Histoire d’un Cid, variation autour de la pièce de Corneille par Jean Bellorini et la troupe du T.N.P.

Histoire d’un Cid, variation autour de la pièce de Corneille par Jean Bellorini et la troupe du T.N.P.

À qui appartient Le Cid, cette tragi-comédie? À tous les élèves de quatrième qui l’ont étudiée rituellement et à tous ceux qui ne l’ont pas fait. La pièce est riche de vers devenus proverbes : «A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. », « Je suis jeune, il et vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n‘attend pas le nombre des années. » « Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie. »
Corneille jeune encore écrit cette pièce qui remporta un immense succès. Même si un lycéen de seconde à qui était posée la question :  «Connaissez-vous Le Cid de Corneille ? » a pu répondre : « Oui, je connais le site de Corneille, le chanteur. », le succès, inscrit dans une culture française globale, dure toujours…

Le parti pris: raconter une histoire invraisemblable à laquelle on veut croire mais avec la profondeur des vers de Corneille. En un mot : rafraîchir un texte classique ancien, non par l’ajout d’ornements contemporains mais en le secouant vigoureusement pour mieux en faire apparaître les saillies et la jeunesse. Jean Bellorini et son équipe ont sabré parmi les personnages secondaires : tant pis pour le Roi de Castille! Sa fille, l’Infante, assumera très bien sa fonction.
Quant aux gentilshommes de la Cour, on n’a pas besoin d’eux : ni le public, ni les personnages, ne croit aux chances d’un Don Sanche, que ce soit à l’épée ou pour le cœur de Chimène, devant un Don Rodrigue, même prêt à mourir. Exit donc le rival.
Mais l’adaptation fait la part belle à cette Infante (en général, un peu oubliée), amoureuse malheureuse de Rodrigue, et à son propre conflit : amour ou devoirs royaux ? Puis-je épouser un sujet, si glorieux soit-il ? Réponse : hors de question, Rodrigue aime Chimène, et ne se mariera avec personne d’autre. Elle aura alors l’honneur et la gloire de favoriser l’union de ces  jeunes premiers et de sacrifier -non sans peine- un amour qui ne peut exister.

La force et la jeunesse de la pièce, est là, dans la radicalité des sentiments : amour absolu, honneur absolu, vengeance absolue. Mais dépendance totale aux valeurs et à la domination des pères. D’où le « conflit cornélien » et sa dialectique : amour, honneur, mais pas d’amour possible sans honneur, et la mort choisie comme remède à tout. Mais parler de la mort avec un tel appétit, n’est-ce pas la plus belle preuve de vitalité ?
On voit surgir les comédiens devant la magnifique façade Renaissance du château, silhouettes d’aujourd’hui, décontractées, comme dans une salle de répétition ou une école de théâtre- vivement colorées par Macha Makeïeff, et c’est l’Infante (excellente Karyll Elgrichi) qui ouvre le spectacle.

©x

©x

Après tout, Le Cid est assez célèbre par ses récits. Cela le fait commencer d’une façon assez enfantine, et puis vient Corneille, au naturel, sans passer par une réécriture à la Georges Fourest et son  parodique : « Qu’il est joli garçon, l’assassin de papa ! »)
Puis devant le beau château en pierre, se gonfle une fragile et énorme forteresse, un de ces jouets collectifs qu’on voit apparaître et disparaître sur les aires de jeux, terrain instable et ludique des amours et des rebondissements de la pièce. Enorme contraste et appel à la modestie: devant tant de grandeurs, nous ne faisons que jouer…

François Deblock, Rodrigue adolescent, mène le jeu, distribuant en écho au public, les citations fameuses, et  s’offrant aussi le luxe d’interpréter Le SOS d’un terrien en détresse (une chanson de la comédie musicale Starmania, avec quatre octaves, au moins !). On la reçoit comme un cadeau : à lui-même, au public et à un Rodrigue, pas si inoxydable qu’il le croit.
Merci également à Cindy Almeida De Brito, parfaite Chimène, forte et réactive, à Federico Vanni, qui joua dans le Tartuffe italien de Jean Bellorini, capable de revêtir en toute simplicité (et humour) la collerette de la confidente sur le costume trois pièces de Don Diègue. Lui aussi nous offre une chanson, accompagné par Clément Griffault et Benoît Prisset, aux percussions délicates et claviers sensibles. Mais on aimerait bien que le programme indique les interprètes!
La soirée est douce, aux couleurs de soda et fait penser qu’il faudrait peut-être que les pères cessent de manger leurs enfants, ce qu’ils font, hélas! dans les meilleures familles : les Capulet et Montaigu, les Schroffenstein. Et qu’en disent les mères ? Cette Histoire d’un Cid illustre ce qu’on attend d’un Théâtre National Populaire: appel à une culture commune, au sérieux d’un classique monté avec invention et humour. Que demande le peuple ?

