Lettres d’excuses de et par Patrick Chesnais

Lettres d’excuses de et par Patrick Chesnais

Dans ces lettres à des proches, à des amis mais aussi à lui-même, « J’ai mis en lumière, dit-il, mes lâchetés, mes oublis, mes à-peu-près, mes sorties de route, mes exagérations, tout ce qui m’empêche d’être un homme parfait, que je ne serai jamais, parce que c’est impossible. Je m’adresse à tous ceux que l’ai blessés, délaissés, à qui je n’ai n’a pas fait attention ou pas suffisamment,privilégiant mon plaisir, mon envie avant tout. Et puis, il n’y a pas que les gens, il y a aussi les périodes, les lieux, les institutions… Je dois des excuses à la politique, à la vie, et même au soleil.» Ces Lettres d’excuses qu’il a publiées, Patrick Chesnais, les lit après le festival d’Avignon,maintenant au Lucernaire en une heure et quelque. Sur la scène, juste un pupitre, un écran, une chaise haute, et une petite table avec une carafe d’eau et un verre.
C’est un autre type de spectacle pour cet acteur (soixante-dix sept ans) qui a beaucoup joué au théâtre: Alfred de Musset, Anton Tchekhov, Georges Feydeau, William Shakespeare… Mais aussi, parmi les auteurs contemporains: Harold Pinter, David Hare, Brian O’Friel, Murray Schisgal. Et depuis cinquante ans, il a aussi interprété de nombreux films : entre autres, ceux de Claude Lelouch, Philippe de Broca, Jacques Deray, Diane Kurys, Michel Deville, 
Danièle Thompson… C’est dire qu’il en connu des textes et des gens de théâtre, comme de cinéma! « Le genre épistolaire, dit-il, est à la fois spectaculaire et intime, et, comme au music-hall, j’y fais se succéder avec irrévérence le tragique et le burlesque, ce qui est depuis toujours mon terrain de jeux préféré. » Et ces lettres, il y en a de très émouvantes et aussi des plus comiques. Mais toujours justes, comme celles à Delphine Seyrig (1932-1990), cette immense actrice qui jouait Une vie de Sarah Bernhardt. A cause d’une envie pressante mais situé en bout de rang, il ne pouvait sortir et n’avait pas bien suivi son spectacle. Et c’était le soir de la dernière représentation!

© Capta vidéo

© Capta vidéo

Il évoque, pudiquement, encore bouleversé, la mort de son fils Ferdinand,dont la mère est l’actrice Coralie Seyrig, le frère d’Emilie et Victor. Le 13 octobre 2006, sur le périphérique à Paris, sa voiture  est percutée par celle d’un conducteur alcoolisé.  Ferdinand venait d’avoir vingt ans! Effondré, Patrick Chesnais se sent coupable: »Je le voyais, lui, allongé pour toujours dans cette boîte, juste devant moi, porté par des costauds des pompes funèbres, calme, éteint, définitivement mort. (…) Je me disais que j’aurais dû mieux le protéger et que c’est moi qui aurais dû être dans cette boîte… Je n’ai pas été un bon père. Un bon père, ça empêche son fils de mourir à vingt ans. » (…)  »Mon petit bonhomme. Mon grand. Mon fils. Je m’excuse de ne pas t’avoir protégé. Je m’excuse de ne pas pouvoir t’admirer grandir, je m’excuse de ne pas être témoin à ton mariage.Je m’excuse de ne pas devenir un Papy idéal dont tu aurais rêvé pour de petits descendants. Je te demande pardon de n’avoir pas toujours su comment m’y prendre avec toi (…). Tu auras toujours tes vingt ans magnifiques. » Dix-huit ans après, on sent qu’il n’arrivera jamais à en faire le deuil, même si la vie a continué… Et Patrick Chesnais s’engagera dans la lutte contre l’alcool au volant. Les rituels, cela lui fait quand même un peu de bien… « Je vais tous les dimanches au cimetière. À Noël, je mets un petit sapin que je décore, à Pâques, j’apporte des œufs, au 1er mai, du muguet et,  quand il y a une finale de foot, des drapeaux bleu-blanc-rouge. »

