Bensard qui en fut le directeur et la cheville ouvrière. Et à Denise Luccioni, membre fondatrice.

Jeux Olympiques: trampoline, gymnastique rythmique, breaking…

Jeux Olympiques: trampoline, gymnastique rythmique, breaking…

 «Jeux Olympiques, Paris Superstar » Libération et « Notre meilleure vie» L’Equipe  11 août. « Merci » Le Parisien, 12 août. «Paris un si bel été ». Cette réussite ne peut pas être sans lendemain ! Le Monde, 13 août.
Ainsi titraient ces quotidiens à la fin des Jeux Olympiques,  avant le début des Jeux Paralympiques, le 28 juillet. Cette quinzaine est arrivée comme un ballon d’oxygène dans un pays au bord de la dépression et la flamme Olympique s’est élevée chaque soir comme un témoignage d’espoir. Nous avons découvert une cérémonie d’ouverture atypique et quoi qu’on en dise, unique au monde (voir Le Théâtre du blog).

On a tout écrit sur cette grande fête: la folie joyeuse et communicative des spectateurs, la bienveillance sans accroc des services de sécurité, la propreté de Paris, la réussite de nos athlètes dont certains sont devenus des stars en quelques minutes, la disponibilité exceptionnelle des bénévoles, le bon fonctionnement des transports en commun, etc. Le monde entier a été surpris. «Paris 2024, dit le sociologue Jean Viard, sera désormais une référence, comme l’a été l’Exposition universelle à Paris en 1900.»

Pour la cérémonie d’ouverture et l’ensemble des épreuves, la composante artistique a été une réussite. En ouvrant le bal avec, comme autrefois au théâtre, les trois coups, ici frappés par un ancien champion de la discipline : Dan Carter, Billie Jean King, ou par une personnalité: Thomas Pesquet, Omar Sy… A chaque début de session, le public entendait en français et en anglais : «Comme au théâtre en France, nous allons frapper les trois coups. »

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On sait maintenant ce que signifie le mot: brigadier, pour désigner ce fameux bâton frappeur. Qui a eu cette belle idée ? Sans doute, Thomas Jolly, le metteur en scène de cette cérémonie d’ouverture, ancien élève de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg. Les monuments de Paris, la Tour Eiffel, les Invalides, le pont Alexandre III, le Grand Palais (rénové sous la direction de Didier Fusillier) sont aussi devenus de véritables décors où avaient lieu certaines épreuves. Le public a découvert les caractéristiques de ce que nous aimons dans un spectacle où se crée la joie ou la peur et se réveillent les émotions mais qui restera éphémère… Comme un rêve, nous pouvons revoir par le canal des médias mais jamais le reproduire. Les gens de théâtre le savent bien: une représentation est toujours unique…

Certaines épreuves avaient une couleur artistique majeure évaluée avec des notes par des jurys. A l’Arena de Bercy, les épreuves de trampoline qui tenaient de ballets aériens, rappelaient la rigueur du travail de Yoann Bourgeois et de ses artistes. L’équipe française de natation artistique a eu son ballet libre, chorégraphié par Mourad Merzouki, même si elle est arrivée quatrième.

© Jean Couturier

© Jean Couturier

Les prestations des équipes féminines de gymnastique rythmique n’avaient rien à envier à celles de certaines grandes compagnies de danse. Et nous nous souviendrons longtemps de la performance de l’équipe italienne aux costumes rouge et noir, sur la musique de Carmen de Georges Bizet.
Seul le breaking, place de la Concorde, a eu une destinée éphémère. Classée épreuve sportive à la place du karaté uniquement pour Paris 2024, elle est passée presque inaperçue. Né dans les fêtes du Bronx à New York et issue de la culture hip-hop dans la rue vers 1970, le breaking a acquis ses lettres de noblesse en France au début du XXI ème siècle avec les chorégraphes nommés à la tête d’institutions: Kader Attou, directeur du Centre chorégraphique national de La Rochelle de 2008 à 2021. Anne Nguyen, grande représentante de cette danse depuis 2005, a animé un atelier de hip-hop à Sciences Po Paris. Mourad Merzouki, directeur du Centre Chorégraphique de Créteil et du Val-de-Marne et d’autres font partie de cette mouvance. Seul sport à avoir affiché complet au début des réservations sans que l’on sache pourquoi mais dont les épreuves sur deux jours, n’ont pas marqué ces Jeux! Ce courant artistique, pourtant populaire, est resté confidentiel…
Dans l’article du Monde du 13 août, une bénévole disait: « Je me sens en congé de moi, en congé de ma vie, cela fait un bien fou.» Probablement, ce fut un été particulier pour beaucoup…. Il reste des places pour les Jeux paralympiques et vont à nouveau servir d’écrin à ces athlètes, les mêmes lieux emblématiques.

