Journées du Matrimoine au Théâtre du Peuple de Bussang

Journées du Matrimoine au Théâtre du Peuple de Bussang

 Avec Julie Delille, première femme nommée à sa tête, le Théâtre du Peuple -célèbre patrimoine du théâtre- met en lumière les femmes artistes en ces journées du Matrimoine.
Cette manifestation, imaginée en 2015 par l’association H/F Île-de-France fait écho aux Journées du Patrimoine, pour faire émerger « l’héritage des mères » et rendre visibles leurs œuvres (voir le Théâtre du blog). Elle se déroule cette année dans onze régions de France, jusqu’à la Réunion, et en Belgique, Espagne, Royaume-Uni, Italie…).
Avec le Théâtre du Peuple à Bussang, la région Grand Est rejoint désormais ce mouvement visant à donner plus de visibilité aux créatrices, en particulier celles que l’Histoire a effacées.
Entre hommes et femmes, l’inégalité reste flagrante sur le front intellectuel et artistique. Selon les statistiques* : 63% d’étudiantes dans les écoles d’art mais 45% des actives en moyenne dans les professions culturelles, 20% en moyenne des œuvres programmées créées par des femmes et 16% des opéras mis en scène par des femmes …

 

Tombe de Tante Camm et Maurice Pottecher © M Davidovici

Tombe de Tante Camm et Maurice Pottecher © M Davidovici

La saison d’été où nous avons découvert avec plaisir la première création de Julie Delille à Bussang, Le Conte d’hiver (voir Le Théâtre du Blog), se clôt sur ce week-end de découvertes au féminin. La metteuse en scène les envisage en cohérence avec l’utopie proposée par Maurice Pottecher, un homme en avance sur son temps. Ce patron humaniste, écrivain et son épouse, ont pensé ce théâtre comme lieu de transmission entre artistes et population, en rassemblant sur scène amateurs et professionnels.
« Par l’art » et « Pour l’humanité » sont les devises inscrites au fronton de la scène qui s’ouvre à chaque représentation sur les collines boisées, comme regardant vers l’avenir. Cette utopie perdure grâce à l‘association en charge du lieu et aux directeurs artistiques successifs nommés à la tête d’une équipe permanente. Et aussi grâce à la fidélité d’un public diversifié : 30. 000 spectateurs cet été.

 

© M . Davidovici

© M . Davidovici

« Cet héritage est une manière de penser le monde très juste par rapport à ce qu’on traverse » dit Julie Delille. Celle qui joua avec grande sensibilité Méline, l’enfant sauvage de Je suis la bête (voir le Théâtre du blog) se met à l’écoute de ce lieu, où Fagus, le plus vieux hêtre de la forêt, règne sur le théâtre de bois, plus jeune que lui. Elle consacrera la saison prochaine à la célébration de ses cent trente ans.
Les artistes associés Alix Fournier-Pittaluga et Paul Francesconi s’attellent à la tâche et naîtra un feuilleton théâtral autour de son histoire. Un épisode sera réservé à Camille de Saint-Maurice, alias Tante Camm.
La grande comédienne, épouse de Maurice Pottecher et cofondatrice du Théâtre du Peuple, formera des générations d’artistes amateurs et professionnels
jusqu’à sa mort en 1957. À découvrir aux prochaines Journées du Matrimoine.

 


Une promenade poétique dans la nature

Cette année, Les Journées du Matrimoine ont commencé par une marche à travers champs, ponctuée de lectures : amateurs et professionnels se sont partagé des textes de leur choix : George Sand, Virginia Woolf ou Marceline Desbordes-Valmore entraient en résonance avec Christiane Singer (Seul ce qui brûle), Lune Vuillemin (Border la bête), Maylis de Kérangal (Réparer le vivants)… Une bonne mise en jambe pour la suite.

 

Annie Ernaux par Laurence Cordier

Dans la soirée, le bar du théâtre a accueilli une plongée dans l’œuvre de la Prix Nobel de littérature 2022. Laurence Cordier qui avait réalisé en 2016 Le Quat’sous, un montage pour trois comédiennes à partir des Armoires vides, Une femme et La Honte, nous lit une version resserrée de son spectacle. Cette écriture auto-socio-biographique, selon les termes d’Annie Ernaux, apparaît à l’oral, précise et ciselée, à la surprise du public venu nombreux. Une prose travaillée au couteau entre rage et tendresse. Cette lecture sensible et incisive par Laurence Cordier laisse augurer de la qualité de sa prochaine mise en scène, en répétition au Théâtre du Peuple : Antigone d’après Sophocle, présenté comme une «performance orale », dans la traduction claire d’Irène Bonnaud et Malika Hammou.

