Livres et revues Le Masque en jeu, une école de l’acteur de Guy Freixe
Livres et revues
Le Masque en jeu, une école de l’acteur de Guy Freixe
Cet acteur, metteur en scène et pédagogue, a été formé par Jacques Lecoq, grand spécialiste du masque. Il a joué longtemps au Théâtre du Soleil, dans la série Shakespeare : Richard II, La Nuit des Rois, Henry IV puis dans L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge d’Hélène Cixous. Metteur en scène, il dirige depuis 88 le Théâtre du Frêne, compagnie conventionnée par le ministère de la Culture, et a mis en scène une trentaine de spectacles en France et à l’étranger dont entre autres, Triptyque O’Neill, Kroum l’ectoplasme d’Hanokh Levin et un remarquable Soif d’amour, Trois Nô modernes de Yukio Mishima avec les jeunes acteurs de la dernière promotion de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot. Mais aussi Dom Juan de Molière, à Grignan, Danser à Lughnasa de Brian Friel, au Théâtre du Soleil.
Il dirige régulièrement des stages professionnels sur le jeu de l’acteur masqué et intervient dans plusieurs Écoles nationales supérieures de théâtre. Il a aussi écrit La Filiation Copeau-Lecoq-Mnouchkine. Une Lignée du jeu de l’acteur. Et surtout Les Utopies du masque sur les scènes européennes du siècle. «Cet ouvrage comme il le dit clairement, ne se veut pas une méthode d’apprentissage technique du jeu masqué , parce que je ne pense pas que le masque soit une technique de jeu parmi d’autres. Je le considère comme un instrument,infiniment précieux, qui donne accès aux jeux fondamentaux du jeu de l’acteur. (…) Avec ce livre, je cherche à faire partager mes trente-cinq années d’engagement dans une pédagogie de l’acteur qui se rattache à cette voie française de la scène européenne et qui passe Jacques Copeau, Charles Dullin, Louis Jouvet, Jean Vilar, Jacques Lecoq, Ariane Mnouchkine. Le masque comme école de jeu.»
Dans cet ouvrage passionnant, il relate l’apprentissage des techniques de jeu masqué et souligne l’importance qu’a la préparation du corps et le mouvement, à plusieurs ou seul dans l’espace. Une chose maintenant évidente et qu’ont réussi à imposer depuis environ trente ans, les pédagogues d’expression théâtrale confirmés. Déjà, au Groupe de Théâtre Antique de la Sorbonne (qui était une sorte d’école sans en porter le nom) et auquel nous avons appartenu, cette exigence était apparue. Et il nous souvient que, dans son spectacle-culte, Les Perses qui fut joué avant la dernière guerre et après, un peu partout en France et en Europe, la vieille reine Atossa, en grande robe noire, avait un masque gris cendre. Un personnage remarquablement joué par un jeune acteur amateur de vingt-neuf ans, petit et maigre, à la voix un peu cassée. S’opérait alors un véritable dédoublement: les codes habituels de mouvement avaient disparu, comme s’il y avait eu un transfert de personnalité : bref, le grand écart entre ce petit employé à la Sécu… et cette grande reine perse, épouse du roi Darios, imaginée par l’immense Eschyle il y a vingt-quatre siècles.
Le temps d’une heure sur un plateau, c’était pourtant la même personne que le public regardait absolument fasciné…et encore plus au moment des saluts quand on enlève les masques… Dessiné par le peintre Jean Bazaine en 1936 pour le metteur en scène Maurice Jacquemont, il offrait à l’acteur mais après bien des répétitions exigeantes, la possibilité de percevoir et d’exprimer toute la dignité et la douleur d’un mère. Et sans doute en partie cette voix si particulière. Ce qu’une actrice ayant eu l’âge du rôle, n’aurait pas réussi aussi bien à faire. Quelle leçon de théâtre quand on a vingt ans! Quel fabuleux miracle du jeu masqué grâce à un pauvre carton moulé, ou à un morceau de bois sculpté! Guy Freixe a horreur du plastique et on le comprend. Avoir joué avec, Les Sept contre Thèbes d’Eschyle, même en plein air était une rude épreuve!