 Jean Couturier

 

 

 

Festival d’Aurillac Jouir, mise en scène et écriture collective dirigée par Juliette Hecquet

Festival d’AurillacJouir, mise en scène et écriture collective dirigée par Juliette Hecquet 

Nous n’avons pas pu rendre compte des spectacles de ce festival comme nous le souhaitions. Mais cette manifestation avec Chalon, reste une des plus emblématiques du théâtre, dit de rue, qui, en fait, se passe surtout sur des places, cours d’école, dans des stades…
La compagnie Notre Insouciance créée il y a cinq ans, dit « vouloir aller à la rencontre du public et surprendre celles et ceux qui ne se pensent pas spectateurs et spectatrices de théâtre. Mue par une volonté de création collective avec des artistes pluridisciplinaires (théâtre, musique, danse et audiovisuel), elle dit aussi « s’inscrire dans un croisement entre la recherche artistique contemporaine et des enjeux sociétaux: les spectacles sont pensés pour investir l’espace public et des espaces non dédiés au spectacle vivant pour favoriser l’échange et le partage. On sait pas où on va mais on essaye quelque chose . »

 © x Les acteurs de la compagnie Notre Insouciance

© x Les acteurs de la compagnie Notre Insouciance

Ici, ce spectacle en une heure vingt, mené par Juliette Hecquet, récemment sortie de la FAIR-AR, centre de formation aux arts de la rue à Marseille, se joue Place des Justes  dans le vieil Aurillac, juste derrière la belle église Saint-Géraud. Une pelouse mais ni scène ni praticables sauf quelques caisses pour la récolte des pommes, quelques micros sur pied ou à la main, une tente blanche pour abriter le synthétiseur et son interprète qui est aussi acteur avec un camarade et cinq actrices.  Devant quelque huit cent spectateurs! Jouir est gratuit: ceci explique peut-être aussi cela…

Le thème : certains aspects du sexe ( surtout le désir pour l’autre) mis au grand jour avec questions-réponses en complicité avec le public. Jouir a sans doute été inspiré par le succès mondial qu’avait été Les Monologues du vagin de l’auteure américaine Eve Ensler, une pièce créée en 96 à Broadway avec trois actrices, chacune d’âge différent. Et à Paris, quatre ans plus tard dans une mise en scène de Tilly.  Une pièce iconique du féminisme contemporain, traduite en 46 langues et mise en scène dans plus de cent trente pays!
« Selon une étude récente du magazine Santé +, 75% des hommes affirment avoir un orgasme à chaque rapport sexuel, contre 33% des femmes. Cherchez l’erreur… En revisitant le Comedy club, le genre du documentaire théâtral et du cabaret musical, dit Juliette Hecquet, ce spectacle est une invitation à se poser collectivement la question du désir et de la jouissance : pourquoi existe-t-il un écart orgasmique? Quels modèles de plaisir existent-t-ils et pouvons-nous (ré)inventer? Comment pouvons-nous en parler autour de nous ? Et surtout, est-ce si important de jouir ? »

Ici, se succèdent de courts monologues: récits intimes, témoignages documentaires, chansons mais aussi appels à participer -trop fréquents et un peu racoleurs du genre: ça va Aurillac? Oui, hurle le public assez jeune comme le plus souvent à Aurillac et prêt à soutenir  les acteurs de la compagnie Notre Insouciance: Camille Dordoigne, Emma Evain, Juliette Hecquet, Cécile Leclerc, Joseph Lemarignier, Arthur Raynaud et Florie Toffin.  Visiblement  très aguerris, gestuellemment et oralement, au jeu en plein air même le plus souvent sans micro et devant plus de neuf cent personnes, ils savent  retenir l’attention et faire rire… Mais grossière erreur, le festival d’Aurillac n’avait pas limité la jauge!

Et comme c’était gratuit, un trop nombreux public a envahi toute la pelouse autour de l’espace de jeu. Cela dans des conditions plus que limites, côté sécurité! Mais les acteurs ont continué à jouer frontalement comme prévu! Ils auraient pu au moins en tenir compte et faire l’effort d’élargir le champ de jeu… Mais non! Résultat : même en arrivant trois quarts d’heure avant, impossible de bien se placer pour entendre le texte! Il faudrait donc revoir ce spectacle dans des conditions beaucoup moins approximatives. A suivre. 

Philippe du Vignal

Spectacle joué du 14 au 17 juillet, place des Justes, Aurillac.

Histoire d’un Cid, variation autour de la pièce de Corneille par Jean Bellorini et la troupe du T.N.P.

Histoire d’un Cid, variation autour de la pièce de Corneille par Jean Bellorini et la troupe du T.N.P.