 

© Mireille Davidovici

© Mireille Davidovici

Mary Sidney alias Shakespeare adaptation et mise en scène d’Aurore Evain, d’après l’essai de Robin P. William

Qui a écrit Shakespeare ? Telle est la question. Universitaire et femme de théâtre, initiatrice des Journées du Matrimoine, Aurore Evain s’est passionnée pour les recherches de Robin P. William. Selon l’Américaine, Mary Sidney serait l’autrice cachée des pièces de Shakespeare. À partir du livre Sweet Swan of Avon : Did a Woman Wrote Shakespeare ? ( Doux cygne d’Avon : une femme a-t-elle écrit Shakespeare ?) qu’elle a adapté et publié **, Aurore Evain réalise une conférence théâtralisée avec la comédienne Fanny Zeller.
Elles se livrent à une enquête historique, pleine de bruit et de fureur. Nous voilà catapultés dans les coulisses du théâtre élisabéthain, avec les énigmes qui entourent le grand auteur. Fils de gantier, autodidacte, comédien et propriétaire de plusieurs théâtres, homme d’affaires plutôt douteux, il n’a laissé aucune archive, aucun brouillon de ses pièces…
Et aucun de ses contemporains ne le mentionne comme écrivain, à l’exception de Ben Jonson dans la préface d’une édition posthume- et encore, on le verra, de manière ambigüe. En revanche, Mary Sidney Herbert, comtesse de Pembroke, de haute noblesse et brillante lettrée, multilingue, poétesse et traductrice, semble remplir toutes les cases en faveur de l’hypothèse de Robin P. William. Elle a côtoyé de près la cour royale, est apparentée avec nombre de personnages des pièces historiques attribuées à Shakespeare et aurait lancé la mode de ce genre en traduisant en langue anglaise
Marc-Antoine de Robert Garnier en 1578. Quant aux Sonnets de William Shakespeare, ne seraient-ils pas l’œuvre de son frère Philip ?

Dans son édition savante, truffée de preuves, croisant les sources, établissant nombre de coïncidences, Aurore Evain ne manque pas d’humour. Dans ce même esprit, elle a conçu un spectacle de deux heures, établissant une belle complicité entre la scène et le public. Il faut découvrir cette enquête qui, même si le doute persistait, reste un beau« femmage» à une grande dame du temps jadis.

 

Mireille Davidovici

 

Spectacle joué les 14 et 15 septembre, Journées du Matrimoine,Théâtre du Peuple, 40 rue du Théâtre, Bussang (Vosges). T. : 03 29 61 50 48.

 Antigone mise en scène de Laurence Cordier : 11-16 novembre, La Manufacture Nancy (Lorraine) ; les 21 et 22 novembre, Château d’Eu (Seine-Maritime) ; les 28 et 29 novembre, L’Azimut, Antony/ Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine)

Le 3 décembre, Théâtre de Chartres (Eure-et-Loir) ; le 5 décembre, Maison de la Culture de Bourges (Cher) ; les 4 et 5 février, Gallia, Saintes (Charente-Maritime)


Mary Sidney alias Shakespeare
 d’Aurore Evain : le 19 février, Glob Théâtre, Bordeaux (Gironde), Festival Cultivons notre matrimoine du 11 au 21 février.

 

*Source : Observatoire de l’égalité entre femmes et hommes dans la culture et la communication – 2023, chiffres actualisés par HF en 2023.

 ** Le livre d’Aurore Evain est publié auxéditions Talents Hauts (2024)


Archive pour 16 septembre, 2024

Illusions perdues d’après Honoré de Balzac, adaptation et mise en scène de Pauline Bayle

Illusions perdues, d’après Honoré de Balzac, adaptation et mise en scène de Pauline Bayle 

Après L’Iliade, puis L’Odyssée, courts mais brillants spectacles joués par six acteurs, (voir Le Théâtre du Blog) Pauline Bayle reprend les mêmes principes: plateau nu, ni accessoire ni décor, distribution réduite, costumes actuels soigneusement choisis, jeu sobre et précis, transitions rapides. Six interprètes  ici pour une multitude de personnages que l’on peut vite identifier, même quand des femmes jouent des hommes… D’un roman fleuve (quelque sept cent pages en trois parties, publié entre 1837 et 1843), Pauline Bayle tire un spectacle musclé de deux heures trente.  A l’aune de cette œuvre désenchantée, cette adaptation sans fioritures met en valeur l’art du dialogue et de la formule chez Honoré de Balzac, entre cruauté et humour. 