Christine Friedel

Château de Grignan (Drôme), tous les jours (sauf dimanche) à 21 h, jusqu’au 24 août. T. :  04 75 91 83 65.


Archive pour 18 août, 2024

À Pondichéry, le Théâtre Indianostrum en danger Une lettre de son directeur Koumarane Valavane

À Pondichéry, le Théâtre Indianostrum en danger, une lettre de Koumarane Valavane, son directeur

©x

©x

Nous avons découvert cette troupe aux Francophonies de Limoges en 2018, quand elle y créa Chandala l’impur, une adaptation de Roméo et Juliette qui nous avait enchantés. Avec cette histoire d’amour contrarié entre un intouchable et une jeune Brahmane, l’auteur revisitait les formes traditionnelles du théâtre indien à l’aune de la modernité, pour dénoncer la violence du système de castes.
Trois ans après, Flying Chariot(s) (L’Epopée tragi-comique de la droiture), nous avait aussi convaincus: un lanceur d’alerte sacrifiait sa liberté à la vérité, mais dans cet acte, il trouvait une autre forme de liberté (voir Le Théâtre du blog).

©x

©x

Koumarane Valavane nous alerte aujourd’hui: le Théâtre Indianostrum, qu’il a fondé en 2007, est menacé de disparition. Installé depuis douze ans dans un ancien cinéma français, la salle Jeanne d’Arc - d’où son nom complet: Indianostrum Pathé-Ciné Familial- , il doit quitter les lieux pour cause de spéculation immobilière. Le projet initial de ce dramaturge franco-indien, ancien membre du Théâtre du Soleil: donner un statut social et professionnel aux membres de la troupe et inventer un mode de financement permettant une démarche artistique exigeante. Il avait invité en 2015 Ariane Mnouchkine et son École Nomade. Sont nés de ces échanges, plusieurs spectacles, dont Une Chambre en Inde par le Théâtre du Soleil (voir Le Théâtre du blog).

 Mireille Davidovici

 

© x

© x

Dans la nuit, au milieu du néant…

Voici le corps de la mère, marchez, courez, sautez, dansez comme un enfant, la scène-mère vous accueillera, protégera, inspirera… Débute ainsi une séance de travail au théâtre Indianostrum, 7 rue Romain Rolland à Pondichéry. Nous y sommes depuis le 1 janvier 2012 et nous en serons chassés le 31 août 2024. Pourquoi ? Parce que les artistes ont toujours été traités ainsi…

A Pondichéry, cette salle de cinéma et de théâtre de l’époque coloniale, quasi abandonnée, est un don de la France à l’église, située dans le white town, ancien quartier français devenu un haut lieu du tourisme. Le curé  digne d’un roman de Victor Hugo, nous a alors accueillis, protégés, bénis. Nous y avons construit une cuisine, un gradin et une scène et nous nous sommes mis à faire du théâtre sans relâche : la scène-mère a accouché de centaines de comédiennes et de comédiens et elle a été témoin de prestigieuses rencontres entre les artistes indiens et les artistes du monde entier. Musique, chant, récit, bref, ce théâtre a fait son travail : élargir la conscience individuelle et collective à travers des récits lumineux.

Le réveil majestueux de ce lieu mythique a attiré la vénérable mouche qui aime faire grossir son portefeuille. Elle a un plan bzzz prospère et fantastique : une salle de réception. Dégageons le théâtre, démolissons le patrimoine et oublions nos valeurs et nos principes… Nous avions tenté de résister face aux bonnes manières de nous déloger : répandre des rumeurs, appeler à l’aide le Pouvoir et user d’intermédiaires : les vénérables gardiens de notre Démocratie. Oui, ce lieu appartient à l’église, c’est indéniable! Alors le gouvernement de Pondichéry, le consulat et les notables nous ont dit ceci : allez planter vos tentes ailleurs. Un rappel douloureux du sort ancestral de l’artiste : errer

Ironie du sort, notre théâtre est entouré d’une école, d’un cimetière, d’une église et d’un hôpital. Pourrions-nous fermer un de ces lieux sans penser à une alternative ? Les élèves se battraient pour leurs savoirs, les malades pour leurs soins, les fidèles pour leur Esprit, les morts pour leur paix… Est-il alors insensé de vouloir sauver un théâtre ? Oui, ce lieu où notre intelligence, notre corps, notre esprit, notre âme et notre inconscient vibrent au son d’un récit et ceci depuis des millénaires. Bien sûr, on peut vivre sans musique, sans chant et sans théâtre, croyez-moi, c’est comme vivre sans soleil, dans la nuit au milieu du néant. La lueur ? Un conte, un mythe, une légende ou la capacité humaine à remplir le vide de désirs, d’émotions, de sens et de la beauté.

