Les Grand Sensibles ou l’Education des Barbares d’après William Shakespeare, texte et mise en scène d’Elsa Granat

Les Grand Sensibles ou l’Education des Barbares, d’après William Shakespeare, texte et mise en scène d’Elsa Granat

 Cette metteuse en scène avait écrit et brillamment mis en scène Nora, Nora, Nora! De l’influence des épouses sur les chefs-d’œuvre, d’après Henrik Ibsen au printemps dernier au Théâtre de la Tempête. Après King Lear Syndrome ou les Mal élevés d’après le grand Will, elle remet le couvert shakespearien avec une pièce à mi-chemin entre une performance d’art plastique et une réécriture  théâtrale.
L’argument: Juliette prépare son dix-huitième anniversaire avec autour d’elle son Roméo mais aussi Ophélie et Hamlet, des cousins? Ou au moins, des copains. Tout le monde-et il y en a du monde, y compris les parents Capulet et Montaigu-dansotte devant un superbe rideau doré. Les plus âgées des dames, en robe noire, sont assises dans un fauteuil roulant et l’une marche avec un déambulateur dans la vraie vie.

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Elsa Granat a fait appel à ses acteurs: Lucas Bonnifait, Antony Cochin, Victor Hugo Dos Santos, Elsa Granat, Clara Guipont, Niels Herzhaft, Laurent Huon, Juliette Launay, Mahaut Leconte, Bernadette Le Saché et Hélène Rencurel. Et au chanteur et musicien Edo Sellier. Mais aussi à un chœur d’enfants de plusieurs Conservatoires, et à cinq interprètes amateurs, tous très justes.

On voit aussi, surtout au début et à la fin sur deux écrans de télévision placés côté jardin et côté cour, Roméo embrassant fougueusement sa Juliette, comme Hamlet, son Ophélie. Mais le spectacle sent à quinze mètres l’écriture dite de plateau, c’est à dire, pour nos lecteurs qui ne sont pas de la paroisse, fondée sur des improvisations. Visiblement, Elsa Granat se fait plaisir et nous offre un texte sur le mythe de l’amour chez des jeunes gens soumis à l’impitoyable pouvoir de leurs parents. «Pour, dit-elle, repenser l’ordre du monde et du pouvoir, dans la jubilation, à partir du point de vue de celles et ceux qui devraient avoir droit à une belle vie. »
Ce genre de leçon augure mal de la suite! Aucune émotion, texte sans grand intérêt et spectacle tenant plutôt d’une performance-déconstruction qui pourrait ressembler à un exercice de khâgne qu’Elsa Granat a fréquentée il y a une vingtaine d’années. Du genre : « Ecrire un texte d’après Shakespeare, en reprenant les personnages principaux de Roméo et Juliette. Vous avez toute liberté et pouvez y associer ceux d’autres pièces du grand Will. Vous devrez indiquer avec précision vos intentions de mise en scène mais il y a une contrainte: employer des comédiens amateurs et les enfants d’une chorale. Ne vous privez pas de vous faire plaisir à condition de le partager avec les spectateurs. Durée à votre choix mais à indiquer. »

Et le résultat? La chose dure deux heures et demi (sic) ! Elsa Granat sait créer parfois des images remarquables comme ce magnifique mur-rideau doré qui s’entrouvre sur un groupe d’enfants masqués. (Réalisation scénographique : Suzanne Barbaud) Ou vers la fin, ce grand-repas avec quinze convives sans cesse dérangés par ces mêmes enfants qui se faufilent entre leurs jambes, pour les écouter. Nous retrouvons ici certaines des qualités qui avaient fait le succès de Nora, Nora.
Mais cette bonne directrice d’acteurs aurait quand même pu nous épargner de trop fréquentes criailleries.  Elle possède aussi une grande maîtrise de l’espace mais… pas du temps.  Et beaucoup moins celle du scénario qui, ici, part dans tous les sens. Et tant pis pour ceux qui n’ont jamais lu ou vu Roméo et Juliette au théâtre ou même au cinéma. C’est à dire, probablement, la grande majorité du public de Saint-Denis!
« Faire un film, disait Alfred Hitchcock, c’est d’abord raconter une histoire. Cette histoire peut être improbable, mais elle ne devrait jamais être banale. Ce doit être dramatique et humain. Qu’est-ce que le drame, après tout, si ce n’est la vie, avec les éléments ternes coupés?  » Au théâtre, raconter une histoire n’est pas une obligation absolue depuis au moins un siècle, mais encore faut-il l’assumer et on se demande ce qu’a voulu faire Elsa Granat. Le résultat laisse perplexe…Même encore une fois, si la metteuse en scène sait créer d’excellentes images.
Ce qui aurait pu être un spectacle à la fois loufoque et parodique, avec des airs de comédie musicale, traîne en longueur et il y a, au moins, une moitié de trop… La metteuse en scène semble avoir voulu se faire d’abord plaisir et on lui en a donné les moyens. Et le public dans tout cela? Le spectacle distille un ennui d’appellation contrôlée avec une fin… où les enfants sautent interminablement sur des trampolines. « L’éternité, écrit Franz Kafka, c’est long, surtout vers la fin. »