Après un début laborieux joué à l’avant-scène : le brusque départ d’Angoulême de Lucien, poète en herbe, avec sa muse, Madame de Bargeton, Illusions perdues prend sa vitesse de croisière, quand Honoré de Balzac propulse son héros à Paris dans l’arène du monde littéraire et politique. Le charme et les sonnets (fort ampoulés!) de son protégé, n’opèrent plus auprès de la noblesse parisienne et Madame de Bargeton abandonne Lucien Chardon, fils de pharmacien, pour défaut de particule. Et seul un décret du Roi pourrait lui rendre le titre de noblesse de sa mère: de Rubempré.
Dévoré d’ambition, sûr de son talent, le jeune homme va se battre et trouvera bientôt succès et fortune dans le journalisme. Le provincial idéaliste aura tôt fait de se déniaiser et d’apprendre les ficelles d’un métier corrompu. Grâce à la toute puissance de la presse, on peut arriver à ses fins, à condition de n’avoir aucun scrupule et d’être prêt à tremper dans des affaires douteuses : «Les belles âmes, écrit Balzac, arrivent difficilement à croire au mal, à l’ingratitude, il leur faut de rudes leçons avant de reconnaître l’étendue de la corruption humaine.» Autre leçon qu’apprend le littérateur en herbe: «On peut être brillant à Angoulême, mais presque insignifiant à Paris. »

©x

©Julien Gosselin

L’auteur de La Comédie humaine sait de quoi il parle, pour avoir fréquenté les milieux qu’il évoque de sa plume impitoyable : salons mondains, cénacles littéraires, cercles libéraux ou royalistes… Il met dans la bouche d’un personnage: «C’est ignoble, mais je vis de ce métier, moi comme cent autres! Ne croyez pas le monde politique beaucoup plus beau que ce monde littéraire: tout, dans ces deux mondes, est corruption, chaque homme y est ou corrupteur ou corrompu » ?
On reconnaît, dans le roman, un aréopage qu’il a sans doute côtoyé : les  gratte-papier comme Finot, Étienne Lousteau, le poète Raoul Nathan, l’éditeur Dauriat… Et bien sûr, des actrices sous les traits, ici, de la belle Coralie, l’amoureuse de Julien et l’une des causes de sa perte.  On peut lire l’amertume d’Honoré de Balzac dans une lettre à sa sœur, écrite peu avant d’entreprendre la rédaction d’Illusions perdues: « Rien, rien que l’amour et la gloire ne peut remplir la vaste place qu’offre mon cœur. » 

Faute d’avoir pu mettre le dispositif quadri-frontal de la création, au Théâtre de l’Atelier, on a installé une partie du public sur la scène pour qu’il baigne dans cette comédie humaine où les acteurs incarnent, avec vigueur et justesse, cette galerie de personnages. Ils  vont de l’un à l’autre, grâce à d’agiles changements de costumes. Rien de caricatural mais un certain humour dans leur interprétation.
Anissa Feriel en scène du début à la fin, apporte à Lucien de Rubempré, la grâce et l’enthousiasme de la jeunesse. Manon Chircen est aussi bien Madame de Bargeton que Fulgence Ridal ou Raoul Nathan.
Zoé Fauconnet compose une Madame d’Espard retorse (la cousine de Madame de Bargeton) et donne à Coralie les accents d’une tragédienne dans un monologue théâtral inspiré. Frédéric Lapinsonnière joue Monsieur de Saintot, Daniel d’Arthez, Dauriat, Canalis, Hector et Merlin. Adrien Rouyard devient Étienne Lousteau, Camusot. Enfin, Najda Bourgeois (Vautrin) intervient pour secourir un Lucien ruiné et désespéré. Tel un deus ex machina, il annonce ainsi la suite des aventures de Lucien dans Splendeur et misère des courtisanes

 « Je veux montrer, dit Pauline Bayle, comment la soif de réussite peut nous asservir et finir par nous priver de notre liberté. Dans Illusions perdues, Balzac nous tend le miroir de nos existences, entre espérance et résignation, ambition et humilité, rêve de puissance et rappel cruel de la réalité.» Pari tenu: une fois les règles du jeu de cette démarche radicale acquises, nous plongeons avec plaisir dans ce marathon théâtral. La faune du Paris de la Restauration ressemble étrangement à celle d’aujourd’hui…

 Mireille Davidovici

Du 7 septembre au 6 octobre, Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin, Paris (XVIII ème)
T. : 01 46 06 49 24.

