L’Homme qui rit, de Victor Hugo, adaptation et interprétation de Geneviève de Kermabon

©Alejandro Guerrero

©Alejandro Guerrero

L’Homme qui rit de Victor Hugo, adaptation et interprétation de Geneviève de Kermabon

 Ce n’est pas un roman-fleuve, c’est la mer, c’est un monde et le gouffre le plus mystérieux, le plus profond, le plus terrible adjectif hugolien-c’est l’humanité, avec tout ce qu’elle porte d’inhumain. C’est un conte : il était une fois un enfant abandonné, vendu, acheté par les « comprachicos » et mutilé pour faire de lui un monstre de foire. Quelque chose comme le clown de cinéma ou des séries qui fait si peur aujourd’hui. Mais pour faire rire : un nez écrasé, une bouche sculptée en un sourire géant et perpétuel, « masca ridens » jusqu’aux oreilles. Cet enfant, abandonné à dix ans par ses tortionnaires, seul, dans un monde glacé : « la plaine était couverte de neige », rencontre plus abandonné que lui : un bébé, une petite fille trouvée dans les bras de sa mère morte de froid. Elle va grandir, très belle, très délicate mais aveugle, sous la protection d‘Ursus, leur père de tréteaux et d’Homo, le loup, comme son nom l’indique. Ils seront l’un pour l’autre l’amour-même et leur tournée de saltimbanques triomphe devant le peuple. Un jour, un document trouvé dans une bouteille venue de la mer (Victor Hugo en parle au début, mais nous l’avions oublié) révèle que Gwynplaine, l’homme qui rit, est l’héritier d’un des plus grands lords d’Angleterre. Fin du conte et retour fracassant à la réalité sociale : le jeune lord restera dans sa chair l’homme qui fait rire et ses pairs ne l’écouteront pas. Il ne sera pas le grand réformateur, le sauveur des pauvres. Entre temps, Victor Hugo place de longues et très intéressantes pages encyclopédiques sur les quartiers de Londres au XVII ème siècle ou le fonctionnement de la noblesse britannique, toujours dans le sens de la vérité et de la justice : montrer la condition des misérables, premier geste d’indignation qu’on puisse faire en leur faveur.

D’un roman de trois cent pages, Geneviève de Kermabon n’a gardé qu’un dixième, mais sans trahir l’ampleur ni la générosité de Victor Hugo. Son coupé-cousu serré laisse la place aux élans puissants du poète et à ses combats pour la liberté et la justice. Indignation : comment pouvons-nous être si aveugles à la misère ? La vraie aveugle n’est pas la belle Dea, mais vous, moi, tous, et particulièrement les riches : «C’est l’enfer des pauvres qui fait le paradis des riches.» Le poète n’a pas besoin de grands mots et trouve son éloquence-que certains appellent grandiloquence-dans les entrechocs et les antithèses, ne se privant jamais de la simplicité dans toute sa grandeur..

Geneviève de Kermabon a été acrobate et trapéziste. Ella a été invitée en 88 par le festival d’Avignon à mettre en scène en scène avec des artistes handicapés Freaks ou La Monstrueuse parade, d’après le film de Tod Browning (1932). Elle a sans doute trouvé dans L’Homme qui rit un écho, une fraternité mais n’a pas conçu son spectacle comme un retour à la parade ou au cirque. Elle se fait modestement conteuse, et semble se laisser prendre à son récit ou plutôt à celui de Hugo:elle endosse parfois, avec puissance, tel ou tel personnage. Dans la petite salle du théâtre de Poche, tout près du public, presque en confidence, elle nous fait vivre cette histoire énorme. « Je suis un monstre ? Non, je suis le peuple. Je suis l’Homme Qui Rit. Qui rit de quoi ? De vous. De lui. De tout : je pleure ». Ou encore – ce sont les citations choisies par l’artiste et terriblement pertinentes - : « On a déformé le droit, la justice, la vérité, l’intelligence comme moi les yeux, les narines et les oreilles : comme à moi, on lui a mis au cœur un cloaque de colère et de douleur, et sur la face un masque de contentement ». Pas besoin de commentaires : Hugo donne en quelques mots, dans un grand roman, son  credo humaniste. Et joue son rôle de « lanceur d’alerte » sur les injustices et les inégalités. Cela devrait nous dire quelque chose, aujourd’hui. Et la comédienne et metteuse en scène, dans sa petite grotte théâtrale, avec sa toute petite scène… dont elle n’a pas besoin, nous le transmet en toute simplicité et sincérité. Et nous emmène avec elle.

Christine Friedel

Jusqu’au 4 novembre,Théâtre de Poche, 75 boulevard du Montparnasse, Paris (VI ème) T. : 01 45 44 50 21.

 

 

 

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