Les cris d’Hala Moughanie depuis Beyrouth
Les cris d’Hala Moughanie depuis Beyrouth
Mon arrière-grand-mère me disait: «Quand la lune est rouge, demain, il fera chaud ». Je trouve que ce mois d’août a des relents d’automne, alors, j’ai du mal à présager ce que sera la température demain. Je ne peux que regarder Beyrouth brûlant dans l’attente d’un brasier encore plus grand et qui n’en finit pas de ne pas arriver. Beyrouth qui brûle sans brûler. Si ce n’est, nos nerfs à vif. Beyrouth dans un vide si vide, qu’on ne sait plus quoi désirer.
Ce soir donc, je ne me demande pas ce qu’aurait dit mon arrière-grand-mère. Cette vieille, elle, s’en remettait au destin (et coupait le bout de mes chaussures devenues trop petites quand la guerre ne permettait pas d’en acheter de nouvelles). Et je l’imagine bien me répéter ce que m’a dit une amie, la semaine dernière. « La pensée, c’est déjà ça de pris à l’ennemi ».
La vie tout court, c’est déjà ça de pris à l’ennemi, c’est vrai. Et nous vivons. Et nous rions. Et nous rêvons. Même, même, nous fomentons des rêves de justice historique. Mais moi, il m’arrive d’être étouffée par l’envie de hurler, hurler jusqu’à ce que mon hurlement devienne secousse sismique et recolle les corps déchiquetés, de l’autre côté de la frontière.
Mais en attendant d’avoir la force du cri, je me contente de murmurer à chaque explosion du passage du mur du son: « enculés de fils de putes », en sachant que mon arrière-grand-mère qui était, vous l’aurez compris, une femme sage, aurait dit : المسبّة بمحلها، صلاة ! #Palestine forever #البحر_لنا #القدس_لنا »
Hala Moughanie
Cette écrivaine et consultante en coopération internationale vit au Liban et cherche à décortiquer les modes d’être au monde en questionnant la notion d’identité et la manière dans la relation aux autres, aux territoires habités ou imaginés et à l’Histoire. Ce faisant, elle essaye d’aborder la langue-dont les usages formels font partie intégrante des systèmes politiques-de manière nouvelle afin que les mots se ressaisissent de leur sens profond. Dans La Mer est ma nation elle montre comment des frontières visibles ou invisibles se dressent entre les individus. Un homme et une femme vivent dans une ville que les déchets ont envahie. Deux fugitives sur la route de l’exil ne seront pas les bienvenues: elles menacent en effet l’espace vital…
Les personnages portent en eux une humanité complexe qui nous font vivre de l’intérieur leurs contradictions, leur peur et leur déshérence… « La guerre et l’exil,dit l’autrice, font partie de mon bagage génétique »,.
Sa pièce, Memento Mori, répond formellement à une commande : « travailler sur pourquoi l’Occident s’est donné la légitimité d’exploiter toutes les ressources naturelles et humaines.»
Quelque part en Afrique, un étranger vient acheter un terrain pour une firme internationale qui entend faire fortune en implantant une rizière. Une femme l’accueille et l’entraîne dans un monde qu’il ignore et dont il ressortira transformé, après un douloureux parcours initiatique. Cette fable tellurique a été créée en partie sous le titre Fissures en 2018 au festival de Limoges (voir Le Théâtre du Blog ).
Dans son premier roman, paru l’an dernier, Il faut revenir (éditions Project’îles), Hala Moughanie raconte à travers le destin d’une jeune femme revenue au Liban, les violences, les beautés mais aussi les contradictions son pays natal : un hymne à la vie : «Il faut simplement accepter qu’il y ait autant de versions du Liban que d’êtres qui y habitent. Ou qui y passent. Non, ce pays n’existe pas et nous devons, pour y comprendre quelque chose, nous contenter de raconter les vies éparses qui le traversent, instruire un dossier, en quelque sorte, qui permettrait un jour d’en délimiter le périmètre humain, le seul qui vaille. » De Beyrouth, aujourd’hui menacé par une escalade dans la guerre entre Israël et le Hezbollah, elle fait entendre à nos oreilles impuissantes, un déchirant cri d’alarme…
Mireille Davidovici