Les 16 et  17 octobre, Forum Meyrin, Genève (Suisse)

Le 14 novembre,  L’Entracte, Sablé-sur-Sarthe (Sarthe). Les
28 et 29 novembre, Théâtre d’Auxerre (Yonne).


Le 10 décembre, Théâtre de Cusset- Scène conventionnée Art et Création  (Allier) .

Le 21 janvier, DSN-Dieppe (Seine-Maritime).

 

 

Festival Le Temps d’aimer la danse à Biarritz

Festival Le Temps d’aimer la danse à Biarritz

La Mégère apprivoisée  de William Shakespeare, adaptation de Jean Rouaud, chorégraphie de Jean-Christophe Maillot, musique de Dimitri Chostakovitch

Cette pièce créée il a dix ans par le Ballet du Bolchoï, est entrée au répertoire de celui de Monte-Carlo et a été présentée en clôture de ce festival avec de jeunes interprètes. Le talent de Juliette Klein (Katharina) impressionne, comme celui de tous ses partenaires. Elle incarne ce personnage avec une beauté sauvage qui ne cache pas sa folie.

© MonteCarlo_CdeO-ter

© MonteCarlo_CdeO-ter

Baptista veut marier sa fille Katharina mais Bianca, sa sœur, attire tous les soupirants. Petruchio, lui aussi un peu décalé, finira par séduire et épouser la revêche. «Au lieu de faire de La Mégère apprivoisée, une sorte de manuel machiste : comment on dompte  une femme revêche, il s’agit de mettre en scène, dit Jean Rouaud, la rencontre au sommet entre deux fortes personnalités qui, enfin, se reconnaissent l’une l’autre. Leur côté asocial, ingérable, vient d’abord de leurs solitudes respectives où leur personnalité incompatible avec le genre humain ordinaire les maintient, ce qui explique leurs excès, faute d’avoir trouvé un homme ou une femme à leur démesure. Ce sont des albatros au milieu d’une volée de moineaux. Car il s’agit bien ici d’un amour hors norme.»

En ces temps où la différence par rapport à la norme est justement en vogue, Jean-Christophe Maillot offre une narration très lisible mais on  ne ressent guère d’empathie pour les personnages. Techniquement, ce ballet sur pointes est parfait et ravira les aficionados. Figures et performance physique des danseurs remarquables… mais manque ici l’émotion.

La scénographie (cubes et colonnes)  d’Ernest Pignon-Ernest est un peu datée, tout comme les costumes clinquants d’Augustin Maillot. Directeur du Ballet de Monte-Carlo depuis 1993, Jean-Christophe Maillot a vu ses chorégraphies reprises par de nombreuses compagnies. Figure remarquable de la danse, il réussit à maintenir en vie une troupe nombreuse avec un répertoire néo-classique… qui se fait de plus en plus rare aujourd’hui. Comme le Ballet de Biarritz dirigé par Thierry Malandain, que deviendra cette troupe quand il prendra sa retraite?

 Jean Couturier

Spectacle vu le 15 septembre à la Gare du Midi à Biarritz ( Pyrénées-Atlantiques).

