La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques (onzième épisode)

La Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques  (onzième épisode)

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Retour en arrière : une énergie commune pénétrait tous les styles de danse présentés sur le podium. Un seul rythme traverse les interprètes, peu importe leur singularité.  Quelqu’un venu de loin précéda le défilé, rassembla cette énergie, la dépensa et la diffusa pour les danseurs à venir, ceux du podium: Le porteur de flamme masqué. Il vient du cosmos, s’approcha en montgolfière du film projeté La Lune borgne de Méliès et navigua dans l’infini des étoiles.

Il arrive sans crier gare sur le côté du podium et lentement, met un pied sur le tapis rouge au moment où le bateau américain passe sous la passerelle Debilly. Soudain, latéralement, il plonge vers le sol, la flamme à la main. Barbara Butch apparait, le salue de la main. Elle aurait toutes les raisons de céder au ressentiment : l’antisémitisme; la haine des gros, la haine envers ceux qui militent pour LGBT. Mais elle a choisi la musique et le solidarité.

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Digne de Joë Bousquet (1897-1950), ce poète et philosophe français qui resta paralysé toute sa vie après  avoir reçu à la guerre de 14-18, une balle dans le dos. « J’écris, disait-il, pour les hommes d’avant l’amertume. »

Frédéric Nietszche disait que le chaos en nous pouvait enfanter une étoile. Mais ici une goutte de cosmos : le porteur de flamme s’élance: glissades, grande roue avant et arrière. Il rase le sol en lançant la jambe droite qui entraîne le corps tout entiers avec de rapides et  grands écarts. Le cosmos commence à la surface de la terre. Le porteur masqué ne se meut pas pour lui-même mais il libère l’énergie pour les danses qui suivront. Et  il caresse le sol en résonance avec les drag-queens qui  le regardent au bord du podium. La vague de ses pas de côté et rotations évoque la fameuse vague qui, à Tahiti, attend les athlètes surfeurs. Lui glisse et eux vont aussi  glisser. Il arrête ses tournoiements, se tient droit et disparait.

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Au fil de l’eau, à proximité de la passerelle, une voix sans corps émet, sans feu ni lieu. J’adore…chante Philippe Katrine dont l’insistance, l’obstination suscitent une forme de rire. Plus il fait comme si rien n’était, plus il reste discret (forme de prouesse) et  plus l’on rit. Sa chanson le reconduit à la passerelle et au podium. Mais dans un souffle, la tonalité change : on passe de la danse,  au chant théâtralisé dans le décor faussement antique.

Une immense cloche à fromage se soulève et révèle un Philippe Katerine allongé en  Dionysos sur un tapis de fleurs  jaunes, rouges bleues.  En  très mince  collant  bleu… cet être a une barbe orange et une couronne de fleurs sur la tête, comme au cœur d’un tableau vivant. Réunion des couleurs et de la lumière, ici tout brille.   Philippe Katerine renouvelle la figure de Dionysos souvent présenté comme un personnage de démesure et pulsions, au contraire d’Apollon, dieu de l’harmonie.

©H. Lewandowski Vase grec à figures rouges sur fond noir 370 av.J.C Dyonisos sur un léopard

©H. Lewandowski
Vase grec à figures rouges sur fond noir 370 av. J.C. :D yonisos sur un léopard

Attablées, face à Philippe Katrine les drag-queens Barbara Butch, Nicky Doll à l’armure rutilante, Piche, Little Banana, les danseurs du podium et une petite fille restent immobiles dans des postures divergentes. Le bleu Dionysos se lève et s’agenouille et les Dieux qui le regardent, s’ébranlent lentement en levant les bras sur l’air de Tout simplement tout nu… que Philippe Katerine interprète. Cette chanson très drôle est aussi  un hymne à la paix  et contre les armes.  Il en détache chaque mot: « Est-ce qu’il aurait des guerres si on était resté tout nu? » Avec de légères expressions du visage, il  se lève et s’agenouille sur la parterre de fleurs. Il penche la tête de côté avec un regard en coin malicieux et des gestes, multiples, fugitifs…

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Et dans sa chanson il propose une manière de vivre : célébrer la vie mais nu. Qu’apporte la nudité aux problèmes de l’existence ?Son bras droit s’ouvre, se replie sur la poitrine avec un imperceptible mouvement des épaules .Quel instrument accompagne le chant ? Son corps seul. Accoudée à la table du repas des dieux de l’Olympe; la drag-queen Leslie Barbara Butch le soutient du regard. Faussement naïf, Philippe Kateriine, pas si nu que cela, abat ses cartes en chantant avec légèreté des choses sérieuses.  C’est sa politesse et il persiste et signe: « Y aurait-il des guerres si on était resté tout nu ? Non.  » Avec lui, Dionysos redevient un être joyeux….

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Ceux qui qui critiquent, veulent « des corps sûrs, une nature sûre » et sans mélange des forces. Mais la Nature produit des corps singuliers, inattendus. La discrimination, c’est le contrôle des naissances : trier entre les corps selon un modèle abstrait qui  ignore « l’horrible travail » des forces naturelles. Les drag-queens, les trans n’en représentent qu’une partie.
Mais nous n’avons encore rien vu. Philippe Katrine se différencie, à l’envers, du porteur masqué. Il multiplie apparences et costumes (un par chanson). 

Homme aux multiples visages, il se présente parfois caché… sous une grande cloche à fromage par exemple. Sa chanson Tout Nu nous renvoie avec simplicité à la vie d’avant la vie.. « Tout simplement tout nu »… Avec la nudité, on se décharge de tout ce qui nourrit l’esprit de pesanteur et la haine de l’existence En fait, se manifestent ici deux Dionysos. « Il ne connait plus d’autres architectures, que celle des parcours et des trajets » dit Gilles Deleuze dans Mystère d’Ariane selon Nietzsche.

Quel est ce personnage dans la cérémonie qui ne connait plus que parcours et trajets ? Le porteur de la flamme aux plusieurs masques, ceux d’ Hermès et Dionysos; le dieu de la musique et de la légèreté qui nous entraîne à la danse, comme le porteur masqué sur la passerelle où se regroupent drag-queens, homos, trans… La cérémonie parle de métissage généralisé. Pourquoi ici les groupes minoritaires restent-ils entre eux? C’est un faux problème. Il faut d’abord rassembler des forces, pour se rendre visible et que  soit possible un métissage généralisé et  des projets artistiques et/ou  émancipateur..

Après mai 68, pour créer le mouvement de la libération des femmes, celles-ci éprouvèrent la nécessité de se rencontrer entre elles, pour un temps. Il s’agissait de se nettoyer des clichés fabriqués par les hommes.  Et la grande et majestueuse Histoire passa avec l’arrivée des femmes dans la vie socio-professionnelle.

Les choses sont en cours et l’exemplaire Barbara Butch multiplie les engagements envers les migrants, les enfants. Elle soutint le mouvement de grève des femmes de chambre à l’hôtel Ibis-Batignolles à Paris et elles finirent par gagner après deux ans de lutte!  Et elle se qualifie de « love activist ». Ses mix vont des chansons de France Gall, à la musique électro.
Que se passe-t-il en contrebas de la passerelle Debilly? Vue de loin, la danse semble à son maximum et le restera. Mais on pressent un danger. Le risque d »épuisement des corps. La suite au prochain numéro.

Bernard Rémy

 

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