Festival de l’Hydre III par la compagnie Le K-Simon Falguières et les Bernards-L’Hermite


Festival de l’Hydre III par la compagnie Le K-Simon Falguières et l’association des Bernards L’Hermite

 Nous avons découvert cette fabrique théâtrale installée à Saint-Pierre d’Entremont (Orne) en rase campagne, dans un ancien moulin pour son deuxième festival (voir Le Théâtre du blog). Depuis, le chantier a bien avancé et se poursuit. L’ancienne usine rénovée a maintenant ses espaces de répétition,  montage et stockage de décors. Elle compte sept chambres, deux salles de bain et un dortoir pour accueillir les artistes en résidence.

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Cette année, vingt-trois compagnies, pour moitié implantées en Normandie, sont venues y répéter. En face, les anciens bureaux du moulin, transformés en lieu d’habitation, abritent six personnes en permanence dont Simon Falguières et le directeur technique de la compagnie le K. Ce collectif d’«artistes-bâtisseurs» mène de front la création de spectacles et la construction, à terme, d’un théâtre, ouvert hiver comme été. Simon Falguières le rêve, ouvrant sur les falaises, la rivière et la forêt de ce vallon. Parallèlement, la réfection de la roue motrice du moulin pour produire de l’électricité, nécessite de gros travaux comme entre autres, la mise en eau de l’ancien bief menant à la turbine. La vente du courant à E.D.F. permettra de couvrir les frais de chauffage. L’inauguration de cette fabrique réunissant les différents corps de métiers du spectacle est prévue vers 2029, le temps de trouver les fonds nécessaires…

 Le K n’est pas en marge de l’institution théâtrale et est associée aux Centres dramatiques Nationaux de Vire, Caen et Nanterre. Mais elle entend bien préserver son autonomie artistique: «La seule façon de repenser la décentralisation, dit Simon Falguières, est de vivre localement. » Depuis son installation au moulin, sa compagnie organise des ateliers d’écriture et pratique théâtrale amateur, avec l’appui des communes avoisinantes: Cerisy-Belle-Étoile, Saint-Pierre d’Entremont et Flers, la ville la plus proche. Écoles et collèges y participent aussi.
Nombreux sont les habitants des villages alentour qui adhèrent au projet et se réjouissent de voir naître un bar associatif, là où tous les bistrots ont fermé, et de participer aux stages de théâtre, un week-end par mois. Certains collaborent au chantier pour construire un muret ou donner un coup de main lors des manifestations. Quatre-vingt bénévoles assurent aussi cette année la bonne marche du festival: accueil, manutention, cuisine, parking, bar… Cette fois-ci, le festival a lieu en extérieur et sur deux scènes. Le prix d’entrée libre vaut adhésion à l’association des Bernards-L’Hermite. Pour une somme modique, on peut manger sur place: bar et crêperie ne désemplissent pas…
Les six membres permanents de la compagnie déterminent ensemble le programme des festivités et veillent à la mixité, en accueillant «des femmes avec des paroles relatives à leur combat ». Au programme : spectacles, concerts et Molière, la nouvelle pièce de Simon Falguières.


Sillages


© Mireille Davidovici

© Mireille Davidovici

Quentin Beaufils et Léo Ricordel, acrobates trampolinistes, accompagnés par la violoniste Zoé Kammarti, bondissent sur une piste circulaire. Avec élégance, ils se croisent, grimpent sur les épaules l’un de l’autre. Des voix viennent donner sens à leurs déambulations : réflexions d’adultes sur le sens de l’existence, et d’enfants enregistrées à l’école élémentaire de Cerisy.
Quand la musicienne rejoint les circassiens sur leur agrès, la navigation se complexifie entre opposition et échappées solitaires… Ce premier spectacle de trente minutes sera étoffé en une forme plus longue pour la scène.

Va Aimer !

