Festival de l’Hydre III par la compagnie Le K-Simon Falguières et les Bernards-L’Hermite
Festival de l’Hydre III par la compagnie Le K-Simon Falguières et l’association des Bernards L’Hermite
Nous avons découvert cette fabrique théâtrale installée à Saint-Pierre d’Entremont (Orne) en rase campagne, dans un ancien moulin pour son deuxième festival (voir Le Théâtre du blog). Depuis, le chantier a bien avancé et se poursuit. L’ancienne usine rénovée a maintenant ses espaces de répétition, montage et stockage de décors. Elle compte sept chambres, deux salles de bain et un dortoir pour accueillir les artistes en résidence.
Cette année, vingt-trois compagnies, pour moitié implantées en Normandie, sont venues y répéter. En face, les anciens bureaux du moulin, transformés en lieu d’habitation, abritent six personnes en permanence dont Simon Falguières et le directeur technique de la compagnie le K. Ce collectif d’«artistes-bâtisseurs» mène de front la création de spectacles et la construction, à terme, d’un théâtre, ouvert hiver comme été. Simon Falguières le rêve, ouvrant sur les falaises, la rivière et la forêt de ce vallon. Parallèlement, la réfection de la roue motrice du moulin pour produire de l’électricité, nécessite de gros travaux comme entre autres, la mise en eau de l’ancien bief menant à la turbine. La vente du courant à E.D.F. permettra de couvrir les frais de chauffage. L’inauguration de cette fabrique réunissant les différents corps de métiers du spectacle est prévue vers 2029, le temps de trouver les fonds nécessaires…
Le K n’est pas en marge de l’institution théâtrale et est associée aux Centres dramatiques Nationaux de Vire, Caen et Nanterre. Mais elle entend bien préserver son autonomie artistique: «La seule façon de repenser la décentralisation, dit Simon Falguières, est de vivre localement. » Depuis son installation au moulin, sa compagnie organise des ateliers d’écriture et pratique théâtrale amateur, avec l’appui des communes avoisinantes: Cerisy-Belle-Étoile, Saint-Pierre d’Entremont et Flers, la ville la plus proche. Écoles et collèges y participent aussi.
Nombreux sont les habitants des villages alentour qui adhèrent au projet et se réjouissent de voir naître un bar associatif, là où tous les bistrots ont fermé, et de participer aux stages de théâtre, un week-end par mois. Certains collaborent au chantier pour construire un muret ou donner un coup de main lors des manifestations. Quatre-vingt bénévoles assurent aussi cette année la bonne marche du festival: accueil, manutention, cuisine, parking, bar… Cette fois-ci, le festival a lieu en extérieur et sur deux scènes. Le prix d’entrée libre vaut adhésion à l’association des Bernards-L’Hermite. Pour une somme modique, on peut manger sur place: bar et crêperie ne désemplissent pas…
Les six membres permanents de la compagnie déterminent ensemble le programme des festivités et veillent à la mixité, en accueillant «des femmes avec des paroles relatives à leur combat ». Au programme : spectacles, concerts et Molière, la nouvelle pièce de Simon Falguières.
Sillages
Quentin Beaufils et Léo Ricordel, acrobates trampolinistes, accompagnés par la violoniste Zoé Kammarti, bondissent sur une piste circulaire. Avec élégance, ils se croisent, grimpent sur les épaules l’un de l’autre. Des voix viennent donner sens à leurs déambulations : réflexions d’adultes sur le sens de l’existence, et d’enfants enregistrées à l’école élémentaire de Cerisy.
Quand la musicienne rejoint les circassiens sur leur agrès, la navigation se complexifie entre opposition et échappées solitaires… Ce premier spectacle de trente minutes sera étoffé en une forme plus longue pour la scène.
Va Aimer !
Eva Rami convoque son double: Elsa Ravi. Au rythme effréné des aventures de cet alter ego, elle incarne père, mère, grands-mères mais aussi l’institutrice et ses meilleures copines. Elsa Ravi remonte ainsi vers les traumatismes de son enfance, trop longtemps enfouis. L’autrice et comédienne excelle à changer de corps et de voix. Avec énergie et drôlerie, elle dénonce le viol et l’inceste qu’elle a subis, lors d’un faux procès qui fait écho à toutes celles qui osent aujourd’hui prendre la parole. Après un Molière et le festival d’Avignon cette année, Va aimer est repris cet automne au théâtre de la Pépinière à Paris.
Danube
Mathias Zakhardonne corps et voix à son Journal de voyage écrit en 2017, pour les Croquis de voyage à l’École du Nord où il était élève-comédien. Suivant le cours du Danube, il remonte aussi le fil de son histoire familiale. (voir Le Théâtre du blog). Un mois durant, il traverse l’Europe, en train, bateau, stop… de la source, à l’embouchure du fleuve (« Le petit robinet est devenu une bouche où le Danube se perd. »Au terme du parcours, arrivé au kilomètre zéro, paradoxalement là où le fleuve se jette dans la mer après 2.882 kilomètres, il conclut : «Le voyage est une longue quête vers un moi qui ne m’appartient pas.»
À l’heure où l’Europe vacille, l’histoire des peuples meurtris par les totalitarismes passés et à venir, a nourri une nouvelle version de Danube. A partir d’un texte initial, Mathias Zakhar a pris des chemins de traverse un peu hasardeux et surtout n’a pas trouvé le juste rythme. Mais il aura le temps de peaufiner ce solo pour le jouer en tournée organisée par le Théâtre des Amandiers à Nanterre.
Molière et ses masques texte, mise en scène et scénographie de Simon Falguières
En une heure vingt, « La vie glorieuse et pathétique du célèbre Molière. Une vie romancée, inventée, mensongère sur ce que nous inspire le plus connu des chefs de troupe français. Nous ne sommes pas Molière mais notre art est le même.» Six interprètes-«pour donner la sensation de troupe», dit Simon Falguières, jouent sur d’étroits tréteaux, sans effets de lumière, en costumes de tout style, puisés par Lucile Charvet dans les stocks de la compagnie. Les rideaux de scène blancs flottant au vent sont les voiles d’un radeau imaginaire.
Dans la première partie, Farce rêvée sur la vie et la mort de Molière, l’auteur reconstitue l’enfance du dramaturge et ses douze ans de vie théâtrale errante et dans la seconde, il récapitule, devant le dramaturge mort en scène dans Le Malade imaginaire, les épisodes de sa carrière parisienne, avec les aléas dûs à sa condition de courtisan. «Finie la liberté, l’artiste de théâtre mange dans les mains du Pouvoir.»
Quand Molière se rêvait tragédien, il reste condamné à la comédie, son terrain d’excellence. Simon Falguières réécrit en saynètes L’Étourdi ou les contretemps, premier succès de la troupe et le met en scène, façon commedia dell’arte avec masques et perruques. Victoire Goupil, grimée en Mascarille, mène un train d’enfer à ses partenaires et sera, tout au long de la pièce, l’éternel valet impertinent, tenant tête à ses maîtres sur scène, et à Molière, à la ville.
Quand Jean-Baptiste Poquelin dit Molière chasse «ses masques » pour monter Nicomède de Pierre Corneille-un fiasco- il les rappelle à l’entracte, pour sauver, grâce au rire, ce spectacle donné devant le Roi et toute la Cour.
Simon Falguières s’en donne à cœur joie dans cette version burlesque où il tourne en ridicule la fable politique de Corneille. Il convoque aussi Panoramix pour une brève leçon d’histoire de France façon B.D., où Dupont (Antonin Chalon) et Dupont (Charly Fournier) se font les historiographes de Molière.
Ces transfuges de Tintin nous dévoilent les intrigues de palais, depuis Henri lV. Anne d’Autriche (Manon Rey) se métamorphose en Louis XIV. Louis de Villers est Marie de Médicis, Victoire Goupil, Richelieu. Et Antonin Chalon, Philippe d’Orléans. En supplément à cette farce, Simon Falguières donne quelques petits coups de griffe aux puissants d’hier et d’aujourd’hui, comme Molière savait déjà le faire.
Les changements de rôle et costume ne ralentissent pas un rythme trépidant et, aux côtés de ses partenaires multicartes, Anne Duverneuil est un Molière dynamique, ambitieux mais est aussi le mari jaloux de la jeune Armande (Charly Founier). Il se moque aussi de lui-même en vieillard dans L’Ecole de femmes et est l’homme émouvant qui restera fidèle à Madeleine (Victoire Goupil), son inspiratrice, jusqu’à son dernier souffle. Ses déboires amoureux et politiques se traduisent par une courte tirade du Misanthrope…
Cette pièce courte, enjouée, impertinente à la Molière, a été conçue pour l’itinérance comme celle de son modèle. La compagnie K envisage une tournée par les villages, et, au printemps, ira à pied, du Moulin de l’Hydre jusqu’à Caen, décor et costumes mis sur une charrette tirée par des chevaux. Les saltimbanques joueront à toutes les étapes, en plein air ou à couvert en cas de pluie, et organiseront des ateliers d’écriture.
Avec Molière (titre provisoire), la compagnie K entame un nouveau cycle dans l’esprit de la décentralisation: «Molière sera la première pierre, dit Simon Falguières. (…). Le rêve serait de monter, entre 2025 et 2027, un feuilleton de quatre pièces où Sganarelle aurait le rôle principal, celui que jouait toujours Molière. (…) Une tragicomédie sur le chemin pathétique du personnage comique le plus célèbre du théâtre français.
En attendant, l’auteur-metteur en scène poursuit l’écriture d’un prochain spectacle qu’il annonce plutôt sombre, comme l’air du temps… La troupe répète déjà, au fur et à mesure de l’avancée de l’écriture. Il verra le jour, l’année prochaine au Théâtre de la Cité à Toulouse.
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 6 septembre, au Moulin de l’Hydre, au lieu-dit Les Vaux, Saint-Pierre d’Entremont(Orne). Jusqu’au 14 septembre, représentations autour du Moulin de l’Hydre, dans le cadre de l’été culturel.
Du 23 au 29 septembre, à Transversales-Scène Conventionnée de Verdun (Meuse). Et de novembre 2024 au printemps prochain, dans l’Orne, l’Eure, à Flers Agglo, Bernay, SNA 27, et à la Comédie de Caen (Calvados). A suivre…
Pour soutenir la construction de la Fabrique théâtrale : helloasso.com/assocations/les-bernards-l-hermite
Danube, du 27 janvier au 2 février, tournée itinérante organisée par le Théâtre des Amandiers à Nanterre (Hauts-de-Seine).
Va aimer, du 23 septembre au 11 novembre, Théâtre de la Pépinière, Paris ( II ème).