Ensuite, le masque a eu droit de cité dans les écoles supérieures: Saint-Etienne, Conservatoire national, Ecoles du Théâtre National de Chaillot et du Théâtre National de Strasbourg, ENSATT à Lyon et bien entendu, dans les stages dispensés par Ariane Mnouchkine.
Le corps, rappelle justement Guy Freixe, est l’instrument premier de l’acteur et indispensable au jeu masqué. Respiration correcte, détente, analyse du mouvement: tout ce que les théâtres d’Extrême-Orient exigent de leurs interprètes depuis longtemps. Des pratiques qu’on trouvait rarement en Europe, même sur les grandes scènes des établissements officiels où régnait la parole… Et dont les services d’enseignement au Ministère de la Culture qui n’ont jamais brillé par leur sens de la pédagogie, se souciaient peu.
Guy Freixe insiste sur l’expérience psychologique capitale que représente le choix, puis et surtout le port d’un masque masculin ou féminin par un interprète de l’un ou l’autre sexe. Et il pose aussi une question troublante : qu’est-ce qu’une voix masquée ? Il relate comment John Arnold (qui va bientôt jouer L’Avare de Molière au Théâtre de la Tempête dans la mise en scène de Clément Poirée) découvrit sa «nouvelle» voix. Il allait jouer-à dix-huit ans-Jean de Gand dans Richard II de Shakespeare, avec un masque de vieillard. « J’étais tout à fait incapable de l’avoir sans le masque. Et je le suis toujours. »
Il y a aussi un bon chapitre sur l’expérience pédagogique de Guy Freixe en 2022, au Pôle culturel Djaram’arts au Sénégal en pleine brousse au Sud de Dakar. Avec une réflexion de haut niveau sur la tradition du masque en Occident où l’église catholique en avait strictement interdit l’usage, et un pays comme Bali où le masque est l’équivalent du rôle. Masques balinais, rappelle Guy Freixe, que Peter Brook utilisa pour sa fameuse Conférence des Oiseaux au festival d’Avignon en 79. « Après l’entraînement du matin, les improvisations ont permis d’aborder plusieurs scènes d’auteur en y faisant souffler un vent de fantaisie et un grain de folie. »: merci Molière Alfred Jarry Bertolt Brecht… Guy Freixe cite aussi la fameuse phrase de Meyerhold disant que, grâce au masque, l’acteur devient auteur. Et avec une fabuleuse collection de masques, Guy Freixe aura permis avec ce stage, à de jeunes interprètes d’en découvrir la puissance inégalée et d’en libérer le rire…
Ce livre est richement illustré avec des séries de photos (dont de nombreuses réalisées par Christophe Loiseau) sur ce stage au Sénégal. Toutes significatives, notamment celles de demi-masques et masques entiers balinais absolument étonnantes! Ou celle du Veilleur dans l’Agamemnon d’Eschyle, avec un masque conçu par Francis Debey,qu’on peut voir sur la couverture. Comme le masque neutre, devenu historique, réalisé en papier mâché par Marie-Hélène et son mari Jean, Dasté au début du XX ème siècle pour l’école du Théâtre du Vieux-Colombier où ils furent élèves et que dirigea Jacques Copeau (1879-1949) le père de Marie-Hélène. Un masque que reprit le grand Jacques Lecoq (1921-1999) qui suivit les cours de Jean Dasté. Et à côté, le célèbre masque neutre en cuir d’Amleto Sartori en 1951, grand sculpteur italien (1915-1962). Il conçut aussi celui d’Arlequin, serviteur de deux maîtres, pour la pièce éponyme de Carlo Goldoni, dans la mise en scène-culte de Giorgio Strehler.
L’auteur apporte ici sa pierre à une histoire vivante du théâtre contemporain, surtout celui de la fin du XX ème siècle.
La filiation théâtrale avec entre autres, l’histoire de la transmission du jeu masqué, ici nettement mise en valeur.
Elle fait partie d’un enseignement bien compris du théâtre, dans la mesure où elle permet aux élèves d’avoir une réflexion sur le temps et de l’espace scéniques, absolument irremplaçables...
Philippe du Vignal
Editions Deuxième époque, collection Les Voies de l’acteur dirigée par Patrick Pezin. 28 €.