Le repli sur soi est le nouveau poison. Un théâtre au centre de la cité où l’énergie de la parole fait de nous tous un être plus ouvert, plus sensible, plus curieux, plus éclairé, en est l’antidote. Vous me comprenez ? Qui d’autre que l’Église peut mieux saisir le pouvoir du Verbe ? Personne ne nous entend dans la cacophonie touristique de la rue Romain Rolland…

Moi, artiste impuissant aux gestes éphémères, je me soumets à ceux qui nous chassent d’ici, je quitte la ville qui ferme son théâtre et je demande pardon à Jeanne d’Arc de l’abandonner aux bulldozers. Enfin, je déclare que notre scène-mère mourra le 31 août.
Cher public, je te convie à ses funérailles qui auront lieu du 16 au 30 août. Il y aura du chant, de la musique et du théâtre : des mots pour pleurer, des rythmes pour se consoler et des gestes à partager. Ne vous inquiétez pas, nous vous épargnerons nos plaintes, rêves inachevés, élans brisés, espoirs anéantis. A partir du 1er septembre, dans l’obscurité, le silence s’en chargera…

Koumarane Valavane, directeur du Théâtre Indianostrum

 

La Cérémonie des jeux Olympiques ( septième épisode)

La Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques ( septième épisode)

©x

©x

Le bateau surélévé de la Ville de Paris glisse devant la Conciergerie… mais comme s’il touchait à peine l’eau: à sa proue, la mezzo-soprano Marina Viotti, en rouge et blanc, chante dans le vent et la pluie: Ah! ça ira,  puis La Habanera de Carmen de Georges Bizet, en habitant le même volume sonore que le groupe « métal » Gojira. « Entre « métal » et opéra, il n’y a qu’un pas », dit celle qui fit partie du « métal » Lost Legacy. Et la mezzo-soprano guadeloupéenne Axelle Saint-Cirel chantera plus tard sur les toits du Grand-Palais, la Marseillaise.

Le bateau de la Ville de Paris porte une chanteuse et l’Histoire, celle résumée par  Fluctuat nec mergitur ( Battue par les flots mais ne sombre pas), sa devise * à laquelle renvoie le vent et la pluie accompagnant la chanteuse…. Ce bateau figurait déjà en 1210 sur le sceau de la corporation des « marchands d’eau » qui furent à l’origine de la municipalité parisienne. Les branches de chêne et laurier expriment les actes de bravoure des citoyens. Le rouge et le bleu,  eux, apparurent un siècle plus tard, quand  Etienne Marcel, prévôt des marchands, fit revêtit à ses partisans des chaperons rouge et bleu. La devise devient celle de Paris en 1853, sur décision du baron Haussmann, préfet de la Seine.Blason_de_Paris

Nous avons tous rêvé de nous projeter  et de vivre parmi les gens d’une époque. Il y a une histoire des faits et gestes, comme celle des corps, de la marche. Mais quand elle vient à nous, sous forme de sons et de couleur ? Les guitares et la batterie du groupe Gojira, le rouge et blanc de la mezzo-soprano chantant Carmen, la façade ocre-beige de la Conciergerie composent un tableau vivant où visuel et sonore expriment la profondeur de champ du passé.. L’histoire populaire se lève: corps de sensations  redonnant vie aux perspectives temporelles, comme plus tard, avec Barbara Butch et Philippe Katerine jouant à l’Histoire. (voir épisode suivant).  Hommage en passant à l’historien Patrick Boucheron…                                                                     
« Formi, formidable »… un extrait de la chanson de Charles Aznavour chante Aya Nakamura. Un air enveloppe un autre, le malaxe et en naît parfois un langue étrangère, purement sonore, comme en invente la chanteuse, notamment dans Djadja.