À qui appartient Le Cid, cette tragi-comédie? À tous les élèves de quatrième qui l’ont étudiée rituellement et à tous ceux qui ne l’ont pas fait. La pièce est riche de vers devenus proverbes : «A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. », « Je suis jeune, il et vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n‘attend pas le nombre des années. » « Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie. »
Corneille jeune encore écrit cette pièce qui remporta un immense succès. Même si un lycéen de seconde à qui était posée la question :  «Connaissez-vous Le Cid de Corneille ? » a pu répondre : « Oui, je connais le site de Corneille, le chanteur. », le succès, inscrit dans une culture française globale, dure toujours…

Le parti pris: raconter une histoire invraisemblable à laquelle on veut croire mais avec la profondeur des vers de Corneille. En un mot : rafraîchir un texte classique ancien, non par l’ajout d’ornements contemporains mais en le secouant vigoureusement pour mieux en faire apparaître les saillies et la jeunesse. Jean Bellorini et son équipe ont sabré parmi les personnages secondaires : tant pis pour le Roi de Castille! Sa fille, l’Infante, assumera très bien sa fonction.
Quant aux gentilshommes de la Cour, on n’a pas besoin d’eux : ni le public, ni les personnages, ne croit aux chances d’un Don Sanche, que ce soit à l’épée ou pour le cœur de Chimène, devant un Don Rodrigue, même prêt à mourir. Exit donc le rival.
Mais l’adaptation fait la part belle à cette Infante (en général, un peu oubliée), amoureuse malheureuse de Rodrigue, et à son propre conflit : amour ou devoirs royaux ? Puis-je épouser un sujet, si glorieux soit-il ? Réponse : hors de question, Rodrigue aime Chimène, et ne se mariera avec personne d’autre. Elle aura alors l’honneur et la gloire de favoriser l’union de ces  jeunes premiers et de sacrifier -non sans peine- un amour qui ne peut exister.

La force et la jeunesse de la pièce, est là, dans la radicalité des sentiments : amour absolu, honneur absolu, vengeance absolue. Mais dépendance totale aux valeurs et à la domination des pères. D’où le « conflit cornélien » et sa dialectique : amour, honneur, mais pas d’amour possible sans honneur, et la mort choisie comme remède à tout. Mais parler de la mort avec un tel appétit, n’est-ce pas la plus belle preuve de vitalité ?
On voit surgir les comédiens devant la magnifique façade Renaissance du château, silhouettes d’aujourd’hui, décontractées, comme dans une salle de répétition ou une école de théâtre- vivement colorées par Macha Makeïeff, et c’est l’Infante (excellente Karyll Elgrichi) qui ouvre le spectacle.

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Après tout, Le Cid est assez célèbre par ses récits. Cela le fait commencer d’une façon assez enfantine, et puis vient Corneille, au naturel, sans passer par une réécriture à la Georges Fourest et son  parodique : « Qu’il est joli garçon, l’assassin de papa ! »)
Puis devant le beau château en pierre, se gonfle une fragile et énorme forteresse, un de ces jouets collectifs qu’on voit apparaître et disparaître sur les aires de jeux, terrain instable et ludique des amours et des rebondissements de la pièce. Enorme contraste et appel à la modestie: devant tant de grandeurs, nous ne faisons que jouer…

François Deblock, Rodrigue adolescent, mène le jeu, distribuant en écho au public, les citations fameuses, et  s’offrant aussi le luxe d’interpréter Le SOS d’un terrien en détresse (une chanson de la comédie musicale Starmania, avec quatre octaves, au moins !). On la reçoit comme un cadeau : à lui-même, au public et à un Rodrigue, pas si inoxydable qu’il le croit.
Merci également à Cindy Almeida De Brito, parfaite Chimène, forte et réactive, à Federico Vanni, qui joua dans le Tartuffe italien de Jean Bellorini, capable de revêtir en toute simplicité (et humour) la collerette de la confidente sur le costume trois pièces de Don Diègue. Lui aussi nous offre une chanson, accompagné par Clément Griffault et Benoît Prisset, aux percussions délicates et claviers sensibles. Mais on aimerait bien que le programme indique les interprètes!
La soirée est douce, aux couleurs de soda et fait penser qu’il faudrait peut-être que les pères cessent de manger leurs enfants, ce qu’ils font, hélas! dans les meilleures familles : les Capulet et Montaigu, les Schroffenstein. Et qu’en disent les mères ? Cette Histoire d’un Cid illustre ce qu’on attend d’un Théâtre National Populaire: appel à une culture commune, au sérieux d’un classique monté avec invention et humour. Que demande le peuple ?

Christine Friedel

Château de Grignan (Drôme), tous les jours (sauf dimanche) à 21 h, jusqu’au 24 août. T. :  04 75 91 83 65.

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