Le Mage du Kremlin de Giuliano da Empoli, adaptation et mise en scène de Roland Auzet
Dans ce roman (2022), l’auteur essaye de montrer comment fonctionne la dictature d’un pays autour de Vladimir Poutine, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur l’avenir de la Russie mais aussi des Etats-Unis et des pays occidentaux.. Ou comment un seul homme et toute son équipe de courtisans, soutenus par de puissants oligarques, sont arrivés à exercer un pouvoir exorbitant.
Ce « mage du Kremlin », dans le roman, Vadim Souranov, alias Vladislav Sourkov qui a été metteur en scène de théâtre et producteur d’émissions de télé-réalité et fut le conseiller politique et éminence grise de Vladimir Poutine: « «Je ne connais pas très bien la politique, mais je sais ce qu’est un spectacle.» Il démissionnera plus tard, après être tombé en disgrâce.
Giuliano da Empoli connait bien ce domaine qui fascine le public: il a été, lui aussi, conseiller politique, en particulier de Matteo Renzi: « Ce roman sur la Russie offre également une réflexion sur le pouvoir en général, son influence sur les hommes et l’importance de l’expérience qu’il leur procure.(…) L’auteur n’essaie pas de reproduire la réalité de façon mimétique, comme le ferait un peintre classique par exemple. (…) Poutine est très à son aise dans le maniement du chaos, comme d’ailleurs son conseiller Baranov, manipulateur qui sait nourrir l’ambiguïté. Adopter un comportement illisible et se montrer imprévisible, lorsqu’on se sent affaibli est la seule façon de faire peur. C’est la stratégie de Poutine -que l’on peut voir à l’œuvre aujourd’hui. Or, c’est une stratégie à laquelle l’Occident, épris d’ordre et de discipline, est mal préparé et équipé. D’où la grande difficulté d’établir des relations stables avec le président russe. »
Le roman qu’adapte ici Roland Auzet, est riche en dialogues précis et monologues, tous en général très écrits, ce qui ne veut pas dire forcément: oraux et théâtraux. Rien à faire: on a vu cela, depuis qu’il y a une dizaine d’années, les metteurs en scène se sont emparés des fictions romanesques. Ce n’est pas le même vocabulaire ni la même syntaxe. Ici, ces longues conversations, paroles juxtaposées, voire narrations et discours indirects ne peuvent pas fonctionner.
Et dans toutes les mauvaises adaptations théâtrales des romans de Gustave Flaubert, George Sand, Marcel Proust, Honoré de Balzac…, on retrouve cette même et inévitable carence.
Côté jardin et côté cour, un gros canapé et deux fauteuils d’un blanc éclatant, se font face. Et un buste de Lénine. Sur le mur du fond, de grands miroirs reflétant les spectateurs, un procédé efficace il y a cinquante ans imposé par le Za Branou tchèque… mais que personne n’ose plus utiliser.
Mais aussi une lumière blanche aveuglante face public, insupportable, sans doute pour signifier la dictature de la vision ou quelque chose du même genre. Bref, une scénographie et des lumières faciles, et pas du bois dont on fait les flûtes. S’affiche en grosses lettres noires, sur fond blanc des phrases « Cette histoire est inspirée de faits et de personnages réels, à qui nous avons prêté une vie privée et des propos imaginaires. Il s’agit néanmoins d’une véritable histoire russe. »Après quelques minutes où on voit les personnages se parler entre eux sans qu’on les entende-là aussi un vieux procédé- la pièce commence enfin: « Qu’est-ce que je peux vous dire de plus… dit alors une femme, visiblement proche de Poutine: « La première fois que j’ai entendu parler de Vadim Baranov, c’est comme tout le monde. Par les médias. Quand on avait appris sa démission comme conseiller politique du Tsar. Il avait passé quinze ans à son service. C’est lui qui l’avait fait. C’est ce qu’on dit. » Apparaissent ensuite des personnages comme Berezovsky, en disgrâce depuis que Boris Elstine a disparu, et qui a tout fait pour installer au pouvoir ce Poutine, chef du F.S.B., l’ex K.G.B. efficace et redoutable police secrète. Un homme, dit-il, qui a « transformé la Russie en ce qu’elle a toujours été : une putain de prison ! » remarquablement joué par Andranic Manet mais qu’on verra finalement peu. Dommage…
Il y a parfois de bons mais courts moments: comme le récit du naufrage du Koursk, le sous-marin nucléaire qui explosa mystérieusement avec 118 hommes en 2000, de la guerre en Tchétchénie, et de l’invasion de l’Ukraine. Ou encore cette discussion entre Baranov (excellent Philippe Girard) et Limonov, un écrivain dissident qui sera pro-Poutine quand ce dernier annexera la Crimée et le Donbass.
Mais Roland Auzet nous inflige de nombreuses projections d’images non figuratives: lignes noires embrouillées ou plans rouges vif très grand format sur le mur du fond, qui n’ont rien à faire là. Inutiles, voire pléonastiques.
Elles parasitent même le jeu des acteurs! Comme ces bombardements d’immeubles ou de Prigogine, parlant dans un cimetière à l’abandon…
Tous ces clichés et artifices relèvent d’un vieux théâtre, même et surtout quand il est fabriqué par des metteurs en scène contemporains.
A la fin, deux jeunes rappeuses en pantalon et blouson noir, chantent en russe. Enfin un peu de vie… Il y a aussi un terroriste, lui aussi tout en noir, qui arrive par la salle et menace le public: il faut se pincer très fort pour y croire, même une seconde!
L’ensemble du spectacle est bien long (deux heures) voire confus! Et difficile parfois de se repérer dans les personnages pour ceux qui n’ont pas lu le roman, . Et pourquoi avoir fait dire de courtes répliques en russe, sur-titrées? Pour faire plus juste, plus authentique? Evidemment, cela sonne faux!
Dans tout cela, reste l’interprétation magistrale de Philippe Girard ( Le Mage) et d’Hervé Pierre en oligarque. Mais cela ne suffit pas! Le public qu’on sentait friand de connaître les coulisses du Kremlin et de la vie de Vladimir Poutine, a semblé déçu et a applaudi frileusement-on le comprend- un spectacle décevant et que vous pouvez vous épargner…