Festival d’Avignon (suite et fin) Reminiscencia de Malicho Vaca Valenzuela
Festival d’Avignon (suite et fin)
Reminiscencia de Malicho Vaca Valenzuela
Comment vivre et créer pendant l’épidémie de covid? Cela n’avait pas échappé à cet artiste cloîtré chez ses grands-parents à Santiago du Chili, « Au cœur du confinement, j’ai eu besoin de trouver un lien avec le monde extérieur et de récolté des images que j’ ai assemblées en direct. »
Son ordinateur et les nouvelles technologies ont été à son secours ! Le thème et la mise en scène de la pièce prirent corps : «D’un simple clic sur une carte numérique, il fait surgir les amours mystérieuses et les révolutions réprimées: autant de fragments d’une mémoire intime et collective. Mon souhait était alors de raconter l’évolution de ce quartier et d’interroger ce qu’il nous reste de nos expériences collectives.» Dans ce théâtre-témoignage et visuel, la ville de Santiago et les souvenirs occupent une place centrale dans la dramaturgie, comme la musique et les chansons. La capitale et ses habitants, mais surtout le quartier où est né et vit Malicho Vaca Valenzuela, emmènent le public dans un voyage inoubliable, unique!
Le public est accueilli par une chanson populaire et réjouissante. Dans la salle règne une ambiance festive et sud-américaine avec cet air connu et aimé de tous les chiliens. Silence, plongé dans l’obscurité de cet l’immense plateau, seul, Malicho Vaca Valenzula, metteur en scène, comédien, performeur, suit le chemin de lumière tracé au sol jusqu’à sa table où son partenaire de jeu l’attend, un ordinateur.
Une scénographie, on ne peut plus sobre, avec une table et une chaise et derrière l’acteur, un grand écran, à l’image d’un dispositif pour une conférence. Le public impatient et encore sous le charme de la chanson, se demande comment la magie théâtrale va-t-elle opérer dans ce qui semble n’être qu’une conférence vidéo ? Une pièce sans personnage? Dans ces conditions, un exploit scénique va naître grâce aux images vidéo et aux commentaires de Malicho Vaca Valenzuela. Santiago et la Cordillère des Andes, l’histoire du Chili, sa nature splendide et les souvenirs, le merveilleux, la musique vont agir avec une poésie et un sens théâtral et politique incroyables!
En ce temps exceptionnel de l’épidémie où plus aucune communication et ni aucun regroupement n’étaient possibles, Malicho Vaca Valenzuela a eu une idée géniale : faire des recherches sur son histoire et sur celle de sa famille, puis les relier à des récits d’internautes de Santiago.
Il va donc créer avec ce qui l’entoure. Cette histoire est construite autour de thèmes majeurs: l’amour, comme au premier jour depuis soixante ans, de ses grands-parents âgés, et la lutte politique, collective et militante du peuple de Santiago : la ville devient ici un personnage…
Malicho Vaca Valenzuela s’empare de tous ces trésors insoupçonnés ou plus connus: de leurs traces urbaines, invisibles et banales ou des plaques de métal au sol. L’artiste les transfigure en leur donnant la parole et nous invite à la rencontre de ces signes poétiques ou messages en tout genre. Les images défilent et grâce aux réflexions et métaphores, l’humour et la mélancolie de l’auteur, les symboles et slogans contestataires inscrits sur les murs, mais ternis ou presque effacés, sont comme ranimés. Une véritable performance !
Les bruitages et murmures pleins d’esprit imaginés par Malicho Vaca Valenzuela, sont entrecoupés de vidéos sur la vie quotidienne pendant le confinement dans la modeste maison de ses grands-parents. Rien n’est laissé dans l’oubli au cœur de cette exploration personnelle et politico-sociale de Santiago: école, hôpital, université, église… Et la signature du palmier! Tout comme la célèbre place où les nombreuses manifestations contre le pouvoir ont débuté, comme en 2006, pour une éducation libre et gratuite pour tous !
Souvenir : Malicho Vaca Valenzuela y avait participé… L’enfance, la jeunesse, ses rêves et combats, la vieillesse, la maladie, la beauté, les paysages, la force collective, la lutte pour un monde meilleur et le langage universel de la musique sont ici évoqués avec une sensibilité et une intelligence rares. L’acteur, prodigieux, a une présence sans faille dans ce vaste espace nu. Sa voix calme est teintée de nostalgie, ou joyeuse, et ses gestes discrets mais évocateurs.
La musique, les chansons sentimentales, les spectacle offrent à nouveau une lucidité à aux personnes atteintes de troubles psychiques. C’est bouleversant! Cette traversée en vidéo s’impose avec grâce et force: fragments de vie chargés d’émotion, découverte de l’intime et du collectif d’un peuple, avec toute son histoire et sa culture.
Un voyage insolite qui devient le nôtre. Nous sommes fascinés par l’ingéniosité de cette performance et touchés par sa dimension existentielle… Le spectacle prend fin mais pas tout à fait: il se prolonge avec sourires et échanges entre le public et Malicho Vaca Valenzuela, au bord de la scène. Sur Sin Ti, la célèbre chanson romantique du groupe Los Panchos, cette transfiguration poétique s’adresse ici à l’humanité entière et la vie devient magnifique! Un des plus beaux spectacles de ce festival !
Elisabeth Naud
Gymnase du lycée Mistral, 20 boulevard Raspail, Avignon.
Du 3 au 5 octobre, Rutas Festival, Toronto (Canada). Le 13 octobre, Festival Festara Araçatuba (Brésil). Les 16 et 17 octobre, Le Quai-Centre Dramatique National d’Angers-Pays de la Loire (Maine-et-Loire).
Du 4 au 8 décembre, Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse).