Les Femmes puissantes, pièce inspirée de L’Assemblée des Femmes d’Aristophane, mise en scène d’Hervée de Lafond, musique de William Sheller (tout public )​

Les Femmes puissantes, pièce inspirée de L’Assemblée des Femmes d’Aristophane, mise en scène d’Hervée de Lafond, musique de William Sheller (tout public )​

Une expérience inédite comme on les aime:  Hervée de Lafond est codirectrice avec Jacques Livchine du Théâtre de l’Unité à Audincourt (Doubs). Elle fait partie du trio du commisariat qui fait les choix artistiques pour Pays Montbéliard, Capitale Française de la Culture qui a financé ce projet de mise en scène…  « On n’arrive pas à croire, dit Jacques Livchine, qu’il y a 2.500 ans, un auteur du nom d’Aristophane parlait déjà du féminisme. On n’arrive pas à croire que 18.000 personnes se pressaient dans ce théâtre gallo-romain vers 50 après J.C. On n’arrive pas à croire que des mères de famille d’Audincourt et alentour réclament à Hervée de Lafond un apprentissage rapide du théâtre pour jouer et former un groupe qu’elles ont baptisé les Ambitieuses. On n’arrive pas à croire que le compositeur William Sheller, disque d’or,  ait accepté d’écrire gracieusement une musique de scène. »
Trente mères de famille, originaires du Pays de Montbéliard, ont répondu à l’appel et interprètent cette incroyable histoire d’une prise de pouvoir par les femmes… L‘Assemblée des femmes est une comédie satirique d’Aristophane vers 392 av. J.C., (en grecancien: Ἐκκλησιάζουσαι (celles qui siègent à l’assemblée) : ce participe présent est déjà un pied de nez à la vie politique puisque n’y siégeaient, que des des hommes)  

 

© Jean-Pierre Estournet

© Jean-Pierre Estournet

Un scénario simple mais avec une trentaine d’interprètes emmenées par Hervée de Lafond… A l’aube, des Athéniennes:  Adila Alkaoui, Samira Boulaya, Loubna Laroche, Aurélie Moussa avec le Choeur : Christelle Attard, Sylvie Bacquel-Negri, Delphine Braye, Aurélie Camelin, Line Fechmeister, Véronique Froidevaux, Audrey Gury, Nathalie Martin, Mélanie Maxant, Sylviane Osmont, Sandrine Pautrat, Arzu et Pervin Sakar, Joannies Schirck, Véronique Trottet et Agnès Vercey. Avec  Isaure Legrand et Elise Hudeley (les Choryphée).  Jacques Livchine (Blépyros) un peu plus âgé que le personnage original. L’e


Sous la houlette de Praxagora* (Aurélie Moussa), une femme intelligente et déterminée, elles se rassemblent sur la place publique. Excédées par le pouvoir de leur maris qui ne font rien, elles décident de prendre leur place à l’Assemblée, et de faire adopter les mesures nécessaires pour sauver la cité. Quand ils se réveillent, ils découvrent stupéfaits, les réformes qu’elles ont votées: plus de terres, maison ou argent personnels… donc une certaine forme de communisme avant la lettre. Et aussi le droit absolu pour les femmes-les plus laides et les plus âgées, forcément désavantagées, auront la priorité- de faire l’amour avec qui elles veulent.

Un mari, le jeune Bléphyros, qui a plus envie d’être au lit avec sa jeune femme, n’est pas d’accord sur ce choix prioritaire. Mais le soir, toutes fêteront ces réformes dans un grand banquet. Bref, du Mi-Tout pur porc, il y a plus de vingt siècles, avec un humour souvent féroce : «Elles se disputeront pour ne pas coucher avec toi. » Ou encore: « Elles ne pourront coucher avec les beaux garçons qu’après avoir accordé leurs faveurs aux laids et aux canards.» « Ceux qui coucheront dehors n’auront plus à craindre les voleurs car tous auront de quoi vivre. » Et le dramaturge ne craint pas la crudité des mots, comme cette réplique d’un jeune homme : «Es-tu donc une guenon toute enduite de blanc de céruse, ou une vieille ressuscitée de chez les morts ? 

Aristophane utilise la même veine comique: railleries, jeux sur des mots proches, répliques cinglantes… Mais de façon un peu différente que, dans ses autres pièces, comme La Paix, une satire antimilitariste contre qu’il écrivit vingt ans avant. Ici, il met en scène des Athéniennes qui n’ont pas un grand sens politique mais qui savent défendre leurs intérêts personnels. Le grand dramaturge, par moments, semble assez amer et avoir perdu ses illusions après la capitulation d’Athènes à la fin de la guerre du Péloponèse (404 av. J.-C.) et après la dégradation des institutions politiques.