 

©Xavier Tesson

©Xavier Tesson

Eva Rami convoque son double: Elsa Ravi. Au rythme effréné des aventures de cet alter ego, elle incarne père, mère, grands-mères mais aussi l’institutrice et ses meilleures copines. Elsa Ravi remonte ainsi vers les traumatismes de son enfance, trop longtemps enfouis. L’autrice et comédienne excelle à changer de corps et de voix. Avec énergie et drôlerie, elle dénonce le viol et l’inceste qu’elle a subis, lors d’un faux procès qui fait écho à toutes celles qui osent aujourd’hui prendre la parole. Après un Molière et le festival d’Avignon cette année, Va aimer est repris cet automne au théâtre de la Pépinière à Paris.

Danube

 

©Xavier Tesson

©Xavier Tesson

Mathias Zakhardonne corps et voix à son Journal de voyage écrit en 2017, pour les Croquis de voyage à l’École du Nord où il était élève-comédien. Suivant le cours du Danube, il remonte aussi le fil de son histoire familiale. (voir Le Théâtre du blog). Un mois durant, il traverse l’Europe, en train, bateau, stop… de la source, à l’embouchure du fleuve (« Le petit robinet est devenu une bouche où le Danube se perd. »Au terme du parcours, arrivé au kilomètre zéro, paradoxalement là où le fleuve se jette dans la mer après 2.882 kilomètres, il conclut : «Le voyage est une longue quête vers un moi qui ne m’appartient pas.»
À l’heure où l’Europe vacille, l’histoire des peuples meurtris par les totalitarismes passés et à venir, a nourri une nouvelle version de Danube. A partir d’un texte initial, Mathias Zakhar a pris des chemins de traverse un peu hasardeux et surtout n’a pas trouvé le juste rythme. Mais il aura le temps de peaufiner ce solo pour le jouer en tournée organisée par le Théâtre des Amandiers à Nanterre.

Molière et ses masques texte, mise en scène et scénographie de Simon Falguières

©Compagnie le K

©Compagnie le K

En une heure vingt, « La vie glorieuse et pathétique du célèbre Molière. Une vie romancée, inventée, mensongère sur ce que nous inspire le plus connu des chefs de troupe français. Nous ne sommes pas Molière mais notre art est le même.» Six interprètes-«pour donner la sensation de troupe», dit Simon Falguières, jouent sur d’étroits tréteaux, sans effets de lumière, en costumes de tout style, puisés par Lucile Charvet dans les stocks de la compagnie. Les rideaux de scène blancs flottant au vent sont les voiles d’un radeau imaginaire.

Dans la première partie, Farce rêvée sur la vie et la mort de Molière, l’auteur reconstitue l’enfance du dramaturge et ses douze ans de vie théâtrale errante et dans la seconde, il récapitule, devant le dramaturge mort en scène dans Le Malade imaginaire, les épisodes de sa carrière parisienne, avec les aléas dûs à sa condition de courtisan. «Finie la liberté, l’artiste de théâtre mange dans les mains du Pouvoir.»
Quand Molière se rêvait tragédien, il reste condamné à la comédie, son terrain d’excellence. Simon Falguières réécrit en saynètes L’Étourdi ou les contretemps, premier succès de la troupe et le met en scène, façon commedia dell’arte avec masques et perruques. Victoire Goupil, grimée en Mascarille, mène un train d’enfer à ses partenaires et sera, tout au long de la pièce, l’éternel valet impertinent, tenant tête à ses maîtres sur scène, et à Molière, à la ville.

Quand Jean-Baptiste Poquelin dit Molière chasse «ses masques » pour monter Nicomède de Pierre Corneille-un fiasco- il les rappelle à l’entracte, pour sauver, grâce au rire, ce spectacle donné devant le Roi et toute la Cour.
Simon Falguières s’en donne à cœur joie dans cette version burlesque où il tourne en ridicule la fable politique de Corneille. Il convoque aussi Panoramix pour une brève leçon d’histoire de France façon B.D., où Dupont (Antonin Chalon) et Dupont (Charly Fournier) se font les historiographes de Molière.
Ces transfuges de Tintin nous dévoilent les intrigues de palais, depuis Henri lV. Anne d’Autriche (Manon Rey) se métamorphose en Louis XIV. Louis de Villers est Marie de Médicis, Victoire Goupil, Richelieu. Et Antonin Chalon, Philippe d’Orléans. En supplément à cette farce, Simon Falguières donne quelques petits coups de griffe aux puissants d’hier et d’aujourd’hui, comme Molière savait déjà le faire.

Les changements de rôle et costume ne ralentissent pas un rythme trépidant et, aux côtés de ses partenaires multicartes, Anne Duverneuil est un Molière dynamique, ambitieux mais est aussi le mari jaloux de la jeune Armande (Charly Founier). Il se moque aussi de lui-même en vieillard dans L’Ecole de femmes et est l’homme émouvant qui restera fidèle à Madeleine (Victoire Goupil), son inspiratrice, jusqu’à son dernier souffle. Ses déboires amoureux et politiques se traduisent par une courte tirade du Misanthrope…

Cette pièce courte, enjouée, impertinente à la Molière, a été conçue pour l’itinérance comme celle de son modèle. La compagnie K envisage une tournée par les villages, et, au printemps, ira à pied, du Moulin de l’Hydre jusqu’à Caen, décor et costumes mis sur une charrette tirée par des chevaux. Les saltimbanques joueront à toutes les étapes, en plein air ou à couvert en cas de pluie, et  organiseront des ateliers d’écriture.

Avec Molière (titre provisoire), la compagnie K entame un nouveau cycle dans l’esprit de la décentralisation: «Molière sera la première pierre, dit Simon Falguières. (…).  Le rêve serait de monter, entre 2025 et 2027, un feuilleton de quatre pièces où Sganarelle aurait le rôle principal, celui que jouait toujours Molière. (…) Une tragicomédie sur le chemin pathétique du personnage comique le plus célèbre du théâtre français.
En attendant, l’auteur-metteur en scène poursuit l’écriture d’un prochain spectacle qu’il annonce plutôt sombre, comme l’air du temps… La troupe répète déjà, au fur et à mesure de l’avancée de l’écriture. Il verra le jour, l’année prochaine au Théâtre de la Cité à Toulouse.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 6 septembre, au Moulin de l’Hydre, au lieu-dit Les Vaux, Saint-Pierre d’Entremont(Orne). Jusqu’au 14 septembre, représentations autour du Moulin de l’Hydre, dans le cadre de l’été culturel.

Du 23 au 29 septembre, à Transversales-Scène Conventionnée de Verdun (Meuse). Et de novembre 2024 au printemps prochain, dans l’Orne, l’Eure, à Flers Agglo, Bernay, SNA 27, et à la Comédie de Caen (Calvados). A suivre…

Pour soutenir la construction de la Fabrique théâtrale : helloasso.com/assocations/les-bernards-l-hermite

 Danube, du 27 janvier au 2 février, tournée itinérante organisée par le Théâtre des Amandiers à Nanterre (Hauts-de-Seine).

Va aimer, du 23 septembre au 11 novembre, Théâtre de la Pépinière, Paris ( II ème).


Archive pour 10 septembre, 2024

Un Conte d’hiver de William Shakespeare, mise en scène de Julie Delille

Le Conte d’hiver de William Shakespeare, traduction et adaptation de Bernard-Marie Koltèes, mise en scène de Julie Delille

 

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Julie Delille, directrice du Théâtre du Peuple succède à Simon Delétang et est la première femme nommée à la tête de ce lieu légendaire qui fêtera ses cent trente ans l’an prochain! Niché dans les Vosges et classé Monument historique depuis 76, il a été fondé en 1895 par l’écrivain Maurice Pottecher.  Avec, pour devise inscrite sur le cadre de scène côté cour: Par l’art, et côté jardin: Pour l’humanité». La metteuse en scène a découvert cet endroit féérique après en avoir longtemps rêvé.

C’est sa première création ici, et dans le répertoire classique. Julie Delille nous avait surpris et fascinés par ses adaptations d’œuvres littéraires ou/et poétiques contemporaines: Je suis La Bête, d’Anne Sibran ou récemment, Le Métier du Temps -La Jeune Parque et La très Jeune Parque (abordable dès 6 ans) d’Aix Fournier-Pittalugal autour d’œuvres de Paul Valéry.

