La Guerre des pauvres, d’après le roman d’Eric Vuillard, onconception et adaptation d’Olivia Grandville
La Guerre des pauvres, d’après le roman d’Eric Vuillard, conception et adaptation d’Olivia Grandville
On connaît mal aujourd’hui les soulèvements paysans, massifs et sanglants au sud de l’Allemagne au début du XVI ème siècle, immortalisés par Friedrich Engels dans La Guerre des paysans en Allemagne (1850). À peine retient-on encore le nom de Thomas Müntzer (1489-1525), un jeune théologien luthérien en lutte aux côtés des insurgés.
Olivia Grandville s’empare du récit fiévreux d’Éric Vuillard où le ras-le-bol et la colère populaires se radicalisent en une révolte profonde contre les inégalités, impulsée par la flamboyante et utopique radicalité de Thomas Müntzer.
Ce texte épique de quatre-vingt pages est lu d’un seul souffle par Laurent Poitrenaux, immobile sous un plafond ajouré et formé par les cintres, abaissés jusqu’à mi-hauteur du plateau. Dans cet espace de jeu au format panoramique imaginé par Denis Mariotte, des tubes LED et des fanions vibrant sur des hampes mobiles fichées au sol, créent une étrange forêt lumineuse où s’ébattent discrètement les danseurs Samuel Lefeuvre et Windmi Nebie. Jamais illustratif, cela rythme le récit, soutenu par les nappes sonores jouées en continu par Benoît de Villeneuve et Benjamin Morando.
Dans son court roman, centré sur les écrits et paroles de Thomas Müntzer, Éric Vuillard procède par images mais sans jamais négliger le document, source historique. Son écriture serrée d’une grande puissance évocatrice, véhicule de l’émotion, se prête à une interprétation dansée impulsive, à l’image du héros. « Il suit le fil brûlant de son désir. Il a faim et soif, horriblement, et rien ne peut le rassasier, rien ne peut étancher sa soif; il dévorera les vieux os, les branches, les pierres, les boues, le lait, le sang, le feu. Tout. »
« Il faut tuer les souverains impies.» écrit le révolté, au Grand Électeur Frédéric Guillaume de Brandebourg.
Cette fiction historique mise au présent nous précipite dans notre XXIème siècle où les révoltes populaires ont dernièrement ébranlé la société. «Si le soulèvement est une flambée, à coup sûr fugace, dit Olivia Grandville, il n’en reste pas moins l’élan vital nécessaire à tout mouvement. »
Dans cette chorégraphie, les danseurs, en traçant de vastes déplacements circulaires ou en cassant leur corps avec des gestes saccadés, partagent avec nous les sévices subis par les pauvres et le désir d’un monde plus juste du messianique Thomas Müntzer. Leurs mouvements, la mobilité du décor et les pulsations sonores font écho aux mots de l’acteur.
Olivia Grandville, maintenant à la tête du Centre Chorégraphique National de La Rochelle, nous surprend une fois de plus avec ce travail audacieux, en continuité avec ses créations : Le Cabaret discrépant (2011), inspiré de textes du poète lettriste Isidore Isou au Théâtre de la Colline. Ou le bouillonnant Combat de carnaval et Carême, d’après le tableau de Pieter Brueghel l’Ancien (2017). Et, dernièrement, Klein, réponse théâtrale, plastique et musicale, à l’aridité et à l’abstraction des propos de l’artiste Yves Klein (voir Le Théâtre du Blog.)
Mireille Davidovici
Spectacle joué du 26 au 29 septembre à la MC93 de Seine-Saint-Denis, 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis). T. :0 1 41 60 72 72
Les 4 et 5 février, La Coursive-Scène Nationale de La Rochelle et du 8 au 13 février, Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse) .