Elsa Granat a de grandes qualités de metteuse en scène mais cette fois-ci, elle a très mal visé et ce qui aurait pu être une performance visuelle fois comique d’une heure et quelque, est finalement assez prétentieux et ne tient pas la route sur ces deux heures et demi (bien entendu sans entracte, sinon une partie de la salle se serait vidée). On va sans doute nous dire que c’était une première et que c’est normal, que les choses vont vite se caler. Refrain connu…
La seule chose qu’Elsa Granat puisse faire (c’est toujours un boulot difficile!) : abréger déjà cette pièce d’une demi-heure au moins, surtout et d’abord, en raccourcir la fin, aussi sotte que grenue. Elle comprendra, on l’espère, que si, elle persiste à faire joujou avec William Shakespeare ou d’autres auteurs, pour arriver à un résultat aussi médiocre, elle ira droit dans le mur… Espérons que le Tchekhov qu’elle montera prochainement à la Comédie-Française ne sera pas du même tonneau! Bref, vous pouvez vous épargner Les Grands Sensibles ou l’Education des Barbares.

Philippe du Vignal

Jusqu’au Théâtre Gérard Philipe, Centre Dramatique National de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 13 70 00.

Les 16 et 17 octobre, NEST-C.D.N. de Thionville (Moselle).

Les 7 et 8 novembre,Théâtre de l’Union-C.D.N. du Limousin, Limoges (Haute-Vienne).

Du 26 au 30 novembre , Théâtre Dijon-Bourgogne, Dijon (Côte d’Or).

Les 4, 5 et 6 décembre, Théâtre de Cornouaille-Scène Nationale de Quimper (Finistère)

 

 


Archive pour 26 septembre, 2024

Les Grand Sensibles ou l’Education des Barbares d’après William Shakespeare, texte et mise en scène d’Elsa Granat

Les Grand Sensibles ou l’Education des Barbares, d’après William Shakespeare, texte et mise en scène d’Elsa Granat

 Cette metteuse en scène avait écrit et brillamment mis en scène Nora, Nora, Nora! De l’influence des épouses sur les chefs-d’œuvre, d’après Henrik Ibsen au printemps dernier au Théâtre de la Tempête. Après King Lear Syndrome ou les Mal élevés d’après le grand Will, elle remet le couvert shakespearien avec une pièce à mi-chemin entre une performance d’art plastique et une réécriture  théâtrale.
L’argument: Juliette prépare son dix-huitième anniversaire avec autour d’elle son Roméo mais aussi Ophélie et Hamlet, des cousins? Ou au moins, des copains. Tout le monde-et il y en a du monde, y compris les parents Capulet et Montaigu-dansotte devant un superbe rideau doré. Les plus âgées des dames, en robe noire, sont assises dans un fauteuil roulant et l’une marche avec un déambulateur dans la vraie vie.

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Elsa Granat a fait appel à ses acteurs: Lucas Bonnifait, Antony Cochin, Victor Hugo Dos Santos, Elsa Granat, Clara Guipont, Niels Herzhaft, Laurent Huon, Juliette Launay, Mahaut Leconte, Bernadette Le Saché et Hélène Rencurel. Et au chanteur et musicien Edo Sellier. Mais aussi à un chœur d’enfants de plusieurs Conservatoires, et à cinq interprètes amateurs, tous très justes.

