L’exposition Bijoux de scène de la Comédie-Française
L’exposition Bijoux de scène de la Comédie-Française
Les joyaux de la couronne, les voici : ils ont été portés par les véritables reines de France, même avant 1793, :les actrices. Et avant tout les tragédiennes du plus prestigieux des théâtres: la Comédie-Française. Femmes superlatives, adulée et abandonnées (voir la triste fin d’Adrienne Lecouvreur, déplorée par Voltaire) : pour elles seules, des artisans, des artistes anonymes ont créé ces merveilles de pacotille, zinc et cuivre, perles et diamants de verre taillé, strass et émaux colorés. Aucune matière précieuses, mais un travail d’un raffinement royal.
C’est bien de cela qu’il s’agit : rois, reines et empereurs règnent sur la tragédie classique, chez Corneille et Racine et leurs moins glorieux disciples. On verra ici une couronne aux dents pointues comme celle que Jean-Michel Basquiat avait adoptée pour signature peut-être portée par la Raucourt (qui débuta en 1772) dans le rôle de Cléopâtre (Corneille, Rodogune) : couronne de contes de fée, bizarrement médiévale, comme pour fixer à jamais l’image d’une royauté à l’état pur.
C’est pourtant dans cette fin du XVIIIème siècle que l’esthétique néoclassique va triompher dans toute l’Europe à la suite de la découverte de Pompéi et Herculanum et que les empereurs romains vont être joués « à l’antique » et non plus en costumes de cour.
Talma, inspiré par le peintre David, portera une couronne de lauriers à feuilles d’or –de laiton- offerte par son impérial ami Napoléon 1er, (qui l’avait adoptée pour son propre couronnement). Enfin un Titus ou un Néron, la Révolution étant passée par là, se montrent sur scène à peu près tels, que les bas-reliefs romains les représentent.
Dans cette exposition des trésors de la Comédie Française, le diadème n’est pas le nom métonymique du pouvoir royal, comme
Dans les tragédies de Corneille et Racine, le diadème est le nom métonymique du pouvoir masculin en général. Les objets qui sont exposés ici sont faits pour se poser sur des têtes féminines glorieuses, royales mais le plus souvent perdantes. La grande tragédienne Rachel sera coiffée de trois joyaux successifs au fil des actes et du destin fatal de Phèdre, dont un trésor de gravure sur cuivre, perles de verre et camées de coquillages, à défaut de pierres fines. Avec le même souci de donner une image « d’époque », ou du moins de ce que le public en attend, un énorme pectoral rituel en verres de couleurs porté par Mounet-Sully, en Grand Prêtre d’Athalie (1892) reflète les mêmes fantasmes des trésors de l’orient ou d’une antiquité fastueuse rêvée.
Pourtant on peut se poser la question : le théâtre a-t-il besoin de ces merveilles de délicatesse, faites pour être vues de très près ? La représentation, non. Nous sommes quelques-uns à nous souvenir de Beaucoup de bruit pour rien (1968) mis en scène par Jorge Lavelli : les somptueux costumes Renaissance étaient fabriqués avec la toile de jute et ornés de joyaux faits de capsules de bières et autres sodas ; et l’effet était magnifique, assez clinquant pour réjouir le public jusqu’au sommet des mille places en gradin créées par les architectes Fabre et Perottet pour le nouveau Théâtre de la Ville. La fonction du costume était simple: tout dire, à tous, en un regard, du rôle et du personnage. Avec Patrice Chéreau et à ses costumiers Jacques Schmidt et Patrice Cauchetier, l’esthétique du théâtre a changé : le costume devient un vêtement, avec son vécu, son histoire, sa matière, racontant beaucoup sur le personnage et contribuant plus profondément à la dramaturgie de la pièce.
Et les bijoux, s’ils étaient nécessaires, reprenaient leur place sur les corps, objets intimes qui accompagnent, agrandissent le jeu. Les divas des derniers siècles en avaient peut-être besoin, pour se sentir pleinement reines ? Et peut-être aussi pour donner à leurs admirateurs, venus les saluer dans leurs loges ou au foyer, l’envie de leur en offrir de vrais ?
Question sociale à ne pas traiter à la légère, quand les actrices devaient fournir leurs propres costumes et tenir un certain train de vie pour rester désirées dans leur art. Relire Balzac à ce sujet : ses cantatrices, ses actrices, réprouvées pour leur mode de vie ont été aussi de grandes mécènes.
Sarah Bernhardt, premier «monstre sacré» selon Jean Cocteau, première star internationale, illustrée au sens le plus fort du terme affiches de Mucha, mêlait à ses bijoux de scène les précieuses créations que la maison Lalique réalisait pour elle. La scène donnait naissance aux plus beaux bijoux : pour n’être pas un simple étalage de richesse, l’art de la joaillerie a besoin de l’insolence de l’actrice, et de la force des tragédiennes.
Christine Friedel
Bijoux de scène de la Comédie Française. Exposition prolongée jusqu’au 13 octobre, à L’École, School of Jewelry Arts, à l’Hôtel de Mercy-Argenteau, 16 bis Boulevard de Montmartre, Paris (X ème)