©x

©x

Sur le pont des Arts,premier pont métallique, ( 1801)  Aya Nakamura, en mini-jupe dorée signée Christian Dior et bottes à lamelles, sort de l’Institut, accompagnée par des danseuses en pantalon tout aussi doré. Un des sommets de la cérémonie… Au début, la Garde républicaine se présente sur quatre rangs, dans une immobilité impressionnante.  Mais on sent une décision, une volonté en train de mûrir. Cette masse ordonnée ne s’identifie pas à son apparence mais s’expose  étrangement telle un accumulateur d’énergie. Beauté de cette concentration …

©x

©x

Au même moment, l’ensemble d’Aya Nakamura varie les ondulations avec puissance mais il n’écrase personne. La distance entre les deux groupes atteint le maximum (le costume un peu ringard de la Garde républicaine, après un siècle et demi pourrait être redessiné par un grand couturier. Qu’en pense Emmanuel Macron qui a son avis sur tout… et son contraire? ) La Garde Républicaine  marche au pas, vers le groupe d’Aya Nakamura qui se déhanche et  chante en glissant fugitivement sa main sur ses seins et son sexe, signe de la culture rap », notamment Djadja (2018), un succès mondial… accompagnée par soixante musiciens de la Garde républicaine et trente-six choristes du Chœur de l’armée française.

Funambule de la chanson, elle sait y faire pour tirer des lignes entre sa syntaxe, mélodieuse et heurtée à la fois, et la langue de Molière qui est aussi celle de Charles Aznavour. Cette artiste francophone la plus écoutée au monde ajoute des inventions verbales enrichies d’argot avec ici, des extraits de Djadja : Je suis pas ta catin, ta daronne, En  catchana Bobby tu dead ça,  Je suis pas ton plan B, Le jour où un se croit, faut pas Tchouffe.« 

« Elle donne beaucoup à la vitalité de la langue française », dit Thomas Jolly, metteur en scène de la cérémonie. Des membres de la Garde républicaine esquissent des mouvements d’épaule avec leurs saxophones et trompes de chasse. Ils quittent peu à peu leurs quatre rangs puis se dispersent et autour du groupe d’Aya Nakamura, se reforment  en un cercle irrégulier, accentuant le va-et-vient des bras. Comme ces  « bands » de Noirs américains à la Nouvelle-Orléans, ce va-et-vient se transforme en danse pour certains, les autres jouent de la trompette, genoux pliés et imperceptiblement, passent du rang militaire, à une posture rythmique. La distance maximum entre la Garde républicaine et Aya Nakamura s’abolit dans un espace éclaté, fraternel. Les contrepoints se multiplient et aux ondulations de la chanteuse, correspondent les balancés des Gardes.

On a les larmes aux yeux quand on voit chez eux naître de nouveaux gestes avec un passage de l’intime,  au public. A la beauté d’Aya Nakamura, répond celle des Gardes républicains, devenant autre, grâce aux danses et à voix de la chanteuse. 

©x

©x

Régulièrement, la Garde républicaine, Branche de la Gendarmerie nationale assure des missions d’honneur et de sécurité au profit des plus hautes autorités de l’État et des missions de sécurité au profit du public. Elle concourt également au rayonnement culturel de la France avec ses formations musicales et spéciales. Elle présente au public, son savoir-faire et son excellence, toujours très remarquées: entre autres,  la fanfare à pied du régiment de cavalerie, le quadrille des baïonnettes et démonstrations équestres…
Marion Maréchal  (femme politique d’extrême droite et nièce de  Marine Le Pen)  se précipite le 27 juillet sur X et ose déclarer : « La Garde républicaine a été humiliée, forcée à danser sur du Aya Nakamura, la laideur générale des costumes et des chorégraphies. On cherche désespérément la célébration des valeurs du sport et de la beauté de la France au milieu d’une propagande woke aussi grossière. » Sans commentaires. 

Le lendemain, réponse cinglante de Frédéric Foulquier, chef de la musique: « C’était incroyable pour nous et la rencontre entre ces deux mondes s’est très bien passée ». La musique de la Garde républicaine, rattachée au 1er régiment d’Infanterie, habite la caserne Babylone à Paris (VIIème) où sur le fronton est aussi inscrite: Fluctuat nec mergitur.  Bornes du temps pur…

Bernard Rémy

*Un restaurant porte le nom: Fluctuat nec mergitur, 18 place de la République. Selon le chef-cuisinier d’origine vietnamienne, la marie de Paris, après les attentats qui frappèrent le Bataclan et des terrasses de café, a insisté pour que le restaurant prenne ce nom, alors que ce n’était pas le projet initial. Un signe public à Paris, de la résistance à l’oppression violente..

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...