L’Ombre de soi d’Odile Cougoule

L’Ombre de soi d’Odile Cougoule

 Nous avons revu, et mieux vu au studio Chandon, ce solo dansé par Chloé Sénéjoux et créé en juin dernier. Odile Cougoule, récompensée en 76 à Bagnolet comme Dominique Bagouet (1951-1992), au concours créé par Jaque Chaurand (1928-2017), évolue dans la danse dite libre, tendance Irène Popard, plutôt qu’Isadora Duncan.
Ici, elle a voulu ici rendre hommage à la chanteuse américaine Janis Joplin disparue en  70 et qui eut son heure de gloire au temps des chemises à fleurs. On connaît sa fin tragique, celle d’artistes accros aux drogues dures : le « club des 27″ (Jimi Hendrix, Brian Jones, Jim Morrison, Kurt Cobain, Jean-Michel Basquiat, Amy Winehouse…)

 

© Nicolas Villodre

© Nicolas Villodre

Janis Joplin,«chanteuse à voix », fit, avec un répertoire pop (on ne dit plus variétés!), des emprunts aux interprètes de jazz, blues, soul… comme Bessie Smith, Big Mama Thornton, Mahalia Jackson, Tina Turner… Odile Cougoule garde de celle qu’on surnomma « Pearl », le souvenir ému d’un concert qu’elle donna en Europe lors de sa dernière tournée internationale qui s’acheva à Woodstock où elle apparut absolument ivre et «chargée» à bloc… Et plus que l’ombre d’elle-même. Cela explique sans doute le titre de cette pièce.
La bande originale choisie par la chorégraphe comprend And the Gods made love (1968) de Jimi Hendrix, tiré de l’album Electric LadylandDark Victory, de et par le pianiste Paul Bley, accompagné en 90 par le bassiste Charlie Haden, Doing it to death (1973) de James Brown et Summertime, une chanson tirée de Porgy and Bess (1935), le fameux opéra de George Gershwin, livret d’Ira Gershwin et de DuBose Heyward, et interprétée par Janis Joplin.

 Chloé Sénéjoux exprime avec un grand talent les moments de méditation, extase, rage, spleen, évasion dans les paradis virtuels au moyen de substances. Comme les chutes et rechutes de la protagoniste. Si la pièce n’est pas narrative, elle reste, comme disait Claudine Eizykman «représentative».
Cela implique que les qualités de la danse restituent des états psychologiques bien précis. Mais la relation musique-danse ne va pas jusqu’à la subordination d’une expression sur l’autre. Humilité de la danse vis-à-vis de la musique ! Ni la chorégraphe ni son interprète n’illustrent note à note ou  pas à pas, chaque chanson. Et  elle n’a pas bridé  Chloé Sénéjoux qui a eu le champ libre pour imprimer, sa patte et sa dynamique à l’entreprise. Ici, elle enchaîne remarquablement prises de risque, torsions et distorsions, grands ponts, les déséquilibres, changements de sens… Le public en a eu pour son content et son comptant.

 Nicolas Villodre

 Spectacle vu le 15 septembre au Studio Chandon, 280 rue Lecourbe, Paris (XV ème)

 

La Vie secrète des vieux, texte et mise en scène de Mohamed El Khatib

La Vie secrète des vieux, texte et mise en scène de Mohamed El Khatib

 Révélation : les vieux – et merci à l’auteur metteur en scène de les appeler par leur nom, sans périphrases – ont une vie. Sexuelle, sensuelle, amoureuse, désirante, mais enfin, ils vivent. De mieux en mieux et de plus en plus nombreux, au point de devenir un problème majeur pour les sociétés développées (voir Le Monde daté du 13 septembre dernier). Mais ne nous égarons pas du côté de la macroéconomie et de l’anthropologie : le secret, c’est que les vieux –nous- sont des gens. Françoise Dolto avait bouleversé le monde en révélant : « le bébé est une personne ». Aujourd’hui, même révélation pour les vieux. Des enquêtes récentes ont montré à quel point ils sont « protégés », censurés, aseptisés et parfois même maltraités dans les EHPAD. Compensation : des « activités » leur sont proposées, dont, pourquoi pas, des ateliers de théâtre.