Dans L’Assemblée des Femmes, il y nombre de courtes parodies des écrivains tragiques comme dans ses autres pièces…Et Aristophane se fait plaisir avec nombre de jeux de mots, entre autres les noms de famille et, à la fin, invente même un très long mot de soixante-dix syllabes pour décrire non un plat compliqué mais un long et savoureux menu de banquet qu’il faut intégralement citer : « patelles, saline, raie, mustelles, rémoulade de restants de cervelle assaisonnée de silphium et de fromage, grives arrosées de miel, merles, ramiers, bisets, coqs, friture de muges, bergeronnettes, pigeons, lièvres en forme d’ailes macérées dans du vin cuit. »
Cela se passe dans un théâtre gallo-romain (environ 15.000 places  du Ier siècle après J.C.) à Mandeure (Doubs) près d’Audincourt , et donc contemporain du Colisée à Rome. Découvert en 1819, objet de fouilles l’année suivante puis à partir de 1946.C’est le mplus grand théâtre gallo-romain connu avec 150 m. de diamètre mais les pierres des gradins ont disparu et c’est comme un émouvant fantôme de théâtre, surtout la nuit…


© Jean-Pierre Estournet

© Jean-Pierre Estournet

Temps incertain comme dit avec euphémisme, la météo. C’est à dire: pluie, vent, et un vrai froid insolite: 7° ! à 20h…  Donc, dur, dur mais les Dieux ont fait arrêter la pluie  cinq minutes après le début de la représentation. Mais tout est en place pour cette première: lumières, micros H.F… Hervée de Lafond a inversé le dispositif: ses quelque vingt-cinq actrices  en longues robe blanche- d’origine arabe ou européenne- mais toutes passionnées de théâtre pour y avoir consacré autant de leur temps et de leur énergie.  Un acteur ( Jacques Livchine) joue le seul homme de la pièce, habillé en femme mais le cul nu comme le veut le scénario, dans les hauteurs,  éclairé surtout par des braseros.

Le public est assis sur des bancs dans ce qui était l’ancienne orchestra. La metteuse en scène a prévenu: la pièce, courte (quarante-cinq minutes) est inspirée de L’Assemblée des Femmes. Mais s’il reste les scènes essentielles, elle a supprimé la dernière partie qui… n’est pas spécialement féministe et qu’elles et ses actrices ne supportaient pas de jouer.
Reste un côté mystérieux dans cette litanie de femmes montant dans ce qui reste de ce théâtre, comme les fantômes de celles qui ont dû autrefois s’asseoir sur les gradins en pierre. A l’époque où Mandeure était sans doute une cité importante, vu le nombre de places dans les gradins. Cela fait froid dans le dos: avec ou sans jeu de mots…
Un tableau savamment éclairé par des lumières douces, puis des torches, comme ceux n’ayons pas peur des noms, ceux il y a au moins trente ans, savait en créer le grand Robert Wilson. Tout est impeccablement réglé comme dans les nombreuses mises en scène qu’a réalisées Hervée de Lafond avec Jacques Livchine.
Quatre-vingt ans tous les deux-lui, à peine remis d’une opération- mais gardant la même foi chevillée au corps dans un théâtre populaire au meilleur sens du terme. Une expérience unique pour ces femmes aguerries qui avaient déjà participé avec Hervée de Lafond, à des pastilles: soit de courts spectacles (cinq minutes) d’agit-prop dans des lieux publics, entre autres sur la guerre en Ukraine.

Et sous la grande tente qui sert de loges et de buffet, la  metteuse en scène exigeante rappelle une fois de plus les consignes: interdiction absolue de parler, de chuchoter pendant la représentation et dit à ses actrices, toutes bénévoles, que « faire de belles choses a un vrai sens politique. »
Ce genre d’expérience mise en place et aidée par une Région est exemplaire. Le théâtre français, ce n’est seulement celui du in d’Avignon, des festivals importants, des grands théâtres parisiens ou des Centres Dramatiques Nationaux… où le Théâtre de l’Unité n’a jamais été invité. Mais celui, comme à Bussang  ou à Audincourt, où toute une population sait que l’on joue pour eux. Comme avant-hier, même dans des conditions climatiques difficiles.
Chapeau  à Hervée de Lafond et au Théâtre de l’Unité et à tous ceux qui ont permis que soit créées ces Femmes puissantes…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 12 septembre. Jusqu’à ce soir, samedi 14 septembre à Mandeure (Doubs). T. : 03 81 34 49 20.​

 *Dans l’installation de Judy Chicago: The Dinner Party au Brooklyn Museum, il y autour d’une table triangulaire trente-neuf femmes ( treize par côté), personnages historiques ou mythiques… Les noms des  999 autres sont inscrits sur le socle, dont celui de Praxagora.

 

 

 

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