On voit aussi, surtout au début et à la fin sur deux écrans de télévision placés côté jardin et côté cour, Roméo embrassant fougueusement sa Juliette, comme Hamlet, son Ophélie. Mais le spectacle sent à quinze mètres l’écriture dite de plateau, c’est à dire, pour nos lecteurs qui ne sont pas de la paroisse, fondée sur des improvisations. Visiblement, Elsa Granat se fait plaisir et nous offre un texte sur le mythe de l’amour chez des jeunes gens soumis à l’impitoyable pouvoir de leurs parents. «Pour, dit-elle, repenser l’ordre du monde et du pouvoir, dans la jubilation, à partir du point de vue de celles et ceux qui devraient avoir droit à une belle vie. »
Ce genre de leçon augure mal de la suite! Aucune émotion, texte sans grand intérêt et spectacle tenant plutôt d’une performance-déconstruction qui pourrait ressembler à un exercice de khâgne qu’Elsa Granat a fréquentée il y a une vingtaine d’années. Du genre : « Ecrire un texte d’après Shakespeare, en reprenant les personnages principaux de Roméo et Juliette. Vous avez toute liberté et pouvez y associer ceux d’autres pièces du grand Will. Vous devrez indiquer avec précision vos intentions de mise en scène mais il y a une contrainte: employer des comédiens amateurs et les enfants d’une chorale. Ne vous privez pas de vous faire plaisir à condition de le partager avec les spectateurs. Durée à votre choix mais à indiquer. »

Et le résultat? La chose dure deux heures et demi (sic) ! Elsa Granat sait créer parfois des images remarquables comme ce magnifique mur-rideau doré qui s’entrouvre sur un groupe d’enfants masqués. (Réalisation scénographique : Suzanne Barbaud) Ou vers la fin, ce grand-repas avec quinze convives sans cesse dérangés par ces mêmes enfants qui se faufilent entre leurs jambes, pour les écouter. Nous retrouvons ici certaines des qualités qui avaient fait le succès de Nora, Nora.
Mais cette bonne directrice d’acteurs aurait quand même pu nous épargner de trop fréquentes criailleries.  Elle possède aussi une grande maîtrise de l’espace mais… pas du temps.  Et beaucoup moins celle du scénario qui, ici, part dans tous les sens. Et tant pis pour ceux qui n’ont jamais lu ou vu Roméo et Juliette au théâtre ou même au cinéma. C’est à dire, probablement, la grande majorité du public de Saint-Denis!
« Faire un film, disait Alfred Hitchcock, c’est d’abord raconter une histoire. Cette histoire peut être improbable, mais elle ne devrait jamais être banale. Ce doit être dramatique et humain. Qu’est-ce que le drame, après tout, si ce n’est la vie, avec les éléments ternes coupés?  » Au théâtre, raconter une histoire n’est pas une obligation absolue depuis au moins un siècle, mais encore faut-il l’assumer et on se demande ce qu’a voulu faire Elsa Granat. Le résultat laisse perplexe…Même encore une fois, si la metteuse en scène sait créer d’excellentes images.
Ce qui aurait pu être un spectacle à la fois loufoque et parodique, avec des airs de comédie musicale, traîne en longueur et il y a, au moins, une moitié de trop… La metteuse en scène semble avoir voulu se faire d’abord plaisir et on lui en a donné les moyens. Et le public dans tout cela? Le spectacle distille un ennui d’appellation contrôlée avec une fin… où les enfants sautent interminablement sur des trampolines. « L’éternité, écrit Franz Kafka, c’est long, surtout vers la fin. »

Elsa Granat a de grandes qualités de metteuse en scène mais cette fois-ci, elle a très mal visé et ce qui aurait pu être une performance visuelle fois comique d’une heure et quelque, est finalement assez prétentieux et ne tient pas la route sur ces deux heures et demi (bien entendu sans entracte, sinon une partie de la salle se serait vidée). On va sans doute nous dire que c’était une première et que c’est normal, que les choses vont vite se caler. Refrain connu…
La seule chose qu’Elsa Granat puisse faire (c’est toujours un boulot difficile!) : abréger déjà cette pièce d’une demi-heure au moins, surtout et d’abord, en raccourcir la fin, aussi sotte que grenue. Elle comprendra, on l’espère, que si, elle persiste à faire joujou avec William Shakespeare ou d’autres auteurs, pour arriver à un résultat aussi médiocre, elle ira droit dans le mur… Espérons que le Tchekhov qu’elle montera prochainement à la Comédie-Française ne sera pas du même tonneau! Bref, vous pouvez vous épargner Les Grands Sensibles ou l’Education des Barbares.

Philippe du Vignal

Jusqu’au Théâtre Gérard Philipe, Centre Dramatique National de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 13 70 00.

Les 16 et 17 octobre, NEST-C.D.N. de Thionville (Moselle).

Les 7 et 8 novembre,Théâtre de l’Union-C.D.N. du Limousin, Limoges (Haute-Vienne).

Du 26 au 30 novembre , Théâtre Dijon-Bourgogne, Dijon (Côte d’Or).

Les 4, 5 et 6 décembre, Théâtre de Cornouaille-Scène Nationale de Quimper (Finistère)

 

 

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