Krush, conception et réalisation d’Olivier Fredj, conception musicale Shani Diluka

Krush, conception et réalisation d’Olivier Fredj, conception musicale Shani Diluka

 Paradox Palace revient au Théâtre du Châtelet, avec le troisième volet d’une fresque théâtrale, musicale et sociale hors-norme, construite avec les mots des oubliés de la société. Olivier Fredj, son directeur, vient à la fois de l’opéra et des milieux socio-éducatifs. Il conjugue ses talents pour une aventure artistique généreuse: dire sur scène le monde actuel selon le point de vue de ceux qu’on n’entend jamais, relégués dans les marges: « les sans dents» et « ceux qui ne sont rien », selon nos dirigeants actuels…

© Thomas Amouroux

© Thomas Amouroux

Après Watch (le temps) en 2022 et Flouz (l’argent) en 2023,Krush aborde les questions de l’identité, du regard porté sur soi, du lien et de la relation à autrui. Entre les crush (béguins) et les krachs amoureux amoureux et familiaux, se jouent destins brisés, espoirs de vie meilleure, naufrages et sauvetages. Et pour le dire, des ateliers d’écriture ont été menés avec les détenus du centre pénitentiaire à Meaux, les élèves de CE1 à l’école Jeanne-d’Arc  à Paris (XIII ème), les hébergés du Samu social, les résidents de l’EHPAD Huguette Valsecchi à Paris et des patients de la Maison Perchée…
Il s’agissait aussi de mettre en place des échanges épistolaires entre
personnes en rupture sociale, personnes âgées, enfants… Ils ont ainsi raconté leur famille, leurs amours, leurs déchirures…

Paradox Palace a bâti Krush à partir de ce corpus éclectique, distribuant les paroles recueillies à des acteurs professionnels, élèves-comédiens et amateurs dont certains anciens détenus et résidents de Samu sociaux et d’Ehpad. Une trentaine de personnes investissent le plateau en chœurs, duos, solos… Nous sommes surpris par la lucidité et l’humour qui traversent ces histoires d’attachement, désamour, abandon. Comme dans la lettre de cette jeune femme qui, après une tentative de suicide, commence par «Cher lâche, je suis cassée… » ( Lison, de la Maison perchée) ou celle de Camille à son père : «Je fais une déclaration de vie à toi qui a choisi de mourir. »

Avec une mise en scène et une création musicale réussies, Olivier Fredj  met à distance les souffrances, voire la mort qui infusent ces narrations. Les artistes sont accompagnés, à flot continu par les Préludes et Fugues de Bach, distillés par la pianiste virtuose Shani Diluka, première femme du continent indien à être entrée au Conservatoire National à Paris.
S’y mêlent discrètement les battements percussifs du Trio SR9 et les boucles électroniques, plus festives du DJ Matias Aguayo  idéales pour esquisser les danses urbaines, soutenir des vers slamés ou la chanson dédiée à Herman qui est parti du Samu social, puis s’est évanoui dans la nature et en est mort…

Malgré une dernière partie un peu trop longue et décousue, il émane de cette troupe en mouvement incessant et une belle énergie. « La polyphonie, c’est la résolution unitaire et parfaite des diversités du son et de la voix, insuffisantes à elles-mêmes dans leur seule spécificité.» écrivait le poète Édouard Glissant dans Tout-mond. Dans ce spectacle émouvant, toute parole prend de la valeur, éclairée par une réalisation soignée sous l’aile des professionnels de la musique et du théâtre.
Le projet ne s’arrête pas aux quelques représentations publiques des trois spectacles mais a permis la réinsertion sociale et professionnelle de certains détenus. Grâce à des promesses d’embauche ferme, six ont bénéficié d’une remise de peine en 2022, et dix, en 2023. Plusieurs d’entre eux commencent une carrière artistique._
Tous sont heureux et fiers d’être entendus. « Être sur scène, c’est un rêve, témoigne un ex-détenu, maintenant acteur au Paradox Palace. (…). Quand on est en détention, tout ce qu’il nous reste, c’est notre parole. La confiance, c’est important et ces ateliers d’écriture, ces séances de répétition, cette possibilité d’aller au Châtelet, c’est un beau gage de confiance. En tout cas, j’ai appris que mon moteur profond consiste à poser un regard sur la société pour mieux la questionner.» Il faut regarder Krush à cette aune:  à partir du parcours de chacun, se construit une précieuse chaîne de solidarité…

 Mireille Davidovici

 Les 19 et 22 septembre, Théâtre du Châtelet, 1, place du Châtelet, Paris (Ier) T. : 01 40 28 28 28.

 

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