Illusions perdues d’après Honoré de Balzac, adaptation et mise en scène de Pauline Bayle
Illusions perdues, d’après Honoré de Balzac, adaptation et mise en scène de Pauline Bayle
Après L’Iliade, puis L’Odyssée, courts mais brillants spectacles joués par six acteurs, (voir Le Théâtre du Blog) Pauline Bayle reprend les mêmes principes: plateau nu, ni accessoire ni décor, distribution réduite, costumes actuels soigneusement choisis, jeu sobre et précis, transitions rapides. Six interprètes ici pour une multitude de personnages que l’on peut vite identifier, même quand des femmes jouent des hommes… D’un roman fleuve (quelque sept cent pages en trois parties, publié entre 1837 et 1843), Pauline Bayle tire un spectacle musclé de deux heures trente. A l’aune de cette œuvre désenchantée, cette adaptation sans fioritures met en valeur l’art du dialogue et de la formule chez Honoré de Balzac, entre cruauté et humour.
Après un début laborieux joué à l’avant-scène : le brusque départ d’Angoulême de Lucien, poète en herbe, avec sa muse, Madame de Bargeton, Illusions perdues prend sa vitesse de croisière, quand Honoré de Balzac propulse son héros à Paris dans l’arène du monde littéraire et politique. Le charme et les sonnets (fort ampoulés!) de son protégé, n’opèrent plus auprès de la noblesse parisienne et Madame de Bargeton abandonne Lucien Chardon, fils de pharmacien, pour défaut de particule. Et seul un décret du Roi pourrait lui rendre le titre de noblesse de sa mère: de Rubempré.
Dévoré d’ambition, sûr de son talent, le jeune homme va se battre et trouvera bientôt succès et fortune dans le journalisme. Le provincial idéaliste aura tôt fait de se déniaiser et d’apprendre les ficelles d’un métier corrompu. Grâce à la toute puissance de la presse, on peut arriver à ses fins, à condition de n’avoir aucun scrupule et d’être prêt à tremper dans des affaires douteuses : «Les belles âmes, écrit Balzac, arrivent difficilement à croire au mal, à l’ingratitude, il leur faut de rudes leçons avant de reconnaître l’étendue de la corruption humaine.» Autre leçon qu’apprend le littérateur en herbe: «On peut être brillant à Angoulême, mais presque insignifiant à Paris. »
L’auteur de La Comédie humaine sait de quoi il parle, pour avoir fréquenté les milieux qu’il évoque de sa plume impitoyable : salons mondains, cénacles littéraires, cercles libéraux ou royalistes… Il met dans la bouche d’un personnage: «C’est ignoble, mais je vis de ce métier, moi comme cent autres! Ne croyez pas le monde politique beaucoup plus beau que ce monde littéraire: tout, dans ces deux mondes, est corruption, chaque homme y est ou corrupteur ou corrompu » ?
On reconnaît, dans le roman, un aréopage qu’il a sans doute côtoyé : les gratte-papier comme Finot, Étienne Lousteau, le poète Raoul Nathan, l’éditeur Dauriat… Et bien sûr, des actrices sous les traits, ici, de la belle Coralie, l’amoureuse de Julien et l’une des causes de sa perte. On peut lire l’amertume d’Honoré de Balzac dans une lettre à sa sœur, écrite peu avant d’entreprendre la rédaction d’Illusions perdues: « Rien, rien que l’amour et la gloire ne peut remplir la vaste place qu’offre mon cœur. »
Faute d’avoir pu mettre le dispositif quadri-frontal de la création, au Théâtre de l’Atelier, on a installé une partie du public sur la scène pour qu’il baigne dans cette comédie humaine où les acteurs incarnent, avec vigueur et justesse, cette galerie de personnages. Ils vont de l’un à l’autre, grâce à d’agiles changements de costumes. Rien de caricatural mais un certain humour dans leur interprétation.
Anissa Feriel en scène du début à la fin, apporte à Lucien de Rubempré, la grâce et l’enthousiasme de la jeunesse. Manon Chircen est aussi bien Madame de Bargeton que Fulgence Ridal ou Raoul Nathan.
Zoé Fauconnet compose une Madame d’Espard retorse (la cousine de Madame de Bargeton) et donne à Coralie les accents d’une tragédienne dans un monologue théâtral inspiré. Frédéric Lapinsonnière joue Monsieur de Saintot, Daniel d’Arthez, Dauriat, Canalis, Hector et Merlin. Adrien Rouyard devient Étienne Lousteau, Camusot. Enfin, Najda Bourgeois (Vautrin) intervient pour secourir un Lucien ruiné et désespéré. Tel un deus ex machina, il annonce ainsi la suite des aventures de Lucien dans Splendeur et misère des courtisanes.
« Je veux montrer, dit Pauline Bayle, comment la soif de réussite peut nous asservir et finir par nous priver de notre liberté. Dans Illusions perdues, Balzac nous tend le miroir de nos existences, entre espérance et résignation, ambition et humilité, rêve de puissance et rappel cruel de la réalité.» Pari tenu: une fois les règles du jeu de cette démarche radicale acquises, nous plongeons avec plaisir dans ce marathon théâtral. La faune du Paris de la Restauration ressemble étrangement à celle d’aujourd’hui…
Mireille Davidovici
Du 7 septembre au 6 octobre, Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin, Paris (XVIII ème)
T. : 01 46 06 49 24.
Les 16 et 17 octobre, Forum Meyrin, Genève (Suisse)
Le 14 novembre, L’Entracte, Sablé-sur-Sarthe (Sarthe). Les 28 et 29 novembre, Théâtre d’Auxerre (Yonne).
Le 10 décembre, Théâtre de Cusset- Scène conventionnée Art et Création (Allier) .
Le 21 janvier, DSN-Dieppe (Seine-Maritime).