Il continue avec une réflexion métaphysique et dit joliment qu’il est « dans les prémices, dans la bande-annonce. de la vieillesse. ( …)  » Mais moi, ce que je voudrais, c’est mourir de vieillesse, toujours jeune. » Il y a aussi une belle lettre d’excuses à Paris, une ville aussi aimée que détestée. Et il écrit à cette « Mémé de la Garenne », sa grand-mère pas riche du tout, qui l’emmena au théâtre L’Européen près de la gare Saint Lazare. « Nous y vîmes Coquin de Printemps avec Fernand Sardou, le père de Michel. Je me dis que plus tard, j’irais dans les théâtres. » (…) Mémé de la Garenne est morte dans une maison de retraite perdue dans le Vexin. » Il y a aussi, très drôle cette lettre d’excuses à Mathilda May, actrice encore débutante, avec laquelle il jouait. Dans sa loge distrait, il était arrivé en retard sur le plateau! Il ne s’épargne pas dans une courte lettre d’excuses à lui-même, en citant François Villon: « Je connais tout fors que moi-même. »
Il raconte aussi cette belle leçon d’humilité  pour un acteur: sur un marché dans une petite ville du Nord, un mari qui l’avait reconnu, dit à sa femme: « Chesnais, tu sais, celui qu’on n’aime pas. »

Et ce monologue finit par une lettre à son petit-fils Eliot, neuf mois, dont on verra la photo, projetée comme la sienne quand il était jeune et bien sûr, celle de Ferdinand. « Quelle aura été ta vie? Quels seront les gens qui auront jalonné ton existence et que je ne connais pas. Pardon pour mon ignorance. » A cette première à Paris, le spectacle avait, à certains moments, encore besoin de rodage mais il est  très bien écrit, avec une très belle fin. 

Philippe du Vignal

Spectacle vu au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris (VI ème). T : 01 45 44 57 34. 

Le texte est publié aux éditions de l’Archipel. Il est où Ferdinand ? Journal d’un père orphelin , éditions Michel Lafon et  La vie est belle, je me tue à vous le dire, éditions de l’Archipel.


Archive pour 30 septembre, 2024

Cap au pire, de Samuel Beckett, traduction d’Edith Fournier, mise en scène de Jacques Osinski

Cap au pire, de Samuel Beckett, traduction d’Edith Fournier, mise en scène de Jacques Osinski

 Nous retrouvons avec plaisir Denis Lavant dans cette performance hors-norme, reprise cet automne au théâtre 14. Athlète de la langue, il nous attire dans une vertigineuse descente aux enfers du verbe : «Encore. Dire encore. Soit dit encore. Tant mal que pis encore. Jusqu’à plus mèche encore. »

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L’acteur dit jusqu’à plus soif comment: « Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore. Ou mieux plus mal. Rater plus mal encore. Encore plus mal »». Il donne corps à un texte ardu, sans jamais en perdre le fil, immobile sur un rectangle de lumière,avec  dans le dos, un tulle derrière lequel apparaissent et disparaissent de minuscules luminaires, loupiotes têtues dans la pénombre ambiante. La mise en scène suit à la lettre les indications de l’auteur, interprétées ici à la virgule, au hiatus près, tout en faisant surgir un humour latent.

Cap au pire, avant-dernière nouvelle de Samuel Beckett, parue en anglais en 1983, sous le titre Worstward Ho-worst : pire- un jeu de mots à partir de l’expression maritime westward ho ! (cap à l’ouest).
La traduction d’Édith Fournier (1991) restitue avec bonheur cette langue avare en vocabulaire qui suit le cheminement d’une pensée en marche vers la catastrophe, dans un style syncopé, avec peu de phrases complètes, des adverbes souvent seuls, quelques verbes, la plupart à l’infinitif.

Dans ce texte quasi-métaphysique – on pense à Parménide- rien à quoi se raccrocher, sinon la concrétude des mots portés par l’acteur et, ça et là, des espaces où se meuvent de mystérieux personnages voués à la disparition. Et pourtant, nous restons suspendus pendant une heure et demi à la performance de Denis Lavant. Il fouille avec acharnement dans cette histoire d’aller au pire, à la limite, jusqu’à l’effacement même d’une parole, d’une œuvre, d’une existence. Une histoire qui, cependant, n’en finit pas de finir.
Et s’ouvre, comme elle se ferme, page 62, sur le mot 
: encore. «Assez. Soudain assez. Soudain tout loin. Nul mouvement et soudain tout loin. Tout moindre. Trois épingles. Un trou d’épingle. Dans l’obscurissime pénombre. À des vastitudes de distance. Aux limites du vide illimité. D’où pas plus loin. Mieux plus mal pas plus loin. Plus mèche moins. Plus mèche pire. Plus mèche néant. Plus mèche encore. Soit dit plus mèche encore». Denis Lavant nous éclaire ici plus que tout commentaire philosophique… à condition de se laisser porter par son phrasé acrobatique.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 19 octobre, Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier Paris (XIV ème). T. : 01 45 45 49 77.

 

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