Le spectacle commence ainsi. Dans une salle polyvalente, sobre, avec un micro sur pied, un petit praticable, un écran discret, Jacqueline Juin, de son fauteuil roulant, prend la parole. Pourquoi elle ? « Parce que j’articule », contrairement à bien des comédiens d’aujourd’hui, souligne-t-elle. Une première petite pique contre le théâtre d’aujourd’hui, ses paresses et ses routines. Ensuite, le groupe se présente : Micheline, Marie-Louise, Jean-Paul, Jean-Pierre, Chille, Martine, Salimata, et ceux dont on a oublié les noms, comme dans une soirée entre amis. Et puis tiens, Yasmine, la plus jeune. Quand on lui demande d’où elle vient, elle répond : « je suis d’origine aide-soignante ». Deux secondes qui ouvrent sur le social, avec plus de force encore que la présentation sans fard de chacun (dont deux docteures). Plus de femmes que d’hommes, c’est normal, la statistique sur les « personne s âgées le confirme. Peu à peu, elles, ils, parlent de leurs amours, de leurs désirs et de leurs secrets : il ne faut pas que les enfants sachent. Tabou numéro un : ne rien savoir de la sexualité des parents, surtout quand ils ne sont plus des parents, mais des vieux, dépendants, fragiles, protégés (de la tentation, entre autres) par l’institution. Enfin, ceux qui sont devant nous, avec nous, ne se protègent surtout pas des gros mots et des fantasmes jouissifs. Présent sur scène, l’auteur-metteur en scène leur donne de temps en temps un discret coup de main, une petite aide tendre et respectueuses. Mais ce sont elles et eux qui disent ce qu’il y a à dire.

L’art de Mohamed El Khatib, c’est de chercher et trouver son théâtre dans le réel ; et surtout d’inviter sur les planches ceux qu’on n’y voit pas habituellement. Souvenons-nous de Stadium et de la rencontre improbable et finalement réussie entre les « ultras » du FC Lens (les supporters les plus fervents -et les plus surveillés par la police- du club de football) et le sage public du Théâtre National de la Colline. De vraies frites et une vraie fanfare ont eu raison des timidités parisiennes.

Ce sont donc des non acteurs qui s’adressent à nous, avec un fervent désir de théâtre. Comédie, tragédie (on ne dévoilera pas laquelle, mais il y en a bel et bien une dans La Vie secrète des vieux), confessions personnelles où se glissent les paroles fameuses de Perdican et de Musset  dans On ne badine pas avec l’amour; « j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelque fois, mais j’ai aimé… », mots de Bérénice coulant tout neufs de la bouche de Jacqueline : « j’aimais, seigneur, j’aimais, je voulais être aimée… » : s’il était besoin de le prouver, le théâtre est dans le vrai autant que le réel engendre son propre théâtre. Allez donc les démêler l’un de l’autre…

Le spectateur est arrivé avec ses attentes : on va bien rigoler (peut-être), s’émouvoir (sûrement), admirer. Et l’art, l’astuce, la malice de Mohamed El Khatib, c’est de lui donner tout ce qu’il attend, mais de façon totalement inattendue. Surprise, retournements, il attrape son public, le retourne et finalement le ramène à ce qu’il avait oublié : devant le spectacle vivant, le spectateur lui aussi est vivant. La scène et la salle forment une communauté provisoire, et ce n’est pas une utopie. Certes c’est le cas de tout spectacle réussi, mais peut-être ici un peu plus qu’ailleurs. Peut-être parce que, bien que spectacle soit court, les uns et les autres ont pris le temps de s’apprivoiser. Et que le « final », bien qu’annoncé, surprend et emporte tout le monde. En sortant du spectacle, on parle avec ses voisins, on a envie d’aimer les gens. Ça durera ce que ça durera.

Christine Friedel

Théâtre de la Ville Les Abbesses Paris XVIIIe jusqu’au 26 septembre T.0142742277

En tournée :

8 et 9 octobre, Espace 1789–Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), le 11 à Choisy-le-Roi (Seine-et-Marne)

8 et 10 novembre Festival RomaEuropa à Rome (Italie), les 20 et 23 à la Comédie de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), les 27 et 29 au CDN d’Orléans (Loiret)

du 12 au 15 décembre à la comédie de Genève, les 18 et 19 à Point Commun à Cergy (Val-d’Oise)

du 8 au 10 janvier 2025 au Théâtre du Bois-de-l’aune, à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), du 13 au 15 au Tandem à Arras et les 17 et 18 au Channel à Calais(Pas-de-Calais), le 28 à l’Equinoxe à Châteauroux (Indre), le 30 à La Halle aux grains à Blois (Loir-et-Cher)

du 11 au 15 mars au Théâtre National de Bretagne à Rennes (Ille et Vilaine), les 28 et 29 à Bonlieu-scène nationale d’Annecy (Haute-Savoie),

les 8 et 9 avril à Malraux-scène nationale de Chambéry (Savoie), du 15 au 17 à la MC2 de Grenoble (Isère)

les 27 et 28 mai à L’Espal au Mans (Sarthe)

 

 

 

 

 

 

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