Réfléchir sur la société, la culture d’aujourd’hui, son rapport à la nature et sur l’avenir : «Toutes ces questions qui traversent notre monde sont très prégnantes à Bussang, comme la relation au vivant, les enjeux écologiques, la ruralité. » Sa pensée artistique s’est nourrie des lectures de la philosophe Arne Naess et de poètes comme Edouard Glissant, Paul Valéry…  « Je voudrais que ce théâtre, dit-elle, soit un lieu de pensée et un espace poétique préservé, un abri où il est possible de prendre le temps, d’avoir une relation avec des œuvres de l’esprit, comme une réponse éventuelle aux crises que nous traversons. »Faire vivre le Théâtre du Peuple sous le signe du partage entre le public, les artistes et techniciens, cette volonté socio-politique est devenue réalité. 

 « Le Conte dhiver, dit-elle, a été une évidence pour ce lieu et pour moi; on le monte avec des professionnels et des amateurs, on l’accompagne et l’objet va se finaliser avec le regard et l’âme du public. » Les répétitions lui sont étaient ouvertes, ce qui est rare  dans une création ! Pour Julie Delille, c’est une manière de faire relation avec soi,  les autres, la nature et l’œuvre : « La résonance, c’est un chant de mésange qui nous va droit au cœur. (…) C’est être ensemble en petit peuple dans le silence et dans le lieu. »  A la fin de spectacle, moment rituel, splendide et unique, l’ouverture du fond de scène sur la forêt marque bien le lien incontournable et vital, pour la metteuse en scène, entre Culture et Nature.

 

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Cette tragi-comédie, (1610), une des dernières pièces de William Shakespeare, n’est pas la plus jouée. Leontes et Hermione sont roi et reine du royaume de Sicile. Ils ont un premier fils Mamilius et attendent un second enfant.
Polixènes, roi de Bohème, lui, a un fils: Florizène. Ces monarques, frères de cœur, ont grandi ensemble mais les responsabilités de l’âge adulte les ont éloignent. La pièce commence avec le retour de Polixènes en Sicile où, depuis neuf mois la fête bat son plein, mais elle va bientôt  s’assombrir .. Polixènes annonce qu’il va retourner dans sa Bohême mais ses hôtes le pressent pour rester. En même temps, un doute s’insinue chez  roi Léontes. Que signifient les gestes spontanés d’Hermione envers Polixènes, son invité : des mains se touchent légèrement et il y a des regards et rires complices…
Léontes : «Et le pied qui chevauche le pied ? Les cachotteries dans les coins? Vouloir que l’horloge aille moins vite, que les heures soient des minutes, que midi soit minuit. Vouloir que le monde entier soit aveugle, sauf soi-même, afin de pouvoir faire tranquillement le mal à l’abri des regards ? Tout cela n’existe pas? Alors l’univers et tout ce qu’il contient,  n’existe pas, le ciel qui nous recouvre, n’existe pas, Bohême n’est rien, ma femme n’est rien et il n’y a rien dans ces riens, si ça n’est rien.

 Bref, la jalousie s’empare du roi et ne le lâchera plus. Qui est le père de l’enfant qu’attend Hermione ? La démence du souverain provoque la fuite de Polixènes. Mais Leontes ordonne au fidèle seigneur sicilien Camillo, de retrouver et d’éliminer son frère de cœur.
Suivront des actes innommables : le jeune prince de Sicile, Mamilius est arraché à sa mère qui, elle-même, est aussitôt emprisonnée et la petite fille dont elle accouche dans sa cellule, est abandonnée sur une plage.

©Jean-Louis Fernandez

©Jean-Louis Fernandez

Rien ne vient apaiser la rage et l’aveuglement de Léontes. Face à son délire destructeur,  un oracle d’Apollon proclame l’innocence de la reine: «Hermione est chaste, Polixène irréprochable et Camillo est un sujet loyal, Léontes, un tyran et son enfant innocente est légitime. Le roi vivra sans héritier, si ce qui est perdu, n’est pas retrouvé. » Mais cet oracle restera vain. Et Ceux qui sont frappés par la folie de Leontes seront tués! Comme son épouse la Reine et son fils Mamilius.
Dans une solitude extrême, le roi verra son existence anéantie, conscient d’être le seul coupable de sa ruine! Mais le Temps, comme un magicien, opère. Seize ans plus tard en Bohême, Perdita l’enfant abandonnée, a été recueillie par un berger et son fils. Ravissante, la jeune fille ignore tout de sa royale naissance.

Le beau et jeune Florizel, fils du roi de Bohême, se fiance à elle. Polixène, fou de colère que son fils soit amoureux d’une bergère, promet de terribles châtiments à Perdita et à sa famille et ordonne à son fils de plus jamais la revoir. Les jeunes gens sont effondrés.
Heureusement, Camillo, à nouveau là, organise leur fuite en Sicile. La puissance de l’amour et l’envie, coûte que coûte, de vivre son idéal, trait merveilleux de la jeunesse, vont triompher. Après l’hiver, le printemps ! L’éternel retour. ..

 La metteuse en scène a choisi la traduction et l’adaptation de Bernard-Marie Koltès, comme Luc Bondy en 88. «J’avais peur d’aborder Shakespeare. Je tenais à la traduction (apocryphe) de Bernard-Marie Koltès. Il y a là, un geste sensible et singulier d’écrivain et c’est aussi pour cela, qu’elle a été mal reçue à l’époque.» La prose et le chant de cet écrivain produisent chez le lecteur et le public, une réception sensible, plus directe et charnelle et le texte, allégé, conserve toute la poétique de William Shakespeare dans sa profondeur et ses énigmes.

Le vivant et la théâtralité naissent ici à la source de la sève des mots et des multiples possibilités de signification. Le lieu entre aussi en parfait dialogue avec cette tragi-comédie. La scénographie de Clémence Delille, pleine d’esprit s’inscrit en complicité esthétique avec l’espace intérieur et extérieur du Théâtre du Peuple et l’écriture de la pièce. Des châssis de bois mobiles pour figurer en trompe-l’œil les façades du Palais, sont ensuite un dédale où le roi s’égare, emporté par la folie !

La metteuse en scène a fait du personnage de Leontes, roi de Sicile, interprété merveilleusement par Baptiste Rellat, le point central de cette histoire. Elle en offre au public une réception claire en imposant la puissance tragique, à partir du seul personnage de Leontes. La roue de la fortune, si chère à Wiliam Shakespeare, est en marche ! 

L’imaginaire et la recherche poétique du beau prennent ici racine dans l’intériorité. Cet espace poétique nous ouvre une réflexion intime, complexe et pulsionnelle de l’être humain et du texte. Le beau monologue de Leontes, au début, en est le reflet : « Je vais à la pêche mais vous ne voyez pas l’hameçon. Allez-y, allez-y. La manière dont elle lui tend son bec, son museau; elle l’allume, exactement comme une femme ferait avec son mari.  (…) Plutôt réconfortant de savoir que d’autres que moi possèdent des chambres, dont les portes s’ouvrent sans leur permission. Si tous ceux que leur femme trompe désespéraient, un homme sur dix serait pendu. Pas de remède, pas de remède : cette planète est une maquerelle, elle nous tient, elle nous possède de l’Est à l’Ouest, et du Nord au Sud. Conclusion : il n’existe pas de verrou pour le ventre d’une femme. »

© Jérôme Humbrecht

© Jérôme Humbrecht

Direction du jeu hors pair et il y a ici un choix esthétique d’orienter la sensibilité du public et des interprètes vers une écoute intérieure de la langue shakespearienne, au plus près de la création. Les professionnels comme les amateurs de la troupe permanente sont tous remarquables.
Laurence Cordier joue brillamment à la fois Hermione et Perdita. Incroyable de sincérité à tel point qu’on a du mal à voir qu’une seule actrice les interprète. Laurent Desponds (Polixènes) met magnifiquement en lumière les personnalités opposées des deux rois.

Elise de Gaudemaris incarne Paulina qui a un sang-froid et une force de tempérament au risque de sa vie et nous admirons son courage.  Baptiste Relat (Léontes fou de jalousie et blessé à mort) est extraordinaire de sensibilité et bouleversant. Le Berger, est joué par celui qui, a plusieurs années, dirigé le bar du théâtre et qui a eu envie de monter sur les planches. Il nous ravit dans une scène ludique où les moutons sont aussi  d’excellents acteurs ! 

Julie Delille a  fabriqué avec ingéniosité, cinq «bulles », un terme trouvé, pendant les  répétitions, où elle met en relief des situations cruciales dans la fiction et sa représentation. Dès l’entrée des spectateurs, a lieu « la bulle de la fête » en l’honneur de l’invité, le roi de Bohême. Sur une composition remarquable pour orgue de Julien Lepreux, la séquence se répète trois fois et  retient l’attention par sa beauté et son côté festif.
La répétition de cette  » bulle » agit ici sur notre concentration et notre émotion. Le spectacle à peine commencé, nous nous sentons, aussitôt pris à témoin par ce qui s’y passe. Lors d’une crise violente de Léontes, une « bulle de la jalousie» est un des moments forts cette création. Sous une lumière à la fois sombre et irréelle, Léontes erre dans son château labyrinthique, perdu en lui-même, fou de rage et jalousie.
Le monde des ténèbres rôde en silence et laisse jaillir chez  Léontes, de terribles hallucinations. Ou encore dans cette «bulle de la chambre de la reine »,  avec ses suivantes et son fils Mamilius, Et la « bulle de la tristesse » où il fait boire à son fils, jeune Prince de Sicile, le breuvage mortel.
Puis la « Bulle de l’accouchement» dans la prison-contexte atroce-du second enfant de la Reine, et enfin, celle du voyage sur le navire du retour en Sicile… Julie Delille a eu pour ces Bulles, l’idée pour en marquer l’espace théâtral, de le faire jouer dans une loge de théâtre). 

La création sonore et la musique de Julien Lepreux sont d’une invention remarquable. Ils semblent comme venus du plateau mais leur source en est invisible, créent ainsi un effet dramatique  concentré et fascinant. La musique acousmatique difficile à intégrer dans la pièce, est là  tout au long du spectacle, sauf dans les moments de folie de Léontes. Elle se manifeste de façon sourde ou violente comme un fragment existentiel venu du fond des âges et qui explose.
La musique à l’orgue est en parfaite communion avec le mystère, le sacré, l’angoisse ici admirablement mis en vie. Le traitement du temps est aussi d’une grande subtilité et le public se trouve  dans une autre dimension où le Temps semble en permanence sous tension et comme dilaté. Le texte dialogue avec la lumière ingénieuse d’Elsa Revol, l’espace, le son, la musique… Ils se répondent et s’harmonisent en grande intelligence et sensibilité. Le public fasciné, ne voit pas le temps passer…

Un souffle dyonisiaque puissant traverse la création de cette artiste qui veut  rassembler diverses sensibilités humaines et esthétiques et laisser surgir l’humanité dans ses plus grandes folies. Julie Delille rappelle le sens du titre: Conte dhiver: « Une histoire qu’on arrive pas à croire» ! Pari réussi. Ce spectacle crée le trouble et met en valeur la lutte entre l’irrationnel et la raison, mais aussi l’art du théâtre. Inoubliable,  comme le Théâtre du Peuple !    

Elisabeth Naud 

 Spectacle vu au Théâtre du Peuple, à Bussang (Vosges) et joué du 20 juillet au 31 août.

 

Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques (suite et fin définitives))

Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques (treizième épisode avant le quatorzième:suite et fin définitive du feuilleton!)

La vasque se place sous le signe d’Héraclite d’Ephèse (544-480 av. J.C) sous le signe des quatre éléments: l’Eau (la Seine), la Terre (les Tuileries), puis le Feu (la vasque embrasée) et enfin l’Air avec l’envol du Feu. La Seine sera restée le personnage essentiel de la cérémonie. « Pour des baigneurs entrant dans les mêmes fleuves, d’autres et d’autres eaux couleront dessus. » écrivait Héraclite.

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Mais le fleuve change sans cesse, même s’il reste le même par son seul nom qui assure  une permanence. »Paris change, qu’est-ce qui reste le plus semblable à soi-même ? Evidemment, la Seine.
Il restera aussi longtemps, que nous continuerons à appeler la Seine par son nom. » Mais y a-t-il un rapport entre le nom et la chose, entre le devenir et la permanence ?
Le fleuve puissant est un flux, et pour survivre, il faut naviguer, choisir des directions  à  travers la masse des courants. Comme les bateaux des athlètes, ou le cheval mécanique qui, lui, a été  dirigé à la corde.

Le fameux : « Je est un autre » d’Arthur  Rimbaud pourrait se prolonger en « l’autre est sans cesse autre ». L’individu et le fleuve participent du même flux. Et la tempête concerne à la fois l’individu: devenir autre est une tempête au ralenti) et les courants impliquent des tempêtes basses. « Fluctuat nec mergitur », devise de la capitale (elle est ballotée mais ne coule pas) le dit bien: on résiste à la tempête pour mieux en tirer bénéfice. Cela concerne les Parisiens mais aussi l’humanité toute entière. Vivre est dangereux et la tempête du fleuve envahit le parquet des danseurs, les secoue, les soulève, les épuise, avant de les jeter au sol.

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Au Trocadéro, un bateau s’apprête à fendre raverser le chaos du fleuve, avec des passagers légendaires. Zinedine Zidane, tout sourire,  réapparait comme si de rien n’était. Comme le porteur masqué de la flamme qui lui, revient à la surface et donne la flamme à Zinedine Zidane. Rafael Nadal, radieux en veste rouge, se dirige vers lui. Ils s’étreignent. Un simple mais très  grand moment. Rafael Nadal repartira avec la flamme vers le quai…

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©x Carl Lewis

©x Rafael Nadal

©x Rafael Nadal

Soudain des inventions lumineuse jouent sur la Tour Eiffel avec des figures autonomes  non figuratives… Des flammèches noires montent et descendent de la Tour qui disparait un moment sous des lignes vertes s’entrecroisant. Puis un bouquet de lignes bleues semble en sortir… Cela ressemble aux œuvres du réalisateur canadien Norman McLaren (1914-1987) qui a utilisé de nombreuses techniques de création sans caméra : grattage de pellicule, peinture sur pellicule, pixilation, stop motion, dessin animé…

Une vedette fonce dans la nuit venteuse, avec à son bord, quatre personnages légendaires: Carl Lewis (saut en longueur), Serena Williams et Rafael Nadal (tennis), Nadi Comenaci (gymnastique). Tant de gloires dans un aussi petit espace…. Le passé des uns rejoint en flèche le présent des autres et l’illumine.

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©x Serena Williams

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Comme un relais de flamme d’un type particulier: mezzo voce, Céline Dion prolonge Piaf et au volume que traverse le ballon, correspond celui de sa voix. « Le ballon qui soulève la vasque, dit Ariane Dollfus, journaliste, n’est pas une montgolfière mais un ballon à gaz, inventé par le physicien Jacques Charles (1746-1823) et son premier envol eut lieu en 1783…

La flamme olympique passe de main en main et les relais deviennent plus rapides, comme des battements de cœur. Les Gadeloupéens, Marie-Jo Perec championne olympique il y a trente ans, et maintenant le judoka Teddy Riner allument le feu de l’immense vasque reliée à la montgolfière par de nombreux filins. Le feu d’abord jaune, vire à l’or.

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Cette vasque que Mathieu Lehanneur, designeur, a créée, s’envole lentement en majesté dans la nuit de Paris.  Plus de cent ingénieurs, techniciens, spécialistes de l’acier recyclé et des systèmes de brûlage participèrent à sa fabrication.
Il a conçu également la torche et selon lui  » la couleur très douce résulte de la fusion de l’or, de l’argent et du bronze ». Je me sers de connaissances sur la composition de l’air et la transformation des matériaux. Un objet n’est pas quelque chose de statique. »
Pour cet inventeur « héraclitéen », la vasque associe le feu, l’air, l’eau et la terre. Et selon le philosophe grec, la circulation de ces quatre éléments rythme la vie.

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La voix humaine module l’air et nous entendons L’Hymne à l’amour interprété par Céline Dion.
Empédocle parlait ainsi de l’amour: »C’est pour Aphrodite qu’ils entretiennent des pensées d’amour et qu’ils accomplissent des œuvres de solidarité, la nommant du nom de la Joyeuse, ou encore : Aphrodite.
Elle les entraîne dans sa danse, et pourtant nul ne l’a connue, nul homme mortel. »


Bernard